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Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome IV/Seconde partie/Livre I/Chapitre VII

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CHAPITRE VII.

Bornéo.

On appelle communément Java, Sumatra et Bornéo, les trois grandes îles de la Sonde.

Cette dernière, qui est la plus grande de toutes celles des Indes orientales, et peut-être du monde, s’étend de 4 degrés et demi au sud à 8 degrés au nord de l’équateur, ce qui fait 12 degrés et demi en latitude.

Si l’île est grande, elle n’est pas moins riche ; mais on en connaît peu l’intérieur. Elle est partagée entre plusieurs rois, qu’on désigne par les noms des principales villes, Bandjar-Massing, Souccadana, Landak, Sambas, Hermata, Iathou et Bornéo. Celui de Bandjar-Massing passe pour le plus puissant de tous, et c’est aussi celui qu’on connaît le mieux.

Le climat de la partie septentrionale de Bornéo ressemble beaucoup à celui de Ceylan ; la vaste étendue des forêts y rafraîchit l’air, de sorte que l’on n’y est pas exposé aux vents brûlans de terre comme sur la côte de Coromandel.

Il se fait dans ce royaume un très-grand commerce avec plusieurs nations étrangères, tant de l’Europe que des Indes. Les productions de l’île sont, de l’or en quantité, soit en poudre ou en lingots, des diamans, surtout dans le royaume de Souccadana ; des perles sur la côte septentrionale, du poivre presque partout, des clous de girofle, et des noix muscades en petite quantité ; et dans les montagnes du sud-ouest, du camphre, du benjoin, du sang-de-dragon, du bois de calambac, du bois d’aigle, des rotangs ou cannes, du fer, du cuivre, de l’étain, des bézoards, des toutombos, ou coffrets faits de joncs fins et de feuilles, de la cire et autres marchandises. Les marchandises qui ont le plus de débit dans cette île sont les agates rouges, les bracelets de cuivre, toutes sortes de coraux, la porcelaine, le riz, l’amfion ou opium, le sel, les ognons, les aulx, le sucre et les toiles.

Toutes les années il arrive dix ou douze jonques de la Chine, de Siam et de Djohor ; ce sont les Portugais de Macao qui leur en ont appris le chemin.

On suppose que l’intérieur du pays est rempli de hautes montagnes et de grandes forêts. Le voisinage des côtes, sur une largeur de cinq à dix lieues, est presque entièrement occupé par des marécages et des broussailles impénétrables. On n’y peut avancer qu’en navigant sur les fleuves que l’on remonte en bateau jusqu’à vingt lieues de la mer ; mais il paraît que l’on ne peut pas aller au delà, ce qui a, jusqu’à présent, empêché de connaître l’intérieur. S’il faut s’en rapporter aux récits des Malais, plusieurs marchandises vendues aux Européens viennent de plus de vingt journées de distance de la mer.

Les forêts sont peuplées d’infinité de singes. Cette île est sur tout la patrie des orangs-outangs, qui ont tant de ressemblance avec l’homme. Ces bois nourrissent aussi de nombreux troupeaux d’axis, espèce de cerfs, et beaucoup de sangliers ; ces animaux, n’ayant pas à redouter les attaques des tigres, paissent en liberté.

« La supériorité du camphre de Bornéo est si bien reconnue, dit Raynal[1], que les Japonais donnent cinq ou six quintaux du leur pour une livre de celui de Bornéo, et que les Chinois, qui le regardent comme le premier des remèdes, l’achètent jusqu’à huit cents francs la livre. Les Gentous se servent, dans tout l’Orient, de camphre commun pour des feux d’artifice, et les mahométans le mettent dans la bouche de leurs morts lorsqu’ils les enterrent.

» Les Portugais cherchèrent, vers l’an 1526, à s’établir à Bornéo. Trop faibles pour s’y faire respecter par les armes, ils imaginèrent de gagner la bienveillance d’un des souverains du pays, en lui offrant quelques pièces de tapisserie. Ce prince imbécile prit les figures qu’elles représentaient pour des hommes enchantés qui l’étrangleraient durant la nuit, s’il les admettait auprès de sa personne. Les explications qu’on donna pour dissiper ces vaines terreurs ne le rassurèrent pas, et il refusa opiniâtrement de recevoir ces présens dans son palais et d’admettre dans sa capitale ceux qui les avaient apportés.

» Ces navigateurs furent pourtant reçus dans la suite ; mais ce fut pour leur malheur ; ils furent tous massacrés. Un comptoir, que les Anglais y formèrent quelques années après, eut la même destinée. Les Hollandais, qui n’avaient pas été mieux traités, reparurent en 1748 avec une escadre. Quoique très-faibles, elle en imposa tellement au prince, qui possède seul le poivre, qu’il se détermina à leur en accorder le commerce exclusif. Seulement il lui fut permis d’en livrer cinq cent mille livres aux Chinois, qui de tout temps fréquentaient ses ports. Depuis ce traité, la compagnie envoie à Bandjar-Massing du riz, de l’opium, du sel, de grosses toiles. Elle en tire quelques diamans, et environ six cent mille pesant de poivre, à trente et une livres le cent. Le gain qu’elle fait sur ce qu’elle y porte peut à peine balancer les dépenses de l’établissement, quoiqu’elles ne montent qu’à trente-deux mille livres. »


  1. Histoire philosophique et politique du commerce des Européens dans les Deux-Indes.