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Acadie/Tome II/18

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Texte établi par Henri d’Arles, J.-A. K.-Laflamme (Tome 2p. 397-425).

CHAPITRE VINGT-NEUVIÈME



Winslow se rend de Beauséjour à Grand-Pré pour exécuter les ordres de Lawrence. — Proclamation. — Son Journal. — État d’esprit de Winslow. — Murray. — Prebble.


Nous touchons enfin à l’exécution du projet doublement criminel de Lawrence, à cette déportation de tout un peuple, arraché violemment à ses foyers, à ce coin de terre riant et fertile, que ses ancêtres avaient découvert et colonisé un siècle plus tôt. Dans un accès de zèle pour la colonisation, la France avait laissé sur ces plages quelques douzaines de familles, qu’elle avait oubliées ensuite avec une insouciance coupable. Depuis longtemps, la France n’était plus qu’à l’état de souvenir lointain et confus, dans l’esprit des Acadiens. La tradition seule pouvait leur rappeler l’ancienne mère-patrie et l’histoire de ceux qui furent les pionniers du sol qu’ils habitaient. Ces familles avaient grandi ; les deux cents colons primitifs avaient formé un petit peuple de 17,000 âmes, qui s’était créé des habitudes, des goûts, des traditions à lui. Les Acadiens étaient comme les membres d’une même famille, unis entre eux par les liens du sang ou par de communs souvenirs. Leur patrie n’était plus la France. Leur patrie, elle était là tout entière sous leurs yeux, dans l’étendue qu’embrassaient leurs regards, dans la nature silencieuse ou dans les travaux que leurs pères et eux avaient laborieusement accomplis. Petit à petit, le travail accumulé de plusieurs générations avait repoussé et limité le flot envahisseur, reculé la forêt ; la solitude s’était faite aimable et souriante, les coteaux échelonnés s’étaient recouverts de moissons jaunissantes. Ça et là, sur les pentes douces conduisant au bassin des Mines, s’alignaient à perte de vue leurs demeures simples et rustiques. Chaque habitation était adossée à un verger, et ombragée de saules[1] formant autant d’oasis[2] de verdure, où tout respirait l’aisance, le calme et le bonheur de la vie champêtre. À leurs pieds, ces terres endiguées, si fertiles, où paissaient de nombreux troupeaux ; puis le Bassin, toujours mobile, déroulant sa nappe éblouissante de lumière, — tantôt replié sur lui-même, se faisant humble et petit ; tantôt puissant et orgueilleux, refoulant ses eaux au loin dans les terres, caressant de sa vague les gracieux contours des vallons. Comme fond à ce riant tableau, l’encadrant et le bordant, des collines superposées, des forêts silencieuses : ici, le cap Blomédon, là, le cap Fendu, marquant l’entrée de cet asile de paix et de bonheur, se dressant résolument comme pour en barrer le passage aux passions humaines. Plus loin encore, les montagnes de Cobequid dont la crête se perd dans les lignes bleuâtres de l’horizon. Il serait difficile, dit Haliburton[3], de trouver un paysage pouvant égaler en beauté champêtre celui que nous offre l’ancien site du village de Grand-Pré, vu des coteaux qui le dominent. — Tout cela, c’était la patrie. Quelques jours encore, et la cupidité d’un tyran allait en faire le coin le plus désolé de la terre. Tout un peuple allait être entassé pêlemêle dans des navires, et dispersé sur toutes les plages, comme les feuilles emportées par le vent d’automne.

C’est à Winslow et à Murray qu’avait été confiée la tâche de troubler cette idylle de paix, et de bonheur, dans le quartier des Mines : Winslow à Grand-Pré, comprenant les paroisses Saint-Charles et Saint-Joseph, (Rivière-aux-Canards) ; Murray à Piziquid, où se trouvaient deux autres paroisses, la Sainte-Famille et l’Assomption.

Winslow était à Beauséjour lorsqu’il reçut l’ordre de se rendre à Grand-Pré. Embarqué le 16 août[4], au fort Lawrence, avec 300 hommes de son régiment, il vint jeter , le jour suivant, devant Grand-Pré. De là, sans s’arrêter, il se dirigea sur Piziquid, où l’attendait impatiemment Murray. Tous deux avaient les mêmes ordres ; ils devaient de plus s’entendre sur les moyens les plus efficaces à l’accomplissement de leur tâche, — ce qu’ils firent. Après quoi, Winslow retourna à Grand-Pré, d’où il écrivait à Lawrence, le 19 août :


« … Je suis arrivé à la Grand-Prée le 19 août, et après avoir pris connaissance des lieux, j’ai trouvé les alentours de l’église que vous m’avez désignés, très avantageux pour l’installation de mon camp. J’ai envoyé chercher les vieillards pour leur faire enlever les choses sacrées, afin qu’elles ne soient pas souillées par les hérétiques[5]… »

L’église fut occupée comme arsenal ; les soldats dressèrent tout autour leurs tentes, et Winslow établit ses quartiers généraux dans le presbytère. Il informait en même temps Lawrence que, pour se protéger contre les surprises, il se proposait de faire construire par le détachement une enceinte palissadée s’étendant de l’église jusqu’au cimetière. Le gouverneur en fut alarmé ; il lui fit savoir, par Murray, qu’il valait mieux éviter tout ce qui pouvait exciter l’étonnement et la méfiance[6]. Winslow lui répondit de la manière suivante :


Grand-Prée, 30 août 1755.

« J’ai eu l’honneur de recevoir de Votre Excellence, ses lettres du 11 et du 26 courant, que le capitaine Murray a eu la bonté de m’apporter. Je me suis entendu avec lui au sujet de la tâche que nous avons à remplir. Mais toutes les récoltes étant coupées[7], et la température ayant empêché les habitants de les engranger, nous avons cru devoir différer jusqu’à vendredi pour faire connaître les ordres de Votre Excellence. Nous nous proposons de les communiquer à la population ce jour-là.

« Nous avons élevé une palissade autour du camp avant d’avoir reçu la lettre de votre Excellence ; et j’ai l’impression que loin de s’effaroucher de cela et d’en conclure qu’on allait les déporter[8], les habitants y ont vu l’indice que nous étions pour séjourner avec eux tout l’hiver…

« Bien que nous soyons chargés d’un devoir pénible à remplir, je crois que les mesures prises sont nécessaires et je m’efforcerai de suivre rigoureusement vos ordres. J’emploierai tous les moyens pour transporter les habitants des environs dans un meilleur pays. Quant au père Le-Blond (René Leblanc), avec la permission de Votre Excellence je l’enverrai à l’endroit d’où je viens moi-même[9]… »


En apportant la lettre de Lawrence à Winslow, Murray et ce dernier en étaient arrivés à la conclusion que le moyen le plus sûr de rassembler les habitants était de lancer une proclamation, requérant la présence à l’église de tous les hommes, ainsi que de tous les enfants mâles au-dessus de dix ans, pour y entendre les instructions de Sa Majesté à leur sujet ; ils avaient en même temps décidé de donner à cette proclamation une forme tellement ambiguë que son objet véritable ne serait pas découvert, et tellement péremptoire qu’il ne serait pas possible d’y désobéir[10].

De retour à Piziquid, Murray écrivait, dès le 31 août, à Winslow : « Je pense que le plus tôt nous frapperons le coup, le mieux ce sera ; je serai donc heureux de vous voir ici, aussi tôt que vous pourrez y venir. Je vais faire préparer, pour vous les soumettre, les ordres à l’effet de commander aux gens de se rassembler, laissant seulement la date en blanc, et j’espère que tout se passera selon que nous le souhaitons[11]. »

Winslow voulait, avant d’aller rencontrer Murray, se rendre compte par lui-même où on en était des travaux de la moisson. Puisqu’il était à peu près impossible d’en tirer parti, Lawrence avait écrit de la laisser engranger, pour la brûler en même temps que tous les bâtiments. Il fallait,

comme le comportaient ses instructions, faire du pays un désert inhabitable, afin de forcer les fuyards à se livrer, et de décourager un retour possible des exilés[12]. Accompagnés d’une escorte de soldats, Winslow fit donc une tournée d’inspection dans les campagnes avoisinantes, et constata, avec regret, qu’il restait encore beaucoup de grain sur le sol[13].

Le mardi, 2 septembre, de bonne heure le matin, Winslow appareilla sur une baleinière, et se rendit à Piziquid pour se consulter définitivement avec Murray et arrêter la proclamation qui serait adressée aux habitants[14]. Cette proclamation fut traduite en français par un nommé Beauchamp, marchand de Piziquid[15]. Elle se lit comme suit :


« Le lieutenant-colonel John Winslow, écuyer, commandant des troupes de Sa Majesté, à la Grand-Prée, à la rivière des Mines, à la rivière aux Canards et autres endroits adjacents, etc.

« Aux habitants du district de la Grand-Prée, rivière des Mines, rivière aux Canards, etc., y compris les vieillards, les jeunes gens et les adolescents.

« Attendu que son Excellence vient de nous faire connaître ses dernières volontés au sujet des propositions qui ont été faites récemment aux habitants et que nous avons reçu ordre de vous en faire part nous-mêmes ; car Son Excellence désirant que tous soient mis au courant des intentions de Sa Majesté, nous a enjoint de vous les communiquer telles qu’elle les a reçues :

« En conséquence, j’ordonne et enjoins strictement par les présentes à tous les habitants, y compris les vieillards, les jeunes gens ainsi que ceux âgés de dix ans, des districts susmentionnés et autres districts, de se réunir à l’église de la Grand-Prée, le vendredi, 5 courant à trois heures de l’après-midi, afin de leur faire part des instructions que nous sommes chargés de leur communiquer. Je déclare qu’aucune excuse, de quelque nature qu’elle soit, ne sera acceptée et que le défaut d’obéissance aux ordres ci-dessus entraînera la confiscation des biens et effets.

« Donnée à la Grand-Prée le deux septembre de la 29e année du règne de Sa Majesté, A. D. 1755. »

John Winslow.

N.-B. — Le capitaine Murray adressera la même sommation aux habitants de Piziquid, etc[16]


S’il se fût trouvé un sténographe, pour enregistrer mot à mot[17] les discussions auxquelles donna lieu la rédaction de ce document de ruse, nous aurions eu là une pièce du plus haut intérêt. L’unique but de cette proclamation était de réunir les gens à l’église, au jour et à l’heure indiqués. Le fond et la forme en seraient donc d’autant plus parfaits qu’ils tromperaient mieux ceux auxquels elle était destinée. Murray qui connaissait ou devait connaître le caractère des Acadiens[18] dût être le principal inspirateur de ce qu’elle contenait[19] La discussion dût être fort prolongée : il y a tant de manières de tromper. Cependant, il y avait trois points principaux qui durent s’imposer à l’esprit de Murray, et sur lesquels Winslow et lui durent tomber promptement d’accord.

D’abord, il s’agissait de formuler d’une façon vague l’objet de cette réunion : or la phrase : « attendu que Son Excellence vient de nous faire connaître ses dernières volontés au sujet des propositions qui ont été faites récemment aux habitants, » couvrait parfaitement cette supercherie. Lawrence avait déjà décidé que, si les Acadiens refusaient de prêter le serment, ils auraient à quitter le pays : comme ceux-ci avaient accepté cette dernière alternative, et qu’ils ne pourraient soupçonner rien de plus sérieux, — en leur parlant des dernières volontés du Gouverneur[20], ils croiraient raisonnablement à une modification dans un sens favorable à leurs désirs. La suite de la phrase : au sujet des propositions qui ont été faites récemment aux habitants, — était très imprécise également, et laisserait une bonne impression, surtout alors qu’on ajoutait immédiatement que Lawrence avait reçu des instructions de Sa Majesté, et que c’était pour les leur communiquer que l’on désirait leur présence. Ils ne pourraient aisément douter que le gouverneur n’eût bien réellement reçu ces instructions, lesquelles, ils n’en douteraient pas non plus, comporteraient, soit une prolongation de temps pour évacuer le pays, soit peut-être le privilège d’emporter leurs effets, soit, encore mieux, une proposition nouvelle, un moyen terme n’obligeant à porter les armes que ceux qui naîtraient après cette date, — proposition qu’ils seraient heureux d’accepter[21].

En effet, quelques mois auparavant, les Acadiens avaient adressé une requête au gouvernement français, dans laquelle ils priaient le Roi, comme gardien des conditions du traité d’Utrecht, d’intervenir en leur faveur auprès du Roi d’Angleterre, de demander à ce dernier un délai de trois ans pour quitter la province, ainsi que le privilège d’emporter leurs effets, et toutes les facilités nécessaires pour effectuer leur transmigration. La question avait dû être définitivement résolue entre les deux couronnes ; et ce devait être, pourraient-ils croire, pour leur en faire savoir le résultat, que Lawrence voulait les rassembler[22]. Les Acadiens pouvaient tout craindre de la part de Lawrence, mais ils n’avaient à redouter rien d’injuste, ou au moins rien d’inhumain de la part du gouvernement anglais. Ils n’auraient donc, suivant les apparences, en obéissant à l’ordre de convocation, rien à risquer, ils auraient plutôt tout à gagner. Il leur paraîtrait impossible que Lawrence pût s’autoriser faussement du nom de Sa Majesté. Murray ne pouvait ignorer que le gouverneur avait résolu la déportation sans instructions, sans ordres du Roi, lesquels d’ailleurs il n’aurait pu obtenir. Mais l’évocation de la Majesté Royale était le moyen infaillible de procurer l’obéissance à la dite proclamation ; les supercheries du passé s’effaceraient devant des affirmations aussi plausibles, et les Acadiens ne s’en souviendraient plus. Murray dût se frotter les mains de satisfaction, et se croire un profond diplomate, en commentant à Winslow le produit de sa cervelle.

Il y avait bien quelques points noirs qui devaient inquiéter les deux compères : ainsi les Acadiens pourraient-ils croire à de bonnes nouvelles, tant que leurs délégués seraient retenus prisonniers à Halifax ? Et cette convocation d’enfants de dix ans pourrait bien exciter l’étonnement, la méfiance ! Si, à cause de cela, la mèche allait être éventée ? Mais les ordres de Lawrence étaient précis : il fallait s’emparer des hommes et des garçons au-dessus de dix ans, les embarquer et les expédier, avant de s’occuper des femmes et des enfants. Pour tourner la difficulté, Murray inventa la phrase qui termine la proclamation : « Je déclare qu’aucune excuse, de quelque nature qu’elle soit, ne sera acceptée, et que le défaut d’obéissance aux ordres ci-dessus entraînera la confiscation des biens et des effets[23]. «  Et voilà ! Le tour était joué. Ce document, avec ses phrases à double sens, ses sous-entendus, et sa note finale, était, — Murray pouvait se l’imaginer, — un chef-d’œuvre qui serait fort goûté du Maître, et qui porterait son auteur bien haut dans ses bonnes grâces.

Quelques jours auparavant, Winslow, qui voyait pour la première fois cette partie du pays, avait envoyé le capitaine Adams en reconnaissance du côté de la rivière Canard, etc., et les capitaines Hobbs et Osgood dans d’autres directions. Le 3 septembre au matin, Adams était de retour de son excursion, et rapporta que « c’était un beau pays, rempli d’habitants, qu’il y avait là une belle église, abondance des ])iens de ce monde, et provisions de tout genre en quantité ». Hobbs, qui avait visité le village Melançon et la rivière Gaspereau, Osgood, qui était allé examiner la région s’étendant en face et au sud du camp de Winslow, en revinrent avec la même impression, à savoir que « c’était un beau pays[24] ».


Le 4 septembre, Murray écrivait de nouveau, du fort Édward, à Winslow :


« Hier, je suis sorti faire un tour dans les villages : tous les habitants étaient tranquilles et très occupés à faire leurs moissons ; si le jour demeure beau, tout sera rentré dans les granges (avant le soir.) J’espère que demain va couronner tous nos souhaits[25] … »

Avant le désastre subi par le général Braddock sur la Monongahéla[26], et avant que fut prise la décision officielle de la déportation, Winslow avait écrit, alors qu’il était à Beauséjour[27] :


« Du camp de Beauséjour, Nouvelle-Écosse, 27 juin 1755.


« À Charles Gould, Ecr., Privy Garden, Londres,


« Cher Monsieur,


« … Laissez-moi vous informer simplement… du projet formé par le gouverneur Lawrence… à l’effet non-seulement de mettre fin aux futurs empiétements des français dans la province de Sa Majesté, la Nouvelle-Écosse, mais encore de chasser ces ennemis des lieux qu’ils y occupent déjà… J’espère qu’avant l’automne, nous serons en mesure de donner effectivement toute la province à Sa Majesté[28]… »


Fort Lawrence, 3 juillet 1755.


« À l’Honorable Charles Lawrence, etc.,


« …Je me réjouis au plus haut point de voir que les entreprises des Français semblent finies… Mais je me demande s’il faut beaucoup compter sur la basse et plate soumission, pour ne rien dire de plus, faite par les français communément appelés neutres et leurs frères les indiens. À mon avis, il ne faudrait pas y croire… Je vous félicite du succès remporté par les armées de Sa Majesté dans cette province… Tout mon désir est de me signaler par des faits qui mériteront votre approbation[29]. »

Du camp de Beauséjour, 23 juillet 1755.


À l’Hon. Charles Lawrence, Ecr.


« …J’aimerais avoir l’occasion d’aller vous présenter mon respect. Chemin faisant, je pourrais observer le pays ; en sorte que, si l’on exécute le projet d’y implanter des colons de la Nouvelle-Angleterre, je sois à même de donner des renseignements sur la nature du sol[30]… »


Camp du fort Cumberland, 6 août 1755.


« Monsieur. — Je viens de recevoir une lettre du lieutenant-gouverneur Lawrence et je serais heureux d’avoir une entrevue avec vous, aussitôt qu’il vous conviendra de me l’accorder.

Je suis votre humble et obéissant serviteur,
Robt. Monckton.


« Au lieutenant-colonel Winslow ; s’il n’est pas au camp, faites parvenir par un sergent de son bataillon.


« Pour répondre au désir exprimé dans la note ci-dessus, je me suis rendu immédiatement auprès du colonel Monckton. Il m’informa que le gouverneur Lawrence, dans le but d’établir des colons de la Nouvelle-Angleterre dans une partie de cette province et de me consulter à ce sujet, avait manifesté l’intention de me rapprocher et de me transférer à Piziquid avec une partie des troupes de la Nouvelle-Angleterre. Le colonel me dit qu’il ne savait pas encore le nombre d’hommes qu’il pourrait céder et me fit la confidence qu’il avait été décidé de déporter les habitants français de la province et qu’il devait rassembler tous les hommes, de Tintaraar, de Shepody, d’Olake, de Beauséjour et de la baie Verte pour leur lire les ordres du gouverneur et profiter de cette occasion pour les retenir tous prisonniers dans le fort.

« Le colonel me fit connaître aussi que le détachement susdit avait été envoyé à Cobbegate [Cobeguit] et à Tatmebush [Tatamagouche] pour s’emparer des habitants de ces endroits, détruire leurs vaisseaux, etc. Depuis la prise du fort Beauséjour, c’est la première entrevue que j’aie eue à ce sujet avec le colonel. Je suppose que ce qui précède n’a été communiqué à aucun officier des deux bataillons et reste un secret pour tout le monde[31]».

En somme toute la première partie du journal de Winslow nous fait voir que cet homme était dans les exactes dispositions voulues pour exécuter une œuvre abominable comme celle de la déportation : il énumère les services qu’il a déjà rendus ; il aspire à en rendre de bien plus éclatants ; il annonce que toute la Nouvelle-Écosse sera la chose de son Souverain, non pas seulement en droit, mais en réalité ; il presse Lawrence d’agir, il le flatte, il se met à ses ordres. Ce n’est pas quand la déportation aura été enfin sanctionnée en conseil, et qu’on lui en confiera la réalisation, qu’il reculera devant pareille tâche, laquelle était l’occasion attendue, espérée, souhaitée, de manifester son dévoûment aux intérêts de son Souverain, de se faire bien voir de son chef immédiat, de s’illustrer enfin aux yeux de la postérité. Quelle chance !

Nous ne voulons pas cependant être plus sévère qu’il ne convient à son égard. La défaite sanglante de Braddock avait jeté la consternation dans les provinces anglaises : il faut lire les chroniques du temps pour se faire une idée du « désarroi intellectuel et moral[32] » que cet événement y avait produit. La rage avait rendu féroce. Tout ce qui était français était enveloppé dans cette haine qui ne, semblait pouvoir s’assouvir à moins d’une extermination complète. Cet état de choses, en exaspérant les esprits, facilita grandement les projets de Lawrence. Winslow avait subi l’influence de l’affolement général, et nous voulons bien, pour le juger, tenir compte de cela[33]. L’historien, plus que tout autre, est tenu à l’indulgence ; il a le devoir de juger les hommes et les choses en s’aidant des circonstances particulières à l’époque qu’il décrit. La guerre, c’est la haine. Du jour au lendemain, elle opère dans les esprits une transformation complète. En un instant, l’ardeur s’échauffe, le sang se réveille, l’ami devient l’ennemi. Une victoire met tout, un peuple en délire ; une défaite fait bouillonner le sang et monter la rage au cœur. En Amérique, l’effet en était intensifié par l’immixtion obligée de l’élément indien, avec les cruautés qui en étaient l’inévitable accompagnement. De part et d’autre, le peau-rouge était un auxiliaire recherché ; la guerre, c’était le guet-apens. Cette défaite de la Monongahéla, amenée par l’infatuation de Braddock, était particulièrement irritante, car aucune part n’avait été laissée à la valeur militaire, telle qu’on la comprenait en Europe[34]. L’explosion de colère et de haine qui s’en suivit était injuste, mais, psychologiquement, il en devait être ainsi. Pour Lawrence, qui avait en mains tout pouvoir, il avait été facile de tirer parti de cet affolement général pour façonner les esprits à ses idées. Or, il est rare que le valet, flagorneur par nécessité, ne renchérisse pas sur le maître. C’est ébranlé par la secousse commune, affecté par la contagion morbide qui s’était emparée de tous, que Winslow était venu à Grand-Pré. La sévérité de la discipline, l’amour de la gloire, l’ardeur belliqueuse, l’intensité même du patriotisme, sont autant de causes qui, chez l’homme de guerre, refoulent au fond du cœur les sentiments tendres que la nature y a déposés.

Il semble que, chez Winslow, ces sentiments n’étaient qu’assoupis, et qu’il ait subi quelque peu l’influence de la scène de paix et de bonheur qu’il avait sous les yeux. Du presbytère, où il avait établi ses quartiers-généraux, la vue s’étendait au loin sur les campagnes. De quelque côté qu’il tournât ses regards, tout respirait quiétude, abondance, bonheur. Ceux qui avaient choisi cette aimable retraite, loin du bruit des foules, avaient dû céder au désir de vivre en paix dans un asile assuré[35]. Winslow avait cru trouver une population inquiète et turbulente, prête à s’insurger ; or, il va, il vient, il demande les clefs du presbytère, de l’église, il en fait ses quartiers, il dresse son camp, le fortifie, des escouades de soldats parcourent les campagnes, et tout cela ne produit chez elle aucun mouvement inusité : ses ordres sont accueillis avec soumission et respect ; les travaux des champs se poursuivent avec la même ardeur. Était-ce bien là, dût-il se demander, l’attitude d’une population rebelle ou insoumise ? Venu avec l’esprit d’un général qui marche au combat contre un adversaire aguerri et redoutable, il n’avait devant lui que des hommes paisibles et confiants, des femmes et des enfants inoffensifs. Il se trouvait désarmé. Lui, l’officier valeureux, avide de combats et de gloire, il allait devenir le bourreau d’un peuple soumis et sans défense ; il allait semer sur ses pas la désolation et la ruine, briser l’existence de toute une génération[36]. Non ! on avait dû le tromper ! Ces gens ne pouvaient mériter le sort qu’il allait leur infliger ! « Leur entêtement lui paraissait peut-être stupide, mais il avait pour mobile des sentiments que les hommes ont toujours respectés. Il ne pouvait se dissimuler qu’il y avait de la sincérité dans leur croyance, bien qu’elle lui parût superstitieuse, et dans leur patriotisme, puisqu’ils lui sacrifiaient leurs intérêts ; et il pressentait peut-être que l’histoire serait autrement sévère pour lui que pour ses victimes[37]. »

Telles étaient, croyons-nous, les pensées troublantes qui hantaient l’esprit de Winslow, et dont nous percevons l’écho, çà et là, dans son journal :

« … Il est probable que nous aurons bientôt plein les mains de la besogne désagréable d’avoir à chasser ces gens de leurs anciennes habitations, lesquelles, dans cette partie du pays, ont beaucoup de valeur[38]… »


Et plus loin :


« Les choses pèsent maintenant beaucoup à mon cœur et à mes mains… J’attends avec impatience l’arrivée de M. Saul et de ceux de Chignecto, pour en finir une bonne fois avec cette affaire pleine d’ennuis, la plus pénible dans laquelle j’aie jamais été employée[39] … »

Winslow n’était pas le premier venu. Il occupait une position considérable dans les provinces de la Nouvelle-Angleterre. C’était un homme réfléchi, à en juger par le Journal qu’il a tenu, et cela en vue de l’histoire, — si nous comprenons bien l’entrée qu’il y fit, le 15 août 1755. Au moment de son départ de Beauséjour pour Grand-Pré, Monckton, qui était le commandant-en-chef, l’avait obligé à laisser derrière lui le drapeau de son régiment. Le procédé avait été jugé peu courtois par Winslow, qui lui répondit avec indignation que son action était étrange et paraîtrait telle dans l’histoire[40]. Or, comme l’incident était loin d’avoir l’importance d’un fait historique, et qu’il était condamné à l’oubli si Winslow ne l’eut relevé, il est raisonnable de supposer que ce dernier entendait livrer son journal à la publicité. Ce journal fut, en effet, publié, mais non par son auteur : déposé dans les Archives de la Société Historique du Massachusetts, il n’en fut tiré et mis au grand jour que soixante-dix ans plus tard. En l’absence des documents officiels, lesquels, ainsi que nous l’avons dit, furent enlevés des Archives, ce journal acquiert une grande importance. Il ne réfère, à la vérité, qu’aux événements dont Winslow fut lui-même le principal acteur, à Grand-Pré ; et l’on ne sait rien encore, ou à peu près rien, de ce qui s’est passé à Piziquid, Annapolis et Beauséjour ; tout de même, il est fort précieux[41]. Si Winslow a écrit pour la postérité, ainsi qu’il semble bien, il a dû, on le comprendra, s’y montrer sous le jour le plus favorable ; mais il suffit qu’il ait eu conscience du rôle odieux qu’il remplissait pour que nous soyons autorisé à lui accorder toute l’indulgence que comportait sa situation.

Les ordres qu’il avait reçus étaient péremptoires, et la cruauté était aussi inséparable de leur exécution qu’elle l’est de l’opération d’un chirurgien. Pour mieux réussir, il lui fallait se faire menteur comme un arracheur de dents[42]. Nous lui avons mis à l’esprit des réflexions qu’il ne s’est peut-être jamais faites, dans le cœur des impressions qu’il n’a peut-être pas ressenties, mais nous avons préféré errer dans ce sens, pour l’honneur de l’humanité et de la civilisation. À l’exception peut-être de Handfield et de Monckton, au sujet desquels nous ne connaissons que peu de choses, nous ne saurions faire bénéficier Scott, Prebble, et surtout Murray, de la même indulgente appréciation.

Le journal de Winslow renferme une lettre de Handfield, où, à l’honneur de ce dernier, on lit ce qui suit :


« Je m’unis à vous de tout cœur pour souhaiter que nous soyons tous deux délivrés de cette extrêmement désagréable et ennuyeuse fonction[43] … »

Mais voici ce que Prebble écrivait à Winslow, de Beauséjour, le 24 août 1755 :


Forte Cumberland, 24 août 1755.


« Cher Monsieur,

« C’est avec plaisir que je saisis cette occasion de vous écrire… Nous nous réjouissons d’apprendre que vous êtes arrivé sain et sauf aux Mines, et aussi de savoir que vous avez d’aussi bons quartiers-généraux pour vous et pour vos soldats, étant donné que vous avez pris possession du presbytère… J’espère que vous remplirez bien les fonctions de prêtre[44] … »


Et quelques jours plus tard :


Camp Cumberland, 5 septembre 1755.

« Estimable monsieur,

« J’ai reçu, avec plaisir, par l’entremise du capitaine Nickols, votre honorée lettre du 23 août dernier, et je me suis réjoui d’apprendre que les lignes que je vous ai adressées vous ont trouvé dans de charmants endroits, et que vous possédez un riche héritage. Je vois que vous êtes entouré des biens de ce monde ; et comme vous avez l’avantage d’habiter une maison sanctifiée, cela sans doute vous préparera à bien goûter le bonheur de l’autre vie… Votre absence m’a rendu l’endroit où je suis plus triste qu’une prison. Notre seule consolation est de savoir que nous sommes aussi près du ciel ici que vous l’êtes vous-même aux Mines ; et puisque les biens de ce monde nous sont refusés, nous n’avons aucun doute d’être heureux dans l’autre[45] »

Après avoir cité ces lettres, et d’autres encore, Philip H. Smith, dans son ouvrage — Acadia — A lost chapter in American History, — ajoute : « Nous ne chargerons pas davantage ces pages de cette écœurante littérature de dévotion. De telles professions de piété, sous la plume d’hommes occupés à une telle besogne, sentent le sacrilège[46]. »

M. Smith prend trop au sérieux ces farceurs de scélérats. Leurs plaisantes allusions à la Sainte Écriture n’étaient pas données comme des « professions de piété », et ne s’élèvent même pas, par conséquent, à la dignité de l’hypocrisie, — laquelle est, après tout, un hommage indirect à la vraie vertu[47].



  1. « … the never failing appendages of an acadian settlement, — scattered groups of willows. » — Haliburton, II, 115.
  2. Le MS. original — fol. 575, porte ici un trait qui renvoie à la note marginale suivante, au crayon : « ceci implique un désert ambiant. » — Pas nécessairement. Sans doute, à proprement parler, une oasis ne se trouve que dans un désert ; mais le mot est souvent employé de la façon que Richard fait ici ; appeler oasis, un bouquet d’arbres au milieu d’une prairie, a passé dans le langage courant.
  3. Ce n’est pas une citation textuelle, ainsi qu’on va le voir ; dans le MS., il n’y a pas de guillemets, et avec raison. La description qu’on vient de lire ne manque pas de charme : les traits généraux qui la composent sont épars dans Haliburton, dans la première partie de son vol. II. Mais l’auteur d’Acadie, procédant avec un éclectisme judicieux, les a ramassés, et a animé le tout d’un accent très personnel. Voici le passage auquel il se réfère ici : « … the extended township of Horton, (Grand-Pré,) interspersed with groves of wood and cultivated fields, and the cloud capt summit of the lofty cape that terminates the chain of the north mountain, form an assemblage of objects, rarely united with so striking an effect. » — {Statistical account of N.-S. vol. II, P. 115.)

    (Cf. aussi Casgrain. Pèlerinage… P. 110 et seq.)

    Même page, un peu plus haut : « after leaving Falmouth, and proceeding on the great western road, the attention of the traveller is arrested by the extent and beauty of a view, which burts upon him very unexpectedly, as he descends the Horton mountains.  »

  4. Le MS. original — fol. 576 — porte 14 août. Or, dans une lettre de Winslow au gouv. Shirley, en date de Grand-Pré, 22 août 1755, il dit : « I embarqued on the 16th at Chignecto, on the 16th inst., with 313 men, officers included… »

    Cf. Journal of Col. John Winslow, of the Provincial Troops, while engaged in removing the Acadian French inhabitants from Grand Pré, and the neighbouring settlements, in the autumn of the year 1755, Transcribed from the original MSS. journal in the library of the Hist. Society of class., by permission of the Society, in March 1S80, under the direction of the Record Commission.

    (Coll. of the N. S. H. S. for the year 1882-1883, vols. III, IV. Halifax, 1883. 1884. — (Le vol. III donne la 2nd p. et le vol. IV la le p. de ce journal.) La citation plus haut est vol. III, p. 71.

    Au ch. XXXI de son ouvrage (MS., — fol. 630, édit. ang. II, 114) Richard avoue ceci : « N’ayant pas devant nous le journal même de Winslow — As I have not acccss to Winslow’s Journal… » — Un critique, d’ailleurs malveillant, le lui a reproché en ces termes : « It is amazing to find that a historian of the deportation has not read Winslow’s Journal, which contains the only detailed contemporary narrative… » — (George M. Wrong, dans The American Historioal Review, oct. 1896.)

    L’objection n’a plus sa raison d’être, étant donné que nous avons sous les yeux le texte de ce fameux journal, et que nous avons même pu le consulter en manuscrit, dans les arch. de la Mass., Hist. Soc. Nous nous en servons pour corriger Richard. Le MS. de Winslow est en 3 cahiers in fol., reliés en basane.

  5. Journal. N. S. H. S. 1884, vol. IV. P. 24.5. — Arch. Can. P. 69 des Appendices.
  6. « … I am of opinion you hâve no attack to fear f rom the enemy to put you on your guard as to picket yourselves in. And as the people are at présent in great security, your fortifying your post may give them some alarm ; nevertheless I acquiesce in what you have done as doubtless the above reason did not occure to you at the time… » (Halifax, 26th Aug. 1755. Journal of Winslow.) (N. S. H. S. vol. III. P. 84.)
  7. Dans le MS. original, — fol. 577, — où cette lettre est en anglais, aussi bien que dans l’édit. anglaise, (II, p. 7’2,) il est dit : « as the corn is net all down. » C’est une faute : le texte de Winslow porte : « as the corn is now all down. »
  8. « … and I imagin it is so far from giving supprise (sic) to the inhabitants as to their being removed … »

    Dans le MS. original — fol. ibid, et dans l’édit. anglaise, au lieu de their being removed, il y a : their being detained, — ce qui est tout le contraire de ce que dit Winslow.

  9. Ceci n’est qu’un extrait de la lettre de Winslow, laquelle est au long dans son journal. (N. S. H. S. vol. III, p. 84-5) — Dans les Arch. Can., loc. cit., se trouve également un extrait de cette lettre.
  10. Cf. Arch. Can. P. 73 des App.

    « 30 août. — Le capitaine Murray est venu hier au soir et a apporté toutes les commissions, les instructions et les lettres sus mentionnées. Nous avons considéré les mesures à prendre pour déporter tous les habitants des villages de la Grand-Prée, des Mines, des rivières aux Canards, des Habbertong, (Habitants) et de Gaspareau. Nous avons décidé de convoquer tous les habitants mâles de ces villages à l’église de la Grand-Prée, pour le cinq septembre prochain, sous le prétexte de leur communiquer les instructions du roi. Le même jour, le capitaine Murray, devra rassembler de la même manière, au fort Édouard, les habitants de Piziquid et des villages adjacents. J’ai écrit aujourd’hui au colonel Lawrence pour lui faire connaître le plan que nous avons adopté. Après le départ du capitaine Murray, j’ai réuni les capitaines Adams, Hobbs et Osgood et après avoir exigé d’eux le serment de garder le secret et leur avoir fait connaître mes instructions, ils approuvèrent tous le plan que le capitaine Murray et moi venions d’adopter.

    « Cet après-midi, trois des transports nolisés pour la déportation des habitants français, les sloops Gooding, Stone et Dunning sont arrivés de Boston et nous ont appris que plusieurs autres arriveront bientôt. » Journal de Winslow, (N. S. H. S. vol. III P. 87.)

  11. Le capitaine Alex. Murray au colonel John Winslow.

    Fort Édouard, (à Piziquid) 31 août 1755.

    Cher Monsieur,

    « J’apprends que quelques vaisseaux sont arrivés aux Mines et je suppose que ce sont des transports. Il vaut mieux frapper le coup immédiatement. Je serai heureux de vous rencontrer ici, aussitôt que vous pourrez venir. Je fais transcrire pour vous les soumettre, les ordres qui vont servir au rassemblement des gens, sauf la date qui est laissée en blanc. J’ai l’espoir que tout va se passer selon nos désirs. » Journal. (P. 88.) Cf. A. C. P. 74.

  12. « … « You must proceed by the most vigourous measures possible not only in compeling them to embarke, but in depriveing those who shall escape of all meam of shelter or support by burning their houses and destroying everything that may afford them the means of subsistance in the countrey. » » (Instructions du 11 août 1755. Journal de Winslow. N. S. H. S. vol. III, p. 80.)

    L’on remarquera la similitude de ces ordres avec ceux que reçoivent et qu’exécutent à la lettre les armées boches dans leur retraite vers l’imaginaire ligne Hindenburg. Tout détruire, tout saccager, tout brûler ou tout emporter, ne rien laisser de vivant derrière soi, pas même un arbre ni un brin d’herbe. ’’L’herbe ne pousse plus où mon cheval a passé,’’disait Attila. Boches ou anglais, il n’y a guère de différence : c’est le même sang, la même âme, la même brutalité.

  13. 1735, Aug. 31. « … in the afternoon took a tour with Doctr Whitworth and Mr Gay and 50 men two third parts round Grand Pré. Finde abundance of wheat, etc., on the ground, returned in the evening. » — Journal. Coll. N. S. H. S. vol. III, p. 89.
  14. Le 2 septembre 1755. — Je me suis rendu en bateau de bonne heure ce matin, au fort Édouard, afin de m’entendre avec le capitaine Murray au sujet de la tâche critique que nous avons à remplir. J’étais accompagné du docteur Whitworth et de l’adjudant Kennedy. Nous avons définitivement adopté le projet que nous avions conçu, et nous sommes convenus de rassembler les Acadiens à trois heures de l’après-midi. Les habitants de mon district seront sommés de se réunir à l’église de la Grand-Prée, et ceux du district du capitaine Murray devront se rendre au fort Édouard, à Piziquid. Nous avons fait traduire cette sommation en français par M. Beauchamp (sic pour Isaac Deschamps), marchand. (Cf. A. C. P. 75 des App.) Journal. III. 90.
  15. Le MS. original — fol. 579 — porte la note suivante : « Nous croyons qu’il faut lire Deschamps au lieu de Beauchamp. Deschamps, qui fut plus tard juge, était alors, croyons-nous, commis chez Mauger à Pigiquit. Winslow, qui était étranger, a dû se tromper ; de fait, nous en sommes à peu près certain. »
  16. Arch. Can. P. 76 des App. — Winslow’s Journal. (Coll. N. S. H. S. vol. III, p. 90.)
  17. Le MS. original — fol. 580 — dit : « S’il y avait eu, derrière les rideaux, un sténographe pour rapporter mot à mot… »
  18. «  I would have you take no material step without first consulting with him (Murray,) as he has a thorough knowledge of the people and the country. » {Lawrence à Winslow. 26 août 1755. Journal. P. 84.)
  19. Il n’y a pas le moindre doute là-dessus, attendu que Murray l’a dit, ainsi qu’on l’a vu dans la note II.
  20. Le texte anglais de la proclamation porte : his last resolution, litt. la dernière résolution ; nous avons mis dernières volontés, qui est la traduction qu’en donnent les Archives Canadiennes. La traduction faite par Deschamps ne nous est point parvenue. Dans le MS. original — fol. 581 — il y a ceci : « en leur disant que le gouverneur avait formé une « nouvelle résolution », — ces deux derniers mots entre guillemets. À la marge il y a cette note au crayon : « omettre les guillemets ; ce n’est pas une citation textuelle. » En effet, nouvelle résolution n’est pas textuel, la proclamation disant dernière résolution. Dans l’édit. angl. (II, p. 74) on lit simplement : when they were told that the govemment had formed a resolution that was to be communicated to them… »
  21. Il y a dans le MS. original — fol. 581, — en regard de ce passage, la note marginale suivante, au crayon : « Comment tous ces sentiments s’accordent-ils avec la crainte qu’on avait de Lawrence, avec les prévisions de malheur que mentionne Daudin ? »
  22. Richard a mis, au bas de ce folio (582) la note qui suit : « En effet, l’ambassadeur français à Londres avait soumis la requête des Acadiens au cabinet de Saint-James en mai précédent (1755), et la réponse, donnée en juin ou juillet, avait été : In regard to the three years transmigration proposed for the Acadians of the Peninsula, it would he depriving Great Britain of a very considerable numher of useful subjects, if such transmigration should extend to those who where inhabitants there at the time of the Treaty of Utrecht.» (Secretary of State to Lawrence, 13th August 1755.)

    Arrêtons-nous sur le point d’histoire soulevé ici : — Richard affirme qu’en mai précédent l’ambassadeur de France en Angleterre avait présenté au Roi une requête de la part des Acadiens à l’effet qu’il leur fut accordé un délai de 3 ans pour émigrer etc. — Or, dans sa lettre à Lawrence, le Secrétaire d’État Robinson dit bien que l’ambassadeur de France demanda pareille chose, mais il n’est pas insinué que ce fût d’après une requête envoyée par les Acadiens. Cf. Akins. P. 279. — Le fait est qu’il n’y a pas trace aux Archives de pareille requête. L’unique requête des Acadiens au Roi de France est de 1749. Nous la donnons à l’Appendice II. Il n’y est pas question d’allueurs de ce délai de trois ans. Nous croyons donc que l’auteur d’Acadie fait erreur. C’est Rameau qui l’a induit à se tromper. Rameau dit, en effet, que « sur la fin de 1754, les Acadiens adressèrent au Roi de France une supplique, etc., » et il renvoie à l’Appendice XI où se trouve la dite supplique d’après les Archives de la N.-E., Akins, p. 233 ; or, dans Akins, ce document, provenant des Tyrrell’s Papers, est sans date ; il y figure entre des pièces datées de 1754, d’où peut-être la confusion dans laquelle est tombée Rameau. En réalité cette supplique est de 1749, ainsi que nous la donnons d’après les Archives Canadiennes. Cf. Rameau. II, XIV, 151. — Il peut se faire que le Roi de France ne se soit occupé de la requête de 1749 qu’en 1754 ou 1755, et qu’au lieu du délai d’un an qu’y réclamaient les Acadiens pour émigrer, il ait dit à son ambassadeur d’en demander trois au Cabinet de Londres ; il peut se faire aussi que le Roi de France ait été, en 1754 ou 55, pressé, par des lettres du Gouverneur du Canada, ou de celui de Louisbourg, ou des anciens missionnaires en Acadie, d’intervenir auprès du gouvernement anglais pour régulariser et adoucir le sort des Acadiens. Ce qui est certain, c’est que la requête dont parle Richard, après Rameau, est de 1749.

  23. Declaring that no excuse will be admitted of on any pretense whatsoever on pain of forfitting goods and chattels on default. — C’est le texte même de Winslow. — Dans le MS. original, — fol. 583, — il y a ici un gros contre-sens, lequel a passé dans l’édit. ang. (II, p. 76.) : « déclarant qu’aucune excuse ne sera admise sous aucun prétexte, sous peine de forfaire tous leurs effets mobiliers à défaut d’immeubles. » « On pain of forfeiting goods and chattels, in default of real estate. » Ainsi, Richard a traduit : on default, expression qui termine la sommation de Winslow, par à défaut d’immeubles, tandis que le sens obvie est que : à défaut d’obéissance, les biens et effets seront saisis. — C’est un malheureux contresens ; ayant rétabli le texte authentique, nous sommes obligé de supprimer par conséquent les considérations que Richard avait bâties sur sa fausse traduction. Les voici d’ailleurs : « Il devenait évident par là que les nouvelles instructions de Sa Majesté devaient être excessivement favorables, puisqu’il était question de forfaire des meubles, et même des immeubles, à défaut d’obéissance. (Ici Richard a compris le vrai sens de : on default, mais c’était un peu tard.) D’après la décision donnée par Lawrence à leurs délégués, les immeubles étaient déjà forfaits. Évidemment les instructions de Sa Majesté étaient de nature à leur causer une grande réjouissance. Et Murray de se frotter de nouveau les mains. »
  24. L’ordre à Adams est daté du 1er septembre. Quant à Hobbs et Osgood, il semble qu’ils n’aient mis qu’une journée à exécuter leur mission. Voici le texte du journal de Winslow à ce sujet : «  Septr. 3rd. This morning capt. Adams and party returned from their march to the River Cannard, etc., and reported it was a fine country and full of inhabitants, a beautiful church and abundance of ye goods of the world. Provisions of all kinds in great plenty. Capt Hobbs ordered… to visset the village Melanson on the river Gaspereau, and capt. Osgood… to reconuiter the country in the front or to the southward of our incampment. Both of which party’s returned in the evening and gave such accounts that it was a fine country… » Journal. P. 91.

    Dans le MS. original — fol. 583-4 — il est dit d’Osgood qu’il avait visité les rivières du côté de Pigiquit, tandis que le Journal de Winslow porte qu’il fut chargé « d’aller reconnaître la région en face et au sud du camp ».

  25. « I hope to-morrow will crown all our wishes. » Journal. P. 93.
  26. En juillet 1755. Cf. là-dessus New France and New England, by John Fiske, p. 256 et seq. Windsor. Narr. and Crit. Hist. v. 575-580.
  27. Le MS. original — fol. 584 — copiant ici Rameau, (ii, p. 155) a prêté à Winslow une lettre dont il n’est certainement pas l’auteur. Voici ce que dit Richard, d’après l’auteur d’Une Colonie Féodale… : « Sous l’influence du désastre de Braddock à la Monongahéla, Winslow avait écrit, alors qu’il était encore à Beauséjour, et avant la décision officielle de la déportation, cette abominable lettre (Rameau ajoute : qui est restée célèbre :) « Nous formons maintenant le noble et grand projet de chasser les français neutres de cette province ; ils ont toujours été nos ennemis secrets, et ont encouragé nos sauvages à nous couper le cou. Si nous pouvons accomplir cette expulsion, cela aura été une des plus grandes actions qu’aient jamais accomplies les Anglais en Amérique ; car, entre autres considérations, la partie du pays qu’ils occupent est une des meilleures terres qui soient au monde, et dans ce cas nous pourrions placer quelques bons fermiers anglais dans leurs habitations. »

    « Le plus grossier des forbans qui sortaient des rochers de la Norvège pour aller raser les rivages de l’Europe, en l’an 1000, dit Rameau, n’eût pas publié une proclamation plus sauvage et plus cynique pour rassembler autour de lui ses compagnons de brigandage.»

    — Or, nous avons omis tout ce passage dans notre texte, pour les raisons suivantes :

    1o Dans tout le journal de Winslow, il est impossible de trouver la lettre en question.

    2o Dans les Archives Canadiennes (App. A, 3e partie, généalogie des familles acadiennes, avec documents, p. xvi, la même lettre est citée, avec cette notation préalable : « Les gouvernements des autres provinces se sont plaints de n’avoir été prévenus du projet de Lawrence de leur envoyer des contingents d’Acadiens. Cependant, les gouvernements pouvaient difficilement ne pas connaître le projet d’expulsion des Acadiens, car le fragment suivant d’une lettre, datée d’Halifax, 9 août 1755, publiée dans la New York Gazette, le 25 du même mois, et dans la Pensylvania Gazette, 4 septembre 1755, n’a pas dû échapper à leur connaissance. Le voici : « Nous formons actuellement le grand et noble projet… »

    3o Il résulte donc que Rameau et Richard se sont trompés en attribuant à Winslow la dite lettre. C’est pourquoi nous avons supprimé tout ce passage du MS. ; et, à la place d’une lettre supposée, nous avons cité quelques phrases empruntées à des lettres parfaitement authentiques du même personnage.

  28. Journal. (N. S. H. S. vol. iv (1884) P. 180-1.)
  29. Ibid, (P. 193.)
  30. Ibid. (P. 210.)
  31. Journal. P. 221-2. Donnons encore cette autre lettre :


    Le colonel Winslow à Willam Shirley, gouverneur de la province

    de la baie du Massachusetts.


    Au Camp de la Grand-Pré, Nouvelle-Écosse, 22 août 1755.


    « Qu’il plaise à Votre Excellence,

    Je me suis embarqué à Chignectou le 16 courant avec 313 hommes, y compris les officiers, que j’ai placés sur trois navires avec les capitaines Adams, Hobbs et Osgood, à destination du fort Édouard à Piziquid. Nous arrivâmes à cet endroit le lendemain, et là j’ai pris connaissance des dépêches du colonel Lawrence m’ordonnant d’établir mes quartiers aux Mines. En conséquence, profitant de la marée suivante, j’ai descendu la rivière de ce nom et je suis ensuite entré dans la rivière Gaspareau où nous sommes débarqués. J’ai établi mon camp entre l’église et le cimetière. Je me loge dans le presbytère et l’église a été transformée en arsenal. Je fais construire une enceinte palissadée dans mon camp afin d’éviter toute surprise. J’attends un renfort de 200 hommes qui doivent arriver bientôt. Quant aux habitants appelés neutres, le sort de ceux de Chignectou semble fixé puisqu’il est décidé de les déporter. Nous détenons prisonniers actuellement dans les forts Lawrence et Cumberland, 400 des principaux d’entre eux ; les femmes et les enfants ont la permission de rester dans leurs maisons. Il est probable que les habitants de tout « la province, bien que coupables à un degré moindre que ceux de Chignectou et de la Baie Verte qui ont commis des actes de violence, subiront le même sort". Journal III, 71-2.

  32. C’est nous qui mettons entre guillemets cette expression qui se retrouve littéralement dans Rameau : « On pourrait citer par centaines des documents émanant de personnages de toutes conditions…[et qui] témoignent du désarroi intellectuel et moral qui régnait… » (Une colonieII, p. 154.)
  33. Dans les instructions de Lawrence à Murray (9 août 1755,) se trouve ce mot qui peint bien l’état des esprits à ce moment critique : « above all things keep from their knoledge (sic) the news relating to general Braddock. Surtout prenez garde qu’ils n’apprennent la défaite du général Braddock. » (Journal. N. S. H. S. vol. IV. P. 242.)
  34. Si l’auteur veut dire que la défaite de la Monongahéla est due à un simple guet-apens dans lequel tomba bêtement Braddock, il se trompe. Fiske, loc, cit., fait justice de cette légende. Sans doute, le grand tort du général anglais a été de ne pas comprendre que, dans ce désert de broussailles et de fondrières, la bataille en rangs serrés n’était pas de mise. Les Français, avec de Beaujeu en tête, aidés de leurs alliés indiens, ont mieux compris la situation. Mais des deux côtés, il y a eu de la valeur militaire, du côté de Braddock et de Washington, tout aussi bien que du côté des Français. Or, la valeur militaire est belle partout, qu’on la comprenne comme on voudra. D’après ce que Richard dit ici, il semble que les Anglais se fussent consolés d’avoir été battus, si du moins ils l’avaient été selon les règles de l’art.
  35. « On se sentait au milieu d’une atmosphère de quiétude et de sérénité dans cette solitude lointaine et ignorée du monde… Pèlerinage. P. 114.
  36. C’est trop peu dire : plusieurs générations eut mieux convenu.
  37. Nous avons mis nous-même les guillemets, car ceci est du Casgrain tout pur. (Cf. Pèlerinage, p. 110,) sauf les deux peut-être, et l’histoire au lieu de l’avenir. Ni dans le MS. — fol. 588 ni dans l’édit. angl, (II, 80), il n’y a de référence à cet auteur.
  38. it is likely shall soon have our hands full of disagreable buisuess (sic) to remove people from their antient habitations, which, in this part of the countrey, are verry valuable. » — Letter to Shirley. Grand-Pré. N. S. Aug. 22, 1755. (Journal. N. S. H. S. vol. III, p. 72.)
  39. « Things are now very heavy on my harte and hands… » (To Murray. (From Grand-Pré. Sept. 5. 1755. Journal. P. 97.)

    « Impatiently waite the arrival… that once at length we may get over this troublesome affaire, which is more grevious to me than any service I was ever employed in… » (To John Handfield. Grand-Pré. 19 sept. 1755. — (Journal. P. 134.)

  40. Chignecto, Aug. 14th 1755.

    « … Passing Forte Cumberland Col. Monckton send Mr. Moncreiff his aid De Camp and peremptorly demanded the colours by the commanders orders and actually took them from Mr. Gay my Ensign, which I apprehend is the first time that ever a British commandr in chiefe took the Kings colours from a marching party that have always behaved well. This transaction causd great uneassiness to both officers and soldiers and raisd my temper some… »

    Forte Lawrence ye Aug. 15th 1755.

    Sir,

    « … am extreamly sorrey if I have by any means gaind your displeasure not being contious to myself that I have merritted it, but must think it is so by my colours being struck yesterday when on a march, which to me is a great supprise as I took it to be a clear case where a Regiment was on differant dutys the colours always went with the commanding officer, and to me it looks od and will appear so in future History that the French who were conquered should march with their colours flying, and that we who assisted to conquer them where not permitted… »

    John Winslow.

    To Lieut. Col. Monckton etc.</>

    (Journal. N. S. H. S. vol. IV. P. 238).

  41. Ceci n’est guère exact. Ce journal a été publié en deux parties, la première est relative au siège de Beauséjour, etc., la deuxième est relative à la déportation des Acadiens de Grand-Pré et lieux adjacents. — Dans tout ce journal il y a des informations concernant ce qui s’est passé un peu partout, à l’occasion de la déportation, et beaucoup de pièces officielles. La N. S. H. S. n’a d’ailleurs pas publié ce journal en entier.
  42. C’est l’expression du MS. original — fol. 589. — Le traducteur (ii, 81) a mis : « To make his success more complete, he had to tell no end of lies. »
  43. Annapolis Royal. September 23rd 1755.

    « I hartly joyne with you in wishing that we were both of us got over this most disagreable and troublesome part of the service… »

    John Hanfield.
  44. To Col. Winslow. — (Journal N. S. H. S. vol. iii. P. 142.)

    « I embrace this opportunity with pleasure… We rejoyce to hear of your safe arrival at Mines and am well pleased that you are providd with so good quarters for yourself and soldiers as you have taken possession of the Fryars House, hope you will execute ye office of a Priest

    Jedediah Preble,

    (Journal, vol. iii. P. 99.) Quel cynisme révoltant !

  45. …rejoyce to hear that the lines are fallen to you in pleasant places and that you have a goodly herritage. I understand you are surrounded with the good things of this world, and by having a sanctified place for your habitation hope you will be well prepared for the enjoyment of another… your absence has renderd this place to me worse than a prison. We have only this to comfort us that we are as nigh heaven here as you are at Mines, and since we are denyed our good things in this world, doubt not but we shall be happy in the next (Journal. P. 100.)
  46. Dans le MS. original — fol. 591, — le chapitre xxix se termine ici. Mais, une note au crayon porte : Voir l’anglais. Dans l’édit. anglaise (ii. P. 83,) il y a un paragraphe supplémentaire que nous traduisons. De qui est-il ? Voici ce paragraphe énergique :

    « Mr. Smith takes these rollicking blackguards too seriously. Their jocose references to the Holy Scripture were not meant to be « professions of piety » and therefore do not rise even to the dignity of hypocrisy, — which is after all, an indirect homage to genuine virtue. »

  47. C’est la maxime de La Rochefoucauld : « L’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. »

    Les maximes de La Rochefoucauld, suivies des Réflexions diverses, avec une Préface et des notes, par J.-F. Thénard, Maxime ccxviii. (Paris. Libr. des Bibliophiles, s. d.)