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Acadie/Tome III/02

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Texte établi par Henri d’Arles, J.-A. K.-Laflamme (Tome 3p. 1-57).

CHAPITRE TRENTIÈME



Journée mémorable du 5 septembre à Grand-Pré. — Quatre cent quinze adultes réunis dans l’Église. — Lecture de l’Édit de déportation. — Usurpation de pouvoir. — Dépêche de Sir Thomas Robinson, secrétaire d’État, à Lawrence, datée du 13 août, en réponse à la lettre du 28 juin. — Le secrétaire d’État, grandement alarmé des projets déguisés de Lawrence. — Cette dépêche arrive trop tard, ou Lawrence feint de ne l’avoir pas reçue à temps. — Le 18 octobre, il annonce brièvement la déportation aux Lords du Commerce, sans faire allusion à la dépêche ministérielle du 13 août. — Il ne répond à celle-ci que le 30 novembre, et encore succinctement. — Lettre du 25 mars suivant. — Cette dépêche si importante du 13 août est passée sous silence par presque tous les historiens. — Brown et Parkman.


Le jour mémorable et néfaste du cinq septembre arriva enfin. C’était un vendredi. La convocation des hommes, jeunes et vieux, et des enfants âgés de dix ans, avait été fixée pour trois heures de l’après-midi, dans l’église de Grand-Pré.

Dans cette affaire, le plus inquiet du résultat était peut-être Winslow lui-même : il est vrai qu’il n’avait constaté jusque-là aucun sentiment de crainte ou de malaise chez les Acadiens[1] ; la Proclamation du 2 septembre leur ordonnant de se rassembler n’avait provoqué parmi eux aucun mouvement insolite, aucune agitation. Les apparences étaient donc favorables au plein succès de sa supercherie ; mais la situation où il se trouvait était si nouvelle, si étrange, l’opération qu’il préparait était si barbare, qu’il ne pouvait se défendre des appréhensions qui l’assaillaient malgré lui. Il était comme humilié, honteux de lui-même ; en même temps, il désirait ardemment la réussite de son entreprise. Car, s’il y avait, de la part des habitants, résistance, et refus d’obéir à l’ordre de convocation, à quelles extrémités cruelles ne serait-il pas forcé de recourir contre un peuple au désespoir et désarmé ? Son esprit dût passer par toute la série des sensations qu’éprouve, à son premier crime, le serviteur jusque-là fidèle[2].

L’horloge allait bientôt sonner, pour la petite nation acadienne, la fin d’un siècle de tranquillité et de bonheur. En fait, depuis un an, la sérénité des anciens jours s’était évanouie ; les nuages s’étaient amoncelés plus épais et plus drus au dessus de leurs têtes ; l’orage avait éclaté, et son intensité s’était accrue. On leur avait enlevé successivement leurs bateaux, leurs armes, leurs archives et leurs prêtres ; cent quinze de leurs principaux citoyens, pour le simple refus de prêter serment, languissaient encore dans les prisons d’Halifax. La Proclamation qui leur avait été adressée laissait supposer qu’il y avait eu intervention de la part du gouvernement anglais, et cela était de nature à leur inspirer confiance. Mais que signifiait, d’autre part, ce déploiement de troupes, ce camp retranché, cette occupation à main armée de leur église et de leur presbytère ? Il n’y avait pas à s’y tromper : l’intervention supposée n’avait pas dû se produire ; autrement, ce déploiement militaire eût été inexplicable. L’occupation ouverte de leur église voulait dire clairement que leurs prêtres ne leur seraient pas rendus ; et alors, même si l’on permettait aux Acadiens de continuer à séjourner dans la Province, pourraient-ils le faire ? Partir, ils y étaient résolus ; et toutefois, l’idée de quitter ces lieux chéris, cette patrie aimée, leurs biens, leurs troupeaux, pour aller recommencer ailleurs un labeur déjà séculaire, avait mis sur leur âme une empreinte de tristesse, faite de regrets du passé et de soucis au sujet de l’avenir. La joie s’était envolée, les foyers étaient mornes et silencieux. La convocation annoncée ne pouvait avoir trait qu’à la question de leur départ. Au moins, pensaient-ils, le gouvernement leur donnerait le temps et les facilités nécessaires pour se transporter dans les possessions françaises ; et peut-être que, touché de tant d’infortune, il leur accorderait la faveur de leur laisser emporter leurs effets, ainsi que la moisson qu’ils venaient de récolter. Mais quelle grâce pouvaient-ils attendre s’ils étaient laissés à la seule merci de Lawrence ? Cet homme ne connaissait pas la pitié ! Non ! à moins d’une intervention de la Métropole, cette convocation ne pouvait être que le présage d’un plus grand malheur. Cependant, estimaient-ils, l’obéissance aux ordres était encore ce qu’il y avait de mieux à faire.

Winslow avait aussi ses inquiétudes, quoique d’une nature bien différente. Le chat qui guette la souris, le loup qui est à l’affût de l’agneau, en ont également. Son regard anxieux interrogeait souvent les routes poudreuses aboutissant à Grand-Pré. Bientôt, de distance en distance, il vit la poussière du chemin s’élever en légers nuages : c’étaient des gens à pied qui venaient lentement des lieux voisins ; puis, tout un cortège de charrettes chargées, arrivant des rivières Perreau, des Habitants, de rivière Canard, de Gaspereaux. Il en venait de plus en plus : l’on défilait devant l’église, en jetant des yeux surpris sur la place publique couverte de tentes et de soldats ; puis, le village s’était rempli ; l’on s’était réparti en essaims dans les maisons, sur le seuil des portes, le long des clôtures. Tous ces groupes étaient graves, recueillis. L’on hasardait quelques mots sur le temps, la récolte, les absents, sur des sujets indifférents : l’esprit était ailleurs ; sur le visage de tous se lisait une préoccupation ; comme involontairement, l’on se tournait vers l’église et le presbytère ; mais, ainsi qu’il arrive souvent dans ces occasions, solennelles et tristes, ce dont on parlait le moins, c’était de l’objet même de la réunion. L’on prêtait l’oreille pour entendre une opinion ; l’on questionnait du regard. Mais les aviseurs ordinaires étaient prisonniers à Halifax, et personne ne semblait avoir d’idée arrêtée en la matière[3].

Il y avait foule chez le père Landry, et plus encore chez le vieux notaire René Leblanc, où bien des parents et des amis étaient venus se joindre à ses vingt enfants et à ses nombreux petits-fils. Ce vieillard, toujours si confiant, si partial envers le gouvernement, et si zélé pour son service, paraissait, ce jour-là, songeur et morose ; on l’avait questionné, et il avait laissé échapper des paroles encourageantes ; mais sa contenance trahissait le trouble de ses pensées[4]. Trois heures allaient sonner. Les officiers se montraient sur le seuil du presbytère ; les groupes d’Acadiens s’étaient ébranlés et mis en marche vers l’église, où ils étaient entrés.

Winslow les suivit de près, en grand uniforme, et entouré de son état-major. Il prit place à une table posée dans l’allée du milieu[5] : ses regards se promenèrent sur cette foule silencieuse et agenouillée ; car, encore qu’il eût été profané, les Acadiens voyaient toujours dans leur temple un lieu sanctifié, le lieu de la prière ; et ils s’y étaient agenouillés, par habitude peut-être, mais aussi pour implorer les faveurs du ciel en cet instant de détresse. L’Église était remplie : il y avait là quatre cent dix-huit hommes et enfants au dessus de dix ans[6]. L’ordre de convocation avait donc eu un succès complet.

Nous renonçons à analyser les sentiments qui se heurtèrent dans les esprits en entendant la lecture du document d’infamie éternelle que nous allons transcrire. Les grandes douleurs sont muettes.


« Messieurs,

« J’ai reçu de son Excellence le Gouverneur Lawrence la commission du roi, que j’ai entre les mains. C’est par ses ordres que vous êtes réunis pour que vous soit manifestée la résolution finale de Sa Majesté envers les habitants français de cette sienne province de la Nouvelle-Écosse, qui depuis près d’un demi-siècle, se sont vus traiter avec plus d’égard qu’aucun autre de ses sujets en aucune autre partie de ses possessions. Quel cas vous avez fait de ces égards, vous le savez mieux que personne.

« Le devoir que j’ai maintenant à remplir, bien qu’impérieux, est très désagréable à ma nature et à mon tempérament comme il vous le sera à vous-même, qui êtes de la même espèce que moi. Mais il ne m’appartient pas de m’opposer aux ordres que j’ai reçus ; mon affaire est d’y obéir. Par conséquent, je vais, sans hésitation, vous faire connaître les ordres et les instructions de Sa Majesté, à savoir :

« Que vos terres et vos maisons et votre bétail et vos troupeaux de toutes sortes sont confisqués au profit de la Couronne, avec tous vos autres effets, excepté votre argent et vos objets de ménage, et que vous allez être vous-mêmes transportés hors de cette province.

« Ainsi ce sont les ordres péremptoires de Sa Majesté que tous les habitants français de ces districts soient déportés ; en vertu d’une faveur de Sa Majesté, j’ai la permission de vous accorder la liberté de prendre votre argent, et autant de vos effets que vous pourrez en emporter sans encombrer les vaisseaux à bord desquels vous allez être mis. Je ferai tout en mon pouvoir pour que ces effets vous soient assurés et pour que vous ne soyez pas molestés en les emportant, et aussi pour que les membres de la même famille soient embarqués sur les mêmes navires, en sorte que cette déportation qui, j’en ai la conscience, va vous causer beaucoup d’ennuis, s’accomplisse aussi facilement que le service de Sa Majesté peut le permettre. Et j’espère que dans quelque partie du monde où vous tombiez, vous serez des sujets fidèles, un peuple paisible et heureux.

« Je dois aussi vous informer que c’est le plaisir de Sa Majesté que vous soyez retenus sous la surveillance et la direction des troupes que j’ai l’honneur de commander. » Et Winslow termina sa harangue en déclarant qu’ils étaient prisonniers du roi[7].

Oui, ils étaient prisonniers, et c’était l’église qui allait leur servir de geôle.

Dans une lettre à Lawrence, en date du 17 septembre 1755, Winslow relatant ce beau coup d’État, lui disait, entr’autres : « Les Acadiens furent grandement étonnés de cette détermination, bien que je croie que l’idée ne leur vint pas alors qu’ils allaient être déportés incessamment, et qu’elle ne leur soit pas venue davantage jusqu’aujourd’hui[8]. » À la date du 5 septembre, nous notons dans son Journal l’entrée suivante : « Les Français n’ayant pas avec eux de provisions, et se plaignant de la faim, ont demandé du pain ; je leur en ai fait distribuer, et j’ai donné ordre qu’à l’avenir ils soient nourris par leurs familles respectives. Ainsi s’est terminée la journée mémorable du cinq septembre, — jour de grande fatigue et d’ennuis »[9]. »

Avant d’aller plus loin, nous nous arrêterons un instant pour considérer un des allégués importants de la Proclamation et de l’Édit d’expulsion. Winslow déclare : « j’ai reçu … les instructions du Roi, que j’ai entre les mains… La résolution finale de Sa Majesté,… Les ordres péremptoires de Sa Majesté sont… » Rien ne pouvait être plus positif : Winslow tenait les instructions de Sa Majesté. Et cependant rien n’était plus faux, si évidemment faux qu’il serait impossible d’entretenir le plus léger doute à ce sujet. Nous en avons la preuve dans un document officiel authentique et précis, savoir une lettre du secrétaire d’État, Sir Thomas Robinson, à Lawrence, laquelle se trouve au volume des Archives.


Nous avons cité plus haut, au chapitre vingt-septième de notre tome deuxième, la dépêche que Lawrence avait adressée aux Lords du Commerce, le 28 juin, peu de temps après la capitulation de Beauséjour. Dans cette dépêche, le gouverneur informait les Lords qu’à la prise de ce Fort, il s’y trouvait cent cinquante soldats de l’armée régulière et environ trois cents habitants. « Les Acadiens désertés, y ajoutait-il un peu plus loin, sont en train de rendre leurs armes ; je lui ai donné (à Monckton) l’ordre de les chasser du pays à tout événement, encore que, au cas où il aurait besoin de leurs services pour mettre les troupes à l’abri, (vu que les baraquements dans le fort français ont été démolis,) il soit libre de leur demander toute l’assistance possible dans ce but[10]. »

Cette lettre était ambiguë, et cette ambiguité avait été intentionnelle, de la part de son auteur. S’y agissait-il de chasser du pays tous les Acadiens demeurant au nord de la péninsule, ou les Acadiens émigrés, ou seulement les trois cents d’entre eux qui avaient été pris les armes à la main, lors de la reddition du fort ! — L’interprétation la plus rationnelle semblait être que le gouverneur avait plutôt en vue tous les Acadiens « désertés », dont le nombre était considérable. Et la réponse du Secrétaire d’État montre que la perspective de ces procédés violents avait jeté les Lords du Commerce dans une grande alarme. Cette dépêche est datée de. Whitehall, 13 août 1755, six semaines seulement après celle de Lawrence, en sorte qu’elle dût être rédigée et expédiée sans aucun retard[11]. Et, pour marquer l’importance que les Lords y attachaient, elle fût, par une exception extrêmement rare, signée du nom du Secrétaire d’État lui-même, et soulignée dans ses parties essentielles. Nous la reproduisons in extenso[12] :


Whitehall, 13 août 1755.

« Monsieur,

« Quel que soit le sens attribué par les Français au mot pardonné, dans le quatrième article de la capitulation accordée au commandant et à la garnison de Beauséjour, — votre lettre du 28 juin porte que vous avez donné au colonel Monckton l’ordre de chasser hors du pays, en tout état de cause, les habitants français désertés. Or, ce que vous voulez dire par là n’apparaît pas clairement. Voulez-vous parler de tous les habitants de la péninsule, dont le nombre se chiffre dans les milliers ? ou bien de ceux qui étaient établis dans les cinq ou six villages avoisinant Beauséjour, et comprenant 800 familles[13], ainsi que vous l’avez marqué dans votre état des forts français et anglais, qui nous a été transmis dans une lettre du gouverneur Shirley, en date du 8 décembre dernier[14] ? ou, enfin, voulez-vous parler seulement de ceux des habitants qui se trouvaient dans Beauséjour, lors de l’évacuation de ce Fort par la garnison ? Le sens de votre lettre semble être que c’est plutôt de ces derniers qu’il s’agit, puisque vous ajoutez : Si M. Monckton a besoin de l’aide des habitants français désertés pour mettre les troupes à couvert, vu que les baraquements du fort français ont été démolis, il lui est loisible d’en tirer tous les services qu’il leur est possible de rendre.

« Quoi qu’il en ait été de votre intention, [vous vous serez sans doute inspiré, dans votre manière d’agir, du strict principe de procurer à votre gouvernement une sécurité immédiate et nécessaire,] et vous n’aurez pas été sans considérer les conséquences néfastes qui pourraient résulter d’une alarme soudaine jetée parmi les Français neutres et la rapidité avec laquelle le désespoir peut susciter chez eux une insurrection, ou encore quel nombre additionnel de sujets utiles pourrait être donné, par leur fuite, au roi de France. Il ne saurait donc vous être trop fortement recommandé d’user de la plus grande sagesse et prudence à l’égard de ces neutres, et d’assurer ceux d’entre eux sur lesquels on peut compter, surtout s’ils prêtent serment d’allégeance à Sa Majesté et à son gouvernement, qu’ils peuvent demeurer dans la tranquille possession de leurs terres, sous une législation convenable. La raison pour laquelle notre attention s’est portée tout particulièrement sur ci passage de votre lettre est la proposition suivante, qui nous a été faite pas plus tard qu’au mois de mai dernier par l’ambassadeur de France savoir : « Qu’il soit accordé à tous les habitants français de la péninsule un délai de trois ans pour s’en aller avec leurs effets, et que tous les moyens de leur faciliter ce déménagement leur soient assurés, — les anglais, ajoutait-il, ne devant pas manquer de regarder ce départ comme très avantageux à eux-mêmes. » À quoi Sa Majesté a daigné faire répondre dans les termes ci-dessous, que je vous envoie pour votre information particulière : « En ce qui regarde la proposition d’accorder trois ans aux habitants français de la péninsule pour opérer leur transmigration, ce serait priver la Grande Bretagne d’un nombre très-considérable de sujets utiles, si une telle émigration s’étendait aux Français qui résidaient dans la province au temps du traité d’Utrecht et à leurs descendants. »

Je suis,
Monsieur,
Votre très-obéissant et humble serviteur,
T. Robinson. »
[15]

Il était difficile de parler de façon plus explicite. Ceci est la condamnation formelle, nous ne dirons pas seulement de la hideuse déportation conçue par Lawrence, mais même de toute forme d’expulsion ; il ne s’y s’agit pas d’exempter du bannissement seulement les Acadiens de la péninsule, ou ceux qui habitaient le territoire ci-devant occupé par les Français, mais même ceux des habitants qui furent pris les armes à la main lors de la capitulation de Beauséjour ; ceci est en outre la condamnation de l’interprétation que Lawrence donnait au mot pardonné, touchant ces derniers.

Comme on le verra plus loin, le gouverneur prétendait que ce mot voulait simplement dire qu’ils ne seraient pas mis à mort. Il est aisé de voir que le Secrétaire d’État ne l’entendait pas ainsi. Par une déduction facile à opérer, voici au contraire ce qu’il en pensait : « Je n’admets pas votre interprétation au sujet du mot pardonné : en vertu de cette clause de la capitulation, ceux des Acadiens (qui furent pris les armes à la main,) ne peuvent être ni expulsés, ni punis, ni inquiétés pour la part qu’ils ont jouée dans la défense de Beauséjour. Supposé même que votre interprétation soit admissible, les conséquences de leur expulsion pourraient être si pernicieuses qu’il ne faut pas songer à l’accomplir. »

Toute la question, concernant l’opinion et la responsabilité des autorités métropolitaines au sujet de la déportation, se trouve résumée dans cette dépêche, qui en est la condamnation formelle. Puisqu’elle réprouvait une

sion même partielle, à plus forte raison une expulsion en masse. Telle était donc la pensée du Secrétaire d’État, telle qu’elle s’était formée dans son esprit après la réception de la lettre de Lawrence, en date du 28 juin, après la prise de Beauséjour, et en dépit des fausses représentations qui lui avaient été faites. L’on ne peut soutenir que les événements subséquents aient été de nature à le faire changer d’avis, puisque, ainsi qu’on l’a vu, il ne se produisit rien, chez les Acadiens, qui pût modifier cet avis dans un sens défavorable, et puisqu’au contraire, malgré des provocations et une persécution intolérables, ils poussèrent la soumission jusqu’à sa plus extrême limite. Comme pour mieux accentuer les sentiments du gouvernement anglais, Robinson notait dans sa lettre que Sa Majesté Britannique venait justement de refuser à l’Ambassadeur de France la permission que les Acadiens réclamaient de s’en aller, parce que, disait-elle, leur éloignement priverait la Province d’un grand nombre de sujets utiles. Quelle différence de langage entre des hommes d’État sages et éclairés, et un parvenu sans cœur et sans entrailles tel que Lawrence !. Et comme il fallait que les persécutions que celui-ci leur faisait subir fussent criantes pour que ces gens si attachés à leur pays, à leurs biens, implorassent la liberté de partir ! Est-ce de la sorte qu’agit une population disposée à la résistance ?

Cette dépêche de Sir Thomas Robinson est datée du 13 août, alors que, depuis déjà dix jours environ, Monckton, Murray et Winslow avaient en mains les ordres de déportation, alors que Lawrence procédait aux derniers préparatifs avec une énergie furieuse : la précipitation qu’il y mettait ne peut guère s’expliquer que par ses craintes de recevoir un blâme de nature à étouffer ses projets. Le contenu de cette dépêche du Secrétaire d’État était en contradiction formelle avec la conduite que tenait précisément le gouverneur. Tandis que l’un conseillait la modération, la douceur, l’autre faisait tout en son pouvoir pour exaspérer les Acadiens et les pousser à ce désespoir que Robinson considérait comme très dangereux. Malgré l’enlèvement de leurs armes, la confiscation de leurs bateaux, de leurs archives, la main mise sur leurs prêtres, l’emprisonnement de cent quinze de leurs principaux citoyens, et malgré tant d’autres ressources que lui suggérait son imagination, Lawrence ne réussit cependant pas à les faire se révolter : ses iniquités avaient été telles qu’elles pouvaient justifier de leur part une résistance à mort, et il n’y avait pas à enregistrer le plus léger soulèvement.

« Nous le demandons, dit Casgrain, qui a commenté éloquemment cette dépêche du Secrétaire d’État, qu’y a-t-il de commun entre cette conduite barbare et les instructions, si humaines, si conciliantes[16] du cabinet de Londres ? N’est-il pas évident qu’il y avait chez Lawrence une détermination bien arrêtée de se débarrasser à tout prix des Acadiens, ces ennemis invétérés de notre religion, comme il le disait hypocritement dans la dépêche où il annonçait plus tard la déportation[17] ?

« Est-il étonnant qu’après de pareils traitements, ils aient été effrayés de prêter le serment sans réserve qu’il exigeait d’eux avec la rigueur d’un proconsul romain ? Et ce qu’il y a de plus incroyable, c’est qu’après toutes ces intimidations, lorsque ceux d’entre eux qui se décidèrent enfin à prêter ce serment si redoutable à leurs, yeux, se présentèrent devant Lawrence, celui-ci, au lieu de les accueillir avec une extrême précaution et prudence, et de leur assurer la tranquille possession de leurs terres, comme le lui enjoignait Sir Thomas Robinson[18], les repoussa avec hauteur en leur disant « qu’il était trop tard, et que désormais ils seraient traités comme des récusants papistes. »

Était-il même question du serment dans cette dépêche du Secrétaire d’État ? Oui, mais pas dans le sens de faire à Lawrence un devoir de l’imposer, puisqu’après les recommandations que nous avons vues, elle ajoute : « … et d’assurer ceux d’entre eux sur lesquels on peut compter, surtout ceux qui prêteront le serment d’allégeance, qu’ils pourront continuer à demeurer dans la tranquille possession de leurs terres, sous une législation convenable ; » — ce qui équivalait à peu près à dire : « Permettez à ceux qui consentiront à prêter le serment de jouir paisiblement de leurs terres ; n’inquiétez pas non plus ceux qui s’y refuseraient, ne vous engageant à rien envers eux, de façon à les amener à le prêter eux-mêmes. »

Il n’y a pas à se méprendre sur le sens de ce message : l’esprit qui l’avait dicté était le même que celui qui anime tous les messages antérieurs. En dépit des fausses représentations de Lawrence et de quelques-uns de ses prédécesseurs, les Lords du Commerce connaissaient à peu près exactement la situation[19] ; il était difficile de les tromper du tout au tout ; au reste, il leur était aisé de voir que, le petit nombre de réfugiés qui prirent les armes ne l’ayant fait que sous menace de mort, l’on n’aurait rien à redouter de ceux qui étaient restés tranquilles chez eux. Ce scrupule à porter les armes, de la part de ceux qui, de gré ou de force, avaient traversé la frontière, pareil scrupule, quand le retrait de la neutralité dont ils avaient joui et qu’ils avaient mise connue condition à leur séjour dans le pays, leur en donnait clairement le droit, parlait éloquemment en faveur de leur sincérité et de leur droiture. À travers la vague phraséologie des documents officiels, les Lords avaient pu apprécier sainement ces faits. Et s’il était injuste d’expulser ceux qui avaient été pris les armes à la main, mais pardonnes ensuite, il devenait criminel d’étendre l’expulsion à tous les autres. Et quand, au lieu d’une expulsion pure et simple, l’on a opéré une déportation dans les colonies étrangères, semant ces pauvres habitants ça et là, à des endroits distants les uns des autres, sans égard aux liens de famille, alors cet acte prend les proportions d’une monstruosité que la langue humaine est impuissante à qualifier.

« Il y a, dit Philip H. Smith, dans les annales du passé, des exemples d’un pays ravagé en temps de guerre, et là où les habitants étaient trouvés les armes à la main ; mais l’histoire n’offre pas de cas parallèle à celui-ci : jamais une population paisible et désarmée n’a souffert un traitement pareil à celui qu’ont enduré les Français neutres d’Acadie[20]. »

Bancroft, l’éminent historien des États-Unis, a stigmatisé en ces termes la déportation : « Ces infortunés Acadiens n’étaient coupables d’autre crime que de leur attachement à la France. Je doute que les annales humaines présentent un tel exemple de maux infligés avec autant de complaisance, de cruauté et de ténacité[21]. »

John Clark Ridpath, autre historien américain bien connu, lui consacra ces mots : « Le gouverneur Lawrence et l’amiral Boscawen, en conseil avec le juge-en-chef de la province, Beleher, prirent la mesure atroce de bannir tout ce peuple. Leur premier soin fut d’exiger des habitants un serment d’allégeance conçu de telle façon qu’il leur était impossible de le prêter. Puis les anglais accusèrent les Acadiens de trahison et les obligèrent à leur livrer leurs armes à feu et leurs bateaux. Ce peuple au cœur brisé se soumit également à cet ordre. Il alla même jusqu’à s’offrir à prêter le serment, mais Lawrence déclara que, ayant d’abord refusé, il lui fallait en subir les conséquences. L’histoire des nations civilisées n’offre rien qui puisse être comparé à cette destruction voulue et impie d’une colonie inoffensive[22]. »

Le révérend Andrew Brown[23], qui vivait à Halifax peu de temps après la déportation, et qui connaissait mieux que tout autre l’étendue de ce crime et les circonstances qui l’avaient accompagné[24], disait dans l’ouvrage manuscrit que nous avons souvent cité :

« … Après un pénible examen de toute l’affaire, j’ose affirmer que Raynal n’a ni connu ni même soupçonné le dixième des malheurs qui ont accablé les Acadiens, et que, en dehors du massacre de la Saint Barthélemi, je ne connais pas d’acte aussi blâmable que la Déportation des Acadiens qui puisse être mis à la charge de la nation française. Dans leurs colonies, les Français n’ont jamais rien fait qui approche de ceci en cruauté et en atrocité[25]. »

Nous pourrions citer un nombre considérable d’écrivains qui tous ont condamné la déportation. À proprement parler, aucun des historiens ne l’a approuvée entièrement. Parkman est celui qui a été le plus loin dans le sens de l’approbation. Quelques-uns paraissent s’être donné beaucoup de mal pour atténuer les torts des autorités et charger le plus possible les Acadiens. Il n’y a là rien qui puisse surprendre, et nous nous garderions de les accabler de reproches, à cause de cela. Tout au plus pourrions-nous les accuser d’avoir traité le sujet avec trop de légèreté, ou mettre en doute leur perspicacité : à moins, en effet, d’avoir pu découvrir les motifs intéressés de Lawrence et de ses conseillers, il était difficile de ne pas supposer que la déportation avait eu des motifs justifiables à un degré quelconque ; et puisque les historiens dont nous parlons ne surent pas en découvrir les vraies raisons, les conclusions auxquelles ils en sont venues s’expliquent et semblent toutes naturelles. Ces événements ont été racontés surtout par des historiens anglais ; et il est honorable pour eux et consolant pour tous que la plupart d’entre eux aient eu assez de courage et de candeur pour flétrir un acte qui portait une sérieuse atteinte à l’honneur national. Il est consolant pour nous, comme il doit l’être également pour tout sujet anglais par le sang, que le gouvernement de la Métropole ait été complètement étranger à ce projet infâme. Cette dépêche du Secrétaire d’État ne laisse aucun doute sur le fait que Lawrence usurpait des pouvoirs qu’il n’avait pas et n’aurait pu avoir ; que Winslow mentait lorsqu’il disait, dans sa proclamation, qu’il tenait les instructions de Sa Majesté ordonnant la déportation ; et il n’est pas étonnant que, jusqu’au dernier moment, les Acadiens aient refusé de croire à de pareilles instructions, comme nous le dit encore Winslow[26].

Cette dépêche du Secrétaire d’État, datée du 13 août, pouvait, selon les conditions normales, parvenir à Halifax vers le 15 ou 20 septembre, c’est-à-dire quarante jours avant le départ en masse des Acadiens : cependant, Lawrence n’y répondit que le 30 novembre, savoir trois mois et demi après qu’elle avait été écrite. Doit-on supposer que Lawrence la reçut dans les délais ordinaires, ou en tout cas avant l’embarquement général des proscrits, et qu’il n’y répondit que le 30 novembre, dans le but de laisser croire que, ne l’ayant pas eue à temps, il était excusable de n’avoir pas tenu compte de ce qu’elle renfermait ? Ou devons-nous plutôt penser qu’elle a subi un aussi long retard ? L’avait-il par devers lui, quand, le 18 octobre, il écrivait aux Lords du Commerce pour leur annoncer que la déportation était déjà, en partie, exécutée, — ce qui, du reste, était faux[27] ? Nous penchons vers cette dernière alternative ; car, à cette date du 18 octobre, cela faisait, depuis le 13 août, deux mois et cinq jours, soit beaucoup plus de temps que n’en prenait d’ordinaire une traversée. La lettre précédente de Lawrence était du 18 juillet, en sorte qu’il avait été exactement trois mois sans communiquer avec les Lords du Commerce. Dans des conjonctures aussi graves, son devoir de les tenir informés de tout était pourtant plus pressant ; et l’on ne peut s’empêcher de conclure que son long silence était calculé. Quant à la dépêche du Secrétaire d’État, il peut se faire qu’elle ne soit parvenue à destination qu’avec un sensible retard, dû aux hasards de la navigation à cette époque. Cependant, lorsqu’on a affaire à un roué de la trempe de Lawrence, l’on est bien excusable d’y regarder de près, et de laisser planer un doute sur toutes celles de ses actions où son intérêt était en jeu. En tout état de cause, nous anticiperons quelque peu sur les événements pour examiner dès maintenant toutes les lettres échangées à ce sujet entre Lawrence et les Lords du Commerce.

Dans sa lettre du 18 octobre, il leur annonce la déportation ; il le fait avec la même habileté, la même absence de sentiment qui caractérisent tous ses actes ; il est bref sur les détails, il en parle sur le ton d’un négociant qui expédie une cargaison de marchandises, et pour qui le temps et la dépense sont les seules préoccupations importantes. Écoutons-le :

« Depuis la dernière lettre que j’ai eu l’honneur d’écrire à vos Seigneuries sous la date du 18 juillet, les députés français des divers districts ont comparu devant le conseil pour donner une réponse définitive à la proposition qui leur avait été faite de prêter le serment d’allégeance à Sa Majesté : ils persistèrent à y opposer un refus positif. Et, bien que tous les moyens eussent été mis en œuvre pour tâcher de leur faire comprendre qu’il y allait de leurs véritables intérêts, et qu’un délai suffisant leur eût été accordé pour leur permettre de mûrir la décision qu’ils étaient en train de prendre, rien ne put les faire acquiescer à aucune des mesures exigées par l’honneur dû à Sa Majesté ou par la sécurité de la Province.

« Devant cette attitude, le Conseil en vînt à la décision de les obliger à quitter la colonie, et se mît à considérer immédiatement le moyen le plus rapide, le moins coûteux et le plus facile de donner à cette solution tout son effet pratique. Il nous fût aisé de prévoir que, les bannir par la force des armes au Canada ou à Louisbourg, ne se fût pas exécuté sans grands embarras[28] ; et que, si cela avait réussi, il en fût résulté pour ces établissements un renforcement considérable en hommes qui se sont toujours montrés sans exception les ennemis les plus invétérés de notre religion et gouvernement, et qui maintenant sont exaspérés de la perte de leurs possessions. Le seul moyen de prévenir leur retour (offensif,) ou leur rassemblement en un large corps, était de les distribuer parmi les colonies, depuis la Géorgie jusqu’à la Nouvelle-Angleterre. À cette fin, des vaisseaux furent nolisés au plus bas prix possible ; l’embarquement se fait rondement ; j’ai lieu d’espérer que quelques-uns des navires ont déjà mis à la voile, et que, vers la fin du mois prochain, il ne restera plus un seul de ces habitants. J’ai l’honneur de transmettre ci-joint à Vos Seigneuries copie des Actes du Conseil contenant la relation circonstanciée de toute cette affaire {transaction dans le texte)[29].

« J’ai mis tout le soin possible pour réduire les frais de transport des habitants : les vaisseaux utilisés à cet effet faisant voile pour la plupart vers les lieux où l’on destinait ces gens, cela nous a permis de les avoir à bien meilleur marché qu’au taux ordinaire. Les Acadiens se sont jusqu’à présent nourris eux-mêmes ; et leur entretien pendant le voyage jusqu’à leur arrivée à destination se fera à même les provisions qui ont été prises dans les ports français de Chignecto.

« De façon à sauver le plus possible des bestiaux provenant des Acadiens, j’en ai distribué parmi ceux des colons qui sont en mesure de les nourrir pendant l’hiver[30]. Aussitôt que les Français seront partis, je m’efforcerai d’encourager des colons du continent à venir s’établir sur leurs terres, et si j’y réussis, nous serons bientôt capables de nous suffire à nous-mêmes pour les provisions, et j’espère que nous pourrons en temps voulu faire face à la grande dépense du ravitaillement des troupes. C’était là l’un des heureux effets qui, dans ma pensée, devaient résulter de nos luttes pour chasser les Français de l’isthme, et le fait, pour les habitants, d’évacuer le pays[31] est un évènement opportun qui, je m’en flatte, va hâter beaucoup la réalisation de mon plan, en ce qu’il va mettre à notre disposition quantité de bonnes terres toutes prêtes pour la culture, et rendre difficiles aux Indiens les incursions parmi nos colons, étant donné qu’il n’y aura plus personne pour leur fournir, comme auparavant, des provisions et des renseignements ; et je crois que les Français ne caresseront plus le fol espoir de reprendre possession d’une Province qu’ils ont regardée jusqu’ici comme toute établie pour eux et devant leur revenir le jour prochain où ils auraient le dessus sur les Anglais. Je crois de mon devoir de faire savoir à vos Seigneuries qu’il sera grandement nécessaire à la sécurité de la province de fortifier l’Isthme de Chignecto d’aussi bonne heure que possible au printemps. Les forts français de Beauséjour et de Baie Verte sont en train de subir toutes les réparations que le temps nous, permet de faire, mais ils ne sont ni assez solides ni capables de contenir assez d’hommes pour résister à un assaut sérieux. Il est également d’une importance souveraine qu’un fort assez puissant soit construit à la Rivière St-Jean, pour empêcher les Français de s’y réétablir, aussi bien que pour tenir en respect les Indiens de ce district. Je conçois que l’érection de ces fortifications entraînera des dépenses considérables, et que par conséquent elle ne peut être entreprise sans vos ordres ; mais si vos Seigneuries sont d’avis qu’il faut y procéder, elles peuvent avoir l’assurance que nous l’exécuterons avec la plus grande économie[32]

« Comme les trois prêtres français, Messieurs Chauvreulx, Daudin et Lemaire n’étaient plus d’aucune utilité dans la province après la déportation des habitants français, l’amiral Boscawen a eu la bonté de les prendre à bord de sa flotte et de les conduire en Angleterre[33]. Dans le passage de ma lettre concernant les habitants français, j’ai omis de mentionner à vos Seigneuries que j’avais écrit une circulaire aux gouverneurs des Provinces où ces habitants sont destinés, et que j’avais donné l’ordre que cette circulaire fut remise à chacun des capitaines de navires emmenant les déportés[34]. Dans cette lettre, j’ai mis en lumière les raisons qui nous ont obligés à prendre les mesures adoptées, et j’en joins ici copie à l’usage de vos Seigneuries.

« J’espère que les provinces n’auront pas d’objection à recevoir les déportés, ceux-ci pouvant avant peu devenir sujets utiles et productifs[35].

J’ai l’honneur etc, etc.
Charles Lawrence.


Aux Très Honorables Lords Commissaires

du Commerce et des Plantations. »


Ainsi, toute la seconde partie de cette lettre traite assez longuement des fortifications de Beauséjour, de la Baie Verte, de la rivière St-Jean, comme si ces questions en eussent fait l’objet principal, et que ce qui regardait la déportation n’eût été qu’un incident d’importance secondaire dans les détails nombreux de l’administration. La mise en scène n’eût pas été complète si Lawrence ne se fût revêtu du manteau de la religion et du patriotisme pour couvrir son forfait ; c’est ainsi que procèdent les hauts criminels ; et voilà pourquoi il crût de son intérêt de spécifier, en parlant des Acadiens : « ces ennemis invétérés de notre religion et de notre gouvernement, » et de les représenter comme ayant refusé « d’acquiescer aux mesures inspirées par l’honneur dû à Sa Majesté et la sécurité de la Province ».

L’on se figure aisément le trouble et les inquiétudes que dût éprouver Lawrence devant l’obligation où il se trouvait d’informer les Lords du Commerce d’un fait tel que la déportation de tout un peuple. La chose était cependant nécessaire. Annoncer le fait avant l’embarquement des victimes, en accusant en même temps réception de la dépêche du Secrétaire d’État, lui était impossible, à moins de surseoir à son exécution. Passer outre, c’était se condamner soi-même et se fermer la porte à toute excuse. Annoncer le fait après sa réalisation du moins initiale, mais en admettant que la dépêche en question lui était préalablement parvenue, eût été hautement impolitique. Le mieux était donc de garder le silence à ce sujet, de feindre d’avoir agi de son propre mouvement et comme s’il n’avait pas encore eu vent de cette lettre. Telles furent, croyons-nous, les raisons qui déterminèrent Lawrence à annoncer la déportation, dans sa lettre du 18 octobre, mais sans faire allusion à la dépêche du treize août. Avant d’y répondre, il voulait se donner le temps de préparer les voies. Boscawen devait quitter Halifax vers la fin d’octobre pour s’en retourner en Angleterre. Comme Lawrence avait amené ce dernier à partager la responsabilité de ses actes, il avait donc en lui un complice fort intéressé à le justifier, mais il fallait le laisser arriver là-bas et lui donner la chance de circonvenir d’abord les Lords du Commerce. Ce ne fut que le 30 novembre que Lawrence se décida enfin à répondre à cette malencontreuse dépêche[36].

Conformément à son habitude, le compilateur des Archives de la Nouvelle-Écosse a remplacé par des astérisques la première partie de cette réponse, pourtant si importante. Cette suppression est, ici, particulièrement fâcheuse : ce qui manque jetterait probablement sur la question une lumière propre à justifier nos hypothèses, mais ce qui nous en reste peut nous suffire, d’autant plus que nous savons à quoi nous en tenir sur la signification de ces omissions, dans Akins[37]. Voici cette lettre telle que nous la trouvons chez lui :

« Le gouverneur Lawrence au Secrétaire d’État Sir Thomas Robinson.

Halifax, 30 novembre 1755.

« Monsieur,

« … Pour ce qui est du mot pardonné, qui se trouve dans le quatrième article de la capitulation de Beauséjour, men

mentionné dans votre lettre du 13 août, ce mot ne voulait dire rien de plus, soit d’un côté soit de l’autre, si ce n’est que les habitants français, pris les armes à la main à l’intérieur du fort, ne devraient pas être mis à mort. Et bien que le colonel Monckton eût été notifié, avant de partir de là, que les habitants français désertés seraient chassés du pays, de façon à l’empêcher de faire naître ou d’encourager chez eux toute prétention ou espoir d’être rétablis dans leurs possessions de par la capitulation ou autrement, cependant il n’a jamais été dans notre pensée de précipiter des mesures propres à jeter ces gens dans l’exaspération ou à causer leur fuite au Canada. Aussi bien me semble-t-il à propos d’expliquer ici quels sont ceux des Acadiens qui sont compris sous la dénomination d’Habitants français désertés.

« Quand les troupes françaises prirent pied à Beauséjour, (où elles érigèrent aussitôt le Fort,) leur objet principal était de s’assurer la possession de la rive nord de la baie de Fundy, de fixer notre frontière à l’isthme de Chignecto, et de couper la retraite de ceux des habitants français qui se sentiraient portés à se soustraire au gouvernement anglais et à aller les rejoindre. Il est vrai qu’il y avait à l’origine quelques habitants qui vivaient de l’autre côté de la baie, mais comme les terres n’y sont pas réputées très fertiles, et qu’il y en a peu de défrichées, (en comparaison avec les autres établissements français de la Province,) ils s’y trouvaient en assez petit nombre. Lorsqu’en 1750 les troupes anglaises se disposèrent à prendre possession de cette partie de Chignecto, les Français convinrent qu’elle nous appartenait. Les habitants qui y étaient nombreux et vivaient en un beau pays fertile, brûlèrent toutes leurs maisons, et, avec leurs familles, se réfugièrent sur le territoire que les Français réclamaient, et là, de concert avec les habitants qui y existaient déjà, prêtèrent seraient d’allégeance au roi de France, et prirent les armes sous la direction de ses officiers. Tous ces gens, — auxquels vinrent s’ajouter plusieurs familles accourues comme des déserteuses de l’intérieur de la province, — et qui se montaient, d’après les meilleurs calculs basés sur des renseignements sûrs, à quatorze cents hommes en état de porter les armes, furent dès lors appelés communément par nous habitants français désertés : car, tout aussi bien que le reste des habitants, ils descendaient de ces français restés en Nouvelle-Écosse lors du traité d’Utrecht ; et ils avaient prêté le serment d’allégeance à Sa Majesté sous l’administration du général Phillipps, avec la réserve de ne pas porter les armes. Nonobstant cela, ils quittèrent leurs propriétés, et s’en allèrent de leur gré vivre de l’autre côté de la baie sous le gouvernement français, où ils n’avaient d’autres moyens de subsistance que des conserves salées que les magasins français leur distribuaient de la part du roi. Ce fut de ces habitants seuls que le colonel Monckton a eu à s’occuper, car il ne nous était pas facile de conjecturer à ce moment quelle attitude les habitants qui nous environnaient prendraient après la prise de Beauséjour, quand ils verraient qu’ils n’y avait plus pour eux d’aide à espérer du côté de la France. Mais quand nous nous fûmes rendu compte que les habitants français qui n’avaient pas déserté leurs terres entretenaient les mêmes sentiments déloyaux que ceux qui l’avaient fait, et rejetaient positivement le serment d’allégeance, nous pensâmes qu’il était grand temps, (aussi bien pour l’honneur de Sa Majesté que pour la conservation immédiate de la province,) d’en venir à la solution suivante : que les habitants français en bloc, ceux qui n’avaient pas déserté tout comme les autres, devaient être embarqués sur des transports qui les conduiraient hors de la province et les disperseraient parmi nos colonies avoisinantes. La plupart de ces vaisseaux ont déjà mis à la voile, j’ose même me flatter qu’à l’heure qu’il est tous l’ont fait. Je ne vous dérangerai pas par plus de détails concernant cette mesure, ayant déjà eu l’honneur de vous l’exposer pleinement dans ma lettre du 18 octobre, à laquelle étaient jointes les minutes du conseil à ce sujet, — lesquelles je vous transmets en double par cette occasion.

« Dans ma lettre du 10 novembre[38], je vous avais déjà, Monsieur, accusé réception des dix mille livres dont vous m’annonciez l’envoi par votre lettre du 13 août[39]. Je suis extrêmement sensible au grand honneur que les Ministres de la Justice, {Lords Justice,) m’ont fait en me donnant une telle marque de confiance. Je m’efforcerai de m’en montrer digne en pratiquant la plus stricte économie, et en appliquant cette somme aux seules fins pour lesquelles les dits Lords l’ont allouée. Nous avions fait déjà un progrès considérable dans nos travaux de réparation du fort de Beauséjour (in the Fosse and covered way of the Fort of Beausejour,) ; et quand cela sera terminé, je n’irai pas plus loin avant d’avoir eu l’honneur de recevoir les ordres de Sa Majesté.

« La saisie et l’embarquement d’une nombre si prodigieux (the securing and embarking of such a prodigious number) d’habitants français, et l’état actuel de la Province en général, m’ont empêché d’envoyer cette année aucune expédition à la Rivière St-Jean ; les vaisseaux de Sa Majesté y ont fait une croisière pour bien s’assurer que les Français ne s’y réimplantent pas ; et au printemps, si rien d’imprévu ne survient à l’encontre, je me propose d’y faire réparer le fort et d’y placer une garnison aussi considérable que possible. Les Indiens de ce district, conformément à leur promesse, se dirigeaient sur Halifax, et quelques-uns, dans leur marche, avaient déjà atteint Chignecto, mais rebroussèrent chemin, ce qui donne à supposer qu’ils rencontrèrent en cours de route des émissaires français, qui leur persuadèrent d’en agir ainsi.

Je suis etc.,
Charles Lawrence.
.



« Au Très Honorable Sir Thomas Robinson, etc, etc. »

Relevons quelques-unes des faussetés contenues dans cette lettre : l’interprétation que donne Lawrence au mot pardonné montre qu’il n’avait aucun respect pour des obligations solennelles, pareille interprétation étant tout-à-fait inadmissible. Quand il déclare que les Acadiens qui avaient traversé la frontière l’avaient fait volontairement, il trompe en connaissance de cause, puisqu’il n’ignorait pas que les sauvages, pour les y contraindre, avaient brûlé leurs habitations ; il n’ignorait pas les démarches de ces habitants pour obtenir de revenir sur leurs terres. D’ailleurs leur situation, nonobstant tout cela, n’eût pas été moins justifiable. Mais là où le gouverneur ment le plus effrontément, c’est lorsqu’il affirme qu’il fut forcé d’inclure les Acadiens de la péninsule dans la mesure de déportation, parce qu’après la prise de Beauséjour, ils avaient entretenu les mêmes sentiments déloyaux que ceux de leurs compatriotes désertés. Car nous avons prouvé que, même pendant le siège de Beauséjour, Lawrence s’était emparé par supercherie d’une partie de leurs armes, et que, sur un simple ordre, les habitants avaient livré celles qui leur restaient, ainsi que leurs bateaux ; que, quinze jours après, sans qu’il y eût eu le moindre acte d’insoumission de leur part, sans qu’ils eussent commis quoique ce soit qui pût être considéré comme déloyal, leur déportation était virtuellement décidée, et que même elle l’avait été bien avant la prise de Beauséjour. La loyauté de ces gens, sous un régime tel que celui de Lawrence, ne pouvait guère reposer sur le sentiment — l’homme n’étant pas fait pour aimer les chaînes ni ceux qui l’en chargent ; — elle avait pour base leur devoir et leur intérêt ; et c’était là tout autant que l’on pouvait leur demander ; c’était même plus que l’on ne pouvait attendre d’eux, sous l’oppression qu’ils subissaient.

L’on voit que, dans cette lettre aussi bien que dans celle du 18 octobre, les détails sont fort maigres[40]. Il devait, en effet, répugner à Lawrence de s’appesantir sur les faits, car alors il aurait eu à exposer ses odieux procédés, lesquels n’avaient cependant provoqué, de la part des Acadiens, qu’une soumission complote, et ceci eût été de nature à ouvrir les yeux des autorités ; il aurait eu à expliquer que les Acadiens n’avaient ni armes, ni bateaux, et que par conséquent ils étaient impuissants à troubler la paix, l’eussent-ils d’ailleurs voulu. Mais passons outre sans plus de commentaires. Le lecteur en sait déjà assez pour constater sans notre assistance combien est insidieuse cette lettre qui, prise telle qu’elle est, ne contient rien qui soit propre à justifier la déportation, ni même aucune autre mesure d’expulsion.

La lettre suivante des Lords du Commerce à Lawrence, en date du 25 mars suivant, (1756,) complète la correspondance à ce sujet, pour autant que nous la connaissons[41] :

Whitehall, 25 mars 1756.

« Nous regardons comme inévitable la guerre entre la France et nous, et dans la mesure où il nous est possible de juger des vues et des desseins de l’ennemi, nous inclinons à croire qu’une grande partie de leurs forces seront employées à tâcher de nous nuire et de nous ruiner dans l’Amérique du Nord.

« Nous avons mis sous les yeux du Secrétaire d’État de Sa Majesté le passage de votre lettre relatif à la Déportation des habitants français et aux procédés que vous avez pris pour exécuter cette mesure] et comme vous représentez que cette déportation était indispensablement nécessaire à la sécurité et à la protection de la province, dans la présente situation critique de nos affaires, nous ne doutons pas que votre conduite en tout ceci ne rencontre l’approbation de Sa Majesté. »

La question, vu son importance, était référée à la considération du Secrétaire d’État. Dans ces conditions, il était de toute convenance pour les Lords du Commerce de n’exprimer aucune opinion à son sujet ; et leur réponse était libellée dans les termes officiels toujours employés quand il s’agit d’une affaire soumise à l’examen de l’autorité

supérieure[42]. Lawrence avait eu le temps de faire jouer ses influences ; la guerre, qui existait déjà de fait, allait être ouvertement déclarée ; le cliquetis des armes, les préoccupations causées par une campagne longue et acharnée devaient faire perdre de vue la question ; le fait accompli fut accepté ou subi en liant lieu ; Lawrence était sauvé ou paraissait l’être. Il avait couru de grands risques, et il ne l’ignorait pas ; mais, en joueur habile et audacieux, il avait gagné la partie. Le loup n’est pas toujours tué pour avoir mangé l’agneau !

Toutes ces lettres que nous avons citées sauvent l’honneur du gouvernement[43] anglais de toute responsabilité ante factum dans ce forfait. Elles sont publiées dans le volume des Archives de la Nouvelle-Écosse ; elles ont pu être consultées par tous ceux qui ont écrit sur ce sujet depuis l’année 1869. Comment se fait-il donc que ni Campbell, ni Hannay, ni Parkman n’en fassent aucune mention ? Du reste, elles ne sont mentionnées par aucun écrivain, à l’exception de Rameau, de Casgrain et de Brown. Haliburton et Murdoch écrivaient avant la publication des Archives, alors que beaucoup de documents officiels, ou au moins les lettres de Lawrence pour les années 1755 et 1756, avaient été soustraits. Le compilateur a pu se procurer à Londres les duplicatas des lettres échangées, et celles que nous avons reproduites étaient du nombre[44]. Mais alors, quel a pu être le but de Parkman et consorts en passant sous silence ces lettres si importantes ? Nous avons cherché à nous l’expliquer, et, nous en faisons l’aveu, pour ce qui est de certains historiens à l’égard desquels nous professons du respect, aucune solution pleinement satisfaisante ne s’est présentée à notre esprit. Il n’y a pourtant pas à se méprendre sur le sens de ces lettres : il est parfaitement clair ; aucun effort d’intelligence n’est nécessaire pour arriver à le pénétrer ; un peu de patience, pour démêler et ajuster ensemble les pièces éparses, — voilà tout ce qui est requis. Nous n’ignorons pas que les écrivains, en règle générale, ne se sont guère donné la peine d’aller jusqu’au fond de ces événements ; mais cette règle doit souffrir quelques exceptions. Les déclarations de Lawrence et de Winslow aux Acadiens contredisent, il est vrai, les documents officiels émanés du Home Office : mais si ces déclarations ne sont pas fondées sur des documents officiels, à plus forte raison si elles sont en contradiction avec des documents officiels, elles restent sans valeur. Est-ce que les historiens dont nous venons de parier craignaient, en tenant compte de ces lettres, de porter un coup fatal à la thèse de justification qu’ils s’efforçaient d’imposer au public ! Avec leur aide, ils pouvaient, en dégageant la responsabilité du cabinet de Londres, sauver sûrement l’honneur de l’Angleterre, en autant qu’un gouvernement peut être exonéré de complicité dans les actes commis par ses officiers[45]. Mais alors, il fallait sacrifier Lawrence et ses conseillers ; il fallait abandonner tout effort dans le sens d’une justification. Et ils semblent avoir préféré la tâche de sauver l’un et l’autre, le gouvernement anglais et Lawrence, au risque de les perdre tous les deux, — ce qui s’est déjà vu comme fruit d’un pareil procédé. Cependant ceci ne saurait guère s’appliquer à Campbell, qui, malgré tout le mal qu’il s’est donné pour grossir les fautes des Acadiens et atténuer celles de Lawrence et de ses complices, condamne finalement la déportation dans les termes suivants : « La déportation des Acadiens, dans la manière dont elle a été exécutée, fut une inique sottise, (blunder,) et il est beaucoup plus loyal, (manly,) de le reconnaître que de tenter vainement de pallier ou d’excuser une conduite qui, examinée froidement à la lumière de ses conséquences, révolte les instincts moraux de l’humanité[46]. « Il nous répugnerait également de l’appliquer à Hannay, qui, malgré ses conclusions injustifiables, nous fournit souvent des preuves d’impartialité. Quant à Parkman, la chose est bien différente.

Lorsque le révérend Andrew Brown collectionnait à Halifax, en 1787, des documents pour l’histoire qu’il se proposait de publier, il ne semble pas que la soustraction des pièces concernant la période de la déportation fût complète. Lui, qui avait eu le rare avantage de causer avec les auteurs et les témoins de ce drame ; lui qui avait pu sonder et palper la fraude gigantesque qui en était à la base ; lui qui ne cherchait que la vérité, et d’honnêtes excuses, s’il s’en trouvait, comprit tout de suite l’importance de cette dépêche du Secrétaire d’État (en date du 13 août). Son patriotisme avait été rudement secoué, son cœur, il est aisé de le voir, avait saigné sous l’humiliation infligée à l’honneur de son pays ; ses sentiments avaient été bouleversés au récit des malheurs inconcevables accumulés sur tout un peuple : aussi il faut voir quelle satisfaction la découverte de ce document précieux produisit en lui ! Il le fait suivre de cette simple remarque : « Ceci important : Gouvernement du moins innocent[47]. » Ce n’était pas simplement une remarque, mais plutôt un cri de joie qui s’échappait de sa poitrine ; son âme était soulagée de l’oppression qui l’accablait : l’honneur de son pays était sauf. C’est ainsi que se traduisent les grandes émotions. Cette exclamation nous rappelle involontairement le cri d’Archimède. Brown avait trouvé lui aussi ; et s’il ne courût pas les rues d’Halifax dans le triomphe de sa découverte, il n’en dût pas moins, à l’intérieur de son cabinet, laisser éclater sa joie de façon ostensible. Parkman a lu le même document ; mais l’esprit qui animait ces deux hommes était bien différent : aucun cri de soulagement ne s’est échappé de la poitrine de celui-ci. Ce qui fit la joie de l’un causa peut-être la consternation chez l’autre. L’un désirait trouver un autre coupable que le gouvernement ; le second n’en voulait voir aucun. Tandis que l’un se proposait de livrer ce document au grand jour, de lui donner toute l’importance qu’il avait, l’autre se disait : « Supprimons-le ! Mettons la lumière sous le boisseau ! Ce cri : « Le gouvernement du moins innocent ! » témoigne plus éloquemment de la droiture et du caractère de Brown que ne feraient des volumes. Il avait cru jusque-là que le Cabinet de Londres avait ordonner la déportation. Néanmoins sa conviction qu’elle était une iniquité n’en avait pas été ébranlée. Et maintenant, il voyait qu’il restait des coupables, mais du moins ces coupables n’étaient pas le Gouvernement de la Métropole. Il comprenait que, si l’historien qui se respecte peut à la rigueur donner à son pays le bénéfice du doute, il est d’autre part strictement tenu en conscience d’exposer les faits tels qu’ils existent, quels que répugnants qu’ils soient.

Vérité pénible ! cependant je la préfère à une agréable erreur.
Car la vérité guérit souvent les blessures qu’elle fait[48] ».

Un peu plus loin, Brown fait cette autre observation : « Les Lords du Commerce extrêmement sur leur garde. Aucun blâme ne leur est imputable concernant la chose[49]. »

Il n’est pas étonnant que Parkman ait gardé un silence absolu sur le manuscrit de Brown, puisqu’il y trouvait, du commencement à la fin, la condamnation de tout ce qu’il a écrit sur la déportation. Pichon faisait beaucoup mieux son affaire[50].

Avant d’être remarquée par Brown[51], l’usurpation de l’autorité royale l’avait été par l’abbé Le Guerne, au lendemain même de l’enlèvement des Acadiens : « Mr. Lawrence, dit-il, gouverneur de Chibouctou, (Halifax,)… se détermina sans consulter la Cour de Londres d’expayser les Acadiens et de les disperser dans les différentes contrées de la Nouvelle-Angleterre[52]. » part ceux-ci, extrêmement significatifs : « se détermina… à exécuter l’ancien plan des anglois… » — Ce qui montre que, dans l’esprit de Le Guerre, la Déportation ne fut pas une œuvre improvisée, accomplie ah irato par Lawrence, mais l’aboutissement d’un plan longuement mûri par les Anglais. Et les documents ratifient cette assertion du missionnaire.


OBSERVANDA.


Dans la pensée d’Édouard Richard, ce chapitre XXX avait une importance tout-à-fait exceptionnelle ; il marquait le point culminant de la thèse qu’il s’était juré à lui-même de faire accepter du public, et qu’à force de se payer, j’allais dire de se griser de mots, il avait fini par regarder comme une vérité désormais hors du domaine de la discussion. Voici la genèse de cette thèse dans son esprit : comme tant de nos hommes politiques canadiens-français, Richard était extrêmement épris des institutions britanniques ; pour lui l’Angleterre avait toujours été la grande dispensatrice des idées libérales à travers le monde ; ayant étudié le régime parlementaire anglais surtout à travers les considérations tendancieuses et imprécises de publicistes tels qu’un Macaulay, par exemple, il s’était constitué au sujet de tout le système de gouvernement britannique un état d’esprit très-curieux, à base de bienveillance et d’admiration ingénue. En 1895 ou 96, je crois, alors qu’il était à Arthabaska, je me rappelle qu’il publia dans l’Union des Cantons de l’Est un article pour expliquer dans un sens éminemment favorable un mot qu’avait prononcé Wilfrid Laurier et qui avait donné lieu à bien des critiques. Se caractérisant lui-même, Laurier s’était appelé British to the core : expression qui à plusieurs avait paru étrange dans la bouche d’un canadien-français. Édouard Richard prétendit en donner la justification ; Laurier avait voulu signifier non-seulement sa loyauté, mais encore son admiration à l’égard des institutions britanniques en général, et, dans l’espèce, son amour pour la forme de gouvernement que l’Angleterre avait donnée au Canada, et qui, à ses yeux attendris, était comme une sorte d’idéal. Or, dans tout ce commentaire de la pensée de son ami, l’on sentait que Richard se définissait en même temps lui-même. British to the core lui semblait la formule propre à servir de devise à tout homme politique canadien, et, en général, à tout sujet anglais, à quelque nationalité qu’il appartînt. Pareil état d’esprit datait de loin chez Édouard Richard. L’on conçoit qu’il y en avait de meilleurs pour aborder impartialement et sans parti pris une période scabreuse pour la politique anglaise comme l’Histoire de l’Acadie, depuis ses origines, et surtout depuis 1710 jusqu’à la Déportation. Il lui fallait donc à toute force admettre ce fait brutal — la Déportation — et, chose difficile ! — le concilier avec le libéralisme britannique. Pour y arriver, le plus simple était de disjoindre les éléments de cette question complexe, et de montrer d’un côté les hommes d’État anglais, sinon ignorant tout de ce qui se tramait, sinon s’en désintéressant avec un égoïsme superbe et jugeant de trèshaut cette petite difficulté coloniale, du moins se laissant involontairement tromper par leurs mandataires, incapables, de si loin, de pénétrer le fond des choses, ouvrant enfin les yeux après des années et des années d’inconscient aveuglement, intervenant à la dernière heure, dans la personne de Thomas Robinson, Secrétaire d’État, pour empêcher la perpétration du forfait, quand il était trop tard, hélas ! ; — de l’autre, des gouverneurs sans entrailles, un William Shirley, de son siège de Boston, un Cornwallis, surtout un Lawrence, qui, de longue main, trament ce plan d’exil des Acadiens, s’entendent pour que la Métropole n’en sache rien, bernent leurs supérieurs hiérarchiques, agissent comme des potentats, méprisent même les ordres si sages qui leur viennent d’outre-mer. Et quand Lawrence, exécuteur de ce crime, s’en ouvrira à Londres, tout aura été consommé.

Le tableau que nous venons de dresser résume la thèse capitale de l’auteur d’Acadie concernant le partage des responsabilités dans l’affaire de la Déportation. À l’apparition de son ouvrage, la presse anglaise et française du Canada, comme aussi bien journaux et revues d’Angleterre naturellement ! — ont accepté sans plus ses conclusions là-dessus. Après tout, comme dirait l’autre, ou on est loyaliste ou on ne l’est pas. Et si on l’est… ! Aux États-Unis, le paradoxe sur lequel cette thèse reposait fut clairement saisi par quelques critiques. On nous permettra d’en apporter ici des preuves. Ainsi, le 11 janvier 1896, le New York Times consacrait à l’ouvrage une longue critique qui finissait ainsi : «  Mr. Richard evidently considers what he has to say on the question of responsibility as the most important part of his work. He puts the blame for the expatriation of the Acadians upon Gov. Lawrence, and insists that he has proved that Governor Lawrence must bear the full responsibility of his cruel edicts. He is satisfied, he says, that the Home Government did not authorize Lawrence’s action, was not advised that it was to be taken, and did not approve it when it was all over. — We do not regard Mr. Richard’s proof as conclusive on this point. There is documentary évidence of which he makes use in his book which indicates that England, for years, — in fact, throughout the captivity of the Acadians, — wanted to be rid of the colony ; there is no evidence that England cared a rap what might happen to the Acadians ; last, but not least, there is no evidence that England ever did anything to ameliorate the conditions of those who had been exiled, or performed the slightest act of réparation toward those who had been wronged most inhumanly. We cannot fall in with Mr. Richard’s judgment. England was responsible for the explosion of the Acadians and must wear the shame of it. » — Ainsi, l’auteur de cette étude sérieuse s’est donné la peine de recenser tout l’ouvrage, et il trouve, avec beaucoup de raison, que les documents mêmes que Richard apporte, loin de prouver sa thèse, l’infirment et disent tout le contraire : l’on avouera que ce n’est pas là, pour l’auteur d’Acadie, une démonstration que l’on peut appeler réussie. — Dans le Midland Magazine d’avril 1896, nous lisons ceci : « Mr. Richard generously acquits the Home Government of all part or lot in the crime, notwithstanding certain published correspondence which brings the responsibility close home to the Lords of Trade who from their London Board assumed direct control of Président Lawrence of the Nova Scotia Council. We ordinarily hold a government responsible for the acts of its agents and there would appear to be every reason for charging home upon the Lords of Trade the responsibility for their appointee and for his acts. Dans l’Avant-Propos de notre tome deuxième nous avons cité un extrait du Minneapolis Times, qui conclut dans le même sens. Pour finir, nous donnerons ce passage d’un long article consacré à Acadia par le New York Tribune : « … the reader finds that one of Mr. Richard’s principle « discoveries » is the innocence of the British Government in the affair of the Acadians, The expulsion was wholly a colonial movement. Many pages are devoted to this matter. It would naturally be supposed that this question had never occurred to any previous historian ; but it has long been well known that in this case, as in every other case of that kind, the British Government justly evaded diplomatie responsibility…  » Ces divers extraits montrent bien que Richard n’a persuadé de l’innocence du gouvernement britannique en l’affaire de la Déportation que ceux qui, pour une raison ou pour une autre, étaient d’avance convertis à cette idée, ou encore ceux qui ont accepté de confiance sa thèse, sans prendre la peine de la confronter avec les textes. Mais les esprits indépendants, libres de tout préjugé en l’espèce, qui ont examiné la question de près, n’ont pas manqué de voir que l’auteur, en voulant exonérer le gouvernement britannique, s’était d’abord lancé dans une entreprise risquée, maladroitement chevaleresque, que, pour son malheur, les documents mêmes qu’il citait ruinaient par la base. Il avait eu beau solliciter ces textes et les tirer par les cheveux, leur sens obvie donnait un démenti formel à tous ses commentaires et anéantissait l’effet de ses conclusions. Encore une fois, ce n’est pas là un résultat dont un historien puisse se vanter. Et donc, sa thèse saugrenue, qui était si conforme à son état d’esprit presque inexplicable chez un descendant direct d’un peuple persécuté à mort, et dont il avait, au surplus, emprunté les grandes lignes à Casgrain, Édouard Richard l’avait énoncée dès sa préface ; il y était revenu fréquemment au cours des vingt-neuf premiers chapitres de son ouvrage, parfois sans apporter l’ombre d’une raison propre à la justifier, et parfois — ô merveille d’illogisme ! — à l’occasion d’une pièce officielle qui se retournait contre ses principes. En sorte que le lecteur averti ouvrait de grands yeux et se demandait ce que venaient faire ces éloges intempestifs de la largeur de vues, de la sagesse politique, du libéralisme des hommes d’État anglais, quand les documents cités prouvaient tout le contraire. Mais c’était au chapitre trentième qu’il se réservait de produire la maîtresse-pièce qui, selon lui, allait éclairer d’un jour aveuglant la belle ordonnance de sa construction arbitraire, et l’étayer de telle façon qu’elle s’en irait vers la postérité revêtue de toutes les garanties possibles de solidité et de durée. Ce point d’histoire sortait désormais du domaine des questions discutées et passait au nombre des vérités définitivement acquises à l’esprit humain. Aussi, l’on a vu avec quel accent triomphal l’auteur chantait sa conclusion et de quels dithyrambes il l’accompagnait. Nous doutons que Pindare lui-même se soit élevé plus haut dans l’échelle du lyrisme ! Seulement, pourquoi faut-il que toute cette dépense d’enthousiasme, ce cliquetis de mots sonores et vides, cette éloquence à froid tombent à plat ? Notre note 15 de ce chapitre a déjà jeté une douche abondante sur ce beau feu. Et voici un supplément de réflexions qui devra achever, pensons-nous, d’éteindre ces ardeurs dont la générosité avait le grand tort de se tromper d’adresse. Il s’agit donc de la fameuse dépêche du Secrétaire d’État Sir Thomas Robinson, si chère au cœur de tous ceux qui voient dans la politique coloniale britannique un modèle d’humanité, et dans son attitude à l’égard des Acadiens en particulier le nec plus ultra d’un libéralisme où la tendresse le dispute à la justice sociale. Cette dépêche est datée du 13 août 1755. Fut-elle expédiée immédiatement ? Quand arriva-t-elle à destination ? Les Archives que nous avons pu consulter ne le disent pas. Tout ce que nous savons, c’est que Lawrence l’avait reçue avant le 30 novembre 1755, puisqu’il la mentionne dans une lettre de ce jour au même. Lui était-elle parvenue beaucoup plus tôt ? ou venait-elle seulement de lui être remise ? Là-dessus nous n’avons que des conjectures. Maintenant, — prenons cette lettre pour ce qu’elle n’est pas, à savoir une protestation contre une déportation projetée, une défense d’opérer pareille chose, — alors, 1°) Nous pouvons trouver que cette défense vient bien tard. Quand, par ses lettres datant d’un an plus tôt, Lawrence avait déjà donné clairement à entendre que c’était cela qu’il voulait, pourquoi le ministre avait-il tant attendu avant de se mettre en travers de ce plan et de l’étouffer dans l’œuf ? 2°) Puisque Robinson y affirme qu’au mois de mai 1755, une sorte de concordat avait été passé pour régulariser le sort des Acadiens, entre l’ambassadeur de France et le roi d’Angleterre, pourquoi n’est-ce qu’en août, c’est-à-dire trois mois après, qu’il s’est décidé à en faire part à Lawrence ? 3°) Devons-nous plutôt prêter à Sir Thomas Robinson un réel machiavélisme, et croire qu’il aura envoyé cette dépêche sans se faire illusion aucune sur sa portée pratique, et seulement pour se couvrir, lui et le gouvernement, devant la postérité, et se laver ainsi les mains du crime qui allait être perpétré ? La vérité est beaucoup plus simple que tout cela. Et la vérité est qu’il n’y a pas trace dans ce document de protestation contre la Déportation. Le temps pressait pourtant, et Robinson n’était pas sans le savoir. Cependant, toute la première partie de sa lettre est consacrée à ergoter sur les divers sens possibles des mots : to drive away the French Inhabitants, dans l’esprit de Lawrence ; oui, comme un pédagogue en mal de distinction, il repousse les significations variées que ces mots peuvent avoir. Et pour conclure à quoi ? L’on s’imaginerait, en bonne logique, que Robinson va dire à Lawrence : « Quoi que ce soit que vous ayez entendu par là, nous ne voulons admettre aucune de ces interprétations, et nous vous défendons absolument d’exécuter quoi que ce soit qui ressemble à une expulsion partielle ou générale. » Si le Secrétaire d’État avait parlé ainsi, l’on pourrait encore trouver qu’il s’y était pris un peu tard pour intervenir en faveur des Acadiens ; du moins y aurait-il eu intervention véritable de la part de son gouvernement, et cette pièce constituerait un argument sérieux à l’appui de la non-complicité de l’Angleterre. Au lieu d’une pareille conclusion, qu’y a-t-il ? Let your intention have been what it will, it is not doubted but that you will have acted upon a strict principle of immédiate and indispensible security to your Goverment… Quelle qu’ait pu être votre intention, il n’est pas douteux que vous n’ayez agi en vous inspirant du principe de salut public ; vous aurez pris pour base de la mesure que vous aurez adoptée, quelle qu’elle ait été d’ailleurs, la nécessité d’assurer la sécurité de votre gouvernement. — La phrase est donc au passé : qu’est-ce à dire ? sinon que Robinson considère que ce drive away the French Inhabitants, sous quelque forme que Lawrence l’ait conçu, est déjà accompli. Et l’on donne ce document comme établissant que l’Angleterre s’est opposée à la Déportation !  ! Tout ce qui inquiétait le Secrétaire d’État, c’était qu’une alarme se répandit dans le camp acadien, qu’une révolte y éclatât, et surtout que, chassés de la Province, ils n’allassent renforcer les colonies françaises avoisinantes. Encore une fois, la question d’humanité n’entre pas en ligne de compte. C’est l’intérêt matériel qui prime tout. Et du moment qu’il saura que Lawrence s’y est pris de façon que non-seulement il n’eût pu y avoir de révolte, pour la bonne raison qu’on aura pris la précaution d’enlever aux habitants leurs armes, et que, sous prétexte de les convoquer pour leur donner communication d’un texte officiel, l’on aura emprisonné les chefs de familles ; du moment que Robinson saura que Lawrence se sera arrangé de façon que la Déportation ait lieu, mais pas à l’avantage des établissements français avoisinants, puisque les Acadiens auront été dispersés parmi les colonies britanniques, et qu’on ne leur aura même pas laissé la liberté de choisir le lieu de leur exil, alors, Sir Thomas Robinson n’aura plus qu’à battre des mains devant tant de prévoyance de la part du gouverneur de la Nouvelle-Écosse et qu’à ratifier sa belle action. Ce qu’il n’a pas manqué de faire, du reste. Cf. lettre du 25 mars 1756. Que si, malgré cette phrase condamnatrice de la dépêche du 13 août, l’on osait encore soutenir que la dite dépêche renfermait le veto du gouvernement au projet de déportation, alors que restait-il à faire au gouvernement à l’égard du téméraire agent qui avait passé outre à l’ordre de ses chefs ? N’était-ce pas de le casser, de le rappeler, de lui faire un procès, de le désavouer ? C’est la pratique constante du pouvoir en pareil cas. Or, cela n’a pas eu lieu pour Lawrence. Au contraire : en récompense, on l’a nommé immédiatement, de Président du Conseil et Lieutenant-Gouverneur qu’il était, gouverneur-en-chef de la Nouvelle-Écosse. Ce fut là un singulier désaveu de sa conduite. Et quand, malgré tout cela, nos historiens persistent à vouloir exonérer la Grande Bretagne, en vérité, ils s’enfoncent dans l’inexplicable et s’abîment dans l’absurde. Il nous a été pénible de constater qu’Édouard Richard avait laissé de côté, dans sa citation de la dépêche de Robinson, la petite phrase en question, où la déportation est considérée comme une chose du passé. Nous n’en savions rien d’abord ; nous nous en sommes aperçu en confrontant son texte avec celui de Akins, qui est officiel. Et cela nous a fait mal au cœur. Casgrain en avait fait autant, il est vrai. Et, dans une certaine mesure, Richard serait excusable s’il n’avait eu sous les yeux que le texte de Casgrain. Mais il avait la compilation des Nova Scotia. Documents. Et, tout comme Casgrain, il a sauté prestement par-dessus cette petite phrase, parce qu’elle avait le tort de ruiner l’échafaudage de ses sophismes et de ses paradoxes, tenacement monté dans le seul dessein préconçu d’exonérer la Grande Bretagne d’avoir trempé dans cette triste affaire. Et cela n’est pas à sa louange, — nous le disons à regret, et parce que la probité nous y oblige. L’idée première de la déportation remonte aux Lords du Commerce, dans leur lettre au gouverneur Philipps, datée de Whitehall, 14 décembre 1728 : «  As to the French Inhabitants of Nova Scotia… they ought to he removed as soon as the Forces which we have proposed to be sent to you shall arrive in Nova Scotia for the protection of and better settlement of your Province… » (Akins. P. 58.) (Can. Arch. 1894.) P. 45. Dec. 1720. Whitehall. Lords of Trade to Philipps. B. T. N. S., vol. 32. P. 495). (Ce document est donc du 14 et non du 28 décembre, ainsi qu’Akins a mis.) — Voilà le programme énoncé, clairement défini dans ses grandes lignes par les ministres. Quant à la date de son exécution, cela dépendra des circonstances. Et la circonstance sera favorable trente-cinq ans après. Et Lawrence sera l’homme pour l’exécuter. — Après tout ce que nous venons de dire et de prouver, nous croyons que la question de la participation de l’Angleterre à la Déportation est vidée à tout jamais. Pour i>lus amples informations, nous renvoyons le lecteur à nos notes éparses dans les deux derniers volumes d’Acadie, et spécialement à notre travail sur les Causes de la Déportation, dans les Appendices de ce tome troisième.



  1. À la date du 4 septembre 1755, c’est-à-dire la veille même du jour où les habitants élevaient se rassembler dans l’église de Grand-Pré, conformément à la Proclamation lancée le 2 septembre, il y a l’entrée suivante dans le Journal de Winslow : « A fine day, and the inhabitants were very busy about their harvest… » N. S. H. S. III. 94.
  2. Nous ne voyons pourtant pas, dans le Journal de Winslow, trace de pareilles appréhensions ; surtout, il ne paraît pas que ce militaire ait été en proie à quelque hésitation avant de procéder à l’exécution de son œuvre. Certes, c’était bien un crime qu’il allait accomplir ; mais il ne semble guère s’en être douté, ni en avoir ressenti de confusion ou de remords anticipé. Nous avons vu, au contraire, dans le chapitre XXIX, avec quel enthousiasme Winslow envisageait la campagne de proscription dont l’effet serait d’assurer à son Souverain la possession tranquille de la Nouvelle-Écosse. Et, dans sa pensée, le rôle qu’il allait y jouer constituerait la preuve la plus éclatante de fidélité et de dévoûment aux intérêts britanniques qu’il eût encore donnée,
  3. Cf. Casgrain. PèlerinageIV. 117-18.
  4. Le MS. original — fol. 596 — porte ici la note suivante : « À l’investissement de Grand-Pré par les sauvages, cinq ans auparavant, le notaire Leblanc, qui s’était opposé au départ des habitants, avait été fait prisonnier par les sauvages et (n’avait été) rendu à la liberté qu’après une captivité de quatre ans. »

    René Leblanc avait succédé comme notaire à Alexandre Bourg dit Belle-Humeur, en décembre 1744. Le notaire était une sorte d’intermédiaire entre le gouverneur et les habitants. Il était choisi officiellement par le gouverneur en conseil. Bourg ayant mécontenté Mascarène, celui-ci le suspendit de ses fonctions et nomma à sa place René Leblanc. (N. S. D. P. 152.) Il est question de ce dernier dans les N. S. A. II. P. 82-96-142. Il semble avoir joué un rôle plutôt louche à l’égard de ses compatriotes ; les anglais ont toujours paru voir en lui un auxiliaire. Winslow dit dans une lettre à Murray, en date du 7 sept. 1755 : « René Leblanc’s son has behaved as well as his father, and the french say has prevented ye young men from going of and belive he may be trusted. » (Journal. N. S. H. S. III. P. 104.) Parkman, s’étendant avec complaisance sur l’ignorance extrême qui régnait parmi les Acadiens, cite cette phrase tirée du Mémoire de Moïse de Les Derniers : « a contemporary well acquainted with them déclares that he knew but a single Acadian who could read and Write » , — et il ajoute : » « This was, probably, the notary, Leblanc, whose compositions are crude and illiterate. » A Half-Century of Conflict. vol. II. P. 173.) Le délicat Parkman s’afflige de constater que les actes officiels d’un notaire de campagne manquent de charme littéraire ! Quant à la parole même de ce Les Derniers, il est permis de croire qu’elle exagère. Ce Bourg, auquel succéda René Leblanc, devait lui aussi savoir lire et écrire. D’ailleurs, les requêtes présentées personnellement par les Acadiens, aux assemblées des diverses provinces où ils furent déportés, montrent bien qu’il y en avait un assez bon nombre parmi eux à posséder une certaine instruction. Traiter les Acadiens de peuple grossièrement ignorant n’est pas plus vraisemblable que de les donner comme livrés corps et âme à leurs prêtres. Mais Parkman et consorts ne pouvaient manquer d’exploiter contre eux ce préjugé. Le dernier en date des Historiens anglais qui se sont occupés de la question {Tracy, Tercentenary Hist. of Can. vol. III.) ne donne-t-il pas l’ignorance comme cause première des malheurs que les Acadiens se sont attirés ? Voilà une belle thèse, n’est-ce pas ? et dont la profondeur philosophique doit sauter aux yeux.

    Nous avons dit plus haut que René Leblanc se montra plutôt favorable aux Anglais, ce qui ne le sauva pourtant pas de la proscription. Dans la requête présentée au Roi d’Angleterre par les Acadiens déportés à Philadelphie, nous lisons à son propos : « And even those amongst us who had suffered deeply from jour Majesty’s enemies, on account of their attachment to your Majesty’s Government, were equally involved in the common calamity, of which René Leblanc, the notary public before mentioned, is a remarkable instance. He was seized, confined, and brought away among the rest of the people, and his family, consisting of twenty children, and about one hundred and fifty grand children, were scattered in différent colonies, so that he was put on shore in New-York, with only his wife and two youngest children, in an infirm State of health, from whence he joined three more of his children at Philadelphia, where he died without any more notice taken of him than any of us, notwithstanding his many years of labour and deep sufferings for your Majesty’s service. » (Haliburton. I, ch. IV, p. 194.) — Longfellow, dans son Évangéline, donne un rôle sympathique au même notaire René Leblanc. — Dans un post-scriptum d’une lettre de Murray à Winslow, en date du 5 septembre 1755, et adressée de Fort Édouard, il est aussi question de ce René Leblanc : « Je vous ai envoyé le fils de Père (dans le texte il y a Pierre, ce qui est une faute évidente) Leblanc, afin qu’il soit déporté avec son père que vous avez pris sous votre protection. » (Journal de Winslow. N. S. H. S. vol. III, p. 97.) Cf. ibid., p. 108, une autre lettre du même au même, où Murray demande à Winslow d’envoyer le fils de René Leblanc ou quelque autre français s’emparer d’un cheval noir appartenant à un nommé Amand Gros, de Grand-Pré, et qu’il s’agit d’offrir à Lawrence. Enfin, sous la date du 10 septembre, il y a une longue entrée dans le Journal (Ibid, 108-9-10), de laquelle je détache ceci qui concerne ce Père Landry dont il est question dans notre texte : « after which I sent for father Landrey (sic) their principal speaker who talks english and told him the time was come for part of the Inhabitants to embark and that the number concluded for this day was 250… he was greatly surprised. » Dans les Archives Canadiennes (1905, vol. II, app. B., p. 78-9,) cette entrée du Journal est donnée à la suite d’une lettre de Murray à Winslow, datée de Fort Édouard, 8 sept. 1755, en sorte que l’on croie que tout ce long passage est de Murray même ; en consultant le texte du Journal, il n’y a pas moyen de s’y tromper : c’est bien Winslow qui parle. L’éditeur de ces archives, à ce nom de Père Landry, renvoie au bas de la page (79) où il a inséré la note suivante : « François Landry, né en 1692, fils d’Antoine Landry et de Marie Thibodeau, épousa à la Grand-Prée, le 27 mai 1711, Marie-Joseph Doucet, et eut une famille nombreuse. Ils furent déportés à la baie du Massachusetts en 1755, et revinrent à St-Jacques l’Achigan, à l’automne de 1766, où le père mourût et fut enterré à l’Assomption le 21 avril 1767. » — Le nom de François Landry apparaît dans une requête présentée le 1er décembre 1764 par des Acadiens de Boston, au « gouverneur en chef commandant de Massachusetts Bay », pour le supplier de « leur accorder un passe port en général pour tous ceux qui veulent passer en Isle St-Dominique ». — (Cf. French Neutrals, aux Archives de l’État du Massachusetts, et Arch. Can. (1905) app. E. P. 148.)

  5. « Att three in the afternoon the french inhabitants appeard agreable to their citation at the church in Grand-Pré… upon which I ordered a table to be sett in the centre of the church… » (Journal N. S. H. S., vol. III. P. 94. Casgrain dit Pèlerinage. P. 119) : « … le commandant, accompagné de quelques officiers, vint se placer debout dans le chœur, devant une table sur laquelle il posa ses instructions et l’adresse qu’il avait à lire. » Or, le texte de Winslow porte simplement que cette table fut placée dans le centre de l’église ; quant à l’adresse, il dit : « delivered them by Interpretors the King’s orders in the following words. »
  6. La proclamation ordonnant aux habitants de se rassembler dans l’église portait en effet : « I… order and strictly injoyne… both old men and young men as well as the lads of ten years of age to attend…  » Journal. P. 90. — Mais, dans l’entrée où il est rendu compte de la réunion même, Winslow dit : the french inhabitants appeard… at the Church… amounting to 418 of their best men… » (P. 94) Ce nombre renfermait-il aussi les enfants de dix ans et au dessus ? Il est difficile de le supposer, si l’on s’en tient aux termes mêmes employés par Winslow. « 418 de leurs meilleurs hommes » semble exclure les enfants, et peut-être même les vieillards.

  7. « … and then declared them the King’s prisoners, and gave out the following déclaration :

    Grand Pré, Sept. 5, 1755,

    All officers and soldiers and sea men employed in his Majesty’s service as well as all his subjects of what dénomination soever, are hereby notifyed that all cattle, vizt : Horses, home cattle, Sheep, goats, hoggs and poultry of every kind, that was this day soposed to be vested in the French inhabitants of this province are become forfitted to His Majesty whose property they now are and every person of what dénomination soever is to take care not to hurt kill or distroy anything of any kinde nor to rob orchards or gardens or to make waste of anything dead or alive in these districts without spécial order. Given at my camp the day and place above’ed. »

    John Winslow.

    Journal. N. S. H. S. vol III, p. 95.

  8. « They were greatly struck at this détermination, thoh I believe they did not then nor to this day do imagine that they are actually to be removed. »

    Journal. N. S. H. S. vol. III, p. 126.

    Il nous semble bien que Winslow a pris les Acadiens pour plus naïfs qu’ils n’étaient. Cette affirmation est une sottise. Ces habitants étaient des gens simples, qui trop longtemps s’étaient laissés berner par les Anglais, mais c’étaient des gens intelligents, et qui, maintenant qu’ils étaient prisonniers manu militari, et qu’ils voyaient de leurs yeux tous les préparatifs faits en vue de leur proscription, eussent été inexcusables de ne pas croire à son exécution immédiate.

  9. « Sept 5th. The French people not having any provissions with them and pleading hunger begd for bread on which I add them and ordered that for the future they be supplyd from their respective familys. Thus ended the memerable fifth of september, a day of great fatigue & troble. » Journal. N. S. H. S. P. 98.
  10. « … when the Port surrendered, there remained 150 regulars, and about 300 inhabitants, several of which, with their oflficers, weve wounded… The deserted French inhabitants are delivering up their arms, I have given him orders to drive them out of the country at all events, tho’if he wants their assistance, in putting the troops under cover, (as the Barracks in the French Fort were demolished,) he may first make them do all the service in their power.N. S. D. (Akins.) P. 243 & P. 408-9. Can. Arch. (1894) H. 300 B. T. N. S. vol. 15.
  11. Dans le MS. original — fol. 600 — un léger trait au crayon a été passé sur les mots : et expédiée, et en marge le traducteur a écrit : « rien ne prouve qu’elle fut expédiée sans retard. »
  12. D’après Akins, N. S. D. Acadian French. P. 278-9-80. Le passage entre crochets, le plus important de tous, a été omis par Richard. Cf. note 15.
  13. Le document original porte 8000 familles. Akins met justement en note la rectification de 890.
  14. Cf. Nova Scotia Doc. (Akins.) P. 384 et seq. Shirley to sir Thomas Robinson, etc. — À la page 402 et seq. de la même compilation, il y a une pièce intitulée : Remarks relative to the return of the Forces in Nova Scotia, 30th March 1755, qui semble bien être cet état des forts français et anglais dont il est parlé ici. La pièce couvre 5 pages.
  15. Voici donc le fameux document qui a servi de prétexte à nos historiens pour dégager la responsabilité de la métropole dans l’affaire inique de la Déportation des Acadiens, et pour mettre Lawrence et les autorités coloniales en opposition directe avec les intentions du Foreign office. Déjà Rameau (Une colonie féodale… II, XIV. P. 155-6) avait, assez discrètement d’ailleurs, lancé cette idée. Puis Casgrain, dans son Pèlerinage, ch. IV. P. 121 et seq., traduisant et analysant cette lettre à sa façon, l’accompagne de commentaires dont la bienveillance à l’égard de l’Angleterre et de sa politique coloniale en Acadie tourne à l’apologie. Enfin Richard vint qui a basé là-dessus toute sa, thèse, tout le système qui fait la grande faiblesse de son œuvre, à savoir : que la Déportation est l’œuvre de Lawrence et de ses satellites, et qu’elle a été accomplie à l’insu et contre le gré des autorités britanniques. Nous disons que ce système fait la faiblesse de son œuvre : et en effet, outre qu’à-priori une pareille idée semble bien extravagante, pour peu instruit que l’on soit de la manière dont fonctionnait le régime colonial, de la précision, de la minutie et même de la rapidité relative des rapports entre la Métropole et l’Amérique, elle ne résiste pas à l’examen des pièces officielles versées aux archiver, et dont on a pu voir de copieux extraits dans notre tome deuxième. Et, qui plus est, non seulement la présente lettre de Thomas Robinson n’infirme pas les preuves déjà apportées à l’effet que la Grande Bretagne a connu à l’avance le plan de la déportation, et qu’elle en a pleinement approuvé l’exécution, mais nous n’y voyons rien qui fût de nature à détourner Lawrence de son infâme projet, à supposer même que cette dépêche lui fût arrivée à temps. L’on peut d’abord s’étonner, même en prenant cette lettre pour ce qu’elle n’est pas, à savoir une protestation contre la déportation, que le secrétaire d’État l’ait fait entendre si tard et ne soit intervenu qu’à la onzième heure, alors que dès l’année précédente Lawrence s’était pourtant ouvert de son projet dans des dépêches dont le sens était très clair. Aussi bien, de protestation et d’ordre contraire, la lettre de Robinson n’en contient pas l’ombre. Nous l’avons traduite intégralement : la traduction de Casgrain, que Richard a adoptée, omet un membre de phrase, qui a, dans l’espèce, une importance considérable. C’est celui-ci : après avoir, dans la première partie de sa dépêche, dit à Lawrence que le sens de sa lettre n’est pas clair, et s’être demandé ce qu’il signifiait exactement par les mots : to drive the deserted French inhabitants at all events out of the country, Robinson en arrive à sa seconde partie qu’il commence ainsi : Let your intention have been what it will, it is not doubted what you will have acted upon a strict principle of immédiate and indispensible security to your Government… Qu’est-ce à dire ? Sinon ceci : quoique ce soit que vous ayez voulu dire, et que vous ayez voulu parler d’une déportation partielle ou d’une déportation en masse, vous n’aurez sûrement agi — it is not doubted that you will have acted — que d’après le strict principe de procurer à votre gouvernement sécurité immédiate et indispensable. La phrase est au passé, ce qui indique que Robinson suppose que le projet, si peu clair ? de Lawrence est déjà en voie d’exécution et peut-être complètement réalisé à l’heure où il écrit. Comme il faut tout prévoir cependant, il ajoute une foule de recommandations d’agir avec précaution et prudence à l’égard de ces neutres, afin de les empêcher surtout de passer sur les terres du roi de France, etc. — Nous nous demandons pour quelle raison et Casgrain et Richard ont sauté par-dessus ce membre de phrase, et nous ne voyons qu’une réponse possible, c’est qu’avec cela leurs dithyrambes à l’adresse de la Métropole tombaient à plat, et que leur thèse à-priori de sa non-participation à une chose abominable s’écroulait du coup. — You will have acted upon a strict principle of immédiate and indispensible security to your government, dit Robinson. Ce membre de phrase, le plus essentiel de toute cette fameuse dépêche, a son écho direct dans cet extrait d’une lettre des Lords du commerce à Lawrence, datée de Whitehall, 25 mars 1756 : «  We have laid that part of your letter which relates to the removal of the french inhabitants, and the steps you took in the execution of this measure, before his Majesty’s Secretary of State ; and as you represent it to have been indispensably necessary for the security and protection of the Province in the present critical situation of our affairs, we doubt not but that your conduct herein will meet with His Majesty’s approbation. (Akins. P. 288. — Canadian Archives (1894) P. 208-9. B. T. N. S. vol. 36. P. 273.) — En d’autres termes : « ce que nous voulions, c’était que vous vous inspiriez du principe nécessaire d’assurer à la Province sécurité et protection, dussiez-vous pour cela en chasser ignominieusement tous les Français neutres. Or, c’est bien ce que vous avez fait. Vous avez donc agi conformément à nos intentions. Vous avez déployé une grande prudence en prenant des mesures radicales pour que ces bannis n’aillent pas renforcer les sujets du Roi de France. C’est pourquoi nous vous en remercions et vous donnons, au nom du Roi notre auguste maître, la plus entière approbation. » — Et voilà !

    Nous demandons pardon à nos lecteurs de cette longue note. Mais la justice et la vérité la demandaient. Inutile maintenant de faire remarquer tout ce qu’ont d’étrange les commentaires laudatifs dont Richard fait suivre dans le texte sa reproduction tronquée de la dépêche de Robinson, Nous savons à quoi nous en tenir là-dessus.

  16. Ces deux qualificatifs sont de Richard.
  17. Le texte de Casgrain porte simplement : « comme écrivait le même Lawrence dans la dépêche où il annonçait leur déportation ? » — Cette première partie de la citation est tirée de la fin du ch. IV d’un Pèlerinage, p. 124-5. Le reste est ce qui précède immédiatement dans le même chapitre. Richard a interverti l’ordre des paragraphes, et, comme presque toujours, arrangé à sa façon cet extrait. Nous rappelons d’ailleurs que, pour tout ce qui regarde cette dépêche de Robinson, l’auteur d’Acadie a suivi de très près, de trop près, l’auteur d’Un Pèlerinage.
  18. Cette incidente est de Richard. — La lettre de Robinson étant du 13 août, et les chinoiseries de Lawrence touchant l’affaire du serment étant de juillet précédent, il est bien évident que ce pauvre gouverneur n’est pas blâmable du tout de n’avoir pas appliqué aux Acadiens des instructions qu’il n’avait pas encore reçues, et que même il n’avait pu prévoir. — La phrase par laquelle la citation de Casgrain se termine est d’un document du 4 juillet 1755, plus d’un mois avant la dépêche de Robinson !  ! Et voilà à quel piteux raisonnement en viennent ceux qui, comme Casgrain et Richard, veulent à tout prix mettre Lawrence eu opposition avec son gouvernement : ils lui reprochent de n’avoir pas tenu compte, en juillet 1755, d’une dépêche datée de Whitehall 13 août 1755, et qui ne dût lui parvenir à Halifax qu’en septembre ou octobre. Cela est puéril et ferait sourire, si la question n’était si grave.
  19. Et alors, ils sont d’autant plus coupables de ne s’être pas opposés à la déportation. Les modernes historiens anglais, afin de pallier leur complicité, affirment au contraire que les Lords s’en sont rapportés aux autorités coloniales pour les renseigner exactement, et ont jugé d’après elles de la situation. Cf. dans notre tome deuxième, ch. XXVII, note 1, p. 332 : «  it is of unnatural that the British authorities at home should have trusted the judgment of those most familiar with the facts… » Munro, dans Hist. of No. America, vol. XI ch. XII. P. 188. (George Barrie & Sons. Philadelphia.)
  20. Acadia, A lost chapter in American History. Sous la rubrique Expulsion of the French Neutrals , p. 216, — car dans Smith les chapitres ne sont pas chiffrés.
  21. Comme presque toujours, Richard cite à peu près. La première phrase de ce passage n’est pas de Bancroft, si ce n’est quant au sens. Et la deuxième se lit comme suit : «  I know not if the annals of the human race keep the record of sorrows so wantonly inflicted, so bitter and so perennial, as fell upon the French Inhabitants of Acadia. » — (History of the U. S., vol. IV, ch. VII. P. 206.) (Boston, Little, Brown and Co., 1856.)
  22. Dans History of the United States, ch. III. Ruins of Acadia. P. 228-9. (Académic Edition. One volume). New-York, Cincinnati and Chicago, American Book Co. — Cet extrait de Ridpath ne se trouve pas dans le MS. original, — fol. 607 — ; nous le reproduisons, parce qu’il figure dans la version anglaise (II, p. 96.)
  23. Cf. la longue note de Casgrain (Pèlerinage, fin du ch. IV, p. 125-6) sur ce point.
  24. Ce « peu de temps » n’est guère juste, étant donné que c’est en 1787 seulement que Brown vint d’Écosse à Halifax, soit trente-deux ans après l’époque fatale. (Cf. Canada-Français. Doc. in, I, 130, note.) — Le reste de la phrase est emprunté littéralement à Casgrain (loc, cit.)
  25. British Museum. Brown MSS. Add. 19073. Fol. 112. — Can-Fr. Doc. In. II, 141-2. — Pour comprendre cette citation et l’allusion qu’elle fait à Raynal, il est nécessaire de reproduire tout le morceau d’où elle est tirée, et que Brown a intitulé : A private anecdote : ce que nous ferions ici même si cette anecdote n’était donnée plus loin, au chapitre XXXII.
  26. Nous avons dit plus haut, note 8, ce qu’il fallait penser de cette affirmation de Winslow. Voici d’ailleurs ce que ce dernier dit dans son Journal, pour rendre compte de l’impression produite par sa Proclamation du 5 septembre :

    Je me rendis ensuite à mes quartiers. Les habitants français, par intermédiaire des plus anciens, exprimèrent leurs regrets d’avoir encouru le mécontentement de Sa Majesté et leurs craintes que la nouvelle de leur emprisonnement allait porter un coup terrible à leurs familles. De plus, se trouvant dans l’impossibilité d’apprendre à leurs parents la triste situation dans laquelle ils se trouvaient, ils me demandèrent de garder un certain nombre d’entre eux comme otages et de permettre au plus grand nombre de retourner dans leurs familles. Ces derniers s’engageaient à ramener avec eux ceux dès habitants qui étaient absents lorsque furent lancés les ordres de rassemblement. Je leur répondis que je considérerais leur demande et leur communiquerais ma décision.

    J’ai réuni immédiatement mes officiers afin de leur soumettre la demande des prisonniers et nous décidâmes de leur faire choisir vingt d’entre eux, dont ils seraient responsables. Pour former ce nombre, ils devaient en nommer dix de la Grand-Prée et dix autres de la rivière aux Canards et de la rivière aux Habitants, qu’ils devaient charger d’aller annoncer aux familles ce qui s’était passé et apprendre aux femmes et aux enfants qu’ils étaient en sûreté dans leurs demeures, pendant l’absence des chefs de famille. Ces délégués devaient en outre s’assurer du nombre des habitants absents et faire leur rapport le lendemain.

    Winslow’Journal Coll. of N. S. H. S., vol. III. P. 95-6. Arch. Can. 1905. P. 77.

  27. Cette lettre de Lawrence aux Lords of Trade, en date du 18 octobre, est dans Akins, p. 281-2. Cf. aussi Can. Archives (1894.) P. 207. H. 311. B. T. N. S., vol. 15. — Lawrence y dit en effet : « the embarcation is now in great forwardness, and I am in hopes some of them are already sailed, and that there will not he one (Acadian) remaining by the end of next month. »

    Or, ceci ne correspondait pas à l’état réel des choses ; la déportation était beaucoup moins avancée qu’il ne disait, et elle allait prendre beaucoup plus de temps qu’il ne croyait, pour diverses raisons, retard des vaisseaux nolisés à cet effet, mauvaise saison, etc, etc. ; elle allait aussi lui coûter beaucoup plus cher qu’il n’avait estimé, et cela, les fortes dépenses encourues pour l’exécution de cette œuvre pourtant si nécessaire à la sécurité des colonies britanniques, voilà ce qui provoquera des reproches amers de la part des Lords of Trade, gens avisés, pratiques, qui ne demandaient pas mieux que de voir la Nouvelle-Écosse débarrassée des Acadiens, à la condition que cela n’eût rien coûté, ou presque ! Oui, cette grosse question de dépenses, sera, pour Lawrence, dans les années qui lui restent à vivre, une source féconde d’ennuis : cela empoisonnera sa carrière. Le Home Government lui en voudra de n’avoir pas su accomplir, sans frais, la déportation, si fructueuse par ailleurs. Et les provinces où les Acadiens auront été déportés ne cesseront de réclamer au gouverneur de la Nouvelle-Écosse le remboursement des frais occasionnés par leur entretien. En sorte que la money question, sous toutes ses formes, sera l’épine qui torturera Lawrence jusqu’à sa fin. Pour revenir à ce passage de sa lettre du 18 octobre où il annonce que la déportation marche bien et sera bientôt achevée, nous avons un document qui prouve qu’en parlant ainsi, Lawrence était de bonne foi : (ces mots vont sonner étrangement à nos lecteurs, à propos d’un tel personnage !) En effet, le gouverneur avait été mis sous l’impression que les choses marchaient rondement, par une lettre de Winslow, en date de Grand-Pré, 11 octobre 1755 et dans laquelle le colonel lui disait : « Hope the coming week will put an end to our duty here of removing the inhabitants…  » Cf. Journal. Coll. of N. S. H. S. vol. III. P. 169. Se basant là-dessus, Lawrence pouvait donc écrire dans le sens que nous avons vu. La nouvelle qu’il donnait s’est trouvée être fausse, mais il avait des motifs suffisants de la tenir pour exacte. Dans une lettre du 27 octobre 1755, et datée de Fort Édward, Winslow explique longuement à son chef pourquoi ses opérations n’ont pas été aussi rapides qu’il l’avait espéré, à cause du « manque de transports, etc, etc. ; » Cf. Journal, loc. cit. P. 179-80, et Arch. Can. (1905.) Appendices. P. 91-2.

  28. Comment le pauvre Lawrence peut-il lancer une telle affirmation, quand il savait bien pourtant qu’il n’eût pas été besoin d’employer la force pour jeter les Acadiens vers le Canada ou vers Louisbourg ? N’a-t-il pas été surabondamment prouvé que c’était là tout ce que ceux-ci réclamaient, s’en aller librement en terre française ? Loin qu’une intervention armée de la part du gouvernement eût été nécessaire pour amener cette émigration, les habitants français ne demandaient pas autre chose depuis quarante ans qu’on opposait à leur droit de s’en aller où ils voudraient les empêchements les plus iniques. Cette phrase du gouverneur est donc un mensonge de plus ajouté à tous les autres ; mais il se reprend dans le second membre où il avoue la vérité quand il dit que l’émigration des Acadiens en terre française devant renforcer les colonies ennemies, il était nécessaire d’y mettre obstacle et de trouver un autre moyen radical de se débarrasser de ces gens sans craindre un retour offensif de leur part.
  29. Lawrence veut parler ici des Minutes of Executive Council of the 3rd, 4th, 14th, 15th, 25th and 28th July, containing the conferences with the deputies of the French Inhabitants ; the representations of the French Inhabitants (in French) ; the remarks of the Council and their résolution respecting the disposal of the French Inhabitants. Cf. C. A. Am. and W. I., vol. 597. P. 66. (A copy of these was sent to Secretary of State November 26th.
  30. Dans le MS. original — fol. 612 —, la citation s’arrête ici, sauf que l’auteur reproduira encore la phrase concernant les abbés Chauvreulx, Lemaire et Daudin ; tout le reste de la lettre, qui dans Akins tient une page compacte, est analysé en à peine un paragraphe. Vu l’importance de cette pièce, nous avons cru devoir la donner en entier.
  31. Lawrence fait ici allusion aux luttes pour la possession de Beauséjour, et quand il ajoute : and the additional circumstance of the Inhabitants évacuating the country, il joue au diplomate et veut laisser entendre que c’est de leur plein gré que les Acadiens s’en vont, et concourent, par un départ si opportun, à la réalisation de son rêve. Cela serait vraiment très fin si ce diplomate improvisé n’avait annulé à l’avance l’effet de cette phrase en avouant brutalement, un peu plus haut dans la même lettre, qu’il s’agissait d’une déportation violente.
  32. Il y a ici, dans Akins, des astérisques, signe qu’il supprime un passage. D’après l’analyse de ce document dans Can. Arch. (1894) H. 311. B. T. N. S., vol. 15, le passage ici supprimé n’a rien de bien important : il a trait aux duties of surveyor and pay-master of works described. The necessiiy of having a surveyor of woods. Ibid., p. 207, sont mentionnés 2 autres documents du même au même, en date également du 18 octobre. L’un est : Estimates for works, building supplies, etc. for N. S. for 1756. (H. 313. B. T. N. S., vol. 15). Estimates for other expenses. L’autre porte : Had submitted the question of a House of Représentatives to Chief of Justice, who would report direct. (H. 316.)
  33. Cf. notre tome II, ch. XXVII, notes 31 et 44, et dans le texte, la lettre de Daudin. Voici ce que je relève à ce sujet dans Généalogie des familles acadiennes avec documents. (Arch. Can. 1905. App. A. P. VII.) : « Le presbytère de la Grand-Prée était vacant depuis le 4 août, car ce jour-là, le curé de la paroisse, l’abbé Chauvreulx avait été arrêté et envoyé au fort Edouard. Le 6 du même mois, l’abbé Daudin, curé d’Annapolis, fut aussi arrêté au moment où il terminait la messe, et envoyé au même endroit. Quant à l’abbé Lemaire, curé de la paroisse Saint-Joseph de la rivière aux Canards, il se livra lui-même à Murray le 10 août. Ces trois prêtres (il n’y en avait pas à Piziquid depuis le mois de novembre 1754,) furent envoyés à Halifax où ils furent incarcérés. Au mois d’octobre de la même année, ils turent embarqués sur le vaisseau du vice-amiral Boscawen et transportés à Portsmouth, où ils arrivèrent au commencement de décembre. Ils nolisèrent une petite embarcation à cet endroit et partirent pour Saint-Malo où ils arrivèrent le 8 décembre, jour où la flotte d’Annapolis mettait à la voile avec sa cargaison humaine de 1664 Acadiens. »
  34. En vérité, rien n’a manqué de la part de Lawrence, pour que la situation faite aux Acadiens fût abominable. Se préparant à les déporter, il n’a même pas pris la précaution si élémentaire de leur assurer du moins un refuge quelque part, de s’entendre à l’avance avec les gouverneurs des diverses provinces royales pour savoir s’ils recevraient ou non dans leurs domaines ces proscrits. Non. Il fait embarquer les Acadiens sur des bateaux qui ne changeront pas leur course pour si peu : ces bateaux étaient à destination de tel ou tel port ; Ils s’en iront tout droit à leur terme. Peu importe que les villes vers lesquelles ils font voile n’aient pas été prévenues de l’étrange cargaison que l’on va jeter sur leurs rives ! Chaque capitaine de ces vaisseaux est muni d’une belle circulaire de Lawrence qui explique tout. Devant cette lettre, les portes des provinces s’ouvriront aux réfugiés… Or, ce fut tout autre chose qui arriva en la plupart des endroits. Froissées de n’avoir pas été consultées ni pressenties en une affaire aussi grave, ici les autorités laissèrent souffrir du froid, de la pluie, de la faim, à bord des bateaux déjà accostés, ou sur les quais, les pauvres Acadiens, avant de se décider à les secourir enfin ; là les proscrits durent se rembarquer et être dirigés sur l’Angleterre, — ce fut, par exemple, le cas en Virginie où la Législature refusa l’accès du pays à ces malheureux ; et en New-Hampshire, le gouverneur Benning Wentworth, prié par Shirley de recevoir sa part de ces contingents de misérables, lui répondit un non bien sec. Cf dans les Pensylvania Archives, vol. II, p. 581, une lettre du gouverneur Dinwiddie, gouverneur de la Virginie, au gouverneur de la Pennsylvanie, datée de Williamsbourg, le 21 février 1756 : « Il nous a été envoyé de la Nouvelle-Écosse 1140 neutres qui causent beaucoup d’embarras à la population… Il me paraît bien incertain que la Législature prenne des mesures à leur égard. J’ai raison de me plaindre de la conduite du gouverneur Lawrence qui aurait dû nous avertir de l’arrivée de ces gens afin de nous permettre de prendre des dispositions à ce sujet… » — Et les Arch. Can. (1905.) Généalogie etc., p. VI où cette lettre est reproduite, note : « Il paraît que la Législature de la Virginie refusa de prendre des mesures à l’égard des Acadiens déportés dans cette province puisqu’ils furent rembarqués sur des vaisseaux et transportés en Angleterre,… à Liverpool, à Southampton, à Bristol et à Penryn, et traités comme prisonniers jusqu’au printemps de 1763… » — Quant au New-Hampshire, voici, d’après les Archives de l’État, à Concord, la réponse du conseil et de l’assemblée à des lettres de Phips et de Shirley leur demandant de recevoir des déportés : « … as to Lieut-Gov, Phips and Capt Shirlev’s letters relating to receive into this government a number of the neutral French brought up from Mines and Chinecto, as to which we are of opinion that it would not be for His Majesty’s interest to receive any of said French people into this Government, it being a long frontier and but thinly inhabited and so near the French and Indian settlements that it would be of a dangerous conséquence to this His Majesty’s Province. Portsmouth, Dec. 19th 1755 » . — Provincial Papers. Documents and Records relating to the Province of New-Hampshire from 1749 to 1763, vol. VI. P. 451. — Encore dans les Arch. Can. (doc. cit.) il est dit que le Connecticut est le seul endroit connu où des moyens furent pris pour recevoir les Acadiens chassés de la Nouvelle-Écosse. » Et cette considération est basée sur une mesure adoptée en octobre 1755 par la Législature du Connecticut. Cf. Colonial {{{2}}} of Connecticut, vol. 10, p. 245. — Un peu plus loin, au même endroit, nous lisons ceci : « Les gouvernements des autres provinces se sont plaints de n’avoir pas été prévenus du projet de Lawrence de leur expédier des contingents d’Acadiens, Cependant, les gouvernements pouvaient difficilement ne pas connaître le projet d’expulsion des Acadiens, car le fragment suivant d’une lettre, datée d’Halifax, 9 août 1755, publiée dans la New York Gazette, le 25 du même mois, et dans la Pennsylvania Gazette, le 4 septembre 1755, n’a pas dû échapper à leur connaissance.  » Le voici : « Nous formons actuellement le grand et noble projet de chasser de cette province les Français neutres etc, etc. » — (Voir ce fragment de lettre dans notre tome II, ch. XXIX, p. 412, note 27.) — Or, n’en déplaise à l’archiviste, — un Acadien pourtant ! — qui semble vouloir ici excuser Lawrence de n’avoir même pas pris la peine d’avertir les gouverneurs des provinces royales qu’il allait leur envoyer des cargaisons de déportés, nous ferons remarquer ceci : 1°) Où est la preuve que le dit fragment de lettre est tombé sous les yeux des gouverneurs en question. 2°) Et quand même ils en auraient eu connaissance, où est dans ce fragment de lettre l’indication que les Acadiens seront déportés en provinces anglaises et que celles-ci par conséquent peuvent se tenir prêtes à les recevoir. 3°) Ce fragment de lettre est vague : il y est question d’un « grand et noble projet » ; mais aucune précision n’est donnée quant à la date au moins approximative de son exécution ni quant à la destination réservée aux bannis. — Et donc, et c’est une conclusion nécessaire : en négligeant de préparer aux Acadiens un refuge, Lawrence, délibérément, méchamment, a ajouté au supplice de leur déportation celui de les exposer à être reçus comme des chiens sur des rivages inhospitaliers. Pour ces pauvres gens, la déportation ne fut que le premier degré d’un nouveau calvaire qu’ils n’ont cessé de gravir pendant de nombreuses années.
  35. Lawrence se donne ici un démenti qui en vaut la peine, mais qu’il n’a pas paru ou voulu voir. Si les Acadiens, ainsi qu’il s’exprime, may in a short time become useful and bénéficial subjects, dans les provinces anglaises où leur sort sera remis au caprice des gouverneurs, ils n’étaient donc pas les criminels qu’il les avait déjà accusés d’être. Car un criminel ne devient pas « en un temps si court » sujet utile et productif. Et alors, s’il n’étaient pas des criminels, pourquoi leur a-t-il infligé un châtiment réservé aux criminels, la déportation, — la peine la plus grave du code pénal après la peine de mort ? Il y a ici une contradiction dans les termes qui saute aux yeux. Si les Acadiens, déracinés, proscrits, démembrés, jetés ça et là au petit bonheur, parmi des races étrangères et hostiles à leur sang, à leur langue, à leur religion, placés dans les circonstances les plus défavorables possibles à tout progrès, sont cependant aptes à devenir dans un bref laps de temps, et en dépit de conditions propres à étouffer tout bon sentiment dans un cœur d’homme, sujets utiles et fructueux, — en vérité, c’est qu’ils l’étaient déjà, chez eux, foncièrement, profondément, c’est qu’ils avaient des vertus un peu rares, que la persécution et l’exil seraient incapables d’arracher de leur âme. Et alors revient la même question : Pourquoi les avoir déportés ? — Le gouverneur Lawrence rend ici à nos pères un hommage qui est sa propre condamnation.
  36. Mon Dieu ! comme ceci est faible ! Et comme l’auteur se donne de mal pour expliquer des choses si simples dans leur cruauté ! L’âme de Lawrence n’était pas si compliquée que cela, l’on peut le croire, elle n’a montré aucun raffinement dans la barbarie. D’ailleurs, le raisonnement de Richard (si raisonnement il y a !) suppose que Lawrence avait, antérieurement au 18 octobre, reçu la dépêche de Robinson en date du 13 août. Or, bâtir sur une supposition, c’est bâtir en l’air. Comme on l’a vu plus haut dans ce chapitre, il suppose que la lettre de Robinson, ayant été écrite le 13 août, a dû parvenir à Halifax à telle date. Oui, mais où est la preuve ? Cette lettre est datée du 13 août. Mais a-t-elle été expédiée ce jour-là même ? L’eût-elle été, qu’elle aurait pu être retardée en cours de route. Au reste, à lire la lettre de Lawrence, en date du 18 octobre, l’on n’y voit aucune trace de préoccupation, ni aucun effort pour dissimuler, ni aucune circonlocution plus ou moins habile. Un sceptique a défini l’histoire : « une science éminemment conjecturale. » Et cette définition est beaucoup plus spécieuse que juste. Mais, à voir comment l’auteur d’Acadie procède, on serait tenté de croire qu’elle est vraie. Il est difficile de pousser plus loin qu’il n’a fait l’abus de la conjecture et de la supposition.
  37. Ce document est dans Akins, N. S. D. P. 283-4-5, et remplit un peu plus de deux pages, texte serré. Et en effet, il y a 3 astérisques qui précèdent les premiers mots, ce qui indique une suppression. Cette suppression avait-elle un caractère important et compromettant ? Il nous est difficile de le dire au juste, étant donné que nous ne pouvons contrôler ce document par les Can. Arch., où il ne figure pas. Nous le reproduisons du moins tel qu’Akins nous l’a donné, et il y en a long. L’auteur d’Acadiefol. du MS. orig. 614-5 — en cite seulement quelque chose comme 18 lignes.
  38. Cette lettre n’est pas dans Akins et n’est pas mentionnée non plus dans les Arch. Canad. — Il se trouve du moins qu’entre le 18 octobre et le 30 novembre Lawrence avait écrit une lettre au Secrétaire d’État.
  39. Dans le texte de la lettre de Robinson, tel que reproduit dans Akins et traduit plus haut, il n’est pas question de ceci, — ce qui prouve que le compilateur ne l’a pas donnée entièrement.
  40. Nous avons dit que le MS. original n’avait reproduit que 18 lignes de cette lettre, qui, toute tronquée qu’elle est dans Akins, se trouve encore être d’une bonne longueur, deux pages compactes. Ainsi qu’on a pu s’en rendre compte dans notre texte, les détails n’y sont pas si maigres que cela. D’ailleurs, Lawrence réfère à sa lettre du 18 octobre, et aux minutes du conseil y incluses, exposant par le menu les délibérations et les considérants d’où l’on avait conclu à la déportation. Il nous semble donc plutôt que Lawrence a beaucoup écrit et s’est beaucoup appesanti sur les faits, mais en les expliquant à sa façon, en les dénaturant et en les corrompant, et en accumulant contre les Acadiens des charges qui étaient pures calomnies.
  41. Ce n’est qu’un extrait, tel qu’il se trouve dans Akins, p. 298, sous la rubrique : Extract from Letter Lords of Trade to Governor Lawrence, dated Whitehall, March 25th, 1756. — La dite dépêche est analysée assez au long dans Can, Arch. (1894) P. 208-9. B. T. N. S. vol. 36. P. 273. Elle commence par informer Lawrence d’une nouvelle qui n’a pas dû lui être désagréable : «  He has been appointed captain General of Nova Scotia ; commission and instructions are sent. » Ceci n’indique pas non plus que le gouvernement de la Métropole, Roi et ministres, étaient trop mécontents de son administration, puisqu’on le portait au pinacle ! C’était dès le 18 décembre précédent qu’un ordre en conseil portant le sceau de St-James (Id. Ibid. I. 1 B. T. N. S., vol. 16), avait nommé Lawrence gouverneur-en-chef de la Nouvelle-Écosse, et le même jour cet ordre avait été transmis au Roi ; et le 22 suivant, il y a l’entrée ci-dessous : December 22. St. James’s, Commission ta Lawrence approved of. ( Id. Ibid.) Ainsi, l’autorité suprême concourt dans l’expression de sa satisfaction de la belle œuvre accomplie en Nouvelle-Écosse par son mandataire : comme récompense, elle établit celui-ci Gouverneur Général de la Province. — Et donc, dans l’analyse de la lettre en question, après les mots cités plus haut, il y a accusé de réception de dispatches with enclosures, les diverses dépêches de l’automne précédent, avec leurs pièces y-jointes ; puis le passage que nous donnons dans notre texte ; et tout le reste de cette missive tout à fait typique concerne la création d’une Chambre d’Assemblée.
  42. Les propres mots dont se sont servis les Lords s’opposent à cette interprétation. Quand ils assurent Lawrence que la conduite qu’il a tenue dans toute cette affaire recevra indubitablement l’approbation royale, — we doubt not but that your conduct herin will meet with His Majesty’s approbation, — le sens obvie de cette phrase, aux yeux de tout esprit non prévenu, renferme l’expression d’une opinion favorable à Lawrence, basée sur ce que la Déportation qu’il a opérée était nécessairement indispensable à la sécurité et à la protection de la Province. En d’autres termes, les Lords du Commerce prennent à leur compte les considérants par lesquels Lawrence avait voulu justifier son acte, et ils lui garantissent la sanction de Sa Majesté. Leur lettre d’ailleurs équivalait à une sanction royale, en ce sens qu’en Angleterre, où le roi règne mais ne gouverne pas, l’approbation royale donnée à une œuvre du ministère n’est plus qu’une question de forme.
  43. Le MS. original— fol. 617 — portait d’abord : « ces lettres qui établissent si clairement. » — Ces quatre derniers mots ont dû sembler tout de même à l’auteur un peu forts, puisqu’il les a biffés et les a remplacés par une expression son désir de défendre à tout prix la Métropole s’atténue : « ces lettres sauvent l’honneur du gouvernement… »
  44. C’est le lieu de citer le passage célèbre de Haliburton à ce propos (Hist. of N. S. vol. I, ch. IV. P. 196, note. Halifax, 1829.) «  It is very remarkable that there are no traces ot this important event, (la déportation,) to be found among the records in the Secretary’s office at Halifax. I could not discover that the correspondence had been preserved, or that the orders, returns and memorials had been filed there. In the letter-book of Gov. Lawrence, which is still extant, no communication to the Board of Trade is entered, from the 24th December 1754, to the 5th August 1756. if we except a common victualling return. The particulars of this affair seem to have been carefully concealed, although it is not now eaesy to assign the reason, unless the parties were, as in truth they might well be, ashamed of their transaction, I have therefore had much difficulty in compiling this account… » — Cf. Rameau. Une colonieII-IV. 16.3-4, et aussi les pages si intéressantes de Casgrain, Pèlerinage}}…, p. 37 et seq. à ce sujet.)
  45. Voici la phrase exacte du MS. original — fol. 619 — : « Ils pouvaient, en dégageant la responsabilité du cabinet de Londres, sauver sûrement l’honneur de l’Angleterre, en autant qu’elle (sic) pouvait l’être des actes de ses serviteurs subalternes… » — Et voici comment cette phrase est traduite dans l’édit. anglaise (II, p. 10.5.) : « They would be sure to save England’s honor by relieving the British Cabinet of all responsibility, so far as a Govervment can be acquited of complicity with his officers. » Si nous comprenons bien, cela veut dire que ces lettres du Home office ne sauvent l’honneur du gouvernement anglais que dans la mesure (plutôt restreinte) où un gouvernement ne peut être tenu responsable des forfaits commis par ses agents officiels. Cette incidente est importante sous la plume de l’auteur d’Acadie. Nous nous demandons s’il a bien pensé qu’elle compromettait sérieusement son propre point de vue si paradoxal, — à savoir que l’Angleterre a les mains nettes de toute cette sale affaire de la déportation ?
  46. Campbell.
  47. Cf. Casgrin, Pèlerinage… ch. IV. Longue note au bas de pp. 125-6. Nous en donnons le commencement : « Lors de la première édition de ce Pèlerinage, j’ignorais que le Dr Brown, dont je ne connaissais les MS. que par les rares fragments publiés dans les rapports de la N. S. H. S., avait interprété absolument comme je l’ai fait la dépêche de Thomas Robinson, et montré la flagrante contradiction qui existe entre sa teneur et la conduite de Lawrence. Après avoir transcrit cette dépêche, le Dr. Brown ajoute : This important : Government at least innocent. Et un peu plus loin : The Board of Trade extremely guarded — no blame imputable to them on the subject. The Board of Trade and Plantations in their dispatch, in answer to Governor Lawrence, take no rotice of this proposal of removing the French Inhabitants. They industriously avoid it. » : British Museum. Brown’s MSS. Add.19.073, fol. 42 et 43.)
  48. Painful truth ! Y et I prefer her to pleasant error,

    For truth will heal the pain she may oft inflict. — Dans le MS. original — fol. 621 — en marge de ce distique, il y a la note suivante écrite au crayon :
    Est-ce de la poésie ? Que c’en soit ou non, ces deux lignes ne se trouvent pas
    dans l’édition anglaise (Cf. II, 107.)

  49. Que le lecteur veuille bien se reporter à note 47.
  50. L’édition anglaise (II, p. 108) a ici un renvoi auquel rien ne correspond dans le MS. original — fol, 622. Nous traduisons cette note : « Nous savons que la déportation fut accomplie avec l’aide des volontaires de la Nouvelle-Angleterre, qui, sous les ordres de « Winslow, avaient achevé la prise de Beauséjour. La part qu’ils ont prise dans cette triste affaire fut celle de soldats qui exécutent des commandements, et par conséquent ils ne méritent aucun blâme. Parkman a-t-il eu des ancêtres parmi ces volontaires, et cela a-t-il eu quelque influence sur lui ? Avec la plupart des hommes, il ne serait même pas question de mentionner un semblable motif ; avec Parkman cela est permis, en l’absence de tout autre motif connu. »
  51. Ce paragraphe est également tiré de Casgrain {loc. sup. cit.,) où il y a, après les mots : l’usurpation de l’autorité royale, — ceci dont s’était rendu coupable le gouverneur Lawrence à l’insu du cabinet de Londres.
  52. Voici le texte exact de Le Guerne : « … Enfin Mr. Lawrence gouverneur de Chibouctou qui tenait conseil avec l’admirai de la flote anglaise, voyant qu’il ne pouvoit obliger l’acadien à prendre le serment, se détermina vers le commencement août sans consulter la Cour de Londres, à la sollicitation surtout de Mrs. Moneton et Scott à exécuter l’ancien plan des anglois, qui était d’expayser les Acadiens et de les disperser dans les différentes contrées de la nouvelle Angleterre comme il a fait depuis. »

    (Lettre de M, l’abbê Le Guerne, missionnaire de l’Acadie, trouvée récemment dans les Archives de la Cure de N.-D. de Québec et publiée par M. C. O. Gagnon, ptre de l’Arch. de Québec. (Québec. A. Côté. 1889.)

    P. 36. Cf. au sujet de cette Lettre, Acadie, T. II, ch.
    XXVII. P, 349, note 31. — Nous donnons dans nos appendices l’autre Lettre de Le Guerne en date du 30 mars 1756.)

    Richard, qui a emprunté à Casgrain cet extrait de Le Guerne, a mis en un haut relief ces mots qui pourtant ne veulent pas dire grand’chose, après tout ce que nous savons : sans consulter la Cour de Londres, — retranchant d’autre