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Acadie/Tome III/04

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Texte établi par Henri d’Arles, J.-A. K.-Laflamme (Tome 3p. 95-148).

CHAPITRE TRENTE-DEUXIÈME[1]


COUP D’ŒIL RÉTROSPECTIF SUR L’ADMINISTRATION DE LAWRENCE


L’enchaînement des faits nous montre que son dessein tout de suite conçu fût de déporter les Acadiens. — Des motifs intéressés l’inspiraient. — Ses habiles intrigues afin d’arriver à réaliser son plan sans risquer de ruiner ses ambitions. — Comment il a trompé les autorités britanniques. — Accusations répétées portées contre lui par la population d’Halifax. — Le Secrétaire d’État finit par admettre le bien-fondé de ces charges. — La mort sauve opportunément Lawrence de la disgrâce.


Dans les chapitres précédents, nous avons dit que Lawrence, en concevant et en exécutant la déportation des Acadiens, s’était laissé guider par ce motif : la spéculation sur leurs bestiaux. De ceci, le temps est venu de faire la preuve ; et nous espérons que nos allégués satisferont les plus difficiles. Il est aisé de voir qu’il y avait là matière à une jolie opération financière. Mais nous prions le lecteur de ne pas oublier que nous avons à établir notre affirmation contre un homme d’une habileté rare, dont le pouvoir était absolu, et sur qui ne s’exerçait pratiquement aucun contrôle. Lawrence avait été à même de tracer longtemps d’avance son plan de campagne et de voir aux moyens de faire disparaître les traces de son crime. Tous savent combien il est difficile, malgré nos institutions démocratiques, malgré la vigilance d’assemblées représentatives, de la presse, de départements savamment organisés, malgré des responsabilités qui s’enchaînent et se contrôlent mutuellement, de faire la preuve de fraudes de la part des gouvernants ou des administrés. Ici, il ne s’agit pas d’une fraude actuelle, tangible en quelque sorte, au sujet de laquelle l’on peut créer une commission, choisir un tribunal, appeler des témoins, produire des documents publics ou privés. Non ! la fraude a été commise il y a cent trente sept ans[2], et cependant nous croyons que la preuve que nous allons en faire serait suffisante pour amener la condamnation de Lawrence devant nos tribunaux, certainement, en tout cas, devant le tribunal de l’opinion publique. Cette preuve est, en partie, circonstancielle, mais elle n’en est pas moins forte pour cela : plus d’un criminel a eu à expier de sa vie un crime qui n’était établi que par des circonstances.

Tous les actes de Lawrence, depuis le premier jour de son administration jusqu’à sa mort, forment, dans leur ensemble, une chaîne à laquelle il ne manque pas un seul anneau et d’où ressort son évidente culpabilité[3]. Souvent, dans les procès au criminel, après des pièces qui paraissent accablantes pour l’accusé, quelque fait surgit qui déroute la justice et rompt l’harmonie de la preuve. Ici rien de tel : tout porte dans le même sens, tout converge au même but. Résumons les faits. En premier lieu, rappelons ce que le gouverneur Hopson écrivait aux Lords du Commerce sur le compte des Acadiens, peu de temps avant son départ de la province, dans une lettre du 10 décembre 1752 :


« M. Cornwallis pourra vous dire combien ces habitants nous sont utiles et nécessaires, et comme nous ne saurions nous passer d’eux ;’même si d’autres colons leur étaient substitués, ils ne les remplaceraient pas[4] … »


La manière d’agir de Hopson inspire tant de confiance aux Acadiens que, sans être sollicités par qui que ce soif, ceux-ci se réunissent, délibèrent, et vont décider de prêter le serment sans réserve, quand, au dernier moment, une objection, exprimant la crainte d’être molestés par les sauvages, y met obstacle[5]. Ceux qui ont quitté adressent une supplique au gouverneur pour obtenir de rentrer[6]. Pour raison de santé, Hopson demande et obtient un congé d’un an[7]. Il est remplacé temporairement par Lawrence. Tant que ce dernier occupe la position d’administrateur par intérim, comme président du conseil, rien n’est changé en apparence ; lui-même entame des négociations avec les Acadiens réfugiés chez les Français pour les engager à revenir dans la province. Il écrit aux Lords du Commerce, en date du 5 décembre 1753, que « les habitants français sont à peu près tranquilles pour ce qui touche aux choses du gouvernement[8] ». Huit mois plus tard, parlant des Acadiens réfugiés, il se croit certain qu’en cas de guerre, et malgré les efforts que pourraient faire les Français, ils ne consentiraient pas à porter les armes contre les Anglais[9]. Les événements prouvèrent que ces prévisions étaient justes. Mais alors Lawrence n’avait pas encore formé son sinistre projet ; il parlait et agissait avec une certaine candeur, — si une telle qualification peut s’appliquer à un être de son espèce. Hopson ne revenant pas, Lawrence va lui succéder[10]. Tout change ; il conçoit le projet de déporter les Acadiens ; il se trace une manière d’opérer à cette fin, et il la suit résolument. Cette manière consiste d’un côté : à représenter les Acadiens sous un jour de plus en plus défavorable, à les molester et à les persécuter dans le but de les pousser à des actes d’insubordination qui lui fourniraient des prétextes à sévir contre eux ; de l’autre, à préparer graduellement les Lords du Commerce à l’acceptation de son projet, ou plutôt du fait accompli ; car il se rend fort bien compte qu’à moins de circonstances extraordinaires, il n’obtiendra jamais leur acquiescement. Il aborde timidement le sujet : « … Aussi longtemps qu’ils, (les Acadiens en général, et non seulement ceux qui se sont réfugiés à Beauséjour) resteront sans prêter serment à Sa Majesté, — ce qu’ils ne feront jamais à moins d’y être forcés, — et qu’ils auront parmi eux des prêtres français pour semer l’esprit de révolte, incendiary French priests, il n’y a aucun espoir de les voir s’amender. Et comme ces habitants possèdent les meilleures et les plus vastes terres de la province, (leur situation légale) ne peut être réglée tant qu’ils seront dans cet état. Et bien que je sois très éloigné de vouloir prendre une pareille mesure sans l’approbation de vos Excellences, je ne puis cependant m’empêcher d’être d’avis que, s’ils refusent de prêter serment, il serait bien préférable de les congédier. La seule conséquence qui pourrait résulter de leur départ serait qu’ils prissent les armes et qu’ils se joignissent aux Indiens pour ruiner nos établissements ; car ils sont en nombre, et nos troupes sont bien éparpillées… Toutefois, si vos Excellences sont d’opinion que nous ne sommes pas encore assez solidement fixés pour qu’il soit sage d’adopter une pareille mesure (congédier les Acadiens,) nous pourrions parer à bien des inconvénients en érigeant un fort ou quelques blockhaus sur la rivière Chibenacadie[11]… »

N’en doutons point : c’est bien de déportation qu’il s’agit ici. Lawrence n’ignore pas que le libre départ des Acadiens réjouirait la France et serait fort préjudiciable aux intérêts anglais. Néanmoins, comme préparation à des événements plus graves, cette déclaration est utile. Les voies et moyens ne sont peut-être pas encore tous définis, mais le plan lui-même est bien arrêté. La perfide proposition aux Lords du Commerce reste sans écho : il s’y attendait peut-être[12]. L’objet qu’il avait en vue : préparer graduellement les ministres à accepter son idée, était atteint ; c’était une première étape[13].

[Un obstacle de l’espèce la plus considérable résidait dans l’occupation de l’isthme et de la rive nord de la baie de Fundy par les français. Tant que le fort de Beauséjour demeurerait en mains françaises, le projet de déportation n’aurait que peu de chances de succès. Que va faire Lawrence ? Déloger les français, et en temps de paix, n’est pas chose facile. Le traître Pichon transmet au capitaine Hussey, du fort Lawrence, une lettre censée venir du général Duquesne, dans laquelle celui-ci avise le commandant français du fort Beauséjour de chercher un prétexte pour attaquer les Anglais. En faisant parvenir la dite lettre à Lawrence, Hussey lui fait remarquer qu’il a de sérieuses raisons de croire qu’elle est « de la main de Pichon », et il les énumère[14]. C’était là l’occasion que cherchait Lawrence. Il écrit sur le champ au gouverneur Shirley pour lui dire que « d’après des informations sûres, les Français ont l’intention d’empiéter sur les droits de Sa Majesté dans la province », et que, pour les frustrer de leur dessein, il a besoin de bonne heure au printemps, de deux mille soldats du Massachusetts[15]. Tout se passe comme il l’a voulu : les Français sont pris par surprise : Beauséjour capitule ; et toute la rive nord de la baie de Fundy est débarrassée des Français.] Dans le Fort, trois cents Acadiens sont trouvés en armes. Lawrence alors rédige une lettre, dans laquelle, sous des termes dont l’ambiguïté est affaire de calcul, il montre et cache en même temps une partie de son dessein, déjà réglé dans tous ses détails avec l’aide de Morris[16]. Puis il en hâte l’exécution : le temps presse ; il faut que tout soit terminé avant la réponse des Lords du Commerce. Les actes de persécutions se succèdent avec une rapidité fiévreuse. Comme il ne parvient pas à provoquer l’insoumission chez les Acadiens, il exige de leurs députés le serment, sans leur permettre toutefois de se consulter avec leurs commettants. Les députés hésitent d’abord, puis se déclarent prêts à se rendre à son désir, mais Lawrence ne veut plus. Il les emprisonne pour empêcher toute relation avec leurs compatriotes et afin de laisser croire à ceux-ci que les députés se sont obstinés dans leur refus de prêter serment. Il prend toutes les précautions possibles pour que les habitants ne puissent s’enfuir avec le bétail ni ne puissent lui opposer de résistance armée. Il s’empare de leurs archives, de leurs bateaux, de leurs prêtres, de leurs principaux conseillers. Il fait endosser son projet par ses aviseurs, accrus de Boscawen. Pour mieux assurer le succès de sa conspiration, il donne ordre de disperser ses victimes à de longues distances les unes des autres ; il prend toutes les mesures propres à rendre impossible leur évasion ; il fait tout incendier pour enlever aux habitants l’espoir de retour ; il démembre les familles, afin de jeter ces pauvres gens dans une plus grande détresse morale, qui ne leur laisse pas la liberté de songer à autre chose qu’à tâcher de se retrouver et de se réunir. Pour être plus sûr qu’ils ne reviendront pas dans leur ancienne patrie, il demande aux gouverneurs des Provinces où ces malheureux seront dispersés, de les faire garder à vue en quelque sorte. La partie est jouée ; le crime est consommé. Ce projet, infernal dans sa conception, fut exécuté d’une façon infernale : son auteur n’a reculé devant rien pour en assurer le plein succès. Cet homme n’était pas capable d’un sentiment humain.

Ainsi que nous l’avons vu, sa sollicitude ne s’est jamais exercée qu’à l’endroit du bétail, dont la conservation lui importait au plus haut point. L’on se souvient des mesures qu’il avait portées afin de ravager le pays et d’en faire un désert, de semer partout le feu et la ruine : les fuyards, s’il y en avait, y trouveraient bientôt la mort. Et ici se pose une question : qu’a fait Lawrence des 120,000 têtes de bétail qui restaient à sa disposition ! Les aurait-il laissées sans gardiens, sans protection, sans en tirer parti, de façon à permettre aux fuyards de pourvoir ainsi à leur propre subsistance à même ces troupeaux, quand il avait au contraire pris tant de précautions pour rendre la contrée inhabitable ? Avec un homme de la perspicacité et de l’astuce de Lawrence, les conclusions sur ce point se tirent d’elles-mêmes. Mais avant d’en venir aux faits principaux de la preuve, voici un nouvel anneau qu’il faut ajouter à la chaîne dont l’ensemble va constituer l’évidence.

Il y avait, à Halifax, un certain Moïse de Les Derniers qui exerçait le métier de marchand colporteur dans les campagnes acadiennes. Ses connaissances de tout ce qui concernait les Acadiens faisaient de lui un instrument précieux aux mains du gouverneur. Dans les derniers jours qui précédèrent la proscription, Lawrence l’avait chargé d’aller de ferme en ferme choisir les plus beaux chevaux qu’il pourrait trouver et de les lui envoyer, sans les payer à leurs propriétaires, bien entendu, vu que tout le bétail des Acadiens était déjà sous séquestre. Depuis longtemps, il n’était plus permis de circuler d’une paroisse à l’autre sans être muni d’un passe-port : celui qui avait été accordé à Moïse de Les Derniers était formulé comme suit :

« Par Alexandre Murray, Ecr., commandant des troupes de Sa Majesté à Piziquit. Permis au porteur, Moïse de Les Derniers, d’aller à Grand-Pré, à Rivière-aux-Canards et aux Habitants, chercher des chevaux pour l’usage du lt-gouverneur, lesquels chevaux le porteur devra amener à ce Fort.

« Donné au Fort Édouard le 3 septembre 1755.
A. Murray.

« À tous les intéressés. Le nombre des chevaux ci-dessus mentionnés est de six[17]. »

Le second passe-port ayant trait à la même mission est daté du 4 septembre et est signé de Winslow :

« Par John Winslow, Ecr., Lieutenant-Colonel et Commandant des troupes de Sa Majesté à Grand-Pré, Rivière aux Canards, etc.

« Permis au porteur, Moïse de Les Derniers, de traverser vos lignes, à raison de services spéciaux qu’il est chargé de rendre à son Excellence le gouverneur Lawrence ».

« Donné sous mon sceau au camp de Grand-Pré le 4 septembre 1755.

John Winslow. »

« À tous les intéressés[18]. »

« Comme il arrive presque toujours, dit Rameau, les petits tyrans sont d’autant plus serviles avec les grands qu’ils sont plus féroces avec ceux qu’ils persécutent. Murray se mit donc à plat ventre devant Son Excellence d’Halifax et se tint à la disposition de son respectable courtier ; il le suivait dans ses démarches, et comme naturellement Winslow s’intéressait aussi à cette affaire, Murray lui rendait compte des recherches ; de sorte que, dans ce moment critique, où l’existence de tout un peuple était en jeu, les chevaux d’un héros de carrefour devinrent la préoccupation de tout l’état-major. Le 3 septembre, Murray écrivait à Winslow : « je n’avais trouvé jusqu’à présent rien qui à mon estime pût lui plaire, mais je suis informé aujourd’hui qu’il y a un cheval noir, appartenant à un nommé Armand Gros, de la Grand’Prée, qui, me dit-on, sera un cheval de selle qui conviendra à son goût. Je désire donc que vous soyez assez bon que d’ordonner à René Leblanc fils, ou à quelque autre français, de s’en emparer et de me l’amener[19]. »

Depuis longtemps déjà, on le voit par les termes de la lettre, Murray et Winslow avaient reçu des ordres au sujet de ces douze chevaux. Ils attendaient l’arrestation des Acadiens pour les exécuter. Comme les passe-ports et les lettres sont des trois et quatre septembre, et que l’arrestation des habitants eut lieu le cinq, on voit que tout était calculé au jour et à l’heure : en attendant, tout l’état major était sur pieds pour s’assurer où l’on pourrait se procurer ce qui conviendrait à son Excellence.

Cet empressement singulier à s’emparer des plus beaux chevaux et à se monter sans frais une écurie de luxe, est bien de nature à éveiller les soupçons. S’il n’y avait que ce seul indice, l’on n’y prêterait peut-être pas grande attention ; mais, quand on rapproche cette donnée des recommandations faites à Monckton de veiller soigneusement à la conservation du bétail et d’empêcher les Acadiens de s’enfuir avec, recommandations tant de fois répétées qu’elles en deviennent oiseuses et ridicules, l’on ne peut se défendre de concevoir des soupçons qui ne demandent que de nouveaux indices pour se changer en certitude.

Or ces indices existent, si nous pouvons appeler de ce nom l’accusation directe et formelle portée contre Lawrence, trois ans plus tard, par les citoyens d’Halifax, dans une requête adressée à un haut personnage d’Angleterre. Cette requête a été recueillie par le Dr. A. Brown, à qui elle fut confiée par ceux mêmes qui en étaient les signataires[20]. Brown y a mis l’en-tête suivant : Caractère de Lawrence. Et l’acquéreur de ses manuscrits, A. B. Grosart, a fait précéder cette pièce de la note ci-dessous : « Longue lettre (seize pages, texte fin,) adressée à quelqu’un d’Angleterre par les coloniaux, relativement à l’état de la province. C’est une lettre d’une grande vigueur de ton ; elle met à nu sans pitié le caractère de Lawrence… Elle nous rappelle les plaintes formulées par les anciens puritains aux jours du roi Charles[21]… »

Le contenu de cette longue requête, que l’on trouvera en entier dans nos Appendices, nous fait voir que ce n’était pas la première fois que l’on écrivait pour dénoncer Lawrence aux autorités britanniques. Elle accuse Lawrence de faire peser sur la population d’Halifax et de toute la province un despotisme tellement intolérable que nombre de personnes ont quitté la colonie ; elle ajoute que beaucoup d’autres s’en éloigneraient également, n’était qu’elles en sont empêchées par des ordres donnés aux propriétaires de vaisseaux de ne pas les recevoir à leur bord ; que personne ne peut franchir les limites de la ville sans avoir une passe ; qu’Halifax n’est rien moins qu’une prison ; que Lawrence a persuadé Lord Loudun de faire entendre au gouvernement anglais qu’il était nécessaire de mettre la province sous le régime militaire, et de retirer aux autres colonies leurs chartes et leurs privilèges, — la conséquence de cette dernière mesure devait assurer, selon les signataires de cette requête, une lutte pour la liberté au sein de ces colonies, et produire un résultat trop fatal pour être désigné plus clairement :


« Nous n’aurions pas mentionné toutes ces choses, continuent-ils, s’il ne nous avait semblé que la Providence elle-même ait voulu mettre au jour les vilenies commises par les auteurs des calamités dont nous souffrons ; et nous avons l’espoir que cette même Providence fera tomber le châtiment sur l’homme dont le seul but paraît avoir été de réduire à néant les bonnes intentions manifestées par le pays et de rendre misérable le sort de tous ses subordonnés.

« Nous apprenons avec satisfaction qu’une enquête sévère va être faite dans les livres de comptes de la Nouvelle-Écosse, et nous sommes certains que, si l’on prend la peine de les examiner jusqu’au fond, l’on trouvera que pas moins de 10, 000 livres de rum, mêlasse, (il y avait au moins 30, 000 gallons de cette dernière évalués à 3, 000 livres,) de bœuf, de porc, de provisions et de marchandises de toutes sortes, destinées à ravitailler les indiens et les habitants français, ont été prises dans Beauséjour, et n’ont été ni distribuées en récompense à ceux qui ont capturé le fort, ni régulièrement enregistrées dans les livres : nous en exceptons une légère quantité de bœuf et de porc qui a été vendue au commissaire M. Saul… laquelle était en très mauvais état, gâtée ; et le gouverneur a eu l’audace de certifier que ce qu’il avait ainsi vendu venait des provisions envoyées par le gouverneur Shirley.

« … Il est certain que les bestiaux, etc., des habitants français ont servi à des fins personnelles ; nous savons notamment que 3, 600 cochons et près de mille têtes de bestiaux ont été tués et empaquetés à Piziquit[22] seulement et envoyés par eau à d’autres places, ce qui dans d’autres forts est encore un secret tout-à-fait inexplicable par rapport au montant d’une très-large somme ; et Lawrence et son commissaire sont maintenant dans une grande perplexité et cherchent à couvrir cette fraude inique…

« Il est possible que le gouverneur produise des certificats de nature à couvrir toutes ces fraudes ; car si les originaux font défaut, il a sous ses ordres des personnes habituées à fabriquer des doubles et qui suppléeront aux pièces qui manquent ; mais si un gouverneur était envoyé ici avec mission de faire une enquête au sujet de tout cela, ou du moins de recevoir des dépositions, nous avons la certitude que toutes ces malversations seraient découvertes[23].


« Nous espérons que bien des plaintes sont parvenues aux oreilles du ministre avant aujourd’hui ; et que bientôt il apparaîtra, si ce n’est déjà fait, que tant que ce gouverneur exercera la moindre influence sur les affaires d’Amérique, celles-ci seront dans la confusion et la ruine ; et cette vérité, le général Shirley, en Angleterre, et Lord Charles Hay, à son retour là-bas, pourront, comme nous en sommes informés, la démontrer avec évidence ; car l’on croit généralement que quel que soit le crime qui ait pu être invoqué contre Lord Charles Hay, son emprisonnement a été dû seulement aux insinuations faites par le gouverneur à milord L.. d.. n (Loudun,) — le gouverneur ayant trouvé mauvais que Lord Hay eût examiné de trop les dépenses pour les batteries etc., et eût parlé avec un mépris ouvert du peu qui avait été fait en regard des sommes considérables dépensées en Nouvelle-Écosse. »


Les extraits que nous venons de donner ne forment qu’une seule partie de la requête en question : le reste n’est guère moins grave. En la lisant, personne ne pourra échapper à la conviction que l’oppression dont Lawrence accablait le peuple était intolérable[24]. Et, puisqu’il en usait de la sorte avec les colons anglais, l’on comprendra mieux ce que nous avons dit de sa tyrannie à l’égard des Acadiens. Ce document dévoile, avec beaucoup de précision, ses transactions, ses moyens d’opérer, ses complices, et même sa sollicitude à tâcher de couvrir ses fraudes. La déportation lui avait fourni le moyen de donner un champ plus vaste à ses opérations et aussi de les déguiser. Sans cela, il lui eût été difficile de convertir à son profit l’immense butin que la prise de Beauséjour avait offert à sa convoitise. Grâce à cela, il avait pu paraître affecter ce butin au ravitaillement des Acadiens captifs, quand en réalité il avait sustenté ceux-ci à même leurs propres provisions ; dans le tumulte et le désordre qu’avait entraînés la déportation, il avait pu, sans exposer ses transactions aux regards indiscrets de son entourage, utiliser, ainsi que nous le verrons plus loin, les mêmes bateaux destinés à transporter les proscrits, pour écouler dans les autres colonies le riche butin confisqué dans Beauséjour. Nous voyons encore, par ce même document, que Lawrence avait fait emprisonner, sous des prétextes spécieux. Lord Hay, dont le tort véritable avait été de dévoiler les malversations commises à l’occasion de l’érection des batteries, ou du moins de les critiquer trop librement.

En ce qui concerne plus particulièrement les Acadiens, nous avons le fait positif qu’à un seul endroit Lawence a fait expédier 3,600 porcs et près de 1,000 têtes de bestiaux. À deux reprises revient l’assertion formelle qu’il ne fût rendu compte ni du butin pris à Beauséjour, ni du bétail ravi aux Acadiens, si ce n’est, et ceci ajoute un grand poids à l’accusation et lui donne plus forte couleur de vérité, une petite quantité ; et encore Lawrence avait-il certifié que cette dernière provenait des envois du gouverneur Shirley.

Brown avait pu causer, avec les signataires mêmes de la requête, des faits qui y étaient allégués : Lawrence étant mort depuis longtemps, il ne pouvait y avoir aucun intérêt de leur part à tromper celui qu’ils renseignaient. D’ailleurs, celui-ci avait pu, par des voies diverses, vérifier leurs assertions ; et, en mettant en tête de leur requête les mots : Caractère de Lawrence, il signifiait par là qu’il l’acceptait comme fondée en substance. Toujours dans les Documents inédits sur l’Acadie, publiés par le Canada-Français, venant immédiatement après une dépêche des Lords du Commerce à Belclier, en date du 3 mars 1761, et relative aux accusations de mauvaise administration militaire et financière portées contre Lawrence, il y a la pièce suivante intitulée : « Extrait des MS. du Dr. Brown concernant les abus commis par Lawrence. »

« Avec un ton de malice propre aux gens de la Nouvelle Angleterre, cette exclamation s’ensuit :

« Combien méchants étaient ces hommes qui ont ainsi trompé leur pays, et de la sorte exposé la colonie et les sujets de Sa Majesté à être victimes de coups portés de Louisbourg ou du Canada. De pareils personnages se seraient réjouis sans doute de voir cette importante colonie annexée à la couronne de France, de façon à n’avoir jamais à rendre compte des abus de confiance qu’ils avaient commis ou des détournements de fonds publics dont ils s’étaient rendus coupables[25] »

Les habitants d’Halifax étaient tellement exaspérés de l’oppression que Lawrence faisait peser sur eux qu’ils dépêchèrent à Londres un des leurs, Ferdinand John Paris, pour exposer au gouvernement leurs griefs. À part la requête ci-haut, ils en avaient adressé deux autres, l’une en date du 15 mars, et l’autre du 2 avril 1759[26]. Le manuscrit du Dr. Brown contient une lettre de Paris lui-même aux Lords du Commerce, en date du 4 février 1758. Nous en détachons ce qui suit :

« 5o La conduite partiale, arbitraire et illégale du gouverneur actuel, et qui se manifeste à tout instant, constitue un intolérable fardeau ;

« 6o Les milliers de dollars, provenant du gouvernement et du peuple, inutilement prodigués à ses créatures et ses favoris, par le doublement de leur traitement, et autres trucs ingénieux, sont une autre grave injustice faite à la nation aussi bien qu’à la colonie : à la nation, en tant que celle-ci se trouve faire tant de dépenses qui ne sont pas nécessaires ; à la colonie, de ce chef qu’on lui soutire illégalement de l’argent, d’où pas l’ombre d’un bénéfice ne résulte pour elle ;

« Une grande quantité de bestiaux confisqués aux français (french cattle,) a été distribuée à des favoris, et particulièrement à des papistes irlandais (Irish papists,) tandis que les pauvres habitants protestants ne pouvaient pas même avoir une vache pour leur famille.

« Il a été pris aux français pour une somme considérable, 20, 000 livres au moins, de bestiaux, cochons, rhum, mêlasse, etc. Une enquête devrait être faite au sujet de ce que tout cela est devenu, la population n’en ayant pas tiré le moindre bénéfice[27] »

Les archives ne nous montrent qu’un seul exemple d’un emploi légitime de tout ce bétail, lorsque Lawrence permit à certains des habitants de Lunenbourg d’aller en chercher quelques têtes. Le nombre en est évalué de soixante à cent. Dans une de ses lettres aux Lords du Commerce, Lawrence, très probablement pour se ménager une sortie, disait qu’il donnerait ces bestiaux à ceux des colons anglais qui pourraient les hiverner, comme si le reste ne pouvait être autrement sauvé de la destruction[28]. Il en avait donné juste assez pour s’ouvrir une défense de ce côté-là, le cas échéant. C’étaient là, assurément, des paroles prévoyantes.

La première des requêtes que nous venons de citer fait mention des efforts de Lawrence pour persuader Lord Loudun, commandant-en-chef des forces anglaises en Amérique, d’user de son influence en Angleterre afin de faire placer la colonie sous le régime militaire. Impatient du contrôle pourtant faible qu’exerçait sur ses actes un conseil de sa création, et apparemment assez servile, Lawrence voulait s’en débarrasser et régner seul. Ceux qui ont étudié de près l’histoire de la province sont au courant des ruses nombreuses mises en jeu par lui pour éviter l’établissement d’une assemblée représentative. Les colons la demandaient avec instances. Les Lords du commerce l’exigeaient impérieusement. Mais lui, qui avait rêvé de se libérer de la sujétion si peu rigoureuse de son conseil, était loin de goûter l’idée d’une assemblée élective à laquelle il serait responsable, et à laquelle il prendrait peut-être fantaisie de s’enquérir de la nature de ses transactions. Toujours il avait une nouvelle excuse de prête pour ne pas faire ce que les Lords du Commerce lui commandaient de plus en plus impérieusement d’opérer. Les Lords avaient exposé à Lawrence toutes leurs idées sur ce point dans une longue dépêche en date du 25 mars 1756 ; le 8 juillet suivant, ils revenaient à la charge dans les termes que voici : « Dans notre lettre du 25 mars dernier, nous vous avons fait connaître au long et au large nos sentiments au sujet de la nécessité (propriety) de convoquer une assemblée et vous avons dit les moyens à prendre pour y arriver ; et comme nous sommes pleinement convaincus des avantages de cette mesure… nous espérons que vous avez sérieusement considéré la chose et mis nos ordres à exécution[29]… » Il faut voir comment Lawrence cherche constamment à se dérober à ces injonctions et à quelles inventions il a recours pour éluder des ordres si exprès. Finalement arriva d’Angleterre un ultimatum, daté de Whitehall, 7 février 1758. Il commence ainsi : « Nous avons pleinement considéré le passage de votre lettre (du 9 novembre 1757) relatif à la convocation d’une assemblée… et comme nous vous avons si souvent et si ouvertement répété notre sentiment et notre avis concernant la convenance et la nécessité d’une pareille mesure, il ne nous reste plus qu’une chose à faire, c’est d’ordonner que nos ordres sur ce point soient immédiatement mis à exécution[30]… »

La patience des autorités avait atteint ses dernières limites : chercher d’autres faux fuyants, c’était courir après la disgrâce ; Lawrence le comprit et s’exécuta.

Avoir espéré se libérer du contrôle d’un conseil qui était pourtant son œuvre, qu’il avait impunément abreuvé de ses invectives, auquel il avait infligé l’affront, supporté en silence, de l’appeler publiquement « un tas de fripouilles » pour tomber sous la coupe d’une assemblée représentant cette opinion publique qu’il avait foulée aux pieds, sous la tutelle de ces marchands qu’il avait qualifiés de « bande de vilains et de banqueroutiers, » c’était, il faut l’avouer, une grande déception pour cet homme[31]. Il n’avait eu besoin, jusque-là, que des grands, que de ceux qui jouissaient de quelque influence à la cour. Les « procédés serviles et la basse flatterie » dont il s’était servi avec succès auprès de ceux qui pouvaient lui être utiles, n’allaient plus lui suffire. Le peuple, qui n’avait pas compté à ses yeux, entrait tout à coup en scène. Il avait donc raison de craindre de là part de cette assemblée la mise à nu de ses iniquités. Lawrence était roué, habile, plein de ressources, mais la nouvelle tâche qui lui incombait était énorme ; il lui faudrait adoucir, apaiser ceux qu’il avait écrasés de son dédain ; au lieu du pouvoir absolu qu’il avait rêvé d’exercer, il ne lui resterait plus que des bribes d’autorité ; et encore, pour conserver ces fragments, il lui faudrait les disputer un à un, et s’exposer par là à de nouveaux dangers.

Sa lettre aux Lords du Commerce, après l’élection des représentants du peuple, laisse percer ses appréhensions.

« Halifax, 26 septembre 1758.

« Comme le jour fixé pour la réunion de l’Assemblée approche, j’espère pouvoir transiger avec son aide autant d’affaires qu’il est nécessaire pour le présent, sans que soit trop retardé pour moi le moment de rejoindre l’armée, ainsi que j’en ai reçu l’ordre du général… »

« J’espère que je ne rencontrerai chez aucun des membres de disposition à embarrasser ou à entraver le service de Sa Majesté, ou de tendance à mettre en question les prérogatives royales : je remarque cependant qu’un trop grand nombre de ceux qui ont été choisis ne se sont pas distingués par un zèle à promouvoir l’union et l’obéissance au gouvernement de Sa Majesté en cette province[32] … »

Tel est le joint que son esprit, fertile en expédients, avait trouvé pour éloigner le danger : prétexter les circonstances actuelles, la nécessité du service militaire, afin de déterminer l’assemblée à ne siéger que pour la forme, pour voter les subsides et légaliser comme en bloc les actes de son conseil qui requéraient cette procédure. Le deux octobre 1758, dans son discours d’ouverture aux représentants du peuple, Lawrence s’exprima ainsi :


« Messieurs des deux Chambres,

« Comme mon devoir militaire m’oblige à me rendre le plus tôt possible auprès du commandant-en-chef des forces britanniques vers l’ouest, et que le lieutenant-gouverneur est actuellement, et sera pour quelque temps encore, occupé à une tâche urgente et importante dans une région éloignée de la province, nous ne pouvons pour le moment vous soumettre des questions de détails qui, dans des circonstances normales, demanderaient votre attention. C’est pourquoi j’insiste fortement auprès de vous pour que vous vous hâtiez d’examiner ou plutôt pour que vous ratifiiez à l’unanimité et confirmiez sans délai les actes et résolutions de nature législative, que le gouverneur et son conseil, en vertu des instructions royales de Sa Majesté, ont jugé à propos d’adopter avant la formation d’une assemblée[33] … »

L’anxiété se trahit à chaque ligne : ce discours est une ardente supplication aux députés de ne rien faire, d’accepter aveuglément les mesures portées antérieurement à leur convocation, de tout bâcler à la triple course et ensuite de boucler leurs malles. L’assemblée était timide et inexpérimentée : on n’avait pas eu le temps de s’aboucher et de se concerter ; parmi ceux qui la composaient, les plus experts étaient les créatures de Lawrence, les membres de son ancien conseil ; l’on était tout à la joie d’avoir des institutions nouvelles ; et donc l’on vota rapidement, puis l’on se sépara jusqu’à l’an prochain. Le danger était conjuré. Lawrence ne s’en sentait pas d’aise. Aussi, rendant compte aux Lords du Commerce du résultat de la session, il leur disait :


« Halifax, 26 décembre 1758.

« J’ai l’honneur d’informer Vos Excellences que l’assemblée s’est réunie, conformément à la convocation, le deux octobre dernier, et qu’elle a passé nombre de lois, dont vous voudrez bien trouver la liste ci-incluse. D’après sa manière de procéder jusqu’ici, j’ai des raisons d’espérer que nous pourrons transiger toutes les affaires en temps voulu, et avec moins de difficultés que je n’en appréhendais, à cause des dispositions dans lesquelles les députés m’avaient semblé être[34]… »

La guerre entre la France et l’Angleterre en était rendue à un haut degré d’intérêt. Aux revers qu’avait essuyés la Grande Bretagne avaient succédé des succès. Louisbourg, le Cap Breton, l’Île St-Jean avaient été conquis ; Québec venait de capituler. La joie était dans tous les cœurs ; les fêtes publiques avaient lieu partout avec un entrain délirant ; les haines se fondaient dans l’enthousiasme d’un sentiment commun ; les ennemis s’embrassaient. Lawrence se faisait de plus en plus souriant et aimable : le danger qu’il redoutait allait être écarté une seconde fois. Dans ces conjonctures exceptionnellement favorables, il lui devenait facile de conjurer la crise qu’il paraissait tant craindre. La seconde session de l’assemblée se passa comme la première. Dans son discours d’ouverture de cette nouvelle session, le gouverneur s’exprima ainsi : « au cours de la dernière session, vous avez réglé à peu près toutes les questions sur lesquelles il y avait à statuer légalement, par conséquent il reste bien peu à faire ; et c’est tant mieux, car vos occupations personnelles souffriraient s’il vous fallait, en cette saison, consacrer beaucoup de temps au service public.

« Le point sur lequel doit surtout se porter votre attention, dans les circonstances où se trouve la province, est celui-ci : l’érection et l’entretien d’un phare au cap Sambro[35] »…

Lawrence, à force de ruses, resterait-il donc maître du terrain ? Par ses cajoleries et ses artifices, allait-il couvrir du voile de l’oubli les indignités qu’il avait fait subir à toute la population ? Les événements le favoriseraient-ils assez longtemps pour lui permettre d’échapper définitivement à la rétribution de ses crimes ? Nous ne le croyons pas. Cependant, « les basses intrigues et les adroites flatteries » qui l’avaient si bien servi avec les grands, il les employait maintenant, avec autant d’opiniâtreté et avec un succès croissant, auprès des représentants du peuple. Mais il est un autre événement avec lequel les grands criminels ne comptent pas toujours ; sa venue est certaine, si l’heure en est inconnue ; souvent il arrive quand tout est prêt pour la jouissance, et lorsqu’il semble que la justice humaine est en retard. Atteint d’une inflammation de poumon lors d’un bal qu’il donnait, croyons-nous, à l’occasion de la capitulation de Montréal, Lawrence mourût huit jours après, le 19 octobre 1760, à la fleur de l’âge, à l’apogée de sa gloire, quelque temps avant son complice Boscawen[36].

Comme nous allons le voir, Lawrence mourût juste à temps pour mettre son honneur à l’abri des investigations. Il allait gravir la Roche Tarpéienne, quand il mourût au

Capitole. S’il eût vécu davantage, peut-être eut-on étouffé l’affaire, pour éviter un scandale, comme cela se pratique encore de nos jours, en dépit de nos institutions démocratiques, en dépit de la presse et de notre civilisation. De mortuis nil nisi homim. C’est ce que comprit la législature de la Nouvelle Écosse. Pour remercier Lawrence de l’avoir, par sa mort opportune, délivrée d’un grand fardeau, et pour se conformer à l’usage antique et solennel qui veut que l’on érige des monuments et que l’on fasse graver des inscriptions flatteuses à la mémoire de ceux qui meurent au faîte des grandeurs, la législature vota de faire poser dans l’église Saint Paul de Halifax, une tablette de marbre, avec ces mots : « En témoignage de gratitude pour les nombreux et importants services que la Province a reçus de lui, au cours d’une période ininterrompue marquée par des efforts zélés et infatigables pour le bien public, et pour commémorer une administration sage, droite et désintéressée[37]. »

L’on sent la main d’un complice dans la rédaction de cette inscription. La mort de Lawrence para le coup qui pouvait atteindre plus d’un coupable : mais, pour être plus sûr que l’on ne serait pas inquiété, il convenait d’obtenir la sanction de la Législature. Et comme, en de pareilles circonstances, l’indulgence est de mise, la Législature vota dans le sens que l’on voulait.

Il en était temps. Le 3 mars 1761, les Lords du Commerce écrivant au juge Belcher pour l’informer de sa nomination à la présidence du Conseil de la Nouvelle Écosse, ajoutaient :

« Il nous a été représenté que le gouverneur Lawrence avait encouragé et protégé des désordres dans l’armée soumise à son gouvernement, et qu’avec son assentiment les soldats avaient commis des outrages contre les biens, les personnes, et même la vie des habitants ; que tantôt il s’était arrogé illégalement des pouvoirs, et tantôt il avait abusé de ceux dont il avait été revêtu à meilleures fins ; que fréquemment il était intervenu pour empêcher la justice de suivre son cours, en libérant ceux qui étaient régulièrement poursuivis, ou en graciant ceux qui avaient été trouvés coupables : les individus qui ont ainsi bénéficié de ses abus d’autorité étaient des soldats et des officiers coupables d’avoir détruit des clôtures, de s’être livrés à de violents assauts, et d’avoir commis des énormités beaucoup plus graves… »

« Plusieurs accusations très lourdes ont également été portées contre le gouverneur Lawrence, concernant des contrats pour la distribution de secours aux établissements nécessiteux de la colonie, et les vaisseaux qui ont été gardés si longtemps au serdce de la Province. Signé : Dunk. Halifax, W. G. Hamilton, W. Sloper[38]. »

Nous avions raison de dire que seule une mort opportune sauva Lawrence de la Roche Tarpéienne. La signification du document que nous venons de produire ne saurait échapper à personne. La conviction de la culpabilité du gouverneur s’était formée dans l’esprit des Lords du Commerce : il ne leur restait plus qu’à recourir aux procédures d’usage en pareil cas. Ils avaient pesé toutes les informations qu’ils avaient pu recueillir ; et malgré les soucis multiples qu’entraînait la poursuite des opérations militaires, le temps était venu d’agir ; le coup allait atteindre Lawrence et le précipiter dans la disgrâce, sinon lui infliger un châtiment exemplaire. Remarquons que cette dépêche contient des accusations qui ne se trouvent pas dans les requêtes citées plus haut, preuve que les Lords du Commerce avaient reçu des renseignements de bien d’autres sources : « et bien d’autres énormités beaucoup plus considérables, » y est-il dit. La mesure était pleine, elle allait déborder. En outre de ses crimes, Lawrence avait, à lui seul, davantage commis de violation des lois que tous les Acadiens ensemble, pendant les quarante-cinq années de leur séjour en Acadie, sous la domination anglaise.

L’on se rappelle que Lawrence, en informant les Lords du Commerce de la déportation, appuyait tout particulièrement sur le soin qu’il avait eu de l’exécuter à moins de frais possible. Il avait, leur disait-il, nolisé des bateaux qui faisaient voile précisément vers les endroits où l’on destinait les Acadiens[39]. Or, voici le temps chargé au gouvernement par les propriétaires de quinze sur dix-sept des vaisseaux qui avaient été affectés au transport des exilés, et dont nous avons la liste sous les yeux : sept de ces vaisseaux mirent quatre mois à compléter leur voyage, à tant par jour ; trois, cinq mois ; deux, six mois ; deux, sept mois ; un, huit mois[40]. C’est probablement à ces absurdes états de compte que faisaient allusion les Lords du Commerce. Le trajet entre le point de départ et le point d’arrivée devait s’effectuer en deux mois, ou trois mois au plus. Nous sommes fondé à croire que Lawrence s’était entendu avec la compagnie Apthorp et Hancock, qui fournissait ces vaisseaux, et qu’il avait engagé ceux-ci à son service personnel pour le transport du bétail des Acadiens et du butin pris à Beauséjour. Puisque les Lords du Commerce tournaient ce fait en accusations, c’est qu’ils avaient la preuve que Lawrence s’était servi de ces vaisseaux pour des fins autres que le service de l’État : sans quoi ce passage de leur dépêche eût été inexplicable[41].

Cette lettre des Lords du Commerce à Beloher était essentiellement un document de nature publique, et qui avait sa place marquée aux Archives. Pourtant on ne l’y voit pas. Elle y était encore en 1787, au temps où Brown préparait les matériaux pour l’histoire qu’il voulait écrire ; elle n’y était plus, alors qu’Haliburton rédigeait son ouvrage, lequel a paru en 1829. En fait, à cette époque, il ne restait plus un seul document public relatif à la période de la déportation. Écoutons ce qu’en dit Haliburton : « Il est tout-à-fait étonnant de voir qu’il n’y a pas trace de cet important événement, dans les Archives du Secrétariat de la Province, à Halifax. Je n’ai pas pu me rendre compte si la correspondance y avait été conservée, ou si les ordonnances, les réponses, les mémoires y avaient jamais été classés. Dans le Registre des lettres du gouverneur Lawrence, qui existe encore, on ne voit pas de dépêche aux Lords du merce, entre le 24 décembre 1754 et le 5 août 1756, si ce n’est un banal accusé de réception touchant des provisions. Les détails de cette affaire semblent avoir été soigneusement gardés secrets, encore qu’il ne soit pas facile de voir pourquoi, à moins que les auteurs de cette entreprise n’en aient eu honte, ainsi qu’en vérité ils auraient dû[42]. »

Haliburton était juge-en-chef de la province de la Nouvelle-Écosse, l’auteur célèbre de Sam Slick ; il était l’une des plus grandes et des plus nobles figures de cette petite province, si remarquable par le nombre d’hommes distingués qu’elle a donnés au pays. Neuf ans plus tôt, en 1820, il avait fait entendre, dans la chambre d’Assemblée de la Nouvelle-Écosse, ce cri d’indignation : « Les Archives d’Halifax ressemblent à un mystère que l’on cherche à cacher, et par le peu que l’on en connaît, il y a lieu de croire que des papiers importants de diverses époques ont disparu en tout ou en partie[43]. »

L’on a voulu contester cette assertion ; mais, lorsqu’il publia son Histoire, neuf ans plus tard, Haliburton réitéra son accusation presque dans les mêmes termes. Nous ne


savons pas au juste si les documents dont il parle furent détruits ou seulement soustraits à la vue. Mais une foule de circonstances nous portent à croire que leur disparition se fit graduellement entre 1756 et 1800, et qu’elle fut l’œuvre des principaux acteurs dans le drame de la déportation et de leurs fils. N’avons-nous pas vu, dans un chapitre précédent[44], que Brown se procura, chez le fils même de Morris, le fameux rapport, si important et si compromettant, préparé par ce dernier à la demande de Lawrence ? Ce rapport n’a-t-il pas disparu depuis des Archives[45] ? Sans la découverte du manuscrit de Brown, il serait pour toujours enseveli dans l’oubli. N’avons-nous pas vu également un autre document que Bulkeley, sorti de charge, montra à Brown ? Pourquoi ce document était-il entre les mains de Bulkeley plutôt qu’aux Archives ? Haliburton ne nous dit-il pas que le Letter-Book de Lawrence existait encore à Halifax au temps où il écrivait, mais que toutes les lettres, pour une période qui va de 1754 à 1756, avaient disparu[46] ? Qu’on veuille bien le remarquer, le registre de la correspondance du gouverneur existait encore, mais les lettres couvrant cette période avaient été détachées et enlevées. N’a-t-on pas là la preuve tangible qu’il y a eu soustraction de documents pour une raison qu’Haliburton, avec beaucoup de vérité, attribuait à la honte ? Et cette lettre des Lords du Commerce à Belcher, lettre si importante, si fatale à la cause de ceux qui, comme Parkman, s’efforcent de laver Lawrence et ses complices de l’ignominie de leurs actes, où était-elle ? Elle se trouvait encore aux Archives en 1789 ; elle n’y était plus en 1820 ; rameau ne la vit pas en 1859 lorsqu’il faisait ses recherches ; elle n’y était pas en 1865, quand Beamish Murdoch écrivait son Histoire, car nous avons trop confiance en l’honorabilité de cet écrivain pour lui faire l’injure de croire qu’il l’eût passée sous silence, si elle se fût trouvée aux Archives. Et le compilateur de ces Archives n’a-t-il pas été obligé de recourir aux Colonial Records de Londres pour combler les lacunes qui existaient dans celles d’HalifaxI Et pourquoi, après avoir dépouillé ces Colonial Records, n’a-t-il pas accordé dans son volume une petite place à cette lettre importante des Lords du Commerce à Belcher, en date du 3 mars 1761 ? Pouvait-il prétendre que, par une étrange coïncidence, cette lettre, disparue à Halifax, s’était également évanouie à Londres ? Mais alors, c’est que le complot qui a présidé à cette disparition avait ses ramifications jusque dans la capitale ? Non, cela n’est possible !

Disparue des Archives d’Halifax, cette dépêche se trouvait bel et bien aux Colonial Records. Il a pu se la procurer avec les autres, mais il n’a pas osé la produire, non qu’elle manquât d’importance : tout au contraire, elle en avait trop à ses yeux.

À ces nombreuses accusations, nettement formulées contre Lawrence, venant des sources les plus respectables, et se rapportant aux diverses parties du service public, nous en ajouterons une autre, émanée du Dr Brown, qui met à découvert le sentiment des citoyens au sujet de la déportation, au temps même où celle-ci s’exécutait. Dans une lettre qu’il serait très intéressant de connaître, Lawrence avait communiqué à son complice Boscawen les inquiétudes que lui causait le blâme que faisaient entendre les citoyens d’Halifax concernant sa conduite envers les Acadiens. Brown insère les remarques suivantes au bas de la réponse de Boscawen, laquelle est datée de Louisbourg, 25 septembre 1758[47] :

« Il apparaît bien que cette lettre est de la main de l’intrépide amiral. Les plaintes formulées par les citoyens d’Halifax, les observations faites par un grand nombre à l’égard de la déportation des Acadiens, étaient une source d’inquiétudes pour le gouverneur Lawrence. Il s’en ouvrit à Boscawen, mais cœur-de-chêne traita tout cela de haut. Ses sentiments au sujet d’une enquête portant sur les malheurs d’une race ennemie manquaient de délicatesse. Sa haine des Français portait trop la vieille marque britannique ; il avait pour eux une antipathie personnelle, une instinctive aversion ; il n’était pas animé envers eux de ce qui semble au aujourd’hui l’état d’esprit du vrai soldat : galant dans le feu de l’action ; généreux à l’heure de la victoire ; poli et amical quand tout est fini[48]. »

L’on ne peut, après cela, douter des sentiments qu’entretenait la population d’Halifax à l’égard de la déportation. Que cette disposition d’esprit ait pu exister assez généralement et se manifester assez ouvertement pour troubler un homme du tempérament de Lawrence, si peu soucieux des sentiments et des opinions de ses administrés, tant qu’il fût le maître absolu, cela indique bien que, dans l’opinion des témoins, la déportation était regardée comme une iniquité. Ce témoignage est précieux : il a une portée qui ne saurait échapper à l’attention de ceux qui se donneront la peine de s’arrêter un instant pour en peser et en mesurer la signification. Lawrence, avec l’habitude qu’on lui connaît, avec un entourage disposé à la servilité et intéressé à le seconder, avait par devers lui les moyens de façonner l’opinion publique à ses vues. Tout concourait à le favoriser : cette guerre qui se poursuivait avec ardeur, entretenant les animosités nationales déjà si violentes ; cette population qui attendait tout de l’autorité, et qui pouvait espérer, directement ou indirectement, profiter des dépouilles des Acadiens, de leurs terres particulièrement. Tout cela cependant, nous sommes heureux de le dire, ne pût prévaloir contre la force du sentiment et la droiture naturelle de la population. Quand, sous l’empire de l’intérêt, toujours si dangereux, l’honneur disparaît des sommets, on le retrouve encore dans le peuple. Et Brown n’était que l’écho de l’opinion lorsqu’il dénonçait la déportation en termes si absolus et si extraordinaires.

Ce même Dr. Brown raconte au long une anecdote dans laquelle il était personnellement concerné, et qui peint bien cette même disposition d’esprit existant encore à Halifax au temps où il écrivait. Nous la traduisons intégralement[49] : « Chaque fois qu’une discussion publique était soulevée au sujet des événements de la guerre de 1756, relativement à ce qui concernait la Nouvelle Écosse, les vieux serviteurs du gouvernement manifestaient des appréhensions et des inquiétudes, particulièrement lorsqu’il était fait mention de l’affaire des Acadiens. Quand la traduction de l’histoire de Raynal parvint dans la province, l’article sur la Nouvelle Écosse fut inséré dans l’un des journaux, pour l’information et l’instruction des habitants. Bulkeley et le juge Deschamps en prirent alarme ; cette publication fut considérée par eux comme une injure personnelle, et ils convinrent immédiatement d’y faire une réponse ou réfutation. Cette réponse fut publiée avec beaucoup d’éclat dans quelques journaux, qui me furent remis par le juge : ce dernier la considérait comme une apologie complète et satisfaisante de la Déportation. Quand Messieurs Cochran et Howe fondèrent leur revue, en 1789, comme ils ignoraient la susceptibilité de ces personnages en la matière, ils publièrent à nouveau l’article (de Raynal) considéré comme offensif. M. Bulkeley et le juge Deschamps s’en plaignirent et en furent mécontents comme d’une attaque personnelle. Ainsi que dans le cas précédent, ils décidèrent d’y répondre. J’avais conservé l’article de Raynal paru dans les journaux sus-mentionnés ; et un matin, bien avant sept heures, je fus réveillé par un serviteur qui me tendit une carte du juge Deschamps, me priant avec beaucoup d’instance, de lui remettre les journaux et les autres documents qu’il m’avait donnés relatifs au sujet. À l’aide de ces derniers fut rédigé l’article suivant, lequel, à ce que j’ai compris, fut envoyé à l’imprimerie écrit de la main de M. Bulkeley. Comme M. Cochran ne désirait pas se faire d’ennemis, (et certes sa situation dans ce temps-là ne le lui permettait pas) il fit précéder le travail de M. Bulkeley d’un paragraphe adoucissant, lequel est enclos dans la parenthèse, où sans avoir étudié la question à son mérite, il jetait du doute sur la véracité de Raynal. Je prends sur moi, après m’être donné la peine d’examiner à fond toute la question, de dire que Raynal n’a ni connu ni seulement soupçonné la dixième partie de la détresse des Acadiens. Et si l’on excepte le massacre de la Saint Barthélemi, je ne connais pas d’acte aussi répréhensible que la déportation des Acadiens, qui puisse être mis à la charge de la nation française. Dans leurs colonies, rien n’a été fait qui approche de ceci en cruauté et en atrocité. »

A. B. Samedi, Août 13/1791[50].




Il fallait que Brown eût des convictions bien profondes pour s’exprimer de la sorte. L’aveu lui en était pénible : upon a painful examination of the whole matter. Comme il nous le fait assez entendre d’ailleurs, il s’était convaincu que le motif secret de la déportation n’avait été autre que ceci : Lawrence avait voulu spéculer sur le bétail des Acadiens. Pour nous, pour tout esprit impartial, les opinions de cet homme de bien, de cet esprit élevé, de cette âme sympathique, de ce contemporain des événements qu’il décrit, valent bien des fois celles d’un simple coureur d’anecdotes piquantes tel que Parkman. Brown écrivait au lendemain des événements, alors que l’acte de la déportation était pleinement consommé, que la paix régnait en Amérique, que le calme s’était rétabli. L’occasion était plus favorable qu’au temps même de l’exécution de la déportation. Les documents officiels ont beaucoup de valeur, mais ils ne présentent souvent que la version de l’une des parties intéressées. Ici, et l’anecdote que nous venons de citer nous le montre, Brown vivait en contact familier avec les auteurs de la déportation ; il connaissait tous les points sur lesquels s’appuyait leur défense, laquelle avait été plaidée à plusieurs reprises par un juge, avec toute l’habileté qu’on peut supposer à un magistrat. Il avait examiné les preuves, écrites ou verbales, pesé le tout. Son opinion a l’autorité d’un jugement de cour, et d’autant plus que la cause s’était instruite en l’absence des Acadiens, c’est-à-dire des accusés, et que ce jugement porte contre la partie qui était seule représentée, contre des compatriotes, et peut-être des amis, qu’il pouvait désirer soustraire à la flétrissure de l’histoire.

Nous avons lieu de croire que, même avant la déportation, lorsque Lawrence persécutait les Acadiens, leur

enlevait leurs armes, emprisonnait leurs délégués, la population d’Halifax murmurait contre ces actes arbitraires. Notre opinion est basée sur l’ordre suivant, lequel, pensons-nous, avait trait au blâme que les injustices commises par Lawrence avaient suscité parmi les citoyens de cette ville. Cet ordre est daté du 4 juillet 1755, le lendemain même de l’emprisonnement des premiers délégués acadiens : « Étant donné que des personnes intrigantes, mal disposées, cabaleuses et malicieuses ont, méchamment, et avec l’intention d’usurper le pouvoir à leur profit, inventé et publié de faux et scandaleux rapports, retombant sur l’autorité et l’administration du gouvernement, et ayant pour objet d’invalider les lois de la province, etc. etc., — afin de prévenir de la façon la plus efficace de tels criants abus, il est résolu par le lieutenant gouverneur et le Conseil, et cette résolution a force de loi : — le où les personnes qui, après la promulgation de cet acte, oseront, par des paroles ou par des écrits, méchamment et avec réflexion, publier ou colporter des rapports ou des insinuations propres à jeter du discrédit sur l’administration du gouvernement, le ou les personnes commettant ces offenses[51] seront considérées comme factieuses, séditieuses, et méprisant tout bon ordre, et obligées de comparaître durant le prochain terme de la cour et d’y subir leur procès : Si elles sont trouvées coupables, elles devront pour la première offense verser un cautionnement de trente livres ; en cas de récidive, elles recevront une sentence de trois mois de prison ; et elles devront, à la discrétion de la cour, fournir des garanties de leur future bonne conduite durant leur séjour dans la province. En cas de troisième offense, le dit cautionnement de trente livres sera confisqué par la cour, et les personnes trouvées coupables devront quitter la province dans les six mois qui suivront la date de leur conviction ; pour chaque mois subséquent qu’elles continueraient d’y demeurer après la date de leur conviction, elles devront payer une amende de dix livres, et à défaut, faire de la prison de temps à autre. »

« 4 juillet 1755. »




Après avoir subi l’influence néfaste qu’un despote exerce toujours sur son entourage, plusieurs des acteurs de ce drame de la déportation s’apercevaient, au temps où Brown était à Halifax, de tout ce que leur coopération avait eu d’odieux. Ils avaient été égarés par la diplomatie de Lawrence ; ils n’avaient vu que plus tard les motifs qui avaient guidé celui-ci ; leur bonne foi avait été surprise. Dans le calme de leurs pensées, ils avaient pu recomposer les faits et saisir les fils invisibles par quoi s’était faussé leur jugement. Il serait injuste de condamner en bloc les intentions de ces hommes. Nous réprouvons les faits auxquels ils ont participé ; mais c’est faute de connaître les intentions de chacun que nous les enveloppons tous dans la même réprobation.

Dans ce qui précède, nous avons l’indice, toujours précieux à l’historien, de l’opinion entretenue par les contemporains et les témoins des événements qu’il décrit. Il ne s’agit pas de l’opinion professée par des étrangers indifférents ou d’hostiles adversaires, mais par les administrés de Lawrence, par le peuple qu’il gouvernait. Il semble évident que la population d’Halifax se divisait alors en deux camps sur cette question de la déportation : d’un côté, les conseillers de Lawrence et ses favoris, sur qui « il avait répandu l’argent des contribuables en doublant leurs salaires et par d’autres ingénieuses malversations », ainsi que le porte l’une des requêtes citées plus haut ; de l’autre, le reste des citoyens, qui avaient à se plaindre de l’oppression qu’il faisait peser sur eux. En d’autres termes, sa conduite était approuvée ou excusée par ceux qui avaient intérêt à le faire, et blâmée par la masse des autres.

Il n’est pas surprenant de voir que le juge Deschamps et l’ancien secrétaire du Conseil, Bulkeley, prenaient offense de ce qui se disait ou se publiait contre la déportation. N’avaient-ils pas, de diverses manières, touché le prix de leur complicité ? Parkman, et quelques autres écrivains, n’ont mis aucun empressement à apprendre au public que la complicité des favoris de Lawrence fut largement rétribuée par de nombreuses grâces. Au contraire. Et pourtant nous eussions dû connaître, par leur entremise, que les gros bonnets du complot avaient reçu chacun 20,000 acres des terres des Acadiens. Nous n’avons pas cherché à pénétrer tous les détails de ces alléchantes gratuités ; ce que nous en disent les deux principaux historiens de ces événements doit suffire. Voici, par exemple, ce qu’il y a dans Haliburton[52] :

« L’ancien nom de Windsor était Pisiquid, mot indien qui signfie le confluent de deux rivières. Ce canton était tenu en grande estime par les Français à raison de ses prairies étendues et fertiles, qu’ils avaient encloses de digues, et portées à un haut état de culture. Les moissons de blé qu’ils y récoltaient étaient tellement abondantes que, pendant les années qui ont précédé la guerre de 1756, ils en exportaient une grande quantité au marché de Boston. Bien qu’immédiatement occupées par les anglais après la déportation de ce peuple infortuné, ces terres ne subirent pas de changements sensibles jusqu’à ces dernières années. Les plus riches furent concédées à des citoyens d’Halifax, parmi lesquels il y avait plusieurs membres du conseil de Sa Majesté. Cette partie du canton, qui échût à des propriétaires résidents, fut divisée entre un nombre restreint d’individus, et ainsi s’est introduit un système tenancier qui, en Nouvelle-Écosse, ne contribue ni à l’amélioration du sol, ni au profit du seigneur, (landlord). » —


Que si Parkman, après cinquante années de recherches, n’avait pas eu l’avantage de tomber sur ce passage intéressant de l’historien distingué, il aurait dû, nous semble-t-il, remarquer du moins ce que dit Murdoch, à la page 528 du


tome deuxième de son Histoire[53]. Murdoch y reproduit une dépêche du gouverneur Legge au Secrétaire d’État, lord Dattmouth, dans laquelle il est évidemment question de ces octrois de terre dont parle Haliburton. L’on y voit qu’ils ne furent pas du goût des Lords du Commerce ; que, de 20,000, ils furent, on mandamus, réduits à 5,000. Quelques-uns des noms des concessionnaires sont donnés en passant, entr’autres celui de Belcher, qui administra la province à la mort de Lawrence, et celui de Morris, d’arpenteur devenu juge, auteur du remarquable Mémoire que nous avons analysé, dans lequel il concluait que les Acadiens « devaient, à tout événement, être déracinés[54]. Nous ignorons si Lawrence s’était fait sa part dans ces généreux octrois. Sa prédilection semble avoir été pour le bétail, et les objets aisément convertibles en espèces sonnantes. Mais l’on ne peut douter qu’il ne se soit attribué la part du lion. Tout cela n’était-il pas de nature à ouvrir les yeux de Parkman sur les motifs de la déportation ? Ne dirait-on pas, au contraire, que, de propos délibéré, il les a fermés à tout ce qui pouvait lui donner la solution du problème, préférant égarer le lecteur dans d’indignes Pichonneries ?

Nous croyons avoir tenu nos promesses concernant la preuve à faire de mobiles intéressés de la part de Lawrence. Bien difficile serait celui qui exigerait davantage. Nous ne pouvions produire le résultat d’une enquête menée régulièrement ni un jugement de cour. Mais, à cela près, il ne manque rien à notre exposé, et la lettre des Lords du Commerce à Belcher montre bien que la mesure des iniquités commises par le gouverneur était comble, et que seule une mort opportune le sauva de la disgrâce qui était à la veille de fondre sur lui[55]. L’on comprit sans peine que Lawrence, si habile qu’il fût, avait couru un risque immense en déportant les Acadiens sans les ordres et contre les intentions formelles de la Métropole. Sa manière de procéder, les déguisements dont il a revêtu sa pensée, les précautions dont il a su s’entourer, sa précipitation à agir avant de recevoir une réponse à ses lettres ambiguës, tout nous fait voir qu’il s’engageait délibérément dans une partie audacieuse et pleine de hasards, qui pouvait entraîner sa ruine, la perte de son honneur, faire sombrer tous les projets d’avenir qu’il était en droit de former. Il était bien trop rusé pour n’avoir pas pesé et mesuré toutes ses chances. Alors pourquoi les aurait-il courues, s’il n’avait caressé un espoir, plus grand encore, qui les contrebalançait toutes ? Et quel pouvait être cet espoir, si ce n’est celui de se créer une fortune à même les biens de ceux qu’il dépossédait ? Toute autre conclusion serait absurde[56].

[Même en l’absence des nombreuses preuves ou accusations que nous possédons contre Lawrence, nous pourrions encore dire, en vertu de conclusions rigoureuses : puisqu’il est absolument certain que ses conseillers ont été récompensés de leur complicité dans la déportation et en ont tiré profit, Lawrence qui encourait seul les risques, a dû nécessairement en profiter aussi lui-même, soit qu’il se soit approprié les terres vacantes, soit qu’il ait spéculé sur les bestiaux, ou peut-être les deux à la fois. Puisqu’il était assez malhonnête pour laisser des subalternes s’enrichir par de tels moyens, il l’était assez pour ne pas s’oublier lui-même, à moins de supposer qu’il ne fût un imbécile, ce qui n’était certes pas le cas. Le chef de bande, qui risque sa liberté et sa vie dans l’exécution de ses crimes, n’a pas l’habitude de négliger de prendre sa part du butin.]

Quoiqu’il en soit, cet argument, joint à la masse de preuves que nous avons produites, aux nombreux anneaux que nous avons soudés ensemble, complète la chaîne qui doit river Lawrence pour toujours au pilori de l’histoire.

Il répugne, il est vrai, de concevoir qu’il a pu se trouver un personnage assez inhumain pour expatrier tout un peuple dans le but de s’enrichir de ses dépouilles. Ne pouvant douter que Lawrence n’ait spéculé sur le bétail des Acadiens et sur leurs terres, nous serions prêt à douter qu’il ait agi en tout cela avec préméditation, si la chose était possible ; mais elle ne l’est pas. Son crime est horrible ; il dépasse nos conceptions. Hélas ! ne savons-nous pas qu’il s’est rencontré, de tout temps et dans toutes les conditions, des hommes qui ont commis des actes aussi honteux qu’il se pouvait ? Il n’a pas prémédité son action ! Mais l’homme qui n’a jamais exprimé un sentiment humain en face de la désolation qu’il causait ; qui a donné l’ordre de s’emparer des hommes d’abord pour les déporter en certains lieux, et ensuite des femmes pour les jeter ailleurs, en recommandant aux gouverneurs des provinces où il les envoyait de les garder à vue, était bien capable de préméditer un tel acte dans un but de spoliation. Il n’a pas prémédité son forfait ! Mais l’homme qui a fait peser sur ses compatriotes une intolérable oppression, qui a commis des concussions dans tous les domaines du service public, a bien pu, même s’il n’était coupable que de la moitié des accusations portées contre lui par ses administrés et par les Lords du Commerce, accomplir la déportation d’un peuple en vue de s’enrichir. Les grands criminels de cette espèce ne font pas les choses à moitié. Il n’a pas prémédité son forfait ! Mais un homme qui comme Lawrence, de simple apprenti peintre en bâtiments, s’élève, en quelques années, au grade de brigadier-général, et au poste de gouverneur d’une Province, n’a dû rien laisser au hasard. Dans un temps où l’avancement était à peu près fermé au roturier, il fallait à celui qui avait l’ambition d’arriver coûte que coûte, un esprit d’intrigue peu ordinaire, des combinaisons mûrement délibérées, un plan bien défini, bien jalonné, bien échafaudé. Pas prémédité ! Ah ! l’imprévu tient peu de place dans la vie de pareils intrigants. Les Acadiens possédaient au bas mot cent mille têtes de bétail. La question : qu’en ferait-on ? s’imposait au premier coup d’œil ; elle était large comme l’horizon. Un enfant s’en fût occupé. Et Lawrence, cet apprenti-peintre devenu gouverneur, aurait été assez innocent pour n’y avoir pas songé d’avance ? Alors que la déportation avait été elle-même réglée dans ses plus petits détails avec une perfection diabolique ? Nous n’y pouvons croire. Tout était bien réglé, déterminé d’avance, et longtemps d’avance. Arrivé en si peu de temps à une position honorable qui eut ébloui un pai*venu du hasard ; devant son succès à ces roueries qui servent aux intrigants habiles d’échelle pour monter aux honneurs, il lui manquait cependant la fortune. Or, il aspirait à briller sur un plus grand théâtre. Avec l’opulence, il était sûr d’atteindre d’un bond au sommet. L’apprenti-peintre, qui avait montré assez de savoir-faire pour décrocher le titre de gouverneur, pouvait bien considérer ce haut poste, non comme un terme, mais comme un acheminement à quelque chose de supérieur encore. Pratiquant le despotisme, il était homme à e pas reculer devant ce qui pouvait seul lui permettre de réaliser son rêve de grandeur, les richesses mal acquises[57].

Haliburton pesait bien ses paroles quand il disait que la disparition des documents ne pouvait être attribuée qu’à la honte. C’était également pour la même raison que l’on avait enlevé aux Acadiens leurs archives, un mois avant leur arrestation.

C’était parce que les Acadiens avaient poussé la soumission jusqu’à un point inouï et déplorable, que leur déportation fût résolue, et qu’elle fût exécutée avec un succès qui autrement resterait inexplicable[58]


  1. Dans le MS. original, fol. 644 — ce chapitre n’a pas de sommaire. Celui que nous mettons est traduit d’après l’anglais.
  2. Que l’on se rappelle que Richard écrivait vers 1892. Dans l’édition anglaise (II, 127) entre parenthèses il y a ceci : I wrote this in 1892.
  3. Le MS. original porte ceci : « tous les actes de Lawrence, depuis le premier jour de son administration jusqu’à sa mort, forment, dans leur ensemble, une chaîne d’évidence à laquelle il ne manque pas un seul anneau », (fol. 645.) — Chaîne d’évidence nous a paru une expression risquée. Aussi avons-nous changé cette phrase. Il reste ceci, à quoi nous ne pouvons rien, c’est qu’elle semble impliquer contradiction avec ce qui précède. L’auteur vient de dire que la preuve contre Lawrence est circonstancielle ; et ici, il affirme qu’elle forme une chaîne d’évidence.
  4. Tel nous semble bien être le sens de ce dernier membre de phrase : « how impossible it is to do without them, or to replace them even if we had other settlers to put in their place… »

    {N. S. Doc. Akins. P. 197.) (Can. Arch. 1894) N. S. Postsript of the 10th dec. 1752 B. T. N. S. vol. 13. H. 120.

    (A. C. Gen. etc. P. 113.)

  5. Hopson to Lords of Trade. N. S. D. Akins, 199. Lettre du 23 juillet 1753.
  6. N. S. D. Akins. P. 203 & seq. Cette supplique fut lue en conseil le 23 septembre 1753.
  7. Arch. Can. Gén. etc. P. 113. — C. A. (1894) Whitehall 25th June & 9 July, 1753, B. T. N, S. V. 35. P. 462. « Leave of absence sent ». « … Colonel Lawrence… aura charge du commandement. »

    Ibid. Sept. 3. Halifax. Hopson to Lords of Trade… « owing to the state of his eyes, will sail in the Torrington ». H. 204.

  8. « … tolerably quiet as to government matters… » (N. S. D. Akins. P. 206.) Nous avons déjà parlé précédemment de toutes les questions résumées ici ; nous rappelons seulement que toute cette lettre de Lawrence est à lire, aussi bien que la réponse qu’y firent les Lords du Commerce, le 4 mars 1754. Après avoir constaté qu’en effet les Acadiens sont tranquilles pour ce qui est des choses du gouvernement, Lawrence ajoute « cependant ils sont toujours en disputes entre eux au sujet de leurs terres. Et comment pourrions-nous régler leurs différends en justice ? Comme ils n’ont pas prêté le serment d’allégeance, leurs titres de propriétés ne sont pas valides… » Et les Lords, dans leur réponse, de dire qu’effectivement « ces disputes ne peuvent être réglées en cour, attendu que les Acadiens n’ont aucun droit légal sur leurs terres… et nous ne voyons pas comment ces litiges pourraient être solutionnés autrement que par la prestation d’un serment absolu et sans aucune réserve que ce soit… » (Akins. 207.) Comme on le voit, la question s’amorce et du côté de Lawrence et du côté de l’Angleterre : il y a déjà entente parfaite sur ce point, comme il y en aura sur tous les autres.
  9. « … I believe that a very large part of the inhabitants would submit to any terms rather than take up arms on either side »… (Halifax, Aug. Ist 1754.) N. S. D. Akins. P. 213.
  10. Whitehall. Le 4 avril 1754. Lords du Commerce à Lawrence. « Il nous paraît nécessaire pour le service de Sa Majesté que vous soyez nommé lieutenant gouverneur de cette province, et nous demanderons bientôt à Sa Majesté de vous octroyer une commission vous confiant cette charge. Le colonel Hopson nous ayant fait entendre qu’il n’a pas l’intention de reprendre ses fonctions, nous recommanderons en même temps que le traitement octroyé par sa Majesté au commandant en chef vous soit accordé… »

    A. C. Gén. etc. P. 116. — Can. Arch. (1894) B. T. N. S. vol. 36. P. 15.

    Ibid. Halifax. Oct. 14, Lawrenee to Lords of Trade. His commission as lieut-governor received. — (H. 263. B. T. N. S. Tol. 15.)

  11. Cette citation, que nous avons complétée d’après l’original, est de cette même lettre du 1er août 1754, citée plus haut, note 9. — Par conséquent, le commentaire de Richard n’est pas juste. Après le premier extrait qu’il en a fait, il affirme que Lawrence parle avec candeur ; et le second extrait laisse entrevoir la déportation. L’auteur d’Acadie s’est mépris, sans doute involontairement. La phrase qu’il donne comme révélant chez Lawrence un état d’esprit bien éloigné d’un noir projet comme celui de la déportation, et la seconde citation où ce projet se fait jour, sont bel et bien tirées du même document. ( N. S. D. Akins. P. 212 et seq.)
  12. Notre rôle d’éditeur est souvent pénible à remplir, en ce sens que nous prenons Richard en flagrant délit de manquement à la vérité historique sur bien des points, et que nous le signalons ouvertement. Ce n’est pas pour notre plaisir, certes. Ces constatations nous navrent, mais qu’y faire ? Entre notre affection pour un proche parent et les dictées de notre conscience, saurions-nous hésiter ? Nous sommes responsables devant le grand public et devant la postérité. Sous prétexte d’épargner la mémoire de l’auteur d’Acadie, nous ne pouvons laisser passer des affirmations contredites par la documentation officielle. Voulant établir une thèse impossible, Richard en est réduit à solliciter et à torturer les textes, ou, comme dans le cas présent, à les ignorer complètement. Il prétend que cette lettre du 1er août 1754 où Lawrence énonce son idée de derrière la tête, à savoir que : if the Acadians refuse the oaths, it would be much better that they were away, est restée sans écho. — Les Lords of Trade y ont cependant répondu, point par point, le 29 octobre 1754 ; leur réponse est dans N. S. D. Akins (P. 235-6-7) et dans Can. Arch. (1894.) B. T. N. S. vol. 36. P. 59. — En voici les extraits les plus typiques : « … tho’we cannot form a proper judgment or give a final opinion of what measures may be necessary to be taken with regard to those (French) Inhabitants, until we have laid the whole State of the case before His Majesty and received his directions upon it, yet it may not be altogether useless to point at some provisional measures which it may be proper to enter upon until His Majesty’s pleasure can be known.

    We were in hopes that the lenity which had been shown to those people by indilging them in the free exercice of their religion, and the quiet possession of their lands, would by degrees have gained their friendship and assistance and weaned their affections from the french ; but we are sorry to find that this lenity has had so little effect, that they still hold the same conduct, with respect to them and us, that they did before the settlement of the province, furnishing them with labour, provisions and intelligence and concealing their designs from us…

    « It is certain that by the Treaty of Utrecht their becoming subjects to Great Britain (which we apprehend they cannot be but by taking the oaths required of subjects) is made an express condition of their continuance, after the expiration of a year, and therefore it may be a question well worth considering how far they can be treated as subjects without tahing such oaths, and whether their refusal to take them will not operate to invalidate the titles to their lands ; it is a question, however, which we will not take upon ourselves absolutely to détermine, but could wish that you would consult the chief justice upon this point, and take his opinion, witch may serve as a foundation for any future measure it may be thought advisable to pursue with regards to the Inhabitants in general. As to those of the district of Chignecto, who are actually gone over to the French at Beauséjour, if the chief justice should be of opinion that by refusing to take the oaths without a reserve, of by deserting their settlementa to join the french, they have forfeited their title to their lands, we could wish that proper measures were persued for earrying such forfeiture into exécution by legal proceas, to the end that you might be enabled to grant them to any persona desirous of settling there, where we apprehend a settlement would be of great utility, if it could, in the présent situation of things, be effected ; and as Mr. Shirley has hinted in a letter to the Earl of Halifax that there is a probability of getting a considérable number of people from New-England to settle there, you would do well to consult him upon it ; but it appears to us that every idea of an english settlement at this place would be absurd but upon a supposition that the french Forts at Beauséjour, Bay Verte, etc., are destroyed, the Indians forced from their settlement, and the French driven to seek such an asylum, they can find in the barren Island of Cape Breton and St. John’s and in Canada. »

    Cette dépêche gouvernementale contient des suggestions, des intimations à peine déguisées de chasser les habitants français ; et l’auteur d’Acadie de prétendre cependant que le plan de Lawrence resta sans écho de la part des Lords du Commerce !  !  !

  13. Le passage que nous mettons entre crochets n’est pas dans le Ms. original, — fol. 648. — Nous le traduisons d’après le texte anglais, II, p. 129.
  14. « To the Com, in Chief.

    Fort Lawrence, 12 novr. 1754.

    « The 9th of this month, I received the enclosed letter, which if (whether) authentic or not, I think it my duty to transmit to you as soon as possible. Tho’Capt. Scott by his more intimate acquaintance with Mr. Pychon and you yourself, Sir, from what he has informed you of him, must be a better judge of his intentions than I can possibly be or in the least pretend to, yet I cannot help suspecting his sincerity, and very often find great inconsistencies in his letters. I think, Sir, that I have good reason to believe that the letter he calls Mr. Duquesne’s is of his own composing… »

    J. Husset.

    Can. Fr. Doc. in. sur l’Acadie. II. 135.

  15. «  Exts. from a letter of gov. Lawrence to gov. Shirley.

    Halifax, 9 nov. 1754.

    « Being well informed that the French hâve designs of encroaching stiU further upon His Majesty’s rights in this province… I hâve sent the bearer It. col. Monckton to solicit your assistance… He has my directions to propose to you the raising two thousand men… »

    Nova Sco. Doc. (Akins.) 376-7-8.

  16. Nov. Sco. Doc. (Akins.) Lawrence to Lords of Trade. 28th June 1755. — P. 408-9.
  17. Journal de Winslow. Coll. of N. S. H. S. III, p. 91. Richard — MS. original — fol. 650 — le donne en anglais d’après Rameau, II, 160.
  18. Ibid. P. 93. Rameau ne fait que mentionner ce second permis, et Richard également.
  19. Rameau. Une Colonie II, XIV. P. 160. — Cette lettre de Murray à Winslow figure dans le Journal de ce dernier sous la date du 9 septembre. Cf. Wimlow’s Journal. P, 108,
  20. La requête est d’avant 1760, et Brown ne vint en Acadie qu’en 1787. À cette époque, il devait rester bien peu des signataires de ce document.
  21. Ce document est in-extenso dans C. F. (I. 142.) Lawrence’s character.
  22. Le texte, tel que donné dans le C. F. Doc. in., P. 147, porte Pisgate. Rameau, qui a cité et traduit ce passage (Une colonie, II. 162), après Pisgate, met entre parenthèses : Est-ce Pisgate ou Risgate ? — Richard — MS. original — fol. 664 — met Pigiquit. C’est évidemment Richard qui a raison.
  23. Ce paragraphe termine le document Lawrence’s character. Ce qui suit en est également tiré, mais se trouve plus haut dans la lettre.
  24. À cet endroit du MS. original, — fol. 656 — il y a la petite phrase suivante qui vient comme un cheveu sur la soupe : « Ceci se passait en 1758, trois ans après la déportation. » Cela est sans lien avec ce qui précède et ce qui suit et interrompt le cours des considérations de l’auteur sur la requête susdite. Aussi, le traducteur a-t-il mis en marge, au crayon : « cette phrase serait mieux placée à la page 653, ligne 6 ».

    Comme on a vu plus haut que ce document était en effet de 1758, il était inutile de le répéter ici.

  25. Pièce XXXVI. Tome I. P. 148. Dans le MS. original — fol. 657 — Richard attribue ce passage à Brown, et le donne comme l’expression de l’indignation de ce dernier concernant le contenu de la pièce Lawrence’s Caracter. Il semble bien plutôt que ces lignes s’appliquent à ce qui est dit de Lawrence dans la lettre des Lords du Commerce à Beleher, et que Brown n’ait fait que les recueillir telles qu’il les avait trouvées au bas de ce dernier document. Cette interprétation est indiquée par les mots : « With New England malice, — this exclamation follows. »
  26. Cf. Can. Arch. (1894) Halifax. 1757. B. M. 19069. fol. 51. Mémorial of the inhabitants of Halifax on grievances from want of an Assembly. The signatures were acknowledged before chief of justice Beleher on the 14th March. — Cf. Ibid. July 6th. I. 36. B. T. N. S. vol. 16.
  27. Can. Fr. Doc. in. II, p. 90. Pièce LXXVI. — On n’en donne pas plus long. Cf. Can. Arch. (1894) 1758. January 27. London. Freeholders of Halifax, by Ferdinand John Paris, stating their grievances. Enclosed. Statement of facts.
  28. Gov. Lawrence to Lords of Trade. Halifax, Oct. 18, 1755 : « … In order to save as many of the French cattle as possible, I have given some of them among such of the settlers as have the means of feeding them in the winter. » (N. S. D. P. 282.)
  29. Nova Sco. Doc. Akins. P. 712-3-4, Lettre du 25 mars 1756. P. 715, Lettre du 8 juillet 1756, Cf. Can. Arch. (1894) mêmes dépêches analysées aux dates susdites. Nous complétons ici le texte de Richard, qui ne cite que la dépêche du 7 février 1758.
  30. N. S. D. P. 725.
  31. Les expressions entre guillemets sont tirées de Lawrence’s character, (C. F. I, 142.)
  32. N. S. D. Akins P. 728. Dans sa citation de cet extrait de lettre, Richard intervertit l’ordre des paragraphes. Nous l’avons rétabli.
  33. N. S. D. Akins. P. 731. Le MS. original — fol. 661 — cite ici de façon fautive. En effet, il applique à Lawrence ce que ce dernier dit de son lieutenant gouverneur, Monckton. Voici ce que met richard : « As I am now necessarily employed, and will be for some time to corne, upon an enterprise of importance in a distant part of the province… » Tandis que le texte de Lawrence porte : «  As my military occupation requires my attendance as earlv as possible upon the commander in chief of the Forces to the Westward, and as the tenant Governor is now necessarily employed and will be for some time to come upon an interprize of importance in a distant part of the province…  »

    Le sens est donc celui-ci : « Comme je suis obligé d’aller rejoindre Lord Londun vers l’ouest, et comme le lieutenant-gouverneur est retenu, de son côté, dans une partie éloignée de la province, alors, messieurs, nous n’avons pas le temps de nous occuper d’affaires de routine ; et hâtez-vous, je vous en supplie, d’approuver tout ce que nous avons réglé, mon conseil et moi… »

  34. N. S. D. p. 728.
  35. N. S. D. P. 735. D’après les pièces officielles, la première assemblée a eu deux sessions : la première, en octobre 1758, qui a duré jusqu’en décembre ; la seconde session s’est ouverte le 1er août 1759. La seconde assemblée a tenu sa première session le 4 décembre 1759. C’est ce qu’il y a dans Akins. Nous ne voyons pas sur quoi Richard se base pour affirmer plus haut que la 1ère session fût vite bâclée.
  36. « Gov. Lawrence was taken ill on saturday, 11 october, of a fever and inflammation of the lungs, attributed by tradition to a draught of cold water taken when he was heated by dancing at a ball ; — of which he died on sunday, the 19th of the same month. » (Murdoch, H. of N. S. II, ch. XXVII. P. 394.) Cf. Can. Arch. (1894) 1760. Oct. 26th. Halifax. Belcher to the Lords of Trade. « Death of Lawrence on the 19th ». B. T. N. S. vol. 18. — Édward Boscawen mourut le 10 janvier 1761.
  37. Le MS. original — foi 664 — ne donne qu’une partie de cette inscription : «  From a grateful sense of the many etc. etc., his indefatigable endeavoms for the public good, and a wise, upright and disinterested administration. » — Après le mot many, un trait au crayon renvoie à la note marginale suivante, qui est de la main du traducteur : « Pourquoi pas combler cette lacune ! » — Dans l’édition anglaise, (II. 142), le mot services a été ajouté après many. Voici le texte complet de l’inscription, tel que donné dans Akins (P. 235-6,) en note, au cours de la notice biographique qu’il consacre à Lawrence : « From a grateful sensé of the many important services which the Province had received from him during a continued course of zealous and indefatigable endeavours for the public good, and a wise, upright, and disinterested administration. » « Akins ajoute ceci : « This monument is not to be found among those which now adom the walls of St. Paul’s church. »

    Voici qui explique sa disparition :

    Authentic tradition explains.the loss. The monument, costing 80 £ sterling, was ordered in London and arrived in Halifax during the summer of 1762, and was affixed to the wall on the S. E. corner of the church. In April 1768, a violent tornado swept over Halifax accompanied by snow and rain, which did great damage… Three of the Windows of St. Paul’s Church were blown in and destroyed, and the South-east end of the Church, where the monument was situated, was badly damaged. During the necessary repairs, the monument was removed from the wall and placed with building material in a shed near by, and from there was removed by parties unknovm and thus disappeared… This account came from Mr. Richard Bulkeley, Secr. of the Province.»

    (Coll. of the N. S. H. S., vol. XII. Halifax. 1906. P. 58.)

  38. Ce document est donné dans Can. Fr. Doc. in. sur l’Acadie (I. p. 148, pièce XXXV,) et se trouve au British Museum, Add. MSS. vol. 19073, fol. 71. « Extracts from a despatch to judge Belcher on his appointaient to the presidency of the Council of Nova Scotia, dated Whitehall, March 3rd 1761. » Dans le MS. original — fol. 664 —, Richard met, avant de citer ce document : « Il en était temps. Trois mois après, les Lords du Commerce écrivaient au juge Belcher ce qui suit, en le nommant à la succession de Lawrence. » Nous ferons remarquer 1o que Lawrence étant mort le 19 octobre 1760, et les Lords ayant écrit à Belcher le 3 mars 1761, cela faisait non pas trois mois, mais plus de quatre mois après la mort de Lawrence. Le document que cite Richard d’après C. F., est aux Can. Arch. (1894.) March 3, Whitehall. Lords of Trade to Belcher, B. T. N. S. vol. 37, p. 23. — Mais, à la date du 14 janvier 1761, il y a l’entrée suivante : « 1761, january 14, Mémorial (undated) of Robert Sanderson, late speaker of the Assembly of Nova Scotia, (respecting grievances and abuses in the administration of the Government of Nova Scotia, (Read by the Lords of Trade on the date in margin.) L. 16. B. T. N. S. vol. 18. — La dépêche des Lords du Commerce, en date du 3 mars suivant, s’inspirait évidemment des allégués contenus dans ce Mémoire, sans date, de Robert Sanderson. Ce dernier avait été élu Speaker lors de la première session, oct. 1758. Cf. Akins. P. 728. Lors de la seconde session de la 1ère assemblée, Wednesday, aug. 1st 1759, l’on procéda au choix d’un autre Speaker : «  A quorum of the House having met… tho Clerk of the House attended with a message from His Excellency… He (le gouverneur) was pleased to direct them to proceed to the choice of a Speaker, which they did and choice Wiliam Nesbitt, Esquire… » (Akins, p. 734.) La 1re session de la seconde assemblée se tint le 4 décembre 1759. William Nesbitt est à nouveau élu Speaker (Akins, 737.) Ni dans le discours d’ouverture de la seconde session de la première assemblée, ni dans celui de la 1ère session de la seconde assemblée il n’est question de Robert Sanderson. Nous inclinons à croire qu’il avait été écarté par Lawrence, qui le redoutait. Sanderson a dû envoyer son Mémoire après la mort de Lawrence. Lui-même a dû décéder vers la fin de 1760. 2o. Les Lords du Commerce, dans la dite dépêche, constituaient Belcher simplement Président du Conseil et lui confiaient l’administration par intérim. Car ce fut Henry Ellis, gouverneur de la Géorgie, qui fut nommé Gouverneur de la Nouvelle-Écosse, en remplacement de Lawrence, par un ordre-en-conseil, daté de St. James, March 20, 1761. (Can. Arch. 1894) L. 32, B. T. N. S. vol. 18. Le même jour, Belcher fut nommé lieutenant-gouverneur. Le 17 du même mois, il avait été confirmé dans ses fonctions de juge-en-chef.
  39. « Gov. Lawrence to Board of Trade. — Halifax, 18th oct. 1755. »

    « I have taken all the care in my power to lessen the expense of the transportation of the inhabitants, the vessels that have been taken up for that purpose were most of them bound to the places where the inhabitants were destined, and by that means are hired greatly cheaper than the ordinary price. »

  40. N. S. D. Akins. P. 281.
  41. Lawrence était capable de tout, et l’on peut supposer n’importe quoi de sa part. Seulement, la preuve de ce que Richard insinue ici à son sujet n’est pas faite. Que le bétail pris aux Acadiens ait été converti par Lawrence en moyens de subvenir aux frais occasionnés par la déportation et ses conséquences, rien de plus certain. Mais que Lawrence en ait profité pour s’enrichir personnellement, et qu’il se soit servi des bateaux pour expédier dans les colonies des cargaisons de bestiaux qui y étaient vendues à son profit, cela est fort douteux. Il y a des explications fournies par les Archives à l’emploi des vaisseaux pendant un nombre de mois qui paraît invraisemblable, si l’on ne regarde qu’à la distance qu’ils avaient à parcourir d’un port à l’autre ; quand ils arrivèrent en Acadie, l’embarquement des prisonniers ne se fit pas tout de suite ; cet embarquement opéré, les vaisseaux demeurèrent des semaines et des semaines en rade ; arrivés à destination, comme ces déportés n’étaient pas attendus, et que surtout nulle part on ne se souciait de recevoir ces parias, il a fallu attendre qu’on eût statué sur leur sort et autorisé leur débarquement ; en certains cas, les Acadiens à peine débarqués durent être rembarques et transportés ailleurs, jusqu’en Angleterre… Tout cela a pris du temps. Et l’état de compte produit par la Cie Apthorp & Hancock, s’il a paru formidable aux yeux des Lords du Commerce, et s’il l’était en effet, peut cependant s’expliquer sans que l’on ait soin d’avoir recours à des conjectures plausibles si l’on veut, mais auxquelles manquent les données documentaires.
  42. Arch.. IV. P. 196. Note au bas de la page. — La citation suivante est tirée de Rameau (II, XIV. P. 163.) Rameau ne dit pas cependant que c’est dans la Chambre d’Assemblée qu’Haliburton a fait entendre ce cri d’indignation. Il nous semble au contraire, à nous, que ces mots que Rameau prête à Haliburton sont simplement la transposition du passage que nous venons de citer, lequel n’est pas tiré d’un discours d’Haliburton, mais d’une note marginale de son Historical and Statistical Account of Nova Scotia.
  43. Le MS. original — feuillet adjoint au fol. 668 — contient la note suivante, tirée de Un Pèlerinage… (III. 37 et seq.) : « Rameau, qui consulta les Archives de a Nouvelle-Écosse en 1860, alors que le volume des archives était en préparation, écrivait ce qui suit à Casgrain : » J’arrivai en septembre à Halifax ; mon ami M. Murdoch m’obtint la permission de consulter les archives du gouvernement, et on m’assigna un rendez-vous pour le lendemain. Je me présentai à l’heure dite ; on me montra sur une table un certain nombre de registres et de volumes ; mais on me prévint qu’il m’était interdit d’en prendre aucune copie ni extrait. En conséquence, je ne devais avoir ni plume, ni papier, ni crayon. On me plaça près d’une table qui était au milieu d’une salle dans laquelle travaillaient huit ou dix commis ; on ne me donna aucun siège afin que je ne pusse pas m’asseoir, et qu’aucun de mes mouvements ne pût échapper aux employés. Voilà dans quelles conditions j’ai pu consulter les archives pendant les huit ou dix jours que j’ai passés à Halifax. Je vous avoue que cette manière de faire me rappela involontairement ce que raconte Haliburton, à propos de mécomptes qu’il avait éprouvés lui-même en consultant ces mêmes archives, et aussi les soupçons qui lui vinrent à l’esprit, sur la honte que l’on pouvait éprouver à communiquer certains papiers qui auraient dû s’y rencontrer, et qu’il n’y trouva pas. J’ai remarqué comme lui les lacunes qui existaient à certaines époques dans ces archives ; lacunes que les extraits publiés à Halifax en 1869 n’ont pas comblées. Peut-être, du reste, pourrait-on trouver dans d’autres dépôts publics, des doubles de quelques-unes des pièces qui manquent à Halifax… » Et Casgrain ajoute : « M. Rameau n’est pas le seul à qui des doutes soient venus en parcourant le volume d’Archives de la Nouvelle-Écosse, publié par le gouvernement de cette province, sous la direction de M. Akins ; et c’est précisément pour éclaircir ces doutes que je me suis rendu à Londres, afin d’y faire des études comparatives au Public Record Office et au British Museum. Je dois dire tout d’abord que la facilité avec laquelle on a accès à ces archives forme un contraste frappant avec le système de défiance établi à Halifax, Je dois ajouter ensuite que j’ai acquis la preuve que nos soupçons n’étaient que trop fondés. Le choix des Documents publiés à Halifax a été évidemment fait en vue de justifier la déportation des Acadiens. Pour cela on a éliminé systématiquement et laissé dans l’ombre les pièces les plus compromettantes, celles qui pouvaient le mieux établir les droits des Acadiens. Qu’on remarque bien que le compilateur de ce volume n’a pas le droit de plaider ignorance, car il indique lui-même en plusieurs endroits qu’il a étudié les pièces officielles du Public Record Office, afin de les confronter avec celles d’Halifax. J’ai confronté à mon tour la compilation d’Halifax avec les originaux du Public Record Office, et j’ai constaté des omissions considérables et tellement essentielles qu’elles changent complètement la face des choses. » — À cela se borne la citation que Richard fait de Casgrain, et la note se termine là dans le MS. original. Mais, dans l’édition anglaise (II, p. 146,) il a ajouté les mots suivants : « Philip H. Smith traitant du même sujet dit : « La déportation a été opérée d’une manière si abominable (heartless), que, comme d’un commun accord, les rapports la concernant ont été détruits, et les historiens ont passé outre en y faisant seulement allusion, comme si l’ignominie de cette action leur eût fait peur. »
  44. Tome II. ch. XXVII. P. 343.
  45. Dans un N. B., de la main du Dr Brown, qu’il y a à la fin de ce rapport, nous lisons : « I found this paper among the Council files relating to the Acadian Removal. From it I corrected a less perfect copy put into my hands by his son, and from it I got this transcript taken. » (C. F. Doc. in. I. P. 137.) Cette note est datée « Halifax, Sept. Ist 179 ». Probablement 1790. Donc, à l’époque dont parle Brown, le rapport de Morris était parmi les Archives du Secrétariat de la Province ; c’est d’après cet original que Brown fît des corrections sur la copie que lui en avait transmise le fils de Morris. — Au sujet du document transmis à Brown par Bulkeley, cf. ch. XXXI. n. 36.
  46. Ce n’est pas tout-à-fait ce que dit Haliburton, dont voici les propres paroles : « In the letter-book of governor Lawrence, which is still extant, no communication to the Board of Trade is entered, from the 24th december 1754, to the 5th august 1756, if we except a common Victualling return. » — Tout ce que l’on peut inférer de cette phrase est ceci : ou bien Lawrence n’a pas envoyé de dépêches aux Lords du Commerce entre ces deux dates, ou bien les dépêches de Lawrence n’ont pas été entrées dans le dit registre. La deuxième alternative doit être la vraie. Rien par contre n’autorise peut-être à conclure, comme dans le texte de Richard, que ces dépêches ont été entrées par la suite.
  47. Can. Fr. Doc. in. sur l’Acadie. Pièce 92. — Tome II. P. 139.
  48. Le MS. original — fol. 671 — arrête cette citation de Brown après le mot aversion. Nous donnons tout le reste de la phrase. — Et cette citation est suivie de ces cinq ligues que l’auteur a bien fait de biffer : « Nous avons ici la preuve que pendant l’exécution même de la déportation, l’indignation des citoyens d’Halifax contre Lawrence, dans sa conduite envers les Acadiens, s’était exprimée assez généralement pour lui causer des inquiétudes sérieuses. »
  49. Le MS. original — fol. 672 — dit : « Nous la résumons brièvement. » Le résumé de Richard est à peu près complet, la citation presque textuelle. Il restait cependant de légères lacunes que nous avons comblées. En sorte que il ne saurait pas être question d’un bref résumé. Cette anecdote se trouve dans C. F. loc. cit. Tome II, p. 141-2, et dans Coll. of N. S. H. S. vol. II P. 149-50. — Voici des notes biographiques sur Deschamps et Bulkeley dont il est question dans l’Anecdote : Isaac Deschamps était suisse d’origine. Vînt en Nouvelle Écosse quand il était jeune. Il était à Fort Édouard en 1754, comme commis de Joshua Manger. Fut élu député à l’Assemblée pour Falmouth Ouest, en juillet 1761, et cette même année fut élu l’un des juges de la cour des Plaids communs pour le comté de King. En 1768 fut nommé par le lt.-gouv. Franklin juge de l’Île de St-Jean, et vers 1770 assistant-juge-en-chef de la cour Suprême de la Nouvelle-Écosse. En 1785, à la mort du juge-en-chef Finucane, il fut fait juge-en-chef de la province. Il mourut le 11 août 1801. — Richard Bulkeley était venu en Nouvelle-Écosse en 1749 comme aide-de-camp de Cornwallis. En 1759 il devint secrétaire de la province, charge qu’il occupa jusqu’en 1793, où il résigna en faveur de son frère Michel. En 1759, fut fait membre du conseil ; comme doyen de ce corps, il administra la province à la mort du gouverneur Parr en 1793. Bulkeley mourut le 7 décembre 1800, âgé de 80 ans.
  50. Dans Col. of N. S. H. S. — loc. cit., ce passage du Dr Brown est suivi de la publication de l’article de Bulkeley, dont il parle. Le titre en est : The case of the Acadians stated. L’anecdote de Brown est datée du 18 août 1791.

    Voici ce qui est dit dans le « paragraphe adoucissant » que le directeur du « Magazine » a mis en guise de préface : « In our magazine for february last (nous croyons, d’après ce que dit Brown, qu’il s’agit de l’année 1789,) we inserted that part of the abbe Raynal’s history of the settlement of the East and West Indies — which relates to Nova Scotia. That author was certainly fonder of indulging a very happy and vigourous imagination than of searching with patience after the truth. This had led him to give a high and poetical coloring to every event that could interest the passions. Among many others of this sort, we apprehend, his fidelity may be somewhat questioned, in the account he has given of the removai of the French neutrals, as they were called, from the Province. We, therefore, readily admit the foUowing statement of the transaction, which we have received without any signature : — (W. Cochran.) »

    Nous avons dit que par february last, il s’agissait probablement de 1789. Nous n’en sommes pas certain, et voici pourquoi : Brown dit bien que Cochran et Howe fondèrent leur magazine en 1789, sans spécifier en quel mois ; il laisse entendre que la publication de l’article de Raynal parût aussitôt, mais cela n’est pas clairement dit. D’autre part, dans le C. F., il y a, au bas de l’anecdote de Brown, la date : Saturday, Aug. 13, 1791, laquelle date semble celle du jour où Brown a rédigé cette anecdote. Mais, dans les Coll, of N. S. H. S., l’anecdote de Brown est imprimée en caractères fins et entre crochets qui se ferment après les initiales A. B. — Au-dessous, il y a un trait, puis, en caractères pareils à ceux dans lesquels est imprimé l’article de Bulkeley — The case of the Acadians stated — la date — Saturday, Aug. 18th 1791, en sorte que cette date semble être celle du jour où l’article a paru. Et alors, february last désignerait février 1791.

  51. Ce document est tiré du Can. Fr. (II. 145-6, pièce XCVI, soua le titre, Various extracts of Dr. Brown’s MS. — Dans le MS. original d’Acadie — fol. 675 — la citation se termine ici, après les mots the person or persans so offending shall etc. etc. — Un trait au crayon renvoie à la marge où le traducteur a mis cette note : « C’est dommage qu’on ne sache pas la sanction. » — Nous donnons toute la pièce.
  52. Le MS. original — fol. 677 — dit : « à la page 100 du volume I de son Histoire de la Nouvelle-Écosse. » Ce passage est, au contraire, dans le tome II > de Haliburton, p, 100-1. — Haliburton y parle du canton de Windsor, dans le comté de liant. Windsor est à 45 milles de Halifax. Dans sa manière de citer ce passage, Richard passe du particulier au général, en sorte que l’on croirait qu’Haliburton désigne toutes les terres des Acadiens ; il est au contraire manifeste qu’il désigne spécifiquement le canton de Windsor. L’auteur d’Acadie commence la citation aux mots : The crops of wheat… — Nous la commençons deux phrases plus haut, de façon à bien montrer le caractère particulier de ce témoignage de Haliburton.
  53. Pour une fois, l’auteur donne une référence qui se trouve être juste. Le document dont il parle est aux appendices du ch. XXXVII de Murdoch. Cf. Can. Arch. (1894) — 1774, Halifax. September 28. Legge to Secretary of State (Darmouth.) — Col. Cor. vol.9. — C’est le document dont il est ici question.
  54. Cf. notre tome II, ch. XXVII.
  55. Le 30 septembre 1899, la revue The Speaker, de Londres, consacrait à Acadia une substantielle analyse-critique, sous le titre de : An Episode of Empire. Cet article est dans l’Album où Richard avait réuni les divers comptes-rendus de son ouvrage ; il n’est pas signé, mais Richard l’a fait suivre de ces mots : Sent to me by James Bryce, the historian. D’où nous pouvons conclure que James Bryce devait en être l’auteur. Nous en extrayons ce qui suit, et qui se rapporte à la preuve que Richard prétend avoir donnée des motifs intéressés de Lawrence comme cause de la Déportation. Bryce admet d’abord que Eichard a bien montré que la déportation fut un plan d’origine coloniale, qu’elle a été exécutée à l’insu de la métropole et même contre son aveu, (nous savons ce qu’il faut penser de tout cela,) puis il ajoute : « Whether his aspersions on Lawrence’s motives are justified is another matter, Lawrence doubtless helped himself to the property of the Acadians, and ended his career under a cloud. But his greed, we think, was an accident, not the cause, of his décision. (Ceci nous semble extrêmement juste : ce que Richard donne comme cause de la déportation n’en fut qu’un incident ou une conséquence en quelque sorte toute naturelle.) — Voici la conclusion assez piquante de cet article : «  We are rather too proud, perhaps, of having « picked up our Empire in a fit of absence of mind ». A little more knowledge on the part of the Home Government, a little more sympathy and understanding on the part of the earlier governors, might hâve saved the history of our american colonies from its deepest stain. »
  56. À cet endroit du MS. original — fol. 680 — il y a un renvoi à la marge où est insérée la note suivante au crayon : « Insérer ici les remarques à la marge de la page suivante. » — Nous mettons entre crochets ces remarques qui se trouvent en effet en marge du folio 681.
  57. Voici la phrase textuelle du MS. original — fol. 682 — : « L’apprenti-peintre qui avait pu assez comprendre son chemin pour arriver gouverneur, avait bien pu, étant gouverneur, comprendre mieux encore celui qui lui restait à parcourir ; et, étant despote, l’exécuter. » « La phrase est plus que boiteuse. Le traducteur a eu raison de mettre en marge : « Exécuter un chemin ». — Les mots apprenti-peintre sont dits de Lawrence dans Lawrence’s character. Mais nous avons déjà vu que rien n’autorise à les prendre au sérieux. Nous ferons remarquer que la nomination de Lawrence au poste de gouverneur n’a eu lieu qu’après que la déportation eût été exécuté.
  58. Voici la phrase du MS. même folio : « C’était par ce que leur esprit de soumission était porté à un excès sans exemple et déplorable que leur déportation fût résolue, et qu’elle fût exécutée avec un succès qui serait inexplicable autrement. » Abstraction faite de la forme, et du peu de lien que cette phrase a avec ce qui précède, nous croyons que Richard énonce ici une grande vérité : à savoir que si les Acadiens se fussent soulevés en masse quand il en était encore temps, et ils en auraient eu plus que le droit, leur sort eût été tout autre. Vis-à-vis de cette phrase, le traducteur a mis en marge ceci : « Ceci ne s’accorde guère avec ce que vous dites du devoir qu’avait Lawrence de provoquer une petite révolte. » — D’accord. Une petite révolte eût été facilement réprimée, et elle eût fourni à Lawrence un semblant de motif à son crime. Mais une grande rébellion, parfaitement organisée, eût balayé sans doute les garnisons anglaises et changé la face des choses en Acadie et dans tout le Canada. Cf. aux appendices notre étude sur : La leçon de l’histoire acadienne.