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Acadie/Tome III/28

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Texte établi par Henri d’Arles, J.-A. K.-Laflamme (Tome 3p. 503-522).

APPENDICES XI


LA DÉPORTATION DES ACADIENS.


(Travail donné à l’Université Laval, de Québec, le 29 janvier 1918)

Le sujet que nous avons choisi de traiter est le plus tragique de l’histoire d’Amérique, et l’un des plus abominables qu’offrent les annales de l’humanité, pourtant assez fertiles en horreurs. Pour lui trouver un point de comparaison il faut sortir des temps que l’on appelle civilisés, remonter au delà des vingt siècles de l’ère chrétienne : l’an 587 avant Notre-Seigneur, les Juifs de Jérusalem et des environs furent transportés en pays étrangers, et alors s’ouvrit pour eux cette période douloureuse connue sous le nom de captivité de Babylone. Les Assyriens, leurs vainqueurs, avaient ainsi l’habitude d’emmener prisonniers partie des peuples qu’ils s’étaient soumis et de les employer aux travaux forcés. Mais outre que ce fait s’est passé a une époque primitive et qu’il a été commis par des barbares, il échappe, par d’autres côtés aux appréciations humaines : l’histoire sacrée le revendique comme l’une de ces calamités directement providentielles qui relèvent des desseins divins à l’égard du peuple choisi.[1]

Pour nous en tenir au cadre suffisamment large et rempli formé par l’ère chrétienne, nous ne trouvons rien dans tout ce vaste passé, qui ressemble à la déportation de tout un peuple opérée en Acadie, à partir de septembre 1755. Cette chose, à laquelle nous ne refusons pas l’originalité, a-t-elle eu son pendant depuis ? Dans un compte-rendu du tome premier de l’ouvrage d’Édouard Richard sur l’Acadie, que nous sommes en train de publier, le Boston Transcript faisait la remarque suivante : « Cet ouvrage offre un intérêt en quelque sorte actuel, à raison de ce qui se passe en Belgique, où les Allemands, sous le prétexte que la présence à l’arrière de tant d’hommes valides nuit au succès de leurs opérations, arrachent ces hommes par milliers à leur infortuné pays. »[2]

Certes, les déportations accomplies par les Allemands, en Belgique et dans le nord de la France, ont semblé mettre le sceau aux atrocités par lesquelles ils s’étaient signalés, dès le début de cette guerre. Un frisson d’indignation et d’épouvante secoua le monde civilisé à cette nouvelle. Il a été officiellement prouvé que ce ne sont pas seulement des hommes qui ont été ainsi violemment expatriés, mais des femmes, des jeunes filles à qui on a fait subir un traitement infâme pire que la mort, des enfants.[3] Dans les protestations que le cardinal Mercier a opposées à ce crime, nous lisons ceci : « Voilà donc des Belges réduits en esclavage, et, sans jugement préalable, condamnés à la peine la plus forte du code pénal après la peine de mort, à la déportation. »[4] Cependant, si horribles que soient ces faits, ils n’égalent probablement pas, dans l’ensemble, ceux que nous allons étudier. Et d’abord, soit dit incidemment, l’on a là la preuve, si souvent faite, que les Boches n’ont vraiment pas l’esprit inventif : l’histoire d’Angleterre leur offrait sur ce point un premier modèle. Et, dans l’imitation qu’ils en ont essayée, ils sont restés en deçà de l’original. Si condamnables qu’elles soient, je ne dis pas seulement au point de vue de l’humanité, car cela va de soi, mais au point de vue des lois internationales de la guerre, les déportations belges ont été accomplies en temps de guerre, sous l’effet de passions exaspérées par la guerre ; par suite, elle ont eu un caractère éminemment transitoire ; et puis, ce n’est pas tout un peuple que l’on a ainsi expulsé et chassé de ses foyers. Tandis que la déportation des Acadiens a été silencieusement tramée et préparée pendant de longues années de paix ; qu’elle a été froidement opérée en pleine paix ; que c’est la population de tout un pays qui a été embarquée pêle-mêle à bord de vaisseaux soigneusement nolisés à cette fin, et semée au long des plages de l’Atlantique, depuis Boston jusqu’à la Virginie et la Caroline. Et cette déportation ne fut pas l’affaire d’un jour ni d’une année. Si la proscription en masse a été exécutée dans l’automne de 1755 et les premiers mois de 1756, — jusqu’en 1763, ce fut une véritable chasse à l’homme, pour disperser les derniers débris de cette race malheureuse, en déraciner à nouveau les quelques rejetons qui, croyant la tempête passée, avaient cherché à s’implanter derechef dans le sol de leur ancienne patrie. Voilà le chapitre émouvant d’histoire que nous allons examiner ensemble. Et, pour procéder avec méthode dans nos recherches, nous étudierons aujourd’hui la déportation des Acadiens dans ses causes.


I


Qu’il nous soit d’abord permis de dire qu’il nous sera bien impossible, étant donné le cadre restreint dans lequel doit tenir cette conférence, d’appuyer nos assertions sur des citations nombreuses. Nous avons à faire la synthèse d’un travail considérable, et c’est à savoir que nous sommes obligé de ramasser notre matière et de la condenser, pour qu’elle ne déborde pas la limite nécessairement assignée à notre parole. Nous tenons à vous prévenir toutefois que toutes nos affirmations et nos considérations reposent sur la documentation la plus sûre et la plus irrécusable. Cette documentation est renfermée dans l’ouvrage auquel nous avons fait allusion tout à l’heure : ceux qui seraient désireux de contrôler les vues exprimées ici pourront l’y trouver.

La déportation des Acadiens est donc un fait extraordinaire, unique même. Pour être pleinement justifié au regard de la morale éternelle, il faudrait que cet effet eût eu une cause qui lui fût proportionnée. N’est-il pas requis par les lois divines et humaines, pour que l’idée de justice soit respectée, qu’un châtiment soit en harmonie avec l’acte qu’il est censé châtier ? La Justice est figurée tenant à la main une balance : signe qui indique que sa fonction est de peser équitablement les actions des hommes, de rétablir l’équilibre compromis par les infractions au devoir. Les peuples, comme les simples particuliers ont droit à la stricte justice. Nous ne sachons pas que les gouvernements soient dispensés d’appliquer à leurs administrés les seules mesures statuées par la véritable équité. Et par exemple, dans la répression d’un crime, aller bien au delà de ce que ce crime méritait, y apporter des sanctions qui le dépassent de beaucoup, ce n’est pas observer la justice, comme ce serait y manquer également que de faiblir devant le délit, et de le laisser se soustraire au droit commun. Or, cette dispersion violente de tout un petit peuple a-t-elle eu sa raison d’être en bonne justice ? Cette peine infligée à toute une race trouve-t-elle sa justification dans les faits délictueux que cette race a pu commettre ? J’insiste sur la nature tout-à-fait particulière du châtiment qui lui a été infligé. Après la peine de mort, c’est le plus grave. Ce châtiment était-il en rapport de proportion avec les actes qu’il était destiné à venger ? Y a-t-il eu seulement, de la part des victimes, des actes propres à autoriser une pareille et si épouvantable sanction ? Sinon, quels motifs apporter, non plus pour justifier — il ne peut plus être question de justification, — mais pour expliquer un tel châtiment ? Est-il possible de lui découvrir des excuses, des prétextes du moins plausibles ? Ou faut-il y voir une pure iniquité dont les auteurs ne se laveront jamais ?

En 1713, cette partie du continent américain appelée alors Acadie, — laquelle comprenait strictement la péninsule dite aujourd’hui la Nouvelle-Écosse, — fut définitivement cédée à l’Angleterre par le traité d’Utrecht. Il y avait longtemps que l’Angleterre disputait à sa grande rivale, la France, ce coin du pays. Et le fait est que, depuis sa fondation en 1610, l’Acadie avait été continuellement le théâtre de luttes entre ces deux nations, et dont l’objet était la possession de son territoire. Tantôt directement, tantôt par l’intermédiaire de ses colonies voisines, l’Angleterre, toujours tenace dans ses ambitions, avait organisé diverses expéditions dans le but de la conquérir. La fortune de ses armes avait eu des succès et des revers. Enfin, en 1713, le morceau tant convoité, et qui lui appartenait déjà de fait depuis 1710, lui fut régulièrement et définitivement cédé par le traité d’Utrecht. Il ne faudrait pas juger de l’importance de l’Acadie par sa dimension géographique. Géographiquement, et encore que son sol, dans la plus grande partie, soit extrêmement riche, elle ne justifiait pas l’âpreté avec laquelle l’Angleterre l’avait désirée, ni toutes les dépenses qu’elle avait faites pour ajouter ce lambeau à sa longue ligne de côtes. Au point de vue stratégique, la chose était bien différente. Établie là comme en un magnifique poste d’observation et de défense, la Grande-Bretagne pouvait y surveiller de plus près les opérations de sa rivale, empêcher ces incursions qui étaient parties de là ou qui avaient passé par là pour venir menacer ses colonies de la Nouvelle-Angleterre. Mais je crois que la raison profonde des sacrifices qu’elle avait consentis pour s’assurer ce domaine, est celle-ci : l’Acadie serait une pierre d’attente, le premier pas vers la réalisation d’un plan beaucoup plus vaste, lequel n’allait à rien moins qu’à s’emparer de tout le Canada, ainsi que les événements d’ailleurs l’ont bien montré. Ce n’est pas d’hier que l’impérialiste anglais, cette soif d’agrandissements que le temps et les conquêtes toujours nouvelles et plus amples ne semblent qu’accroître, est né.

En Amérique, c’est au détriment du domaine colonial ouvert par la France, que cet impérialisme allait se développer. La France a-t-elle su comprendre que les pertes qu’elle allait subir en ce continent auraient leur contrecoup sur sa situation européenne ? A-t-elle eu l’intuition que son prestige là-bas en serait diminué d’autant ? A-t-elle officiellement donné tout l’effort désirable pour empêcher, ou retarder du moins, l’exécution d’un dessein dont il était facile de deviner toute l’ampleur ? Nous n’avons pas à examiner ici ces questions. Ce qui est certain, c’est qu’en 1713, l’Acadie avec tout son territoire selon ses anciennes limites, fut cédée à la couronne de Grande-Bretagne.

Or, l’Acadie, possession anglaise, n’était peuplée que de colons français, gens industrieux, moraux, travailleurs, qui déjà avaient su rendre fructueux le sol qui était devenu leur petite patrie, race saine et forte aux vertus de laquelle même son plus féroce persécuteur rendra involontairement hommage.[5] Une clause du traité d’Utrecht laissait ces habitants libres d’émigrer en pays français, dans l’espace d’un an, en emportant leurs biens, ou de rester dans la Province, en laquelle il leur était promis solennellement, en retour de leur soumission à leur nouveau souverain, protection commune aux sujets anglais, et libre exercice de leur religion, conformément aux lois de la Grande-Bretagne. Une lettre de la reine Anne vint, peu après, amplifier les privilèges contenus dans cette clause, prolonger, sans en marquer la limite, le temps laissé aux Acadiens qui choisiraient d’émigrer, reconnaître leur droit à disposer de leurs immeubles, et toujours leur assurer le libre exercice de leur religion, « en autant que le permettent les lois de la Grande-Bretagne ». Cette restriction ne voulait pas peu dire, car la religion catholique romaine était proscrite par les lois anglaises. Dans sa conférence sur Notre Situation Religieuse en 1764, M. Thomas Chapais a très bien montré, ici même, l’ostracisme étroit, violent, fanatique, où était tenu le catholicisme, dans l’Angleterre d’alors et toutes ses dépendances, comme il a aussi établi tout ce qu’il a fallu, de la part de notre clergé, d’adroite énergie, de diplomatie honnête, et de sens profond de nos intérêts religieux et nationaux, pour détourner de chez-nous l’effet de ces lois iniques, et pour rendre l’Église du Canada viable et prospère.

Extrêmement attachés à leurs croyances, qui étaient tout pour eux, et ne séparant pas, dans leurs cœurs, l’amour de leur religion de l’amour de leur langue et de leurs traditions ancestrales, voyant dans ce double héritage des affinités en quelque sorte nécessaires, et comprenant que le nouvel avenir qui s’offrait à eux serait très probablement fatal à l’un et à l’autre, les Acadiens, d’un commun accord, se résolurent à passer sur les terres de « leur bon Roy de France » ainsi qu’ils disaient. Décision héroïque, en un sens : car, si cette émigration les sauvait des dangers d’une apostasie religieuse et nationale, elle les obligeait par contre à abandonner avec pertes des établissements déjà prospères auxquels les rivaient de chers souvenirs, et à aller recommencer ailleurs, en des conditions matériellement moins favorables, les durs travaux de défrichement et de colonisation. Il faut s’incliner avec respect devant tout ce que cette résolution comportait d’idéalisme supérieur et invincible. Nous verrons, en effet, que cette attitude ne fut pas le résultat d’un enthousiasme passager ni d’une éphémère sentimentalité : elle sera inébranlable. Et ce sera finalement pour n’avoir voulu rien sacrifier d’un devoir que leur conscience leur représentait comme essentiel et sacré qu’ils seront semés aux quatre vents du ciel.

Dans quelle mesure les missionnaires acadiens ont-ils pesé sur la résolution prise par les habitants ? La réponse est très simple. Inutile de dire que cette réponse, nous allons la chercher, non pas dans les perfides récits de Francis Parkman, ni dans les grossières imputations de la plupart des historiens anglais, absolument incapables de comprendre et d’apprécier le rôle du sacerdoce catholique, mais dans les faits réels, lesquels sont en conformité avec la constante tradition ecclésiastique. Les missionnaires acadiens étaient les conseillers naturels de leur peuple. Très-instruits pour la plupart, dévoués corps et âme à leurs ouailles, pénétrés de la grandeur de leur mission, donnant l’exemple de toutes les vertus évangéliques, par grâce et par éducation, mieux à même que personne de prévoir les risques qu’allaient courir leurs fidèles, au point de vue religieux, en acceptant de rester sous une domination étrangère persécutrice du catholicisme, ils se firent un devoir d’engager ceux-ci à se prévaloir du droit que leur assurait la clause particulière du traité d’Utrecht les laissant libres de s’en aller. Que de figures admirables parmi ces anciens missionnaires de l’Acadie ! Un Germain, un St-Poncy, un Chauvreulx, un Leguerne, un Maillard, un Daudin, surtout un Le Loutre ! Chacun mériterait d’avoir sa monographie. Qu’il nous soit permis du moins de leur adresser l’hommage de notre vénération et de notre admiration, pour s’être identifiés avec les intérêts moraux de leurs populations, et pour s’être montrés leurs guides sûrs, prudents, éclairés, à travers toute l’histoire acadienne, et spécialement au milieu des inextricables difficultés que nous allons voir.

C’est ici, en effet, que commence la période véritablement dramatique dont le dénouement sera la déportation. Le nœud de l’action, l’essence du drame consiste en ceci : les Acadiens veulent s’en aller en territoire français, ainsi que les conditions stipulées par le traité d’Utrecht, les y autorisent. Mais leur départ ferait de la péninsule un désert : la Grande-Bretagne se trouverait avoir sur les bras un pays vide d’habitants, un domaine sans rendement, un improductif lambeau colonial. Et alors, à quoi auraient servi les sacrifices qu’elle avait fait pour le conquérir ? Quelle garnison voudrait se charger de veiller sur ces solitudes ? Et comment les soldats se ravitailleraient-ils ? Quel profit y aurait-il eu à se faire adjuger un territoire destiné à redevenir inculte, destiné plutôt à retomber sous l’empire de ses anciens maîtres ? Car, si les Acadiens émigrent, ce sera chez les Français tout voisins, dont les armées se trouveront d’un coup renforcées d’un apport considérable. Et n’est-ce pas à reprendre leur bien perdu que les Français utiliseront d’abord ces forces nouvelles ? — Il n’y a donc qu’une chose à faire, pour le moment du moins, retenir dans le pays les habitants, sous un prétexte ou sous un autre, par force ou par ruse, par tous les moyens que pourra suggérer l’hypocrisie ou inspirer la violence. Et quand le temps assigné par le traité pour émigrer en terre française se sera écoulé sans que cette émigration ait pu se produire, à cause des empêchements que l’autorité anglaise y aura mis, alors surgira la fameuse question du serment. Et les Acadiens seront enfermés dans ce cercle vicieux : prêter un serment sans réserve à la Couronne Britannique, ou s’en aller. Mais ce serment est impossible à leur conscience patriotique et à la délicatesse de leurs sentiments, car il les exposerait un jour ou l’autre à verser le sang de leurs parents, de leurs frères. Les seuls ennemis que l’Angleterre aie en ces régions, ce sont les Français et les Sauvages leurs alliés. Si les Acadiens prêtent ce serment absolu qu’on veut leur imposer, quelle sera leur situation tôt ou tard ? — S’en aller, ils l’ont voulu, ils le veulent encore. Mais leur départ a été entravé, il l’est toujours. C’est contre leur gré qu’ils sont restés dans la province. Et cependant, l’on veut leur persuader que c’est volontairement, qu’ils sont désormais sujets britanniques et que, comme tels, ils doivent prêter serment d’allégeance absolue à leur Souverain.

Pris dans cet engrenage, que la malveillance de l’autorité complique encore, les Acadiens proposent un moyen terme, une solution à base de compromis. S’il est avec le ciel des accommodements, il semble qu’il puisse y en avoir, et à plus forte raison, avec le pouvoir civil, ce pouvoir fût-il celui de la Grande-Bretagne. Les habitants se déclarent donc prêts à jurer serment d’allégeance, pourvu qu’il y soit expressément spécifié qu’ils seront exempts de porter les armes contre les Français et les Sauvages leurs alliés.

Or, en 1730, le gouverneur Richard Philipps accepta officiellement cette formule de serment. La clause, expressive de la réserve de ne porter les armes contre les Français et les Sauvages leurs alliés, fut-elle insérée seulement en marge du document officiel relatif à la prestation du serment, sur un bout de papier qu’il fut ensuite facile de détacher de l’original pour que rien n’en parût aux yeux de la Métropole et qu’il n’en subsistât aucune preuve écrite ? Philipps l’accorda-t-il aux Acadiens de vive voix seulement et sur sa parole d’honneur ?

Ce qui est certain, entr’autres d’après le procès-verbal qu’en a dressé l’abbé Charles de la Goudalie[6], c’est qu’un serment conditionnel fut prêté par les Acadiens, et accepté comme valide, ratifié par le général Richard Philipps au nom du roi d’Angleterre. C’est de ce moment que date l’expression « Français neutres » appliquée aux habitants de l’Acadie. Ceux-ci avaient fait reconnaître leur neutralité absolue dans tout conflit entre les deux nations. C’était donc un grand point de gagné. Aussi les vingt années qui s’écoulent de 1730 à 1750, ou mieux à 1749, sont-elles, tout compte fait, les plus heureuses et les plus paisibles de toute l’histoire acadienne. Ce n’est pas qu’elles n’aient été traversées de quelques incidents : sous l’administration du gouverneur Armstrong, en particulier, — ce déséquilibré qui mit fin à ses jours un matin de décembre 1739, — les scènes, dont quelques-unes assez grotesques, n’ont pas manqué. Les missionnaires acadiens, notamment, ont eu des passe-d’armes avec ce matamore. Mais rien de considérable n’est venu troubler l’harmonie générale qui s’était établie, et qui permettait à ce que l’on a appelé « les arts de la paix » de se développer. Le gouvernement de Paul Mascarène fut à peu près un modèle du genre, si l’on veut bien avoir égard aux circonstances : ce Français Huguenot comprenait les Acadiens ; il était homme de bonne compagnie ; minutieux, ferme, mais poli, prêtres et habitants pouvaient s’entendre avec lui, car il était accessible aux bonnes raisons, aux loyales explications. Et cependant, la situation devint critique à un moment donné ; la neutralité acadienne fut soumise à une rude épreuve : de 1744 à 1748, pendant la guerre dite de la Succession d’Autriche, l’Acadie ne fut pas envahie moins de quatre fois par les Français ; les chefs de ces expéditions, dont quelques-unes furent désastreuses pour les Anglais, par exemple, l’affaire de Grand-Pré, ne négligèrent rien pour attirer les habitants de leur côté : flatteries, menaces, tout fut employé à cette fin. Leurs efforts se heurtèrent en vain à ces consciences simples mais droites, que les plus belles avances ou la perspective de terribles représailles ne purent rendre infidèles à leurs promesses. Il a pu se produire des défections particulières mais en nombre négligeable ; ces cas accidentels ne furent que l’infime exception. Dans l’ensemble, dans la presque totalité, les Acadiens se montrèrent d’une correction absolue, à tel point que Mascarène a pu leur rendre ce témoignage : « Nous devons notre salut et la conservation de la Province au fait que les habitants français ont constamment refusé de prendre les armes contre nous. »[7] Ne fallait-il pas que la chose s’imposât avec la clarté de l’évidence pour qu’un pouvoir ombrageux, méfiant, susceptible, l’attestât si hautement ?

En 1749, avec l’arrivée d’Edward Cornwallis comme gouverneur, et la fondation de l’importante colonie de Chebuctou (Halifax), se font entendre les premiers grondements de l’orage qui éclatera en 1755, et répandra la dévastation parmi les habitants français. Cornwallis se présentait muni des plus amples instructions de la part de son Souverain, au cours desquelles il y avait des promesses alléchantes faites à ceux des Acadiens qui voudraient renoncer à la langue et à la religion de leurs pères, et passer au protestantisme. C’est la reprise en haut lieu du plan infâme déjà caressé par William Shirley, gouverneur du Massachusetts. Ah ! comme tout aurait pu s’arranger par une apostasie qui paraissait à ces bons messieurs la chose la plus naturelle du monde. Alors, l’avenir des Acadiens était assuré. L’apostasie, c’était pour eux le secret du bonheur. Pourquoi n’achèteraient-ils pas à ce prix une existence paisible et prospère ? Et la question du serment était brusquement ressuscitée et mise dans un relief qu’elle n’avait pas eu encore. Comme si cette affaire n’eût pas été réglée déjà à la satisfaction générale ! Comme si les Acadiens eussent manqué à cette neutralité qu’ils avaient jurée ! En récompense d’une attitude qui avait valu à la Grande-Bretagne, dans des circonstances fort critiques, la conservation de la Nouvelle-Écosse, Cornwallis, au nom et de par l’autorité du Roi, les somme de prêter un serment sans réserve, ou de s’en aller. Les Acadiens acceptent unanimement cette dernière alternative, ce dont il se montre surpris. Cet homme aurait-il jamais pu s’imaginer que, pour une simple raison de sentiment, ces gens naïfs, ces paysans, iraient abandonner leurs belles terres, diraient adieu à leurs foyers, plutôt que de sacrifier un principe qui leur était sacré ? Et cependant, le départ auquel ils sont résolus, il faut absolument l’empêcher. Il est vrai que les colons anglais sont maintenant nombreux dans la péninsule, et qu’il serait facile, en favorisant le courant de l’émigration, de donner aux Acadiens des remplaçants. Mais où iraient ces habitants français ? L’Île Royale ayant été rendue à la France, ils s’y porteraient en masse, ou à l’Île Saint-Jean ou au Canada. Quel précieux appoint, pour celle qui est toujours la grande ennemie, constituerait l’accession de ces milliers d’habitants ! Et quelle menace en résulterait pour les possessions britanniques ! Leur exode n’aura pas lieu. Et il faut voir à quelles roueries, à quels subterfuges, à quels plats mensonges, à quels fallacieux prétextes Cornwallis a recours pour l’entraver !

Au bout de deux ans de ces odieux manèges, Cornwallis, comme dégoûté du rôle qu’il a joué, s’en retourne dans son pays. Les Acadiens sont restés, et il a donc obtenu cela ; mais, sur l’affaire du serment, il a manqué son coup. L’objet essentiel de sa mission avait échoué pitoyablement.

Peregrine Thomas Hopsou, qui lui succède, semble avoir eu un grand sens politique. Ses premiers actes officiels sont pour supplier les Lords du commerce de ne pas le laisser presser les Acadiens sur la question du serment, dont il apprécie toute la gravité ; il désire que l’état des choses existant se prolonge indéfiniment, et en véritable diplomate, il croit que le temps finira par tout arranger à la satisfaction générale.[8]

Et voici venir, dans la personne de son successeur Charles Lawrence, l’homme fatal, l’exécuteur des hautes œuvres, le bourreau qui fera du peuple acadien un peuple martyr. Avec un tel homme — pardon, une pareille brute — les choses vont marcher rondement. Notre-Seigneur avait dit à Judas, après que Satan fut entré en lui : « Quod facis, fac citius. Ce que tu fais, fais-le vite. » (Jean. xiii, 27.) Lawrence voulut aussi faire vite, perpétuer au plus tôt la noble action qui devait, selon ses propres paroles, lui mériter la gratitude éternelle de la Grande-Bretagne. Le fameux serment est encore mis de l’avant. Il le faut bien, pour couvrir le crime abominable qui est déjà tout préparé. Le 1er août 1754, il écrit d’Halifax aux Lords du Commerce : « …tout considéré, je ne puis m’empêcher d’être d’avis que, s’ils refusent le serment, il vaudrait mieux qu’ils fussent éloignés. »[9] Le 18 juillet 1755, il fera une affirmation plus positive dans un autre message aux mêmes personnages : « Je suis bien déterminé à amener les habitants à se soumettre au serment ou à débarrasser la province de tels perfides sujets. »[10] Perfides ? Mais en quoi donc a consisté la perfidie des Acadiens ? Lawrence oublie de le spécifier. Quel renversement des valeurs chez cet homme absolument amoral ! La perfidie ! mais elle était du côté des gouverneurs qui, depuis quarante ans, malgré la clause du traité et contre les dispositifs d’une lettre royale, retenaient les habitants français dans la province. La perfidie ! mais elle était du côté du roi Georges ii et de son mandataire Cornwallis qui avaient inopinément invalidé un serment conditionnel prêté et reçu officiellement en 1730, avec toutes les garanties de sanction de la part de l’autorité souveraine. La perfidie ! mais elle était dans l’impasse où l’on acculait ces pauvres Acadiens. La perfidie ! ah ! avec le personnage qui vient d’entrer en scène et qui va précipiter le dénouement du drame longuement combiné et savamment mûri dans le mystère de la chancellerie britannique, à la perfidie s’ajoutera la froide cruauté, une barbarie si experte et si calculatrice, qu’en en voyant les preuves, l’on se demande si l’on ne rêve pas, si l’on n’est pas en proie à quelque effroyable cauchemar.

Mais que répondent donc les Lords du Commerce au vœu brutal exprimé par leur représentant dans sa lettre du 1er août 1754 ? Le document officiel est du 23 octobre 1754 : sa phraséologie de cabinet, à dessein entortillée, sournoise et pleine de sous-entendus, ne veut dire qu’une chose aux yeux d’un esprit honnête, à savoir : que sans le serment absolu, les Acadiens ne peuvent être considérés comme sujets anglais ni traités comme tels ; que leur refus de le prêter invalide leurs titres de possession, et fait d’eux, par conséquent, des étrangers, des ennemis dans la place, au sujet desquels il n’y a plus qu’une chose à faire, — les expulser au plus tôt. D’ailleurs, ajoutent ces bons Messieurs, en imitant un peu le geste de Pilate, nous souhaitons que vous vous entendiez là-dessus avec le juge-en-chef Belcher et que son opinion serve de base à toute mesure à prendre dans l’avenir concernant les habitants. »[11] Et c’est-à-dire qu’ils lui laissent le champ libre et qu’il a tout pouvoir d’exécuter les plans destinés à mettre la province en état de sécurité. Les Lords se portaient garants des mesures que Lawrence et Belcher pourraient adopter à cette fin. Aussi, le 25 mars 1756, lui écrivent-ils encore de Whitehall, en réponse aux dépêches dans lesquelles le Gouverneur leur avait parlé de la déportation déjà en partie réalisée : « Nous avons soumis le passage de votre lettre relatif à la déportation des habitants français et aux mesures que vous avez dû prendre pour exécuter ce dessein, sous les yeux du secrétaire d’État de Sa Majesté ; et comme vous représentez que cette déportation importait nécessairement à la sécurité et à la protection de la Province dans les conjonctures critiques où nous sommes, nous ne doutons pas que votre conduite en cette affaire ne soit pleinement approuvée par Sa Majesté. »[12] Est-ce assez clair ? Cela ne suffit-il pas à montrer la complicité de la Métropole dans ce crime ? Il y a bien d’autres documents qui établissent sa large part de responsabilité. Nous les citons dans notre ouvrage. Même, l’on trouva que Lawrence ne s’inquiétait pas assez, une fois l’œuvre accomplie, d’en affermir les bons résultats. N’y a-t-il pas, en effet, aux Archives une lettre des Lords dans laquelle ceux-ci regrettent « qu’un trop grand nombre d’Acadiens aient échappé à la proscription », et déplorent que « les colonies du sud aient laissé les déportés reprendre le chemin de la Nouvelle-Écosse. » Heureusement que « les gouverneurs de New-York et du Massachusetts leur ont barré le passage ! » Autrement à quoi n’aurait-on pu s’attendre de leur parti[13].

Voilà le seul genre de protestation que les autorités britanniques aient fait entendre au sujet de l’œuvre exécutée par Lawrence. Et qu’implique-t-elle ? un désaveu ? Bien au contraire : la crainte qu’il n’ait pas poussé son action jusqu’à ses derniers effets.

Et donc, Lawrence a carte blanche. Conformément à la suggestion émise par les Lords du Commerce, le juge-en-chef Jonathan Belcher rédige une consultation dont la conclusion est que, tant qu’il restera un français dans la province, il n’y a pas à espérer que la paix y sera stable, et que le seul parti à prendre pour assurer la sécurité du pays est de disséminer ces français parmi les colonies anglaises du continent. Entre temps, l’arpenteur Morris avait, sur l’ordre du Gouverneur, préparé un rapport détaillé sur les divers groupements acadiens, leur nombre, leur force, leurs richesses, examiné sous toutes la question de savoir comment s’y prendre pour s’en débarrasser, et indiqué de façon précise et détaillée le moyen le plus sûr d’en finir à jamais avec cette engeance : la déportation également.

Avec ces beaux documents en portefeuille, le Gouverneur, ayant souci de la légalité, procède dans les formes. Car il faut qu’il ait au moins une apparence de raison pour mettre à exécution une sentence déjà tout élaborée ; il faut qu’il se couvre du manteau de la justice. Il y aura donc un simulacre de procès. La pièce accusatrice est longue et circonstanciée : par malheur pour la mémoire de Lawrence, c’est le réquisitoire le plus tendancieux, le plus hypocrite, le plus mensonger, le plus impudent, qu’offrent peut-être les annales judiciaires. Cette machine, analysée et disséquée ainsi qu’on peut la voir au tome deuxième d’Acadie, il reste qu’il n’y avait pas là de quoi fouetter un chat. Et cependant, c’est derrière cet absurde échafaudage que va se réfugier Lawrence pour perpétrer son forfait. Une dernière fois, le serment est offert aux Acadiens après qu’on leur a confisqué leurs archives et enlevé leurs armes : ils se consultent ; leur réponse est d’abord toujours la même : non possumus, nous ne pouvons pas. Ils se trouvent en face d’un ultimatum. De guerre lasse, voyant qu’ils ne seront pas écoutés, sentant qu’ils seront victimes de la violence, ils consentent enfin à se soumettre à ce qu’on leur demande. « Trop tard, leur répond Lawrence. D’après les lois anglaises ceux qui ont une fois refusé de prêter le serment ne peuvent plus être admis à le faire. »[14] Le traître a ce qu’il voulait. Le prétexte pour agir, le voilà. Et quelques jours après, savoir le 28 juillet 1755, il fait sanctionner à l’unanimité par son conseil, accru pour la circonstance du vice-amiral Boscawen et du contre-amiral Mostyn, l’ordre du jour suivant : » Comme il avait été antérieurement résolu de transporter les habitants français hors de la Province s’ils refusaient de prêter le serment, la seule chose qui restait à considérer portait sur les mesures à prendre pour exécuter ce plan et sur l’endroit vers lequel ils seraient dirigés. Après mûre délibération, il fut unanimement décidé que la meilleure méthode à suivre… était de les disséminer parmi les diverses colonies anglaises du continent ; à cette fin, un nombre suffisant de vaisseaux devait être nolisé dans le plus bref délai possible. »[15] Et les scènes d’horreur et d’ignominie de se déployer : emprisonnement des délégués acadiens dans la petite île Saint-Georges, confiscations des immeubles et des troupeaux par toute la péninsule ; main-mise sur les hommes et les garçons au-dessus de dix ans ; puis viendra le tour des femmes et des filles. John Winslow, répondant avec enthousiasme à l’appel de Lawrence, acourra de Boston pour présider à ces beaux faits d’armes : « Enfin, notera-t-il en propres termes dans son curieux Journal, lequel se trouve aux Archives de la Massachusetts Historical Society, nous allons pouvoir purger la Province de cette plaie d’Égypte ! » — À propos, il est remarquable de voir l’abus que ces Anglais, très liseurs de leur Bible, ont fait de l’Écriture-Sainte. Dès 1721, Philipps écrivait au Secrétaire d’État : « Si les Français quittent la Province, ce sera comme les Juifs sont sortis d’Égypte ; ils s’en tireront comme ils le pourront, avec ce qu’ils ont, et ce qu’ils pourront emprunter. »[16] Et très souvent, dans le Journal de Winslow et les lettres de ses subalternes, il y a des souvenirs de l’Ancien Testament, ou des paroles divines mêlées aux infamies que ces soldats sont en train de consommer. Jedeliah Prebble lui écrivait, par exemple, de Fort Cumberland, le 24 août 1755 : « … nous nous réjouissons de votre heureuse arrivée aux Mines, et nous sommes charmés d’apprendre que vous avez d’aussi bons quartiers pour vous et vos soldats, étant donné que vous avez pris possession des édifices religieux : nous espérons que vous y remplirez bien les fonctions de prêtre. »[17] Nous nous demandons s’il est possible d’être plus cynique. Les Boches ont exactement le même langage aujourd’hui. Leur vieux Dieu, sinistre parodie de notre Dieu trois fois saint, est constamment appelé à la rescousse pour consacrer leurs atrocités. Hélas ! pareilles profanations ne seront-elles pas de tous les temps ? L’Évangile même en rapporte : dans l’épisode de la tentation de Notre-Seigneur, Satan s’est servi des inspirations de l’Esprit Saint pour donner couleur de raison et de justice à ses assauts contre la personne auguste du Verbe Incarné.

Nous ne pouvons suivre les pauvres Acadiens dans leur exode douloureux, vers la terre étrangère, leur débarquement sur des plages où on ne les attendait pas et où ils furent reçus comme des chiens. Il y aurait un ouvrage considérable à écrire sur les Acadiens en exil. Et peut-être un jour nous y mettrons-nous, s’il plaît à Dieu. Qu’il suffise de dire aujourd’hui que leur déportation, loin de marquer la fin de leurs misères, n’a été que le prologue d’années d’angoisses, d’agonie, de tortures physiques et morales, et pour des milliers d’entre eux, de mort. Il y a, par exemple, dans les Archives de l’État, à Boston, deux énormes cahiers in-folios dans lesquels ont été compilés les originaux des pièces où figurent les délibérations de la Chambre d’Assemblée et les arrêts du Conseil de la Province, concernant l’arrivée de ces parias et le traitement à leur accorder. Ces cahiers portent le titre de : French Neutrals. Nous allons souvent consulter ces document jaunis. Chaque fois qu’il nous est donné de toucher et de feuilleter ce que nous pourrions appeler ces actes des martyrs, de parcourir, par exemple, telle requête présentée par des Acadiens, exposant « que leurs enfants leur sont ravis de force sous leurs yeux et emmenés ils ne savent où dans une sorte d’esclavage », ah ! notre cœur est déchiré par de tels spectacles, bouleversé par les accents que la douleur arrachait à ces persécutés. Voici le texte de l’une de ces requêtes. Nous la donnons absolument telle quelle :

« À Son Excellence le Gouverneur général de la Province de Massachusetts Bay de la Nouvelle Angleterre et au Honorable Gentilhomme du Conseil.

« Nous avons pris la liberté de vous présenté cette Requeste, comme nous sommes en chagrin par raport à nos enfans. La perte que nous avons souffris de nos habitations, et amené icy, et nos séparations les uns des autres, n’est rien a comparé à celle que nous trouvon a présent, que de prendre par force nos enfans devant nos yeux. La nature même ne peut souffrir cela. Si il estait en nostre pouvoir davoir nostre chois, nous choisirions plustôt de rendre nos corps et nos âmes que destre séparé deux. C’est pourquoy nous vous prions en grâce et à vos Honours que vous ayé la bonté dapaisser cette crueltéz… » Signé : Jean Lendrey, Claude Bennois, Claude Le Blanc, Jacques Esbert, etc., avril 1756. »[18]

Une autre requête, celle-ci en anglais, en date du 5 mai 1756, et présentée par Claude Bourgeois, de Amesbury, porte : « Voici quatre semaines environ, dix ou douze hommes vinrent chez lui, et lui ravirent deux de ses filles, l’une âgée de vingt-cinq ans, et l’autre de dix-huit : ses filles étaient alors occupées à filer pour la subsistance de la famille de pauvres restes de chanvre et de laine qui étaient tout ce qu’ils avaient pu sauver à leur départ d’Annapolis… »[19] Citons enfin une requête, présentée le 10 septembre 1756, et qui montre combien les Acadiens étaient étroitement surveillés et comme parqués en tel ou tel lieu, d’où ils ne pouvaient sortir qu’avec permission spéciale du Gouverneur même et de son Conseil :


« À Son Excellence William Shirley, etc.,

« La requérante est actuellement bien malade de la fièvre à Boston ; elle supplie humblement que, si Dieu daigne épargner sa vie et la rendre de nouveau à la santé, il lui soit permis d’aller vivre à Newbury avec son frère Pierre Doucet, le seul parent ou ami qu’elle ait en ce pays… »

Signé : Marguerite Doucet. »[20]


Ces documents brisent l’âme. Mais ce n’est pas le moment d’en parler plus longuement. Les considérations que nous avons à faire maintenant doivent s’inspirer de l’exposé historique que nous venons de vous soumettre et en tirer les conclusions qui s’imposent.


II


D’après les quarante années d’histoire que nous avons déroulées sous vos yeux à grands traits, les Acadiens méritaient-ils la sorte de châtiment qui leur a été infligé, — la déportation, la peine la plus forte du code pénal après la peine de mort, peine aggravée de toutes les circonstances abominables qui ont accompagné et suivi son exécution ? Méritaient-ils seulement l’ombre d’un châtiment ? La vérité, fondée sur l’examen attentif des faits tels que relatés dans les documents de la partie adverse, — et c’est pourquoi ce jugement a tant de poids, — nous oblige à dire que non. Cette peine a été portée gratuitement. Et parce qu’elle était si considérable, et qu’elle impliquait à la fois la confiscation des biens et des immeubles, le démembrement des familles, l’exil dans les conditions les plus affreuses, elle a pris les proportions d’un crime contre la justice et le droit des gens : ce fut un attentat contre l’humanité, et, en un certain sens, le plus formidable que l’histoire eût encore enregistré. L’affaire du serment n’était qu’un leurre. La simple équité exigeait qu’on laissât les habitants français libres de s’en aller en territoire français, ainsi qu’ils le voulaient, dans les délais fixés par le traité d’Utrecht. Les obstacles à leur départ étant venus de l’autorité britannique, leur droit primordial restait intangible, et c’était une infamie de plus que d’invoquer à ce propos la prescription. Un serment conditionnel, qui sauvegardait la délicatesse de leurs sentiments, et donnait à leur situation éminemment fausse un équilibre rationnel, ayant été accepté et ratifié officiellement, les gouverneurs et leurs chefs hiérarchiques devaient en respecter la teneur, ainsi que les assermentés l’avaient toujours fait, — ou alors ceux-ci reprenaient leur liberté. S’il était vrai d’ailleurs, ainsi qu’un gouverneur le leur avait affirmé, que le roi de Grande-Bretagne ne pouvait légalement enrôler dans ses milices actives des catholiques romains,[21] pourquoi donc tant presser les Acadiens pour leur faire prêter un nouveau serment, lequel précisément n’ajoutait au premier qu’une chose : l’obligation du service militaire ? Une telle insistance impliquait contradiction ; même si elle eût réussi à faire céder les Acadiens, ce succès était annulé à l’avance de par les lois anglaises ; il ne donnait pas un homme de plus aux armées du Souverain Seigneur de l’Acadie ou Nouvelle-Écosse.

Ce qui achève de montrer que la question du serment n’était qu’un prétexte, un coup monté, à défaut duquel l’on aurait inventé autre chose, est ceci : quand les Acadiens, poussés à bout, et voyant enfin qu’il ne leur reste pas d’autre moyen d’empêcher l’orage qui les menace d’éclater, s’offrent à prêter ce serment absolu, on leur répond qu’il n’en est plus temps, qu’ils en ont manqué l’occasion, laquelle ne peut plus revenir, que d’ailleurs le serment, s’ils le prêtaient maintenant, n’aurait aucune valeur, étant donné qu’il ne présenterait pas les garanties de liberté et de sincérité voulues. Tant il est vrai que l’on était en quête d’un motif pour déchaîner les malheurs longuement amoncelés sur la tête de ces paisibles, trop paisibles habitants, par une lâche et brutale diplomatie. J’ai bien dit : longuement amoncelés. La déportation ne fut pas un orage soudainement éclos, ce ne fut pas une œuvre improvisée, ni l’acte d’un seul homme, encore que le gouverneur sans entrailles qui l’a accomplie en soit à peu près uniquement responsable aux yeux de la plupart des historiens, même des nôtres. Qu’on l’en approuve ou qu’on l’en blâme, c’est lui, et lui seul en somme, qui est objet de louange ou de condamnation.

Certes, Charles Lawrence était bien l’homme qu’il fallait pour opérer ce crime monstrueux. Mais, le charger seul de ce lourd fardeau, c’est fausser radicalement la vérité de l’histoire, méconnaître le sens des documents les plus clairs. Et nous n’entendons pas signifier seulement que d’autres personnages secondaires ont formellement et matériellement collaboré à cette entreprise, savoir tous les membres du Conseil, et Belcher, et Morris, et Boscawen, et Mostyn et surtout Winslow, Monckton, Murray, Prebble, etc. ; nous n’entendons pas signifier seulement que le gouverneur de la province royale du Massachusetts, William Shirley, doit au moins partager également avec Lawrence la responsabilité de cette affaire.[22] Notre affirmation va beaucoup plus loin et vise beaucoup plus haut. Ce fruit amer, conçu dans la haine, les préjugés de race et de religion, avait eu tout le temps de se développer et de mûrir, pendant les années que les Acadiens, véritables émigrés de l’intérieur, exilés dans leur propre territoire, avaient passées sous le joug britannique. Lawrence l’a cueilli et l’a offert, comme un trophée glorieux, à son Roi et à sa nation, qui tous deux le trouvèrent agréable à voir et savoureux à manger.[23] Nous ne prétendons diminuer en rien les initiatives personnelles que ce gouverneur a déployées dans les dernières scènes de ce drame, ni les hâtes à la fois calculées et fébriles avec lesquelles il en a précipité le dénouement. Mais ce dénouement, qu’il a amené avec une extraordinaire maîtrise dans la barbarie, supposait une trame d’intrigue antérieurement formée avec une patience et un art infernaux. Lawrence a présidé à la catastrophe, à laquelle il a su d’ailleurs imprimer, dans une large mesure, le cachet de son caractère, fait de cynisme et de cruauté.

Quand Édouard Richard, — et Rameau, et surtout Casgrain, pour ne parler que de nos propres historiens, lui en avaient donné l’exemple, — s’évertue à nous prouver que la déportation fut uniquement l’œuvre de Lawrence et de ses complices subalternes, que la Métropole n’y a été pour rien, et que la raison essentielle pour laquelle ce Gouverneur a commis une telle action était la cupidité, le désir de s’enrichir lui-même avec les nombreux troupeaux des Acadiens et de doter ses créatures et les colons anglais en général de leurs magnifiques propriétés, il nous semble que son loyalisme l’empêche de voir le fond des choses, ou que ses informations sur ce point capital étaient par trop défectueuses ; il nous semble qu’il fait d’une cause occasionnelle le principe premier d’un événement à jamais néfaste. Que l’entourage du Gouverneur et les colons britanniques aient bénéficié de la proscription qui avait enveloppé tous les autres français, en se faisant octroyer à bon compte leurs belles terres, cela n’est que trop certain. Que Charles Lawrence en ait personnellement profité pour faire fortune, cela n’est pas si sûr, des documents, dont nous n’avons pas lieu de suspecter la véracité, affirmant qu’il est mort pauvre, moins de cinq ans après son exploit.[24] La déportation devait entraîner des frais considérables ; et les provinces royales, qui allaient de si mauvais cœur accueillir ces pauvres expulsés et les confier à l’assistance publique, devaient exiger du gouvernement de la Nouvelle-Écosse le remboursement intégral des dépenses que leur entretien occasionnerait. Et nous avons des raisons péremptoires de croire que c’est en vue de subvenir à ces charges que le Gouverneur a versé au budget de la province le produit de ses fructueuses confiscations.[25]

Quelle fut donc alors la cause profonde de la déportation, si l’affaire du serment ne l’explique pas, s’il faut rejeter également, comme motif premier, comme motif plausible même, la question de spéculation intéressée de la part de Lawrence ? Messieurs, vous savez quelles ignominies la fameuse raison d’État a servi à couvrir et à justifier. Et vous savez aussi que, devant la morale éternelle, transcendante aux questions de race et de religion, cette raison d’État apparaît souvent comme un défi aux lois divines et humaines. Or, c’est la raison d’État qui donne la solution du problème acadien, et certes, loin d’exonérer le pouvoir qui a extirpé ce peuple et en a semé les débris dans des milieux hostiles où il espérait bien qu’il serait tôt anéanti, elle marque l’extraordinaire proportion de son crime, lequel ne fut ni plus ni moins qu’un crime national. Il ne vint jamais sérieusement à l’esprit des autorités anglaises de garder indéfiniment sous leur tutelle une race qui avait à leurs yeux le double tort d’être française de sang, de cœur et de tradition, et surtout d’être foncièrement catholique, inébranlablement attachée aux croyances de ses pères, les seules vraies, du reste. D’un autre côté, elles jugeaient également impossible de la laisser émigrer dans les domaines du roi de France : la France, l’éternelle ennemie, se fût servie de cette force nouvelle pour tenter de reconquérir ses anciennes possessions, que l’exode en masse des habitants eût transformées en une sorte de désert, facile à réoccuper, défendu qu’il était seulement par une faible garnison.

Le seul parti à prendre en l’occurrence, pour des hommes d’État dont l’intérêt, l’enjeu matériel était la suprême loi, était de garder ces français, ces paysans têtus, ces méprisables et ignorants papistes, à l’intérieur de leurs frontières, par force et par ruse, en attendant l’heure favorable à l’exécution du sort qu’on leur destinait, lequel était déjà fixé dans ses lignes essentielles. Dès le 28 décembre 1720, les Lords du Commerce écrivaient de Whitehall à Richard Philipps : « Nous inclinons à croire que les habitants français de la Nouvelle-Écosse ne deviendront jamais de bons sujets de Sa Majesté tant que les gouverneurs français et leurs prêtres exerceront sur eux une aussi grande influence ; pour cette raison, nous sommes d’avis qu’ils devraient être transportés ailleurs, aussitôt que les renforts que nous nous proposons de vous envoyer seront arrivés en Nouvelle-Écosse… »[26] Voilà le dessein fatidique ouvertement exprimé, et nous ne sommes qu’en 1720 !

M. Henri Vaugeois a dit avec une grande profondeur philosophique : « Dans la vie en société, qui est presque toute dominée et mue par la parole, les hommes ont commencé de rendre possible un événement, fût-ce un crime, dès la minute où ils en ont énoncé l’idée. »[27] Réflexion très juste, et qui s’insère comme d’elle-même dans l’ordre de nos considérations et de nos déductions. L’idée de la déportation est énoncée en haut lieu : elle fera son chemin, elle aboutira fatalement. « Quand les renforts seront arrivés », — c’est-à-dire quand la colonie sera suffisamment peuplée de nos propres gens, quand le sol de la province aura été défriché par le travail et les sueurs des étrangers qui l’habitent maintenant, et que nous n’aurons plus qu’à recueillir les fruits de leurs longs labeurs, quand nous aurons assez de soldats pour opérer cette chose rêvée, — alors se sera l’heure. Cette heure vint en effet, lentement mais sûrement. Et Charles Lawrence aura eu la gloire de forger le dernier anneau destiné à relier les deux bouts de la chaîne que la diplomatie britannique avait tendue autour des Acadiens, et d’ouvrir à ces malheureux les portes de l’exil.

Les temps étaient mûrs ! Il ne fallait pas différer davantage la réalisation du plan machiavélique conçu dès le premier jour, qui avait pu se voiler sous d’hypocrites manœuvres destinées à donner le change sur les intentions réelles, mais qui n’en avait que mieux grandi dans l’ombre. Tous les procédés dilatoires qui avaient eu cours jusque-là, et qui étaient nécessités par l’état insuffisant dans lequel se trouvaient les forces anglaises, avaient eu l’avantage d’endormir les victimes et de les bercer d’illusions sur le véritable avenir qu’on leur réservait. C’était le moment de les secouer brutalement, et de les mettre en face d’un sort fixé de longue date et auquel il ne leur était pas permis d’échapper.

Les temps étaient mûrs ! Quand l’Angleterre s’emparait de la péninsule acadienne, cette conquête ne marquait pas le terme de ses ambitions. Oh ! ses projets allaient bien au delà de ce territoire, et même des îles adjacentes. L’expansion britannique, dans toute la ferveur de ses origines, pouvait-elle se contenter d’un si mince morceau de pays ? Pareille conquête n’était qu’une étape dans l’exécution d’un dessein qui n’allait à rien moins qu’à embrasser tout le continent nord-américain.[28] Or, en cette année 1755, la Grande-Bretagne jugea le moment venu de donner l’essor à sa politique mondiale. Le Canada tant convoité, elle allait en tenter à nouveau l’investissement et par l’ouest et par l’est. Pour réussir dans ses efforts du côté de l’est, ne lui fallait-il pas d’abord y mettre à néant les restes de la puissance française ? Et cela voulait dire que non seulement la réduction de Beauséjour et de l’Île Royale entrait essentiellement dans son plan d’action, cela voulait dire aussi que tous les Acadiens de la péninsule, ces français neutres, ces habitants paisibles, qui pendant quarante années avaient donné l’exemple de la plus complète soumission au gouvernement, et s’étaient distingués maintes fois, et dans des circonstances critiques, par leur fidélité à leur serment de neutralité, oui, cela signifiait que ces bons paysans, absolument inoffensifs, seraient d’abord jetés loin du théâtre des opérations que l’on méditait, balayés comme les feuilles au vent d’automne, ah ! oui, « transportés ailleurs ! »

Eh ! quoi, dans cette avance vers le Canada, dans cette aventure triomphale que vont inaugurer les armées anglaises, laisserait-on derrière soi ce peuple de plusieurs milliers d’hommes, des étrangers, des ennemis, ces Français soi-disant neutres qu’aucune promesse n’a pu faire renoncer à leurs traditions ancestrales, au trésor de leur langue et de leur religion, ces papistes que rien, ni caresses ni menaces, n’a pu libérer de la superstition romaine ? Mais l’on risquerait alors d’être pris en flanc par ces traîtres sur qui l’on ne peut pas compter, parce qu’ils ont résisté à tous les efforts tentés pour faire d’eux de bons sujets anglais, en d’autres termes pour les faire verser dans l’apostasie religieuse et nationale.

Le plus simple, et c’est même la seule solution qui se soit jamais présentée à ces grands hommes d’État, — le plus simple, c’est de supprimer cette race réfractaire à l’influence britannique, de la briser, de la broyer, d’en disperser les débris sur toutes les plages des nobles provinces royales du continent. Et, quand cela aura été exécuté, le reste ira tout seul. Profond raisonnement, Messieurs, qui a eu toutefois le tort de reposer sur d’inconcevables chimères, et de méconnaître, avec tous les principes du droit des gens, les notions les plus élémentaires de morale et d’humanité. C’est ainsi que la déportation des Acadiens nous apparaît comme l’un des premiers effets, et le plus abominable de tous, produits dans le monde par ce que l’on devait appeler l’impérialisme britannique ; c’est le fruit de l’impérialisme avant la lettre. Pour premier essai, ce monstre naissant a fait un coup de maître, qui n’a pas été dépassé et dont l’horreur nous saisit encore, après cent soixante-sept ans d’intervalle.

Dans les Archives de la Massachusetts Historical Society, nous avons lu un travail navrant publié à Philadelphie en 1856 par un M. William-B. Reed, et dans lequel sont relatées, avec un grand souci de précision, une parfaite impartialité, l’accent de la sympathie chrétienne, les tortures endurées par les « French Neutrals » à Philadelphie même, et en d’autres endroits de la Pennsylvanie. Des centaines de ces déportés y sont morts de misère et de mauvais traitements. Et l’auteur termine son étude, remplie de désolantes statistiques, par ces mots : « Ces pauvres catholiques fugitifs, d’autant plus attachés à leur foi qu’ils avaient souffert, à cause d’elle, la persécution et l’exil, moururent le cœur brisé, et leur agonie est une tache qui pèse sur le nom anglais. They died heart broken, and the stain of their agony rests upon the english name. »[29]

Parole terrible, qui n’est toutefois que l’expression de la vérité, le verdict de la conscience humaine, en présence d’un tel forfait !

Tous les Acadiens ne sont pas morts des suites de la déportation : la survivance, la reviviscence de cette race malheureuse, aux lieux d’où elle avait été déracinée, est même, comme nous le disait un éminent prélat, quelque chose de si extraordinaire que cela tient du miracle providentiel ; mais tous en ont eu le cœur brisé : leurs misères, leurs souffrances, leurs deuils sont, pour le nom et pour le blason britannique, une tache qui ne sera jamais effacée.


Henri d’Arles.



  1. Cf. IV, Rég. XXIV, 3. « Factum est autem hoc per verbum Domini contra Judam… » II. Par. XXXVI, 9-22. Maspero, Hist. anc. des peuples de l’Orient. Liv. IV, ch. XII.
  2. It may be said to have an almost contemporary importance, owing to a somewhat similar condition in Belgium, where the Germans, arguing that their affairs are jeopardized by the presence of many able-bodied men in the rear, are carrying thousands away from that unhappy country.
  3. Cf. Revue des Deux Mondes du 15 juin 1917. Journal d’une Déportée par Mme H. Célarié.
  4. Cf. Le cardinal Mercier contre les Barbares. Troisième partie. Le cardinal Mercier et les Déportations, p. 122. (Paris, Bloud et Gay, 1917.)
  5. « …it was judged (la Déportation) a necessary and the only practicable measure to divide them among the colonies where they may be of some use, as most of them are healthy strong people. » Circulaire du gouv. Lawrence aux gouverneurs du continent. N. S. D., p. 278.
  6. Cf. Acadie, tome ii, p. 362.
  7. « To the breaking the French measures… our French inhabitants refusing to take up arms against us, we owe our preservation. » Lettre de décembre 1744. N. S. D., p. 148-9.
  8. « Mr. Cornwallis can thoroughly inform your Lordships how difficult, if not impossible, it may be, to force such a thing (the oaths) upon them, and what ill consequences may attend it… as they (les Acadiens) appear to be much better disposed than they have been, and I hope will still amend and in a long course of time become less scrupulous, I beg to know… how far His Majesty would approved my silence on this head till a more convenient opportunity. » Hopson to Lords of Trade, 10 déc. 1752 N. S. D., p. 197.
  9. « I cannot help being of opinion that it would be much better, if they refuse the oaths, that they were away. » N. S. D., p. 213.
  10. « …am determined to bring the inhabitants to a compliance, or rid the province of such perfidious subjects. » N. S. D., p. 260.
  11. « …it may be a question well worth considering how far can they be treated as subjects without taking such oaths, and whether their refusal to take them will not operate to invalidate the titles to their lands… could wish that you would consult the chief justice upon this point and take his opinion, which may serve as a foundation for any future measure it may be thought advisable to pursue with regard to the inhabitants in general. » N. S. D., p. 237.
  12. « … we doubt not but that your conduct herein will meet with His Majesty’s approbation. » N. S. D., p. 298.
  13. Can. Arch. (1894) Nova Scotia. 1756, March 10. Whitehall. Lords of Trade to Lawrence, B. T. N. S., vol. 36, p. 300.
  14. « …a clause in an Act of Parliament, I Geo. 2 c. 13, whereby persons who have once refused to take the oaths cannot be afterwards permitted to take them, but are considered as Popish recusants… » N. S. D., p. 256.
  15. N. S. D., pp. 266-7.
  16. Nova Scotia Arch., vol. ii, p. 76.
  17. Winslow’s Journal. Coll. of N. S. H. S., vol. 111 (1883) p. 99.
  18. French Neutrals, I, p. 49.
  19. Ibid., I, p. 63.
  20. Ibid., p. 215.
  21. « …it being contrary to the laws of Great Britain that a Roman Catholic should serve in the army… » N. S. D., p. 67.
  22. « It is hinted in contemporaneous documents that Gov. Shirley of Massachusetts first suggested deportation to Lawrence. If so, he must bear a heavy onus. » (Tracy. Tercentenary Hist. of Canada, vol, ii,. 397)
  23. « It saddens all lovers of Great Britain to find that she did not disavow it. » Id. Ibid., p. 398.
  24. La thèse de l’enrichissement de Lawrence est insoutenable. Cf. Can. Arch. (1894) de 1755 à 1763. — « Lawrence died unmarried, and left no money or property behind him for relatives to fight over. In 1754, he inherited £10.000 sterling, from an uncle in Southampton, John Harding, Esq., but his expenses were very heavy. He paid one-half of the cost of erection of the new government House built in 1758 and the entire cost of furnishings. The tremendous armaments and forces in garrison from 1756 to 1760 entailed on the governor an immense deal of entertaining, which explains why he died poor. » — Life and Administration of Gov. Charles Lawrence, by James S. MacDonald. Coll. of the N. S. H. S. vol. xii. Halifax. N. S. 1906. Page 56.
  25. Voir la preuve de ceci dans Arch. Can. (1894) passim, et tout au long des deux vols de French Neutrals, aux archives de Boston. Ces confiscations n’ont pas suffi d’ailleurs à couvrir ces dépenses. Lawrence laissa la Nouvelle-Écosse fort endettée de ce chef.
  26. « We are apprehensive they will never become good subjects to His Majesty whilst the French Governors and their priests retain so great an influence over them, for which reason we are of opinion they ought to be removed as soon as the forces which we have proposed to be sent to you shall arrive in Nova Scotia… » N. S. D., p. 58, — Arch. Can. (1894) B. T. N. S., vol. 32, p. 395.

    Ce texte est capital dans la question qui nous occupe. Lawrence dans sa fameuse lettre supra cit. du 1er août 1754, ne fera que reprendre, à peu près dans la même forme, l’idée exprimée ici par les Lords.

  27. Enquête sur la Monarchie, de Chs Maurras, p. 175.
  28. Dans le Journal de Winslow, l’on trouve l’écho de ces aspirations, qui étaient dans l’air, pour ainsi parler.
  29. Paru dans l’American and Gazette. Philadelphia Saturday, March 29, 1856.