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Ainsi parlait Zarathoustra/Troisième partie/Des vieilles et des nouvelles tables

La bibliothèque libre.
Traduction par Henri Albert.
Société du Mercure de France (Œuvres complètes de Frédéric Nietzsche, vol. 9p. 283-313).
DES VIEILLES ET DES NOUVELLES TABLES


1.


Je suis assis là et j’attends, entouré de vieilles tables brisées et aussi de nouvelles tables à demi écrites. Quand viendra mon heure ?

— l’heure de ma descente, de mon déclin : car je veux retourner encore une fois auprès des hommes.

C’est ce que j’attends maintenant : car il faut d’abord que me viennent les signes annonçant que mon heure est venue, — le lion rieur avec l’essaim de colombes.

En attendant je parle comme quelqu’un qui a le temps, je me parle à moi-même. Personne ne me raconte de choses nouvelles : je me raconte donc à moi-même. —


2.


Lorsque je suis venu auprès des hommes, je les ai trouvés assis sur une vieille présomption. Ils croyaient tous savoir, depuis longtemps, ce qui est bien et mal pour l’homme.

Toute discussion sur la vertu leur semblait une chose vieille et fatiguée, et celui qui voulait bien dormir parlait encore du « bien » et du « mal » avant d’aller se coucher.

J’ai secoué la torpeur de ce sommeil lorsque j’ai enseigné : Personne ne sait encore ce qui est bien et mal : — si ce n’est le créateur !

Mais c’est le créateur qui crée le but des hommes et qui donne son sens et son avenir à la terre : c’est lui seulement qui crée le bien et le mal de toutes choses.

Et je leur ai ordonné de renverser leurs vieilles chaires, et, partout où se trouvait cette vieille présomption, je leur ai ordonné de rire de leurs grands maîtres de la vertu, de leurs saints, de leurs poètes et de leurs sauveurs du monde.

Je leur ai ordonné de rire de leurs sages austères et je les mettais en garde contre les noirs épouvantails plantés sur l’arbre de la vie.

Je me suis assis au bord de leur grande allée de cercueils, avec les charognes et même avec les vautours — et j’ai ri de tout leur passé et de la splendeur effritée de ce passé qui tombe en ruines.

En vérité, pareil aux pénitenciers et aux fous, j’ai anathématisé ce qu’ils ont de grand et de petit, — la petitesse de ce qu’ils ont de meilleur, la petitesse de ce qu’ils ont de pire, voilà ce dont je riais.

Mon sage désir jaillissait de moi avec des cris et des rires ; comme une sagesse sauvage vraiment il est né sur les montagnes ! — mon grand désir aux ailes bruissantes.

Et souvent il m’a emporté bien loin, au delà des monts, vers les hauteurs, au milieu du rire : alors il m’arrivait de voler en frémissant comme une flèche, à travers des extases ivres de soleil :

— au delà, dans les lointains avenirs que nul rêve n’a vus, dans les midis plus chauds que jamais imagier n’en a rêvés : là-bas où les dieux dansants ont honte de tous les vêtements : —

— afin que je parle en paraboles, que je balbutie et que je boite comme les poètes ; et, en vérité, j’ai honte d’être obligé d’être encore poète ! —

Où tout devenir me semblait danses et malices divines, où le monde déchaîné et effréné se réfugiait vers lui-même : —

— comme une éternelle fuite de soi et une éternelle recherche de soi chez des dieux nombreux, comme un bienheureuse contradiction de soi, une répétition et un retour vers soi-même des dieux nombreux : —

Où tout temps me semblait une bienheureuse moquerie des instants, où la nécessité était la liberté même qui se jouait avec bonheur de l’aiguillon de la liberté : —

Où j’ai retrouvé aussi mon vieux démon et mon ennemi né, l’esprit de lourdeur et tout ce qu’il a créé : la contrainte, la loi, la nécessité, la conséquence, le but, la volonté, le bien et le mal : —

Car ne faut-il pas qu’il y ait des choses sur lesquelles on puisse danser et passer ? Ne faut-il pas qu’il y ait — à cause de ceux qui sont légers et les plus légers — des taupes et de lourds nains ?


3.


C’est là aussi que j’ai ramassé sur ma route le mot de « Surhumain » et cette doctrine : l’homme est quelque chose qui doit être surmonté,

— l’homme est un pont et non un but : se disant bienheureux de son midi et de son soir, une voie vers de nouvelles aurores :

— la parole de Zarathoustra sur le grand Midi et tout ce que j’ai suspendu au-dessus des hommes, semblable à un second couchant de pourpre.

En vérité, je leur fis voir aussi de nouvelles étoiles et de nouvelles nuits ; et sur les nuages, le jour et la nuit, j’ai étendu le rire, comme une tente multicolore.

Je leur ai enseigné toutes mes pensées et toutes mes aspirations : à réunir et à joindre tout ce qui chez l’homme n’est que fragment et énigme et lugubre hasard, —

— en poète, en devineur d’énigmes, en rédempteur du hasard, je leur ai appris à être créateurs de l’avenir et à sauver, en créant, tout ce qui fut.

Sauver le passé dans l’homme et transformer tout « ce qui était » jusqu’à ce que la volonté dise : « Mais c’est ainsi que je voulais que ce fût ! C’est ainsi que je le voudrai — »

— C’est ceci que j’ai appelé salut pour eux, c’est ceci seul que je leur ai enseigné à appeler salut. —

Maintenant j’attends mon salut, — afin de retourner une dernière fois auprès d’eux.

Car encore une fois je veux retourner auprès des hommes : c’est parmi eux que je veux disparaître et, en mourant, je veux leur offrir le plus riche de mes dons !

C’est du soleil que j’ai appris cela, quand il se couche, du soleil trop riche : il répand alors dans la mer l’or de sa richesse inépuisable, —

— en sorte que même les plus pauvres pêcheurs rament alors avec des rames dorées ! Car c’est cela que j’ai vu jadis et, tandis que je regardais, mes larmes coulaient sans cesse. —

Pareil au soleil, Zarathoustra, lui aussi, veut disparaître : maintenant il est assis là à attendre, entouré de vieilles tables brisées et de nouvelles tables, — à demi-écrites.


4.


Regardez, voici une nouvelle table : mais où sont mes frères qui la porteront avec moi dans la vallée et dans les cœurs de chair ? —

Ainsi l’exige mon grand amour pour les plus éloignés : ne ménage point ton prochain ! L’homme est quelque chose qui doit être surmonté.

On peut arriver à se surmonter par des chemins et des moyens nombreux : c’est à toi à y parvenir ! Mais le bouffon seul pense : « On peut aussi sauter par-dessus l’homme. »

Surmonte-toi toi-même, même dans ton prochain : il ne faut pas te laisser donner un droit que tu es capable de conquérir !

Ce que tu fais, personne ne peut te le faire à son tour. Voici, il n’y a pas de récompense.

Celui qui ne peut pas se commander à soi-même doit obéir. Et il y en a qui savent se commander, mais il s’en faut encore de beaucoup qu’ils sachent aussi s’obéir !


5.


Telle est la manière des âmes nobles : elles ne veulent rien avoir pour rien, et moins que toute autre chose, la vie.

Celui qui fait partie de la populace veut vivre pour rien ; mais nous autres, à qui la vie s’est donnée, — nous réfléchissons toujours à ce que nous pourrions donner de mieux en échange !

Et en vérité, c’est une noble parole, celle qui dit : « Ce que la vie nous a promis nous voulons le tenir — à la vie ! »

On ne doit pas vouloir jouir, lorsque l’on ne donne pas à jouir. Et l’on ne doit pas vouloir jouir !

Car la jouissance et l’innocence sont les deux choses les plus pudiques : aucune des deux ne veut être cherchée. Il faut les posséder — mais il vaut mieux encore chercher la faute et la douleur ! —


6.


Ô mes frères, le précurseur est toujours sacrifié. Or nous sommes des précurseurs.

Nous saignons tous au secret autel des sacrifices, nous brûlons et nous rôtissons tous en l’honneur des vieilles idoles.

Ce qu’il y a de mieux en nous est encore jeune : c’est ce qui irrite les vieux gosiers. Notre chair est tendre, notre peau n’est qu’une peau d’agneau : — comment ne tenterions-nous pas de vieux prêtres idolâtres !

Il habite encore en nous-mêmes, le vieux prêtre idolâtre qui se prépare à faire un festin de ce qu’il y a de mieux en nous. Hélas ! mes frères, comment des précurseurs ne seraient-ils pas sacrifiés !

Mais ainsi le veut notre qualité ; et j’aime ceux qui ne veulent point se conserver. Ceux qui sombrent, je les aime de tout mon cœur : car ils vont de l’autre côté.


7.


Être véridique : peu de gens le savent ! Et celui qui le sait ne veut pas l’être ! Moins que tous les autres, les bons.

Ô ces bons ! — Les hommes bons ne disent jamais la vérité ; être bon d’une telle façon est une maladie pour l’esprit.

Ils cèdent, ces bons, ils se rendent, leur cœur répète et leur raison obéit : mais celui qui obéit ne s’entend pas lui-même !

Tout ce qui pour les bons est mal doit se réunir pour faire naître une vérité : ô mes frères, êtes-vous assez méchants pour cette vérité ?

L’audace téméraire, la longue méfiance, le cruel non, le dégoût, l’incision dans la vie, — comme il est rare que tout cela soit réuni ! C’est de telles semences cependant que — naît la vérité.

À côté de la mauvaise conscience, naquit jusqu’à présent toute science ! Brisez, brisez-moi les vieilles tables, vous qui cherchez la connaissance !


8.


Quand il y a des planches jetées sur l’eau, quand des passerelles et des balustrades passent sur le fleuve : en vérité, alors on n’ajoutera foi à personne lorsqu’il dira que « tout coule ».

Au contraire, les imbéciles eux-mêmes le contredisent. « Comment ! s’écrient-ils, tout coule ? Les planches et les balustrades sont pourtant au-dessus du fleuve ! »

« Au-dessus du fleuve tout est solide, toutes les valeurs des choses, les ponts, les notions, tout ce qui est « bien » et « mal » : tout cela est solide ! » —

Et quand vient l’hiver, qui est le dompteur des fleuves, les plus malicieux apprennent à se méfier ; et, en vérité, ce ne sont pas seulement les imbéciles qui disent alors : « Tout ne serait-il pas — immobile ? »

« Au fond tout est immobile », — c’est là un véritable enseignement d’hiver, une bonne chose pour les temps stériles, une bonne consolation pour le sommeil hivernal et les sédentaires.

« Au fond tout est immobile » — : mais le vent du dégel élève sa protestation contre cette parole !

Le vent du dégel, un taureau qui ne laboure point, — un taureau furieux et destructeur qui brise la glace avec des cornes en colère ! La glace cependant — brise les passerelles !

Ô mes frères ! tout ne coule-t-il pas maintenant ? Toutes les balustrades et toutes les passerelles ne sont-elles pas tombées à l’eau ? Qui se tiendrait encore au « bien » et au « mal » ?

« Malheur à nous ! gloire à nous ! le vent du dégel souffle ! » — Prêchez ainsi, mes frères, à travers toutes les rues.


9.


Il y a une vieille folie qui s’appelle bien et mal. La roue de cette folie a tourné jusqu’à présent autour des devins et des astrologues.

Jadis on croyait aux devins et aux astrologues ; et c’est pourquoi l’on croyait que tout était fatalité : « Tu dois, car il le faut ! »

Puis on se méfia de tous les devins et de tous les astrologues et c’est pourquoi l’on crut que tout était liberté : « Tu peux, car tu veux ! »

Ô mes frères ! sur les étoiles et sur l’avenir on n’a fait jusqu’à présent que des suppositions sans jamais savoir : et c’est pourquoi sur le bien et le mal on n’a fait que des suppositions sans jamais savoir !


10.


« Tu ne déroberas point ! Tu ne tueras point ! » Ces paroles étaient appelées saintes jadis : devant elles on courbait les genoux et l’on baissait la tête, et l’on ôtait ses souliers.

Mais je vous demande : où y eut-il jamais de meilleurs brigands et meilleurs assassins dans le monde, que les brigands et les assassins provoqués par ces saintes paroles ?

N’y a-t-il pas dans la vie elle-même — le vol et l’assassinat ? Et, en sanctifiant ces paroles, n’a-t-on pas assassiné la vérité elle-même ?

Ou bien était-ce prêcher la mort que de sanctifier tout ce qui contredisait et déconseillait la vie ? — Ô mes frères, brisez, brisez-moi les vieilles tables.


11.


Ceci est ma pitié à l’égard de tout le passé que je le vois abandonné, —

— abandonné à la grâce, à l’esprit et à la folie de toutes les générations de l’avenir, qui transformeront tout ce qui fut en pont pour elles-mêmes !

Un grand despote pourrait venir, un démon malin qui forcerait tout le passé par sa grâce et par sa disgrâce : jusqu’à ce que le passé devienne pour lui un pont, un signal, un héros et un cri de coq.

Mais ceci est l’autre danger et mon autre pitié : — les pensées de celui qui fait partie de la populace ne remontent que jusqu’à son grand-père, — mais avec le grand-père finit le temps.

Ainsi tout le passé est abandonné : car il pourrait arriver un jour que la populace devînt maître et qu’elle noyât dans des eaux basses l’époque tout entière.

C’est pourquoi, mes frères, il faut une nouvelle noblesse, adversaire de tout ce qui est populace et despote, une noblesse qui écrirait de nouveau le mot « noble » sur des tables nouvelles.

Car il faut beaucoup de nobles pour qu’il y ait de la noblesse ! Ou bien, comme j’ai dit jadis en parabole : « Ceci précisément est de la divinité, qu’il y ait beaucoup de dieux, mais pas de Dieu ! »


12.


Ô mes frères ! je vous investis d’une nouvelle noblesse que je vous révèle : vous devez être pour moi des créateurs et des éducateurs, — des semeurs de l’avenir, —

— en vérité, non d’une noblesse que vous puissiez acheter comme des épiciers avec de l’or d’épicier : car ce qui a son prix a peu de valeur.

Ce n’est pas votre origine qui sera dorénavant votre honneur, mais c’est votre but qui vous fera honneur ! Votre volonté et votre pas en avant qui veut vous dépasser vous-mêmes, — que ceci soit votre nouvel honneur !

En vérité, votre honneur n’est pas d’avoir servi un prince — qu’importent encore les princes ! — ou bien d’être devenu le rempart de ce qui est, afin que ce qui est soit plus solide !

Non que votre race soit devenue courtisane à la cour et que vous ayez appris à être multicolores comme le flamant, debout pendant de longues heures sur les bords plats de l’étang.

Car savoir se tenir debout est un mérite chez les courtisans ; et tous les courtisans croient que la permission d’être assis sera une des félicités dont ils jouiront après la mort ! —

Ce n’est pas non plus qu’un esprit qu’ils appellent saint ait conduit vos ancêtres en des terres promises, que je ne loue pas ; car dans le pays où a poussé le pire de tous les arbres, la croix, — il n’y a rien à louer !

— Et, en vérité, quel que soit le pays où ce « Saint-Esprit » ait conduit ses chevaliers, le cortège de ses chevaliers était toujours — précédé de chèvres, d’oies, de fous et de toqués ! —

Ô mes frères ! ce n’est pas en arrière que votre noblesse doit regarder, mais au dehors ! Vous devez être des expulsés de toutes les patries et de tous les pays de vos ancêtres !

Vous devez aimer le pays de vos enfants : que cet amour soit votre nouvelle noblesse, — le pays inexploré dans les mers lointaines, c’est lui que j’ordonne à vos voiles de chercher et de chercher encore !

Vous devez racheter auprès de vos enfants d’être les enfants de vos pères : c’est ainsi que vous délivrerez tout le passé ! Je place au-dessus de vous cette table nouvelle !


13.


« Pourquoi vivre ? tout est vain ! Vivre — c’est battre de la paille ; vivre — c’est se brûler et ne pas arriver à se chauffer. » —

Ces bavardages vieillis passent encore pour de la « sagesse » ; ils sont vieux, ils sentent le renfermé, c’est pourquoi on les honore davantage. La pourriture, elle aussi, rend noble. —

Des enfants peuvent ainsi parler : ils craignent le feu puisque le feu les a brûlés ! Il y a beaucoup d’enfantillage dans les vieux livres de la sagesse.

Et celui qui bat toujours la paille comment aurait-il le droit de se moquer lorsqu’on bat le blé ? On devrait bâillonner de tels fous !

Ceux-là se mettent à table et n’apportent rien, pas même une bonne faim : — et maintenant ils blasphèment : « Tout est vain ! »

Mais bien manger et bien boire, ô mes frères, cela n’est en vérité pas un art vain ! Brisez, brisez-moi les tables des éternellement mécontents !


14.


« Pour les purs, tout est pur » — ainsi parle le peuple. Mais moi je vous dis : pour les porcs, tout est porc !

C’est pourquoi les exaltés et les humbles, qui inclinent leur cœur, prêchent ainsi : « Le monde lui-même est un monstre fangeux. »

Car tous ceux-là ont l’esprit malpropre ; surtout ceux qui n’ont ni trêve ni repos qu’ils n’aient vu le monde par derrière, — ces hallucinés de l’arrière-monde !

C’est à eux que je le dis en plein visage, quoique cela choque la bienséance : en ceci le monde ressemble à l’homme, il a un derrière, — ceci est vrai !

Il y a dans le monde beaucoup de fange : ceci est vrai ! mais ce n’est pas à cause de cela que le monde est un monstre fangeux !

La sagesse veut qu’il y ait dans le monde beaucoup de choses qui sentent mauvais : le dégoût lui-même crée des ailes et des forces qui pressentent des sources !

Les meilleurs ont quelque chose qui dégoûte ; et le meilleur même est quelque chose qui doit être surmonté ! —

Ô mes frères ! il est sage qu’il y ait beaucoup de fange dans le monde ! —


15.


J’ai entendu de pieux hallucinés de l’arrière-monde dire à leur conscience des paroles comme celle-ci et, en vérité, sans malice ni raillerie, — quoiqu’il n’y ait rien de plus faux sur la terre, ni rien de pire.

« Laissez donc le monde être le monde ! Ne remuez même pas le petit doigt contre lui ! »

« Laissez les gens se faire étrangler par ceux qui voudront, laissez-les se faire égorger, frapper, maltraiter et écorcher : ne remuez même pas le petit doigt pour vous y opposer. Cela leur apprendra à renoncer au monde. »

« Et ta propre raison tu devrais la ravaler et l’égorger ; car cette raison est de ce monde ; — ainsi tu apprendrais toi-même à renoncer au monde. » —

— Brisez, brisez-moi, ô mes frères, ces vieilles tables des dévots ! Brisez dans vos bouches les paroles des calomniateurs du monde !


16.


« Qui apprend beaucoup, désapprend tous les désirs violents » — c’est ce qu’on se murmure aujourd’hui dans toutes les rues obscures.

« La sagesse fatigue, rien ne vaut la peine ; tu ne dois pas convoiter ! » — j’ai trouvé suspendue cette nouvelle table, même sur les places publiques.

Brisez, ô mes frères, brisez même cette nouvelle table ! Les gens fatigués du monde l’ont suspendue, les prêtres de la mort et les estaffiers : car voici, c’est aussi un appel à la servilité ! —

Ils ont mal appris et ils n’ont pas appris les meilleures choses, tout trop tôt et tout trop vite : ils ont mal mangé, c’est ainsi qu’ils se sont gâté l’estomac, —

— car leur esprit est un estomac gâté : c’est lui qui conseille la mort ! Car, en vérité, mes frères, l’esprit est un estomac !

La vie est une source de joie : mais pour celui qui laisse parler son estomac gâté, le père de la tristesse, toutes les sources sont empoisonnées.

Connaître : c’est une joie pour celui qui a la volonté du lion. Mais celui qui est fatigué est sous l’empire d’une volonté étrangère, toutes les vagues jouent avec lui.

Et c’est ainsi que font tous les hommes faibles : ils se perdent sur leurs chemins. Et leur lassitude finit par demander : « Pourquoi avons-nous jamais suivi ce chemin ? Tout est égal ! »

C’est à eux qu’il est agréable d’entendre prêcher : « Rien ne vaut la peine ! Vous ne devez pas vouloir ! » Ceci cependant est un appel à la servilité.

Ô mes frères ! Zarathoustra arrive comme un coup de vent frais pour tous ceux qui sont fatigués de leur chemin ; bien des nez éternueront à cause de lui !

Mon haleine libre souffle aussi à travers les murs dans les prisons et dans les esprits prisonniers !

La volonté délivre : car la volonté est créatrice ; c’est là ce que j’enseigne. Et ce n’est que pour créer qu’il vous faut apprendre !

Et c’est aussi de moi seulement qu’il vous faut apprendre à apprendre, à bien apprendre ! — Que celui qui a des oreilles entende.


17.


La barque est prête, — elle vogue vers là-bas, peut-être vers le grand néant. — Mais qui veut s’embarquer vers ce « peut-être » ?

Personne de vous ne veut s’embarquer sur la barque de mort ! Pourquoi voulez-vous alors être fatigués du monde !

Fatigués du monde ! Avant d’être ravis à la terre. Je vous ai toujours trouvés désireux de la terre, amoureux de votre propre fatigue de la terre !

Ce n’est pas en vain que vous avez la lèvre pendante : un petit souhait terrestre lui pèse encore ! Et ne flotte-t-il dans votre regard pas un petit nuage de joie terrestre que vous n’avez pas encore oubliée ?

Il y a sur terre beaucoup de bonnes inventions, les unes utiles, les autres agréables : c’est pourquoi il faut aimer la terre.

Et quelques inventions sont si bonnes qu’elles sont comme le sein de la femme, à la fois utiles et agréables.

Mais vous autres qui êtes fatigués du monde et paresseux ! Il faut vous caresser de verges ! à coups de verges il faut vous rendre les jambes alertes.

Car si vous n’êtes pas des malades et des créatures usées, dont la terre est fatiguée, vous êtes de rusés paresseux ou bien des jouisseurs, des chats gourmands et sournois. Et si vous ne voulez pas recommencer à courir joyeusement, vous devez — disparaître !

Il ne faut pas vouloir être le médecin des incurables : ainsi enseigne Zarathoustra : disparaissez donc !

Mais il faut plus de courage pour faire une fin, qu’un vers nouveau : c’est ce que savent tous les médecins et tous les poètes. —


18.


Ô mes frères, il y a des tables créées par la fatigue et des tables créées par la paresse, la paresse pourrie : quoiqu’elles parlent de la même façon, elles veulent être écoutées de façons différentes. —

Voyez cet homme langoureux ! Il n’est plus éloigné de son but que d’un empan, mais, à cause de sa fatigue, il s’est couché, boudeur, dans le sable : ce brave !

Il bâille de fatigue, fatigué de son chemin, de la terre, de son but et de lui-même : il ne veut pas faire un pas de plus, — ce brave !

Maintenant le soleil darde ses rayons sur lui, et les chiens voudraient lécher sa sueur : mais il est couché là dans son entêtement et préfère se consumer : —

— se consumer à un empan de son but ! En vérité, il faudra que vous le tiriez par les cheveux vers son ciel, — ce héros !

En vérité, il vaut mieux que vous le laissiez là où il s’est couché, pour que le sommeil lui vienne, le sommeil consolateur, avec un bruissement de pluie rafraîchissante :

Laissez-le coucher jusqu’à ce qu’il se réveille de lui-même, — jusqu’à ce qu’il réfute de lui-même toute fatigue et tout ce qui en lui enseigne la fatigue !

Mais chassez loin de lui, mes frères, les chiens, les paresseux sournois, et toute cette vermine grouillante : —

— toute la vermine grouillante des gens « cultivés » qui se nourrit de la sueur des héros ! —


19.


Je trace des cercles autour de moi et de saintes frontières ; il y en a toujours moins qui montent avec moi sur des montagnes toujours plus hautes : j’élève une chaîne de montagnes toujours plus saintes. —

Mais où que vous vouliez monter avec moi, mes frères : veillez à ce qu’il n’y ait pas de parasites qui montent avec vous !

Un parasite : c’est un ver rampant et insinuant, qui veut s’engraisser de tous vos recoins malades et blessés.

Et ceci est son art de deviner où les âmes qui montent sont fatiguées : c’est dans votre affliction et dans votre mécontentement, dans votre fragile pudeur, qu’il construit son nid répugnant.

Là où le fort est faible, là où le noble est trop indulgent, — c’est là qu’il construit son nid répugnant : le parasite habite où le grand a de petits recoins malades.

Quelle est la plus haute espèce chez l’être et quelle est l’espèce la plus basse ? Le parasite est la plus basse espèce, mais celui qui est de la plus haute espèce nourrit le plus de parasites.

Car l’âme qui a la plus longue échelle et qui peut descendre le plus bas : comment ne porterait-elle pas sur elle le plus de parasites ? —

— l’âme la plus vaste qui peut courir, au milieu d’elle-même s’égarer et errer le plus loin, celle qui est la plus nécessaire, qui se précipite par plaisir dans le hasard : —

— l’âme qui est, qui plonge dans le devenir ; l’âme qui possède, qui veut entrer dans le vouloir et dans le désir : —

— l’âme qui se fuit elle-même et qui se rejoint elle-même dans le plus large cercle ; l’âme la plus sage que la folie invite le plus doucement : —

— l’âme qui s’aime le plus elle-même, en qui toutes choses ont leur montée et leur descente, leur flux et leur reflux : — ô comment la plus haute âme n’aurait-elle pas les pires parasites ?


20.


Ô mes frères, suis-je donc cruel ? Mais je vous dis : ce qui tombe il faut encore le pousser !

Tout ce qui est d’aujourd’hui — tombe et se décompose ; qui donc voudrait le retenir ? Mais moi — moi je veux encore le pousser !

Connaissez-vous la volupté qui précipite les roches dans les profondeurs à pic ! — Ces hommes d’aujourd’hui : regardez donc comme il roulent dans mes profondeurs !

Je suis un prélude pour de meilleurs joueurs, ô mes frères ! un exemple ! Faites selon mon exemple !

Et s’il y a quelqu’un à qui vous n’appreniez pas à voler, apprenez-lui du moins — à tomber plus vite !


21.


J’aime les braves : mais il ne suffit pas d’être bon sabreur, — il faut aussi savoir qui l’on frappe !

Et souvent il y a plus de bravoure à s’abstenir et à passer : afin de se réserver pour un ennemi plus digne !

Vous ne devez avoir que des ennemis dignes de haine, mais point d’ennemis dignes de mépris : il faut que vous soyez fiers de votre ennemi : c’est ce que j’ai enseigné une fois déjà.

Il faut vous réserver pour un ennemi plus digne, ô mes amis : c’est pourquoi il y en a beaucoup devant lesquels il faut passer, —

— surtout devant la canaille nombreuse qui vous fait du tapage à l’oreille en vous parlant du peuple et des nations.

Gardez vos yeux de leur « pour » et de leur « contre » ! Il y a là beaucoup de justice et d’injustice : celui qui est spectateur se fâche.

Être spectateur et frapper dans la masse — c’est l’œuvre d’un instant : c’est pourquoi allez-vous-en dans les forêts et laissez reposer votre épée !

Suivez vos chemins ! Et laissez les peuples et les nations suivre les leurs ! — des chemins obscurs, en vérité, où nul espoir ne scintille plus !

Que l’épicier règne, là où tout ce qui brille — n’est plus qu’or d’épicier ! Ce n’est plus le temps des rois : ce qui aujourd’hui s’appelle peuple ne mérite pas de roi.

Regardez donc comme ces nations imitent maintenant elles-mêmes les épiciers : elles ramassent les plus petits avantages dans toutes les balayures !

Elles s’épient, elles s’imitent, — c’est ce qu’elles appellent « bon voisinage ». Ô bienheureux temps, temps lointain où un peuple se disait : C’est sur d’autres peuples que je veux être — maître ! »

Car, ô mes frères, ce qu’il y a de meilleur doit régner, ce qu’il y a de meilleur veut aussi régner ! Et où il y a une autre doctrine, ce qu’il a de meilleur — fait défaut.


22.


Si ceux-ci — avaient le pain gratuit, malheur à eux ! Après quoi crieraient-ils ? De quoi s’entretiendraient-ils si ce n’était de leur entretien ? et il faut qu’ils aient la vie dure !

Ce sont des bêtes de proie : dans leur « travail » — il y a aussi du rapt ; dans leur gain — il y a aussi de la ruse ! C’est pourquoi il faut qu’ils aient la vie dure !

Il faut donc qu’ils deviennent de meilleures bêtes de proie, plus fines et plus rusées, des bêtes plus semblables à l’homme : car l’homme est la meilleure bête de proie.

L’homme a déjà pris leurs vertus à toutes les bêtes, c’est pourquoi, de tous les animaux, l’homme a eu la vie la plus dure.

Seuls les oiseaux sont encore au-dessus de lui. Et si l’homme apprenait aussi à voler, malheur à lui ! à quelle hauteur — sa rapacité volerait-elle !


23.


C’est ainsi que je veux l’homme et la femme : l’un apte à la guerre, l’autre apte à engendrer, mais tous deux aptes à danser avec la tête et les jambes.

Et que chaque jour où l’on n’a pas dansé une fois au moins soit perdu pour nous ! Et que toute vérité qui n’amène pas au moins une hilarité nous semble fausse !


24.


Veillez à la façon dont vous concluez vos mariages, veillez à ce que ce ne soit pas une mauvaise conclusion ! Vous avez conclu trop tôt : il s’en suit donc — une rupture !

Et il vaut mieux encore rompre le mariage que de se courber et de mentir ! — Voilà ce qu’une femme m’a dit : « Il est vrai que j’ai brisé les liens du mariage, mais les liens du mariage m’avaient d’abord brisée — moi ! »

J’ai toujours trouvé que ceux qui étaient mal assortis étaient altérés de la pire vengeance : ils se vengent sur tout le monde de ce qu’ils ne peuvent plus marcher séparément.

C’est pourquoi je veux que ceux qui sont de bonne foi disent : « Nous nous aimons : veillons à nous garder en affection ! Ou bien notre promesse serait-elle une méprise ! »

— « Donnez-nous un délai, une petite union pour que nous voyions si nous sommes capables d’une longue union ! C’est une grande chose que d’être toujours à deux ! »

C’est ainsi que je conseille à tous ceux qui sont de bonne foi ; et que serait donc mon amour du Surhumain et de tout ce qui doit venir si je conseillais et si je parlais autrement !

Il ne faut pas seulement vous multiplier, mais vous élever — ô mes frères, que vous soyez aidés en cela par le jardin du mariage.


25.


Celui qui a acquis l’expérience des anciennes origines finira par chercher les sources de l’avenir et des origines nouvelles. —

Ô mes frères, il ne se passera plus beaucoup de temps jusqu’à ce que jaillissent de nouveaux peuples, jusqu’à ce que de nouvelles sources mugissent dans leurs profondeurs.

Car le tremblement de terre — c’est lui qui enfouit bien des fontaines et qui crée beaucoup de soif : il élève aussi à la lumière les forces intérieures et les mystères.

Le tremblement de terre révèle des sources nouvelles. Dans le cataclysme de peuples anciens, des sources nouvelles font irruption.

Et celui qui s’écrie : « Regardez donc, voici une fontaine pour beaucoup d’altérés, un cœur pour beaucoup de langoureux, une volonté pour beaucoup d’instruments » : — c’est autour de lui que s’assemble un peuple, c’est-à-dire beaucoup d’hommes qui essayent.

Qui sait commander et qui doit obéir — c’est ce que l’on essaie là. Hélas ! avec combien de recherches, de divinations, de conseils, d’expériences et de tentatives nouvelles !

La société humaine est une tentative, voilà ce que j’enseigne, — une longue recherche ; mais elle cherche celui qui commande !

— une tentative, ô mes frères ! et non un « contrat » ! Brisez, brisez-moi de telles paroles qui sont des paroles de cœurs lâches et des demi-mesures !


26.


Ô mes frères ! où est le plus grand danger de tout avenir humain ? N’est-ce pas chez les bons et les justes ! —

— chez ceux qui parlent et qui sentent dans leur cœur : « Nous savons déjà ce qui est bon et juste, nous le possédons aussi ; malheur à ceux qui veulent encore chercher sur ce domaine ! »

Et quel que soit le mal que puissent faire les méchants : le mal que font les bons est le plus nuisible des maux !

Et quel que soit le mal que puissent faire les calomniateurs du monde ; le mal que font les bons est le plus nuisible des maux !

Ô mes frères, un jour quelqu’un a regardé dans le cœur des bons et des justes et il a dit : « Ce sont les pharisiens. » Mais on ne le comprit point.

Les bons et les justes eux-mêmes ne devaient pas le comprendre : leur esprit est prisonnier de leur bonne conscience. La bêtise des bons est une sagesse insondable.

Mais ceci est la vérité : il faut que les bons soient des pharisiens, — ils n’ont pas de choix !

Il faut que les bons crucifient celui qui s’invente sa propre vertu ! Ceci est la vérité !

Un autre cependant qui découvrit leur pays, — le pays, le cœur et le terrain des bons et des justes : ce fut celui qui demanda : « Qui haïssent-ils le plus ? »

C’est le créateur qu’ils haïssent le plus : celui qui brise des tables et de vieilles valeurs, le briseur, — c’est lui qu’ils appellent criminel.

Car les bons ne peuvent pas créer : ils sont toujours le commencement de la fin : — ils crucifient celui qui écrit des valeurs nouvelles sur des tables nouvelles, ils sacrifient l’avenir pour eux-mêmes, — ils crucifient tout l’avenir des hommes !

Les bons — furent toujours le commencement de la fin. —


27.


Ô mes frères, avez-vous aussi compris cette parole ? et ce que j’ai dit un jour du « dernier homme » ? — —

Chez qui y a-t-il les plus grands dangers pour l’avenir des hommes ? N’est-ce pas chez les bons et les justes ?

Brisez, brisez-moi les bons et les justes ! — Ô mes frères, avez-vous aussi compris cette parole ?


28.


Vous fuyez devant moi ? Vous êtes effrayés ? Vous tremblez devant cette parole ?

Ô mes frères, ce n’est que lorsque je vous ai dit de briser les bons et les tables des bons, que j’ai embarqué l’homme sur la pleine mer.

Et c’est maintenant seulement que lui vient la grande terreur, le grand regard circulaire, la grande maladie, le grand dégoût, le grand mal de mer.

Les bons vous ont montré des côtes trompeuses et de fausses sécurités ; vous étiez nés dans les mensonges des bons et vous vous y êtes abrités. Les bons ont faussé et dénaturé toutes choses jusqu’à la racine.

Mais celui qui découvrit le pays « homme », découvrit en même temps le pays « l’avenir des hommes ». Maintenant vous devez être pour moi des matelots braves et patients !

Marchez droit, à temps, ô mes frères, apprenez à marcher droit ! La mer est houleuse : il y en a beaucoup qui ont besoin de vous pour se redresser.

La mer est houleuse : tout est dans la mer. Eh bien ! allez, vieux cœurs de matelots !

Qu’importe la patrie ! Nous voulons faire voile vers là-bas, vers le pays de nos enfants ! au large. Là-bas, plus fougueux que la mer, bouillonne notre grand désir.


29.


« Pourquoi si dur ? — dit un jour au diamant le charbon de cuisine ; ne sommes-nous pas proches parents ? — »

Pourquoi si mous ? Ô mes frères, je vous le demande : n’êtes-vous donc pas — mes frères ?

Pourquoi si mous, si fléchissants, si mollissants ? Pourquoi y a-t-il tant de reniement, tant d’abnégation dans votre cœur ? si peu de destinée dans votre regard ?

Et si vous ne voulez pas être des destinées, des inexorables : comment pourriez-vous un jour vaincre avec moi ?

Et si votre dureté ne veut pas étinceler, et trancher, et inciser : comment pourriez-vous un jour créer avec moi ?

Car les créateurs sont durs. Et cela doit vous sembler béatitude d’empreindre votre main en des siècles, comme en de la cire molle, —

— béatitude d’écrire sur la volonté des millénaires, comme sur de l’airain, — plus dur que de l’airain, plus noble que l’airain. Le plus dur seul est le plus noble.

Ô mes frères, je place au-dessus de vous cette table nouvelle : DEVENEZ DURS !


30.


Ô toi ma volonté ! Trêve de toute misère, toi ma nécessité ! Garde moi de toutes les petites victoires !

Hasard de mon âme que j’appelle destinée ! Toi qui es en moi et au-dessus de moi ! Garde-moi et réserve-moi pour une grande destinée !

Et ta dernière grandeur, ma volonté, conserve-la pour la fin, — pour que tu sois implacable dans ta victoire ! Hélas ! qui ne succombe pas à sa victoire !

Hélas ! quel œil ne s’est pas obscurci dans cette ivresse de crépuscule ? Hélas ! quel pied n’a pas trébuché et n’a pas désappris la marche dans la victoire ! —

— Pour qu’un jour je sois prêt et mûr lors du grand Midi : prêt et mûr comme l’airain chauffé à blanc, comme le nuage gros d’éclairs et le pis gonflé de lait : —

— prêt à moi-même et à ma volonté la plus cachée : un arc qui brûle de connaître sa flèche, une flèche qui brûle de connaître son étoile : —

— une étoile prête et mûre dans son midi, ardente et transpercée, bienheureuse de la flèche céleste qui la détruit : —

— soleil elle-même et implacable volonté de soleil, prête à détruire dans la victoire !

Ô volonté ! trêve de toute misère, toi ma nécessité ! Réserve-moi pour une grande victoire ! — —

Ainsi parlait Zarathoustra.