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Allumez vos lampes, s’il vous plaît !!!/12

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Texte établi par Association de La Salle, Éditeurs Dussault & Proulx (p. 35-36).

« L’ÉVÈNEMENT », 15 octobre 1920.


Nous ne sommes pas Français, mais Canadiens français !


Nous publions aujourd’hui un article au nom d’un professeur d’une expérience longue et pratique, sur la question de l’enseignement de l’anglais dès l’école primaire. Nous attirons l’attention des pères de familles canadiens-français sur cette défense du système préconisé plus particulièrement dans les académies des Frères des Écoles Chrétiennes. Le problème est grave et il va certainement soulever un débat qui sera mouvementé. Or, les parents sont les premiers intéressés dans la question de l’instruction de leurs enfants. Ils ont le devoir de les munir de l’éducation dont ils auront besoin selon leur état, pour mieux vivre une vie utile et heureuse. Peut-être seront-ils appelés, directement ou indirectement, à décider d’un litige pédagogique entre deux camps, que nous appelons volontiers le camp de l’Action française et le camp de l’Action canadienne.

Nous ne sommes pas Français, mais Canadiens français. Nous ne vivons pas en France, au milieu d’un peuple de quarante millions de sujets parlant la même langue, entouré d’autres peuples qui parlent aussi ou comprennent le français. Nous vivons en Canada, sur le continent américain, et nous sommes deux millions de Canadiens français, disséminés par groupes, sur une immense étendue de territoire, mais entourés complètement et pénétrés même par un élément de langue anglaise de plus de cent millions de personnes. Ajoutons que nous ne voulons pas l’isolement ethnique ou politique, que la majorité de nos compatriotes est aussi satisfaite de vivre en pays britannique qu’elle est fière de son origine française.

Le Canada est un pays bilingue, mais la langue anglaise y prédomine. On convient généralement qu’il faut donner une éducation française et anglaise aux petits Canadiens français. Il s’agit de savoir maintenant à quelle époque de la formation scolaire il convient de commencer à leur enseigner la langue de la majorité. Nous sommes de ceux qui croient que l’enseignement de l’anglais doit commencer le plus tôt possible. Il ne nous intéresse guère de savoir ce que pensent certains pédagogues français sur ce sujet. Ce qui peut être excellent en France peut être moins bon ou nuisible en Canada. En France on peut réussir dans toutes les sphères, même si l’on ne parle que la langue française. En Canada, c’est différent. On peut réussir dans certaines conditions, chez nous, en ne parlant que le français ; mais, en général, l’ignorance de l’anglais est une entrave fatale à la carrière des gens du commerce ou des hommes de profession.

Il est noble et bon de travailler à enseigner toujours de mieux en mieux à nos enfants la langue maternelle, que nous ne parlons pas si bien que nos petits cousins de France. Mais il est important d’assurer aux jeunes générations canadiennes la meilleure connaissance possible de l’anglais. Sans cette arme, la lutte pour la vie devient pénible à quiconque est appelé à vivre dans les villes. Les parents qui destinent leurs enfants à la vie des champs n’ont peut-être pas un devoir aussi strict de faire apprendre l’anglais, dès l’école primaire, à leurs fils et à leurs filles. Pour les citadins, c’est le contraire. Les enfants des villes auraient le droit, plus tard, de critiquer amèrement le système éducationnel de leur province, si la langue anglaise ne leur était pas enseignée aussi longuement et aussi patiemment que possible.

Les temps sont passés où l’on se complaisait à dire, en certains quartiers que les Canadiens français doivent parler l’anglais de si piètre façon qu’on reconnaisse immédiatement leur origine. Le père de famille canadien-français tient énormément aujourd’hui à ce que ses fils parlent l’anglais et le parlent non seulement correctement mais avec un bon accent. Nous osons dire que nos hommes d’affaires canadiens-français ont été généralement indignés d’entendre une petite école critiquer une communauté enseignante, parce qu’elle a compris plus intelligemment que bien d’autres l’importance de l’enseignement de l’anglais dans ses académies. Les anciens élèves de ces institutions sont aujourd’hui les piliers des œuvres nationales, qui, sans leur secours, chancelleraient parfois sur leurs bases.