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Allumez vos lampes, s’il vous plaît !!!/26

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Texte établi par Association de La Salle, Éditeurs Dussault & Proulx (p. 76-79).

RÉSULTAT D’UNE ENQUÊTE, par « Montréalais ».[1]


Les vraies causes du dépeuplement des campagnes.


Je crois qu’on ne doit pas accuser les académies commerciales de dépeupler les campagnes.

Sans doute les académies commerciales, comme les collèges classiques et les autres écoles d’enseignement supérieur, reçoivent des élèves qui veulent s’instruire afin de pouvoir gagner leur vie avec leur instruction. Mais ces maisons sont-elles vraiment la cause de la désertion de la terre ?

1. Les familles canadiennes-françaises de la campagne sont nombreuses. Le père n’a pas généralement le moyen d’établir tous ses garçons sur une terre, alors il en fait instruire quelques-uns pour leur procurer l’avantage de gagner leur vie avec leur instruction. Cette instruction qu’ils reçoivent est leur part d’héritage, et ils la prennent dans une maison de la région, soit classique, soit commerciale.

Il faut ajouter à cela que, dans certaines régions surtout, l’esprit de foi des parents les porte à mettre leurs fils dans un collège classique avec l’espoir bien légitime que ces jeunes gens deviendront prêtres.

Si les jeunes canadiens qui n’ont pas la facilité de s’établir sur la propriété paternelle, pouvaient se procurer l’avantage de se placer sur des terres neuves, ce que ces jeunes gens accepteraient avec empressement,[2] ils n’iraient pas chercher dans les établissements d’éducation des moyens de subsistance. Heureusement nous pouvons espérer maintenant que notre jeunesse recevra la protection du gouvernement pour exploiter les terres si riches qui n’attendent, que des bras pour fournir au pays les récoltes dont il a besoin.

C’est la difficulté à se procurer des terres neuves qu’il faut d’abord tenir responsable de la désertion des campagnes.

2. Une autre cause du dépeuplement des campagnes doit être attribuée aux communications trop faciles avec les villes. Les compagnies de chemin de fer organisent des excursions à la campagne ; la jeunesse des villes va exhiber ses toilettes devant les fils de cultivateurs qui sont éblouis. Ces jeunes gens habitués à la vie simple et tranquille de la campagne, entendent parler des amusements de la ville, de la facilité avec laquelle on y gagne sa vie ; de la jouissance que l’on a d’avoir toujours de la monnaie de poche. Les choses leurs sont montrées sous un faux jour, et ils ont la naïveté de croire qu’à la ville tout est beau, facile, brillant. Ils ne songent pas qu’il faut penser au lendemain, aux économies à faire, à la vie sérieuse qu’il faut préparer. Ils se demandent, ces braves jeunes gens, pourquoi ils doivent se lever de si grand matin, travailler fort toute la journée et tard le soir, se vêtir grossièrement, bien que chaudement ; alors ils prennent la terre en dégoût et veulent aller en ville pour avoir leur part de plaisir et de vie facile. Quand ils ouvrent les yeux à la réalité, il est généralement trop tard pour retourner sur la terre, et ils végètent, quand ils ne deviennent pas dangereux.

Ces déracinés n’ont pas passé par les académies commerciales, et ils ont pourtant quitté la terre. Je parie qu’ils sont plus nombreux que les autres, et cependant on n’en parle pas.

3. Une autre cause, qui ressemble un peu à la précédente, c’est que, l’été, beaucoup de familles s’en vont à la campagne. Ces gens s’amusent, pendant que les fils de cultivateur travaillent dans les champs. Quand les garçons de ferme voient ces jeunes gens de la ville faire la pêche ou la chasse à cœur de journée, ils se disent que ces gens là sont bien heureux et qu’eux sont bien sots de s’esquinter à la charrue ou sur les râteaux, alors qu’ils pourraient eux aussi travailler en ville, gagner de l’argent et venir à leur tour faire la belle jambe en villégiature à la campagne.

Ceux-là n’ont pas non plus passé par les académies commerciales ; et ils sont plus nombreux qu’on ne pense, ceux qui sont entraînés ainsi à laisser la proie pour l’ombre.

4. Il est encore une cause de désertion des campagnes ici et les parents sont responsables. Combien de fois n’entendez-vous pas une mère de famille qui, en présentant son fils au collège ou à l’académie, vous dira : Il faut qu’il s’instruise, afin de gagner sa vie à la ville ; s’il ne veut pas faire un prêtre, il fera un homme de profession ; il n’est pas plus bête qu’un autre, et il pourra faire un monsieur comme le fils d’un tel ou d’un tel. Elle ajoutera souvent, cette pauvre femme qui ne sait pas apprécier la vie paisible du cultivateur : Je ne veux pas que mes enfants aient la misère que nous avons ; notre vie est trop dure, et nous en avons assez de ce travail qui ne finit jamais, de cette vie qui ne nous donne aucun plaisir ; au moins nos enfants n’y goûteront pas : ils gagneront leur vie avec leur instruction.

5. Je crois sincèrement que tous les pensionnats, quels que soient leur nature et leurs programmes, sont aussi une cause de la désertion des campagnes, bien que le nombre des fils de cultivateur qui en suivent les cours, dans les classes supérieures, soit relativement très petit. L’enfant que l’on veut garder sur la ferme ne devrait pas s’en éloigner pour longtemps. Dans l’école du rang ou dans l’externat du village, il continue matin et soir à faire un travail proportionné à son âge ; il conserve le goût de la terre et développe normalement ses forces musculaires par un exercice régulier et constant. Mais si l’enfant, est placé dans un pensionnat, il ne peut plus entretenir et augmenter sa vigueur par l’exercice quotidien, et il perd le goût du travail manuel. Après quelques années de ce régime, il ne voudra plus et même ne pourra plus retourner à la terre qui ne lui dira plus rien. Il aura perdu ses forces avec le goût du travail manuel ; il aura pris une autre mentalité : l’expérience est là pour démontrer la vérité de ce que j’avance.

Le gouvernement fédéral avait décidé de placer sur des terres les soldats revenus du front. Quels furent les résultats de cette utopie ? un fiasco complet. On n’improvise pas un agriculteur ; le travail de la ferme demande un entraînement spécial, et il faut avoir été élevé sur la terre et y avoir travaillé à peu près toujours pour pouvoir résister aux fatigues de la culture.

L’aberration d’un rédacteur du Financial Post, de Toronto, qui ne voit pas d’autre moyen de parer à la crise du logement, à la crise des prix de l’alimentation, que de jeter à la terre les inutiles et les naufragés des villes, n’est pas moins grande. Comment voulez-vous que « ces hâves prolétaires attachés à l’asphalte, » aient le courage de se mettre au travail de la ferme, même « pour retourner à l’air pur des bons champs canadiens ? » Encore une fois, on ne s’improvise pas cultivateur du jour au lendemain.

Les Américains ont tenté de remplacer les jeunes fermiers qui s’étaient enrôlés dans l’armée pour protéger les petites nationalités et sauver la démocratie, par les étudiants des « High Schools. » Qu’est-il arrivé ? Ces jeunes gens, n’ayant pas la pratique du métier, ni l’endurance nécessaire pour faire le travail exigé, ont dû lâcher prise après quelques jours d’essai.

Les collèges commerciaux dont on se plaint ne sont donc pas l’unique cause de la désertion de la terre. D’ailleurs, ces collèges sont généralement établis dans les gros villages, et reçoivent comme élèves, non pas tant des fils de cultivateur, mais des fils de marchand, d’ouvrier, de journalier, qui ne songent pas à se faire agriculteurs, mais veulent gagner leur vie avec leur instruction. Des statistiques ont établi que dans les classes de commerce proprement dites il n’y a pas 5% de fils de cultivateurs ; faudrait-il alors, en faveur de cette infime minorité, refuser aux 95% des élèves ce qu’ils viennent chercher dans ces écoles ? Si ces académies commerciales n’existaient pas, ces jeunes gens iraient en ville pour y trouver l’instruction qu’ils cherchent, et alors, comme bien d’autres, ils entreraient dans ces « Business Collèges, » où on prépare en six mois, à des diplômes de commerce. Ils seraient privés d’un complément d’instruction qu’ils trouvent, dans ces académies commerciales, qui ne sont pas aussi commerciales qu’on a l’air de le croire. Dans la plupart de ces maisons, les classes de 7e et de 8e suivent le programme de l’Instruction publique. Dans les maisons où il y a une 9e année, le programme de cette classe est assez spécial et peut prêter à la critique, mais comme il y a, dans cette classe, peu de fils de cultivateurs, je ne comprends pas comment on peut accuser les académies commerciales, plus que les collèges classiques et les autres écoles d’enseignement supérieur, de déraciner les fils de fermiers pour en faire des messieurs de la ville.

Montréalais.

  1. Que l’auteur de cette belle étude veuille bien agréer les meilleurs remerciements de l’Association de La Salle, pour son gracieux envoi.
  2. Nous respectons cette opinion, mais nous ne saurions la partager. Nous croyons plutôt que c’est le fils du colon, non le fils de l’habitant de nos riches campagnes, qui sera le plus apte à ouvrir de nouvelles terres, et c’est ce que nous avons essayé à démontrer dans notre propre enquête.