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Almanach (Verhaeren)/01

La bibliothèque libre.
(p. 11-14).

JANVIER




Par Le soir trouble et flagellant,
où se gèlent exténuées
les lumières et les nuées,
vague l’hiver nocturne et blanc.

Les champs dorment si vieux, si morts,
qu’on les croirait frappés d’un sort,
— qui donc suscitera le vernal sortilège ?
Tout seul vers le couchant là-bas,
triste et discord, avec des hoquets las,
quelque pauvre angélus sonne encor dans la neige.

Les chaumières et les étables
apparaissent si lamentables
que leur misère s’ouvre en plaies ;
de clos en clos, le long des haies,
sur un bâton pelé
pend du pauvre linge gelé.



Par le soir trouble et flagellant,
en des manteaux usés de vent,
vague l’hiver nocturne et blanc.

Les villages comme amoindris
serrent leurs toits et leurs taudis
et calfeutrent leur peur ;
ils s’alignent au bord des routes mortes,
où chaque âtre, dessous la porte,
glisse en biseau sa coupante lueur.

La neige épand ses laines
et ses flocons parmi les plaines
et déchiquette de la haine
en rafales folles et vaines.

Elle dissémine ses mille loques
minuscules, qui s’effiloquent
à travers champs, en chaque coin,
où de grands arbres de silence
échelonnent leur vigilance
vers l’infini, de loin en loin.



Sol blanc, ténèbres claires :
aux carrefours, les croix crépusculaires
écartèlent leur christ vers l’immense douleur,
mais le sang pur qui lui coule du torse
ne tiédit pas le gel féroce
dont les grappes plombent son cœur.

Parfois, comme si l’air était de fer,
s’écoute au fond des nocturnes prairies
un craquement de fleuve qui charrie
ses batailles de glaces vers la mer.

Par le soir trouble et flagellant,
plus vieux que ne sont les années
autour du temps agglutinées,
vague l’hiver nocturne et blanc.

La lune au ciel se voile ou transparaît ;
les nuages dans leurs voyages
couchent des nappes de mirages
au long des lacs et des marais.



Des ombres et des formes rôdent
et se mêlent à des clartés
qui tout à coup montent et s’échafaudent.

Un remuement aux horizons violentés
halluciné l’esprit ;
les chimères tumultuaires passent
sur leurs chevaux d’espace
et le mystère de la nuit
vaguement s’ouvre et s’accomplit.