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Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors. Statuts des sodomites au XVIIe siècle./III/20

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Texte établi par Jean HervezBibliothèque des curieux (éditions Briffaut) (p. 105-108).

Bandeau de début de chapitre
Bandeau de début de chapitre


CHAPITRE XX

LE FEU PREND À L’ARSENAL DE CYTHÈRE


Separateur-7-Vaguelettes orienté bas
Separateur-7-Vaguelettes orienté bas


Les Ebugors, ennuyés de la longueur du siège, qui malgré leurs travaux continuels n’avançait presque point, assemblèrent un grand conseil dans lequel on résolut qu’on tâcherait de découvrir de quel côté était l’arsenal de Cythère, et que dès qu’on en serait informé, on dresserait une batterie à bombes et à boulets rouges, afin d’y mettre le feu si l’on pouvait. Tous les assistants goûtèrent fort ce projet, et personne ne douta que, si l’on pouvait venir à l’exécution, ce serait un des plus courts moyens d’affaiblir extrêmement la garnison de Cythère.

La Fortune sembla favoriser cette entreprise. Un Caginien, que l’on avait envoyé faire la découverte, ayant rapporté fidèlement la situation des lieux, la batterie fut bientôt prête et commença à jouer avec tant de violence que bientôt le quartier de la ville où étaient les magasins fut tout en feu. L’arsenal surtout devint la proie des flammes, qui se répandirent de côté et d’autre, avec une fureur qu’il semblait que rien ne dût arrêter. L’Eau de Vadanel[1] et les Madopes[2], dont cet endroit était plein, donnaient encore de nouvelles forces à l’incendie. Les Cythéréennes, alarmées, firent tous leurs efforts pour en arrêter les progrès. Le fleuve Nerui leur fut d’un grand secours dans cette occasion, et le hasard voulut que les pompes de la ville se trouvèrent heureusement en bon état. On les fit jouer avec succès, et par ce moyen on préserva de la voracité des flammes le corps de cet important édifice ; mais tous les soins que l’on apporta n’empêchèrent pourtant pas que la perte que les Cythéréennes souffrirent ne fût très considérable.

Le Draf, le Vogre, les Choumes[3] furent entièrement consumés. Les jeunes Cythéréennes ne furent que médiocrement sensibles à ce dommage ; mais les vieilles furent inconsolables. « Comment, disaient ces dernières, oserons-nous paraître devant l’ennemi ? Ce n’est point assez d’avoir du courage, si l’on n’a pas d’ailleurs de quoi se faire redouter. Nous voilà dépouillées de ce qui faisait notre principale force ; nous n’avons désormais d’autre parti à prendre que celui de rester chez nous et nous ensevelir toutes vives dans nos maisons, pour ne pas nous exposer au plus sanglant des affronts. Il n’y aura plus maintenant de différence entre les Todéves et nous. Nous serons confondues avec cette perfide nation. Dieux ! cette idée seule fait frémir. Mais, hélas ! que servent nos plaintes et nos gémissements ? Ce sont nos pertes qu’il faut songer à réparer ; si l’on veut que nous ne restions pas inutiles à la garnison, qu’on nous fournisse au plus tôt les moyens de continuer notre service. »

On eut égard à de si justes plaintes, on donna à ces vieilles désolées toutes les choses dont elles avaient le plus besoin pour les expéditions militaires. Les jeunes, qui pouvaient absolument se passer de tout cet attirail, s’en défirent bien généreusement en faveur de celles pour qui ces choses étaient d’une nécessité indispensable.


Vignette de fin de chapitre
Vignette de fin de chapitre

  1. L’Eau de Vadanel est une liqueur dont on se sert après le combat pour bassiner l’endroit où les coups ont porté. (N. de l’A.)
  2. Madopes. Il y en a de différentes espèces : celle surtout dont il est ici question est une sorte d’onguent que l’on emploie pour guérir les blessures. Il a la propriété de rapprocher si bien les lèvres de la plaie qu’il faut être fin connaisseur pour s’apercevoir quand quelqu’un en a fait usage. On l’appelle communément Madope de la Providence, parce que celui qui a le premier découvert ce secret demeure à Spira, à l’enseigne de la Providence ; autrement, on la nomme Madope Purocrilesnoscréte. (N. de l’A.)
  3. Le Draf, le Vogre, les Choumes, parure guerrière dont se servent les Cythéréennes pour se rendre plus formidables à l’ennemi. (N. de l’A.)