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Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors (éd. 1733)/13

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Chapitre XIII



CHAPITRE. XIII.


Supplice d’un Ebugor Eſpion.



LEs Ebugors voulant reconnôitre les forces de la place, réſolurent d’envoyer un Eſpion qui put avec addreſſe leur en rapporter un fidele compte. Leur choix pour cet effet tomba ſur un jeune officier de bonne mine & qui paroiſſoit trés propre á s’acquiter de cette commiſſion. Celuiçi ſe chargea volontiers d’un ſi perilleux emploi. Aprés qu’on lui eut donné les inſtructions néceſſaires, il prit des habits de Cythéréennes, & á la faveur de ce déguiſement, il s’introduiſit dans la ville. On le prit d’abord pour une étrangére qui venoit tenter fortune ; Ses attraits lui procurérent un accés facile dans toutes les maiſons. On lui offrit de l’emploi, & pour l’engager á prendre parti, on lui fit entendre qu’avec les bonnes qualités qu’il paroiſſoit avoir, Il ne pouvoit pas manquer de faire ſon chemin. Il répondit de ſon mieux à des discours ſi obligeans, & refuſa tout ce qu’on pouvoit lui propoſer de plus avantageux. Perſonne ne pouvoit pénétrer les motifs d’une conduite ſi extraordinaire ; On étoit accoutume á Cythére à voir les gens éxercer de trés bonne heure leurs talens. l’Eſpion profitôit cependant de l’erreur ou l’on étoit ſur ſon compte pour examiner tout ce qui ſe paſſoit ; Il n’auroit peut être meme jamais été découvert ſans une avanture qu’il eut avec un Meauraque. Ce dernier étoit un garçon d’une aimable figure, auquel l’Ebugor fit quelques agaceries ; On lui répondit ſur le même ton. Le Meauraque eſt d’abord : renverſé, l’officier ſe jette ſur lui, tire ſon poignard, eſt prêt á frapper ; l’autre ſaiſi de frayeur jette les hauts cris. La Garde vole & s’empare des deux combattans. l’Espion eſt réconnû : Les Cythéréennes indignées contre le traitre qu’elles avoient recû dans leur ſein avec tant de complaiſance & d’humanité, demandent vengeance avec une juſte fureur que leur inſpiroit la honte d’avoir été presque les duppes de ce fourbe. Leur demande etoit juſte : Bientôt ſon procés eſt inſtruit ; il eſt condamné au ſupplice de la Veconofentrie. C’eſt le chatiment que les Ebugors ont le plus en horreur. Le coupable écouta ſa ſentence ſans laiſſer paroître la moindre marque d’altération ou de foibleſſe ; mais bientôt ſa fermeté l’abbandonna, lors qu’il vit paroitre á ſes yeux l’inſtrument fatal de ſon ſupplice. Il frémit á la vue du Cloaque infect qui l’alloît engloutir.

Ce cloaque appellé Canelos en langue du pays, eſt une eſpéce de gouffre dont les bords ſont hériſſés de brouſſailles, qui ſervent de repaire à un nombre prodigieux d’inſectes tenaces dont la piquure eſt inſuportable, on les nomme Piromons. Dés qu’un malheureux en approche ces animaux s’en emparent, le tourmentent ſans relache & ſe rempliſſent de ſon ſang qu’ils ſuçent avec une avidité que rien ne ralentit. Envain entreprendroit, on de les détruire l’un aprés l’autre ; l’unique moyen de ſe ſouſtraire á leur rage eſt d’employer une ſorte de poiſon que l’on nomme Gont ſirguen. Les côtés intérieurs du gouffre ſont ſouvent occuppés par d’autres animaux encore plus dangereux appellés Heneracs : Ceux ci par leur morſure cruelle communiquent leur poiſon & multiplient en quelque ſorte leur être. Au fond eſt un lac d’une eau ſale, puante, verdâtre & empoiſonnée qui diſtile ſans ceſſe le long des parois du Canelos. C’eſt là dedans qu’on precipite le criminel, & lors qu’il eſt au fond il eſt obligé de faire jouer une pompe foulante & aſpirante par le moyen de la quelle il ſe voit innondé de cette même eau bourbeuſe au millieu de la quelle il expire. C’eſt de cette maniére que ſe vit traiter l’Eſpion infortuné des Ebugors.