Angleterre. Association pour l’abolition de la traite

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ANGLETERRE.

ASSOCIATION POUR L’ABOLITION DE LA TRAITE.

Une société nombreuse, composée des personnes les plus opulentes et les plus éclairées du comté de Surrey, et dont les travaux ont pour but tout ce qui peut amener l’abolition de la traite des nègres, tint dernièrement à Epsom sa séance annuelle à laquelle assistèrent une foule de dames. Plusieurs discours appelant à l’envi l’attention et l’intérêt de l’auditoire, retracèrent d’une manière pathétique les maux auxquels la population esclave est en butte, et demandèrent que des pétitions aux deux chambres réclamassent incessamment et sans relâche l’abolition de la traite. « Il est temps dit M. Pownal, l’un des membres de la société, il est temps que l’humanité cesse d’être outragée à ce point. Tant que les nègres seront livrés à des travaux sans salaires, tant qu’ils existeront sans lois, le peuple de Surrey élèvera la voix contre les oppresseurs. Quinze cents enfans de l’Afrique sont annuellement enlevés à leur patrie. Multipliez ce nombre par celui des années écoulées depuis le commencement de cet odieux commerce, il vous donnera une population plus forte que celle de l’Angleterre. Qu’est-elle devenue ? ne laissant sur la terre d’autre souvenir que celui de ses souffrances et de ses larmes, elle a comparu en entier devant le tribunal suprême, qui l’a dédommagée sans doute, des injustices dont elle fut l’objet. Les récits des missionnaires ne nous apprennent-ils pas que sous ces poitrines brûlées des feux du soleil se trouvent des cœurs agités par de généreuses et nobles inspirations ? N’avons-nous pas assez de preuves de l’intelligence des malheureux nègres ? Par qui l’Égypte fut-elle peuplée ? par quelles mains furent élevés ses monumens gigantesques ? Sans doute ce qu’ils furent jadis, est le garant de ce qu’ils pourraient être encore, puisque d’ailleurs, les exemples présens viennent corroborer les souvenirs du passé. N’avons-nous pas vu sous nos yeux, des nègres parcourir avec honneur et succès la carrière des sciences et des arts ? Accordons-leur les droits qui appartiennent à tous les hommes, et bientôt nous les verrons déployer les mêmes qualités, les mêmes talens, les mêmes vertus que toutes les autres races. Si nos ministres ne se hâtent d’alléger le poids des fers d’une partie des sujets de Sa Majesté, bientôt il deviendra impossible de réprimer l’impatience du peuple anglais à cet égard. La Jamaïque semble par sa conduite porter un défi à l’Angleterre. Vous dirai-je quelques-unes des lois de cette colonie ? Le maître peut empoisonner son esclave à sa volonté, et le faire fouetter à discrétion. La législature, il est vrai, a bien voulu restreindre le nombre des coups de fouet à trente-neuf pour chaque faute ; mais elle n’a rien déterminé quant à la nature des fautes et des actions auxquelles on peut appliquer cette qualification. Ainsi, un maître peut, à son gré, donner trente-neuf coups de fouet à son esclave, uniquement parce qu’il a la peau noire. Si un esclave libéré perd son certificat de libération, il peut être repris et vendu, parce qu’il n’a pas la preuve écrite de sa liberté. Dans un procès criminel, le témoignage d’un nègre n’est point admis contre un blanc. Les réglemens et les lois sont-ils moins injustes à la Dominique ? Non : le maître peut estropier, mettre à la torture son esclave, et en être quitte pour une amende de quarante livres sterlings (1000 fr.). À la Jamaïque même où semble s’être manifesté un sentiment d’indépendance envers l’Angleterre, tout mauvais traitement envers un esclave, excepté la mort, est puni d’une amende de soixante-dix livres (1750 fr.). Mais, qu’en revient-il à l’esclave ? rien, car son corps même ne lui appartient pas, et si un colon ou un créole casse un bras à un nègre, le maître de celui-ci reçoit une indemnité pour le membre qu’il a perdu. L’esclave ne peut exiger d’un blanc le paiement d’une dette ni intenter aucune affaire judiciaire. Ainsi, s’il a prêté à un blanc le fruit de ses économies, et que celui-ci nie sa dette, il n’y a aucun recours pour le créancier. Quelques colons ont prétendu que nous nous faisons une fausse idée du fouet, emblème d’autorité, disent-ils, plutôt qu’instrument de punition et de châtiment. N’écoutons point ces vaines dénégations, et si le peuple anglais, en retour de ses services et de son zèle pour l’honneur du pays, exige la suppression de cet instrument de supplice, faisons tout ce qui dépendra de nous pour que cette marque de déférence lui soit accordée. »

« Des rapports officiels nous apprennent que, dans le courant de l’année dernière, quatre mille cinq cents nègres mâles, et trois mille femmes, ont reçu l’infamante punition du fouet ; c’est à peu-près le tiers de la population de Démerara. Le gouverneur, dans une dépêche au ministère, dit en parlant des nègres : Les femmes ne valent pas mieux que les hommes ; et quelle que soit ma répugnance à voir user du fouet envers elles, je pense que la suppression de cette punition serait suivie de funestes résultats. Voulez-vous, messieurs, connaître l’instrument dont ce gouverneur désire voir prolonger l’usage ? Le voilà. » Ici l’orateur montre un fouet dont l’aspect excite et propage dans l’assemblée un murmure d’horreur. « Voilà, continue-t-il, voilà l’instrument dont on se sert journellement pour déchirer le corps d’un sexe faible et délicat. »

« Lorsque M. Huskisson, arrêté dans la généreuse carrière de son code de commerce, interdit à Haïti des relations avec la Jamaïque, cette république se jeta dans les bras de la France, et il en est résulté que, dans un court espace de temps, elle a payé pour son affranchissement une somme égale à la somme exigée aujourd’hui de la Turquie. L’émancipation des nègres, loin de nous être onéreuse, serait un avantage pour nous, et plusieurs peuples l’ont senti. À New-York l’esclavage a été aboli, puisque tous les enfans nés après 1816 ont été déclarés libres. À la Trinité, deux mille hommes licenciés après la guerre d’Amérique reçurent le titre de colons, et se font remarquer maintenant au rang des citoyens les plus recommandables. Le congrès de Vienne a protesté contre la traite des nègres ; mais tant que l’Angleterre n’élèvera pas la voix pour en demander l’abolition, il est à craindre que nous ne puissions obtenir cet objet de nos vœux et de nos réunions annuelles. »

Après ce discours et quelques autres dans le même sens, le docteur Edouard a demandé que la société rédigeât une adresse de remercîmens à l’honorable M. Robert Otway, membre du parlement, l’un des sociétaires et présent à la séance, pour les nobles sentimens qu’il a déployés pendant la dernière session, dans la motion où il appelle l’attention du gouvernement sur les malheurs des colonies. M. Henry Hunt reconnaît la justesse de tout ce qui a été dit sur les esclaves ; mais il pense que quelques sujets blancs de Sa Majesté Britannique ne sont guère plus heureux. Quel que soit, dit-il, le triste sort des nègres, ils sont toujours bien nourris. Peut-on en dire autant de tous nos paysans qui souvent n’ont pour soutenir leur existence et celle de leurs familles, que quelques chétives pommes de terre ? » Il termine son discours en votant l’adresse de remercîmens à M. Otway.

Le président dit en peu de mots qu’il avait eu lieu de craindre d’abord que les lenteurs et les contrariétés éprouvées par la société, ne finissent par refroidir le zèle de ses membres, mais qu’il avait vu avec plaisir, pendant la dernière session, le discours philanthropique de M. Otway, éveiller l’intérêt et ranimer l’ardeur de tous les amis de la cause des malheureux noirs ; au nom des sociétaires, il présente à l’honorable membre, les remercîmens de l’assemblée. M. Otway se lève alors, et rend grâce à son tour des éloges que lui ont prodigués les divers orateurs qui se sont succédés. « Le tableau, dit-il, que M. Pownall a présenté de la situation des nègres des Antilles, n’est exagéré en aucun point. Si un esclave est estropié ou mutilé par maladresse ou par méchanceté, le maître reçoit la même indemnité que si on avait mis un de ses chevaux hors de service. La première fois que j’ai parlé à la chambre des communes en faveur des nègres, je me suis borné à demander la libération des enfans. Je savais trop que celle des adultes est impossible. Du reste, vous le savez, messieurs, la répression des abus qui nous entourent sera toujours poursuivie par nos législateurs avec plus d’ardeur que celle des abus dont les colonies sont le théâtre. Quant à moi, tant qu’il me sera permis de faire entendre ma voix dans la chambre des communes, j’appellerai, de tout mon pouvoir, l’extinction d’un usage qui est pour le caractère national une tache d’infamie. Poursuivons donc notre tâche, et espérons de voir couronner un jour par le succès, des efforts auxquels tous les amis de l’humanité doivent applaudir. »

L’assemblée s’est séparée, après avoir voté des remercîmens à son président.

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