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Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 03/Analise transcendante, article 8

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ANALISE TRANSCENDANTE.

Mémoire tendant à démontrer la légitimité de la
séparation des échelles de différentiation et d’intégration
des fonctions qu’elles affectent ; avec des
applications à l’intégration d’une classe nombreuse
d’équations ;
Présenté à la 1.re classe de l’institut, le 25 d’octobre 1811 ;
Par M. J. F. Français, professeur à l’école impériale
de l’artillerie et du génie.
≈≈≈≈≈≈≈≈≈

Depuis que M. Lagrange a réveillé l’attention des géomètres, sur l’analogie, aperçue par Leibnitz, entre les puissances et les différences, par les beaux théorèmes de son mémoire de 1772, plusieurs géomètres ont cherché à démontrer ces théorèmes, et à étendre la méthode de calcul fondée sur cette analogie ; mais Arbogast est le premier qui se soit proposé de débarrasser cette méthode des inconvéniens qu’entraîne le passage alternatif des indices aux exposans, et des exposans aux indices. L’idée heureuse qu’il a eu de détacher les caractéristiques ou échelles d’opérations des fonctions qu’elles affectent, pour les traiter comme des symboles de quantités, remplit parfaitement le but qu’il s’est proposé. Mais cette idée est en même temps si hardie et si opposée aux idées reçues, qu’on a eu jusqu’ici une sorte de répugnance à l’admettre, malgré l’exactitude des résultats qu’elle fournit ; et on a naturellement lieu de désirer une démonstration à priori de la légitimité de cette opération. Cette démonstration est d’autant plus nécessaire ; que l’opération de détacher les échelles n’est pas applicable à tous les cas (ce qu’au surplus elle a de commun avec la méthode fondée sur l’analogie en question) ; il faut donc que la démonstration du principe conduise elle-même à distinguer les cas auxquels elle est applicable, de ceux où elle ne l’est pas. C’est cette démonstration, avec quelques applications de la méthode de séparation des échelles, qui va faire le sujet de ce mémoire.

§. 1.
De la séparation des échelles, dans les fonctions à une seule
variable.

1. Si, entre les deux variables et on a une équation exprimée par

(1)

et qu’on multiplie cette équation par tant de constantes et fonctions de constantes qu’on voudra, on ne changera en rien la relation entre et exprimée par cette équation, et on n’y introduira aucune relation nouvelle. Ainsi, les équations

qu’on peut aussi mettre sous cette forme

et dans lesquelles sont des constantes quelconques, ne disent ni plus ni moins que la proposée (1). Mais il n’en serait plus de même, si l’on multipliait la proposée par une ou plusieurs fonctions soit de , soit de soit de et  : ces nouveaux facteurs, introduisant évidemment des relations nouvelles, changeraient nécessairement la nature de la proposée.

2. De même, si l’on différentie, tant de fois qu’on voudra, l’équation (1), soit aux différences soit aux différentielles, et quel que soit le système de différentiation (c’est-à-dire, quelle que soit la variable ou la fonction des deux variables dont on considère la différentielle comme constante), on n’y changera en rien la relation entre et , et on n’y introduira aucune relation nouvelle. En effet, en différentiant une équation entre deux variables, on ne fait autre chose qu’exprimer l’indétermination complette de l’une d’elles ; car, si l’une des variables reçoit un accroissement arbitraire, l’autre en reçoit un qui est déterminé par la forme de l’équation proposée, sans qu’il y soit introduit aucune relation nouvelle. Ainsi les équations

[1]

n’exprime ni plus ni moins que la proposée (1). Il en serait de même, d’un système quelconque de ces équations, combinées entre elles et avec des constantes, telles que sont les suivantes ;

Les échelles, ou signes de différentes espèces de differentiation, se comportent donc de la même manière, à l’égard de l’équation proposée qu’elles affectent, que les constantes des équations (2). On peut donc considérer ces constantes comme des échelles ; et réciproquement, on peut traiter les échelles comme des quantités constantes ; sauf à se rappeler, dans les résultats, que ces échelles indiquent des opérations déterminées qu’il s’agira d’effectuer. Ainsi, on peut écrire les équations (5) de cette manière :

et c’est ce qu’on appelle détacher les échelles.

3. Il est de plus évident qu’on peut faire subir aux constantes et aux échelles détachées, (3) et (6), telles opérations qu’on veut, sans introduire aucune relation étrangère à la proposée ; ainsi, par exemple, aux équations (3) et (6) on peut substituer

n’affecte que les constantes et les échelles, et indique une fonction quelconque. À plus forte raison peut-on les mettre sous une forme identique, telle que serait leur décomposition en facteurs, ou leur expression sous forme de fonction non développée. Ainsi, si sont les facteurs de l’échelle on pourra mettre les équations (6) sous la forme

On pourra donc mettre aussi les équations

sous la forme

(10)

parce que le développement de ces dernières formes redonnerait les premières.

En général, si l’échelle est le développement d’une fonction de forme connue, on pourra substituer à ce développement la fonction non développée.

4. Cette manière d’envisager les échelles d’opérations fait voir clairement pourquoi la méthode de les détacher ne doit s’étendre qu’aux formules ou équations dans lesquelles elles ne sont combinées qu’entre elles et avec des quantités constantes ; elle démontre de plus, ce me semble, d’une manière bien convaincante, et déduit des premiers principes du calcul, la légitimité de cette opération, quand les échelles ne sont mêlées qu’entre elles, ou avec de quantités constantes. Elle fait voir encore la nécessité d’adopter la notation différentielle introduite par Arbogast, comme la seule susceptible de cette opération. Cette notation s’écarte d’ailleurs le moins possible de celle de Leibnitz, puisqu’il suffit de faire dans celle-ci pour avoir celle d’Arbogast.

5. Si l’équation (1) devient identique, et prend la forme

(11)

l’une de ces fonctions, multipliée par l’échelle, peut être mise dans le second membre ; alors on peut laisser l’échelle non développée dans l’un des membres, et écrire son développement dans l’autre. Ainsi, toute équation dont le second membre est le développement du premier, peut être considérée comme une équation à échelles, qui, étant multipliée par une fonction quelconque de fournira une multitude de formules et de théorèmes que souvent on ne pourrait obtenir, par les voies ordinaires, que d’une manière longue et laborieuse. Mais, avant de nous livrer aux applications, nous allons établir les relations qui existent entre les diverses échelles ou signes de différentiation.

6. Lorsque, dans la variable reçoit un accroissement cette fonction devient et l’on a, par le Théorème de Taylor,

Quand on a cette équation devient

En détachant les échelles des seconds membres de ces équations on peut les mettre sous la forme

(12)

Les expressions et sont ce qu’on appelle les états variés de  ; la variation dépendant de l’accroissement de la variable ; qui est dans la première expression, et dans la seconde. Afin de les rendre susceptibles du calcul des échelles, nous représenterons, avec Arbogast, par ou simplement par , et conséquemment par  ; les seconds membres des équations (12) justifient complètement cette notation. Par ce moyen, on peut mettre ces équations sous la forme

On a donc, en détachant les échelles

équation qui exprime la relation entre l’échelle de l’état varié et celle des différentielles.

On a coutume d’exprimer aussi le premier membre de l’équation que fournit le théorème de Taylor par de sorte que et que exprime l’accroissement de , lorsque devient Nous réserverons cette notation pour le cas où l’accroissement de est et nous représenterons par l’accroissement de lorsque devient afin que, par notre notation, l’échelle indique en même temps l’accroissement de la variable Ainsi, nous aurons

En détachant les échelles de ces deux systèmes d’équations, on obtient les relations suivantes, entre les échelles des états variés, celles de différences et celles des différentielles

(14)

De celles-ci on tire ensuite celles que voici :

(15)
(16)

7. Telles sont les relations qui existent entre les différentes échelles de différentiation. On en tire immédiatement, et de la manière la plus rigoureuse, les beaux théorèmes que M. Lagrange a donnés le premier, dans son mémoire de 1772, et d’autres encore plus généraux. Car, en faisant, sur les deux membres des équations (14), (15) et (16), les mêmes opérations (sans y introduire des variables) et multipliant les résultats par on aura autant de théorèmes généraux qu’on voudra. Nous nous contenterons d’en tirer la belle théorie de l’interpolation, donnée par M. Lagrange dans un des Mémoires de l’académie de Berlin, pour les années 1792 et 1793.

Puisqu’on a (14) on aura aussi mais on a donc et enfin En élevant chaque membre à la puissance on obtient

(17)

et, en multipliant par

(18)

où il ne s’agit plus que de développer l’échelle du second membre, et de multiplier par chacun des termes de son développement.

Cette formule contient la théorie la plus générale de l’interpolation ; elle fournit, en effet, la solution du problème suivant : Connaissant les différences d’une fonction, pour un accroissement donné de la variable, déterminer sa différence d’un ordre quelconque, pour un autre accroissement de la variable ?

Si l’on voulait avoir, en différentielles, l’expression de la différence d’un ordre quelconque pour un accroissement de la variable, la seconde des équations (15), élevée à la puissance donnerait immédiatement

et, en multipliant par

(19)

où il n’y a plus qu’à développer l’échelle du second membre et à multiplier par chaque terme du développement ; on aurait de la même manière, en changeant le signe de

(20)

8. Les deux exemples que nous venons de donner ne sont que des résultats, pour ainsi dire immédiats, des relations de définition entre les échelles de différentiation ; et l’on en tirerait aisément beaucoup d’autres théorèmes également remarquables. On en peut aussi déduire un grand nombre de la remarque que nous avons faite au n.o 5, que toute équation entre des constantes pouvait être considérée comme une équation à échelles qui, étant multipliée par fournissait des formules et des vérités nouvelles. Je me contenterai d’en donner deux exemples, tirés d’un ouvrage inédit de feu mon frère, qui a pour objet ce genre d’application du calcul des échelles qu’il a très étendu, sans avoir connu la démonstration de la légitimité de ces opérations.

9. On trouve dans les Opuscula analytica d’Euler, tome 1.er, page 173, cette formule

(21)

En la mettant sous la forme exponentielle, elle devient

Soit  ; à cause de on aura

ou, en multipliant par , et effectuant les opérations indiquées par les caractéristiques

Si, 1.o on fait , on obtient la formule de Leibnitz,

Si, 2.o on fait , on trouve, en divisant par 2,

ou bien, en faisant

(24)

où la quantité demeure absolument arbitraire. Si l’on fait on retrouve la série de Leibnitz.

Si, 3.o on fait , on aura

(25)

En faisant et divisant par 2, on obtient

On voit, par cet exemple, avec quelle facilité on déduit les formules (23), (24), (25), (26) de l’équation (22), considérée comme une équation à échelles.

10. Nous prendrons, pour second exemple, la formule

qu’on trouve dans les Mathématical mémoirs de Landen, tome 1.er page 106. Étant débarrassée du dénominateur, elle devient

Faisons d’abord  : en multipliant par nous aurons

Soient successivement et  ; l’équation précédente donnera, en observant qu’on a et

Si, dans ces deux équations, on fait et elles deviendront

Soit, en second lieu, dans l’équation (27) ; en la multipliant par on obtient

Soit et qu’on égale séparément à zéro ce qui est affecté de et de on aura les deux équations

Si, dans ces équations, on fait elles donnent

En mettant, dans l’équation (36), à la place de elle devient

Ces deux dernières équations, comparées aux équations (31) et (32), donnent lieu à des rapprochemens remarquables.

11. Les deux exemples que je viens de donner suffisent pour faire connaître l’esprit de la méthode, et les avantages qu’elle présente, pour parvenir, avec une singulière facilité, à des résultats qu’on n’obtiendrait souvent que d’une manière pénible par les voies ordinaires. Je vais indiquer maintenant une application d’une autre nature de la méthode de détacher les échelles. Elle faisait le sujet d’un mémoire sur l’Intégration des équations linéaires à coefficiens constans, que j’avais présenté à l’institut en l’an XI, mais, que j’ai fait retirer, parce qu’alors je n’étais pas encore en état de justifier la légitimité de la méthode, autrement que par l’exactitude de ses résultats.

12. Si l’on suppose que l’équation (1) soit résolue et mise sous la forme , il est evident qu’on pourra lui appliquer les mêmes raisonnemens que nous avons faits sur l’équation (1), pourvu que l’échelle qui affecte l’un des membres soit équivalente à celle qui affecte l’autre. Il est encore évident qu’on ne changera pas la relation entre et en faisant, sur chacune de ces deux échelles identiques, des opérations équivalentes (sans cependant introduire de variables) et que ces échelles, en elles-mêmes, sont entièrement arbitraires. Mais, s’il arrive que, par suite des opérations indiquées par l’échelle, le second membre, qui est une fonction explicite de , disparaisse ; alors l’échelle du premier membre cesse d’être arbitraire, et elle détermine la forme de la fonction ou Il est évident que, dans ce cas, on ne peut plus faire, sur l’échelle qui affecte ou le premier membre, des opérations quelconques, mais seulement des transformations qui ne changent pas les relations entre les différentes parties de l’échelle, et qui n’y en introduisent point de nouvelles. Ainsi, si l’on a , on peut faire , tant que le second membre subsiste ; mais, si , il n’est plus permis de faire  ; on a alors nécessairement  ; et cette équation n’exprime plus, à proprement parler, qu’une relation entre les échelles ; de sorte qu’on a et non  ; et cette relation détermine la forme de ou , ainsi que nous allons le voir.

L’équation

donne, en détachant les échelles, et par conséquent ou, d’après l’équation (14),

d’où l’on tire

ou

multipliant cette dernière par , on a

si donc  ; on aura

donc enfin

étant une constante arbitraire qui, d’après notre méthode, est la valeur initiale de

On voit, d’après cela, comment la forme de la fonction dépend de celle de l’échelle, et comment celle-ci sert à déterminer l’autre.

13. Cette méthode d’intégration est générale pour toutes les équations linéaires aux différentielles ou aux différences du premier ordre, à coefficiens constans. Elle consiste, comme l’on voit, 1.o à détacher l’échelle de l’équation proposée ; 2.o à ramener cette échelle à celle de l’état varié, au moyen des équations de définition (14), (15) et (16) ; 3.o à dégager et à élever les deux membres à une même puissance arbitraire  ; 4.o à diviser les deux membres par pour avoir l’unité dans le premier membre ; 5.o à multiplier les deux membres par la fonction détachée , et à effectuer les opérations indiquées par l’échelle ; 6.o enfin à faire Quelques exemples vont éclaircir cette marche.

14. Soit à intégrer l’équation aux différences

en détachant les échelles, on a

ou

d’où l’on tire

et

donc

et, en multipliant par la fonction détachée

si donc on a

donc enfin

15. Soit encore à intégrer l’équation aux différences mêlées

Son équation à échelles est

ou

Il s’agirait de tirer de cette équation la valeur de ce qui ne peut s’exécuter que par les séries. Soit cette valeur, on aura

et

et par conséquent

et, en multipliant par la fonction détachée,

d’où, en supposant

donc enfin

étant déterminé par l’équation

Le système des équations (49) et (50) est donc l’intégrale de la proposée.

Ces deux exemples font assez connaître la marche et l’uniformité de cette méthode d’intégration, pour les équations linéaire du premier ordre. Passons actuellement à l’intégration de celles des ordres supérieurs.

16. Si l’on a une équation linéaire, à coefficiens constans, telle que les suivantes :

les échelles détachées donnent

(53)
(54)

En supposant que les racines de ces deux équations, résolues par rapport à et à soient on pourra les mettre sous la forme

Ces deux équations sont satisfaites par les deux systèmes suivans

En multipliant ces équations par la fonction détachée, elles deviennent

dont les intégrales sont, d’après, les n.os 12 et 14,

et, puisque les deux équations proposées sont linéaires, leurs intégrales complettes seront les sommes de ces deux systèmes d’intégrales particulières ; elles seront, par conséquent,

(55)
(56)

Notre méthode d’intégration, pour les équations linéaires des ordres supérieurs, consiste donc à décomposer l’échelle en ses facteurs du premier degré, et à multiplier chacun de ces facteurs par la fonction détachée ; ce qui réduit l’intégration de ces équations à celle d’autant d’équations linéaires du premier ordre qu’il y a de facteurs.

17. Pour completter cette théorie, il nous faut examiner en particulier le cas où l’équation aux échelles a des racines égales. Dans ce cas, qui a toujours plus ou moins embarrassé les géomètres[2], les intégrales cessent d’être complettes ; et il faut, pour les rendre telles, recourir à une nouvelle considération. Jusqu’à présent, on a généralement employé celle de l’infini, qui est peu satisfaisante. Nous allons la remplacer par une autre plus simple et plus rigoureuse, et que, pour plus de clarté et de brièveté, nous appliquerons à un exemple.

18. Supposons que l’équation (53) ait trois racines égales on aura On ne satisferait qu’imparfaitement à cette équation, en supposant  ; car il faut exprimer que c’est qui est zéro, et non pas seulement ni Pour exprimer cette circonstance, j’observe qu’on a

dire donc que est la même chose que de supposer l’équation suivante :

Soit actuellement tel qu’on ait ce qui suppose aussi ;  ; on aura évidemment donc d’où on tire, par notre marche ordinaire,

Or, à cause de on a

valeur qu’on peut mettre sous la forme l’équation (58) devient alors

Cette intégrale satisfait à

indépendamment des relations qui existent entre et En effet, bien que les intégrales qu’on déduirait des équations et ne soient pas les intégrales complettes de l’équation (60), elles doivent néanmoins y satisfaire, et en être des intégrales particulières. Or, l’intégrale particulière tirée de est et celle tirée de est, par le procédé même dont il est question, étant tel que donc, puisque la proposée est satisfaite, à la fois, par les équations

il s’ensuit, en combinant les deux premières valeurs de , qu’elle est aussi satisfaite par quelle que soit la nature de la constante qui sort du calcul, comme facteur commun à tous les termes ; donc aussi satisfait encore à la proposée, indépendamment de la valeur de la constante  ; donc enfin satisfera aussi la proposée, puisqu’elle est linéaire, indépendamment de la valeur de la constante On peut donc remplacer les deux constantes et par deux constantes arbitraires quelconques et , et donner ainsi à l’intégrale de l’équation (60) la forme connue

On trouverait de même, pour un nombre de racines égales,

et l’intégrale complette de l’équation (51) deviendrait alors

Le principe, ainsi que le procédé de cette méthode, sont entièrement les mêmes, quelle que soit la nature des échelles qui ont des facteurs égaux ; ils ont, comme tout le reste de la méthode, le mérite de l’uniformité.

§. II.
De la séparation des échelles, dans les fonctions à plusieurs variables.

19. Jusqu’à présent, nous n’avons appliqué la méthode de séparation des échelles qu’à des fonctions d’une seule variable ; mais il est évident qu’en faisant sur les mêmes raisonnemens que nous avons faits sur on arriverait aux mêmes conclusions, et qu’ainsi la légitimité de cette méthode, pour les fonctions à plusieurs variables, se trouve aussi bien démontrée que pour les fonctions d’une seule variable. Nous nous contenterons donc d’établir les notations et les principales relations de définition entre les échelles ou signes de diverses espèces de différentiations des fonctions à plusieurs variables, et nous donnerons quelques exemples d’application de la méthode. Pour plus de simplicité, nous ne considérerons que des fonctions de deux variables indépendantes ; il sera aisé ensuite d’étendre la méthode à des fonctions d’un plus grand nombre de variables.

20. Soit une fonction de deux variables  ; nous indiquerons sa différentielle totale par  ; sa différentielle partielle, en ne faisant varier que , par  ; sa différentielle, relative à la variabilité de par de sorte qu’on aura

et, en détachant les échelles,

Nous représenterons de même par et par l’état varié et la différence totale, lorsque les accroissemens de et de seront chacun égal à 1 ; ainsi nous aurons

et par conséquent, en détachant les échelles,

Nous indiquerons par et par l’état varié partiel et la différence partielle, par rapport à , lorsque cette variable devient  ; et de même par et par l’état varié partiel et la différence partielle, par rapport à lorsque devient Ainsi nous aurons

Ces équations, combinées avec celles (65) et (67), donnent

d’où l’on tire

21. Lorsque les accroîssemens des variables ne sont plus égaux à l’unité, et représentés par pour celui de et par pour celui de nous indiquerons les états variés partiels par et les différences partielles par et l’état varié total par et la différence totale par De cette manière, la notation indique, en même temps, la valeur des accroîssemens des variables ; ce qui est nécessaire, comme on va le voir par les relations suivantes :

De là on déduit

Et de là on tire

On déduit aussi des équations (72) et (73)


indique l’opération inverse de  ; de sorte que Il a, avec le signe d’intégration ordinaire, le rapport suivant :

22. Toutes ces équations ne sont que des relations de définition, entre les différentes échelles de différenciation, ou des résultats qui en dérivent immédiatement. En les multipliant par elles offrent autant de théorèmes généraux, plus ou moins remarquables. Les équations (85) donnent deux expressions en séries de l’intégrale d’un ordre quelconque d’une fonction à deux variables. En y faisant on a les deux séries de Jean Bernouilli. Les équations (81) donnent des séries analogues, pour les différences finies. On pourrait tirer de toutes ces équations une foule d’autres conséquences, en faisant sur chaque membre des opérations équivalentes (sans y introduire des variables), et multipliant les résultats par  ; on obtiendrait ainsi autant de théorèmes généraux qu’on voudrait. Nous nous contenterons, comme pour les fonctions d’une seule variable, d’en tirer une formule générale d’interpolation, pour les séries doubles.

Par le même procédé qui nous a donné l’équation (18), on obtient

et, en multipliant par

Au moyen de cette formule, on passe d’un système de différences, relatives à des accroissemens et à un autre système de différences, relatives à des accroissemens et  ; ce qui donne la solution la plus générale de l’interpolation des séries doubles.

23. Nous avons vu, au n.o 5, qu’une formule quelconque, entre des quantités arbitraires, pouvait être considérée comme une équation à échelles, et nous avons fait voir, par deux exemples, qu’en multipliant ses deux membres par une fonction de , on obtenait, avec beaucoup de facilité, des théorèmes, soit connus soit nouveaux. Nous pourrions faire des applications semblables, pour les fonctions à plusieurs variables ; mais, pour ne pas trop grossir ce mémoire, nous laisserons cet exercice au lecteur, et nous passerons de suite à l’intégration des équations linéaires à plusieurs variables.

Les principes et la marche de la méthode étant les mêmes dans ce cas que dans celui des équations linéaires à une seule variable, nous ne répéterons pas ce que nous avons dit plus haut sur ce sujet, et nous passerons de suite aux applications.

24. Soit à intégrer l’équation aux différentielles partielles

En détachant les échelles, on a

ou bien donc et par conséquent et ensuite En multipliant par la fonction détachée , on trouve

Si l’on a cette expression devient

désigne une fonction arbitraire ; on a donc, en général

Si l’on avait résolu l’équation aux échelles, par rapport à au lieu de la résoudre par rapport à on aurait trouvé pour intégrale

mais il est évident que cette intégrale ne diffère qu’en apparence de (90).

25. Soit à intégrer, en second lieu, l’équation aux différences, partielles

ou

l’équation aux échelles sera

d’où on tire et par conséquent donc en multipliant par la fonction,

Si cette expression devient

donc enfin

Si l’on avait commencé le développement de par le terme  ; on aurait obtenu

Ces deux intégrales ne coïncident qu’autant qu’elles se terminent ; ce qui n’arrive que dans deux cas : savoir, 1.o quand  ; 2.o quand est un nombre entier positif. Hors ces deux cas, les deux intégrales vont à l’infini, et diffèrent entre elles comme deux développemens de la même fonction commencés par les deux extrémités.

26. Soit enfin l’équation aux différences mêlées partielles

On aura, en détachant les échelles,

ce qui donne et d’où on tire, par notre procédé ordinaire

Si de l’échelle (96) on avait tiré la valeur de , on aurait trouvé et par suite ce qui donne, en multipliant par la fonction détachée

donc, si

et enfin

Ces exemples suffisent pour indiquer l’esprit de la méthode, dans l’intégration des équations linéaires du premier ordre à plusieurs variables. Passons à celle des équations linéaires à plusieurs variables dont l’ordre est plus élevé.

27. Lorsque l’équation aux échelles d’une équation linéaire d’un ordre supérieur est décomposable en facteurs du premier degré, chacun de ces facteurs, multiplié par la fonction détachée et égalé à zéro, fournit une équation linéaire du premier ordre, qu’on intègre par le procédé que nous venons d’exposer ; et la somme de ces intégrales particulières est l’intégrale complette de la proposée. Mais, lorsque l’échelle n’est pas décomposable en facteurs du premier degré, il faut avoir recours à la méthode d’approximation que nous allons exposer par un exemple.

28. Soit l’équation aux différences partielles

et supposons que son équation aux échelles

ne soit pas susceptible d’être décomposée en facteurs du premier degré ; on pourra du moins en tirer, par la méthode du retour des suites, une valeur de de cette forme

d’où l’on tirera

et

étant le signe de dérivation, et ne se rapportant qu’à

On tire de là, par notre procédé ordinaire,

cette expression peut se mettre sous la forme suivante, au moyen des échelles détachées

ne se rapporte qu’à et à

Cette intégrale n’est que particulière, mais on la complétera aisément, en considérant que est une des racines de l’équation

et que se déduisent de d’une manière simple et uniforme, par le calcul des dérivations ; d’où il est facile de conclure que, si sont les autres racines de l’équation (104), on aura, pour chacune d’elles, une autre valeur de et une intégrale particulière correspondante. La somme de toutes ces intégrales particulières sera l’intégrale complète de la proposée, qu’au moyen des échelles détachées, on peut mettre sous la forme suivante :

Remarquons qu’il n’est pas nécessaire de supposer, pour ce qui précède, la résolution générale des équations. Comme il ne s’agit ici que d’approximation, il suffit que les valeurs de soient exprimées en séries ; ce qui est toujours possible, soit par la méthode de M. Lagrange (Mémoires de Berlin, 1768), soit par le n.o 285 du Calcul des dérivations.

Dans tous les cas semblables, quelle que soit la nature des échelles, la marche de la méthode est exactement la même, et n’a pas besoin de nouvelle explication.

29. Notre méthode d’intégration est donc générale, et applicable à tous les cas des équations linéaires, à coefficiens constans ; qu’elles soient aux différences ou aux différentielles, les unes et les autres totales ou partielles, séparées ou mêlées ; mais ce qu’elle a de particulier, c’est son uniformité constante, pour toutes ces espèces différentes d’équation ; uniformité qu’elle ne doit qu’à la séparation des échelles, dont elle est une des applications les plus intéressantes.

30. Les deux genres d’applications que je viens de présenter de la méthode de séparation des échelles, suffisent pour donner une idée de son importance, et de son utilité dans diverses branches de l’analise. Nous avons lieu d’espérer, d’après cela, qu’on nous saura quelque gré d’avoir démontré la légitimité de cette méthode, en la déduisant des premiers principes du calcul. Ainsi, cette fameuse analogie entre les puissances et les différences, aperçue par Leibnitz, et devenue si féconde, entre les mains des premiers géomètres de nos jours, se trouve enfin, non seulement démontrée, mais prodigieusement étendue, et ramenée à une méthode de calcul rigoureuse, débarrassée des entraves qu’y mettait le passage alternatif des indices aux exposans, et des exposans aux indices.

31. Non seulement ces entraves gênent le calculateur, en l’obligeant de considérer les mêmes nombres, tantôt comme des exposans et tantôt comme des indices, mais elles ont encore retardé les progrès de la méthode et, qui plus est, elles ont induit en erreur des géomètres distingués, parce qu’ils n’ont pas saisi le vrai moment auquel il fallait repasser des exposans aux indices. Nous citerons, pour preuve de cette assertion, le développement fautif de , donné par MM. de Lorgna et Prony, dans le 3.me volume des Mémoires de l’académie de Turin, page 432, et dans le 4.me cahier du Journal de l’école polytechnique, page 539. Ces auteurs donnent, pour le développement de cette intégrale aux différences finies

tandis que la véritable expression, déduite de l’équation aux échelles

est

32. Cet exemple n’est pas le seul qu’on puisse citer. M. Brisson, dans son mémoire sur l’intégration des équations différentielles partielles, inséré dans le 14.me cahier du Journal de l’école polytechnique, se propose, pages 199 et 200, de donner le développement de suivant les puissances de À cet effet, il fait et il obtient

il ordonne cette série suivant les puissances de en lui donnant la forme

et il observe l’analogie qui existe entre les termes et D’après cette analogie, il introduit la caractéristique et représente par d’où il déduit

Voyons, d’après la théorie des échelles détachées, ce que signifie cette caractéristique et si l’expression (111) est exacte.

L’équation (109) peut être mise sous la forme

En représentant par , et développant cette dernière expression, on obtient

Notre est donc ce que M. Brisson a voulu représenter par  ; mais il se trompe certainement, en enveloppant sous le signe Pour avoir le développement de suivant les puissances de la caractéristique ou il faut partir de son équation de définition d’où l’on tire et par conséquent ce qui est bien différent de l’expression (111), qui se réduit à La valeur de que nous venons de trouver, ne donne plus le développement de cette quantité suivant les puissances de  ; pour l’obtenir, il faut la mettre sous la forme ce qui donne

et fait voir que l’analogie que M. Brisson a cru entrevoir entre on et est complète ; puisque le développement de ces deux expressions est le même, et ne diffère qu’en ce que est un symbole de quantité et une caractéristique d’opération. Mais il y a cette différence, entre le développement (114) et celui de M. Brisson, que le premier procède suivant les puissances de , et le sien suivant elles de

Cet exemple fournit une nouvelle preuve des erreurs que peut faire commettre l’analogie entre les puissances et les différences, lorsqu’on ne détache pas les échelles.

33. M. Brisson a cru entrevoir aussi le germe d’un nouveau calcul, dans sa caractéristique , qui est notre Feu mon frère était depuis long-temps en possession de la théorie de ce calcul, qu’il a étendue à des calculs de la même espèce, d’ordres supérieurs. Toute cette théorie repose sur l’équation aux échelles La caractéristique est à la caractéristique ce que celle-ci est à des différences finies ; car, de même qu’on a on a aussi Ce nouveau calcul pourrait donc être appelé Calcul différentiel du second ordre ; il a évidemment son inverse, dont la caractéristique est de sorte qu’on a

Si l’on fait de même on aura les bases d’autant de nouveaux calculs différentiels, des 3me, 4me,… ordres. Voici les relations de définition qui lient ces différens calculs entre eux.

Metz, le 7 de septembre 1811.
  1. À l’exemple d’Arbogast, M. Français emploie ici la caractéristique comme signe de l’état varié de la fonction ; quant au c’est, comme le de M. Kramp, un signe de dérivation ; en sorte qu’on a Voyez le Calcul des dérivations, pages 306 et 375.
    J. D. G.
  2. Voyez les pages 46 et 139 de ce volume.
    J. D. G.