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Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 03/Géométrie transcendante, article 4

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GÉOMÉTRIE TRANSCENDANTE.

Recherche des lignes et surfaces qui en touchent une
infinité d’autres, se succédant suivant une loi uniforme ;
Par M. Gergonne.
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La recherche des lignes et surfaces limites d’une infinité d’autres lignes et surfaces liées entre elles par une loi commune, soit par son étroite liaison avec la théorie des solutions particulières, soit par la multitude des applications dont elle est susceptible, peut être regardée comme un des objets les plus intéressans de la haute géométrie.

Cette recherche n’a été déduite jusqu’ici que de la considération des infiniment petits ou des limites, ou enfin de la théorie même des solutions particulières. Je vais faire voir comment, la série de Taylor une fois admise, on peut la ramener, sans la compliquer davantage, aux notions les plus simples et les plus lumineuses.

§. I.
Recherche de la ligne qui en touche une infinité d’autres, dont
les équations ne diffèrent que par une constante.

Soit

l’équation commune à une infinité de courbes planes, rapportées aux mêmes axes, et ne différant entre elles que par la constante  ; et proposons-nous de déterminer l’équation de la courbe à laquelle toutes celles-là sont tangentes.

Soit cette courbe cherchée (fig. 5), c’est-à-dire, la courbe enveloppante ; soit celle des courbes enveloppées qui répond à la valeur et soit le point où elle touche  ; soient, de plus, celle des courbes enveloppées qui répond à la valeur le point où elle touche et celui où elle coupe On conçoit clairement que, plus diminuera, et plus aussi le point se rapprochera du point en suivant l’arc de courbe  ; en sorte que ces deux points se réuniront en un seul, lorsqu’enfin sera devenu tout à fait nul ; mais alors les deux courbes et se confondront dans toute leur étendue.

Cela posé, on a, par le théorème de Taylor,

Équation de (I)

Équation de (II)

équations qui rentrent, en effet, l’une dans l’autre, lorsqu’on suppose et dont la combinaison, dans le cas contraire, fera connaître le point

Or, on sait que, lorsque deux courbes passent par un même point, toute courbe qui a pour équation une combinaison quelconque des équations de ces deux courbes, passe aussi par ce point ; donc, en particulier, la différence entre les équations (I) et (II) est l’équation d’une courbe qui, comme coupe aussi au point Cette équation est

ou, plus simplement,

(III)

puisque n’est point supposé nul. Ainsi, on pourra, pour la détermination du point substituer la combinaison des équations (I) et (III) à celle des équations (I) et (II).

Mais, à mesure que décroitra, le point se rapprochant du point , la courbe , exprimée par l’équation (III), tendra continuellement à devenir une courbe coupant ou en  ; on aura donc l’équation de , en faisant dans l’équation (III), ce qui la réduit simplement à Ainsi le point de , qui répond à la valeur de la constante, sera donné par le système des deux équations

si donc on élimine entre elles, l’équation résultante, en et devant être satisfaite par les coordonnées des points qui répondent aux diverses valeurs de la constante, sera l’équation de la courbe qui les contient tous, c’est-à-dire, de la courbe cherchée.

Si l’équation proposée était

les constantes étant liées par les équations suivantes

on pourrait, à l’aide de ces équations, éliminer de toutes les constantes, excepté une seule, ce qui ramènerait la question au cas précédent.

On pourrait aussi considérer toutes les constantes comme des fonctions de l’une d’elles, par exemple ; alors en différentiant sous ce point de vue, et éliminant

entre les équations

l’équation résultante en et serait l’équation cherchée.

Mais il sera peut-être plus élégant encore d’opérer comme il suit. On formera l’équation

en y égalant à zéro les coefficiens des variations

on obtiendra équations entre lesquelles on éliminera les multiplicateurs arbitraires  ; en supposant que soit l’équation résultante de l’élimination, il ne s’agira plus que d’éliminer

entre les équations

De ce qui précède se déduisent en particulier, d’une manière très-simple, la théorie des développées et celle des caustiques.

La théorie que je viens d’exposer m’a été présentée, il y a plus de six ans, à peu près telle que je la donne ici, par M. F. Journet, alors élève du lycée de Nismes[1], et actuellement ingénieur des ponts et chaussées. Je vais indiquer brièvement de quelle manière elle peut être étendue aux surfaces courbes.

§. II.
Recherche de la surface qui en touche une infinité d’autres, dont
les équations ne diffèrent que par une constante.

Soit

l’équation commune à une infinité de surfaces courbes, rapportées aux mêmes axes, et ne différant entre elles que par la constante  ; et proposons-nous de déterminer l’équation de la surface à laquelle toutes celles-là sont tangentes.

Soit la surface cherchée[2], c’est-à-dire, la surface enveloppe ; soit celle des surfaces enveloppées qui répond à la valeur et soit la courbe suivant laquelle elle touche  ; soient, de plus, celle des surfaces enveloppées qui répond à la valeur la courbe suivant laquelle elle touche , et celle suivant laquelle elle coupe . On conçoit clairement que plus diminuera, et plus aussi la courbe se rapprochera de , en suivant la surface  ; en sorte que ces deux courbes se réuniront en une seule, lorsqu’enfin sera devenu tout à fait nul ; mais alors les deux surfaces et se confondront dans toute leur étendue.

Cela posé, on a, par le théorème de Taylor,

Équation de (I)

Équation de (II)

équations qui rentrent, en effet, l’une dans l’autre, lorsqu’on suppose et dont la combinaison, dans le cas contraire, fera connaître la courbe .

Or, on sait que, lorsque deux surfaces se coupent suivant une certaine courbe, toute surface qui a pour équation une combinaison quelconque des équations de ces deux surfaces, passe aussi par cette courbe ; donc, en particulier, la différence entre les équations (I) et (II) est l’équation d’une surface qui, comme , coupe suivant la courbe . Cette équation est

ou, plus simplement,

(III)

puisque n’est point supposé nul. Ainsi, on pourra, pour la détermination de la courbe , substituer la combinaison des équations (I) et (III) à celle des équations (I) et (II).

Mais, à mesure que décroitra, la courbe se rapprochant de la courbe , la surface , exprimée par l’équation (III), tendra continuellement à devenir une surface , coupant ou suivant  ; on aura donc l’équation de , en faisant dans l’équation (III), ce qui la réduit simplement à Ainsi, la courbe , tracée sur , qui répond à la valeur de la constante, sera donnée par le système des deux équations

si donc on élimine entre elles, l’équation résultante, en devant être satisfaite par les coordonnées des courbes qui répondent aux diverses valeurs de la constante, sera l’équation de la surface qui les contient toutes, c’est-à-dire, de la surface cherchée.

Ces lignes qui répondent aux diverses valeurs de la constante, sont ce qu’on appelle les Caractéristiques de la surface limite. Comme elles se succèdent suivant une loi uniforme, on peut demander de déterminer la courbe à laquelle elles sont toutes tangentes, et qui est dite l’arête de rebroussement de la surface limite, Voici par quelles considérations on obtiendra cette courbe.

Soit la courbe cherchée ; soit celle des caractéristiques qui répond à la valeur de la constante, cette caractéristique touchant au point Soit de plus celle des caractéristiques qui répond à la valeur  ; soient le point où elle touche et celui où elle coupe Plus diminuera, et plus aussi le point se rapprochera du point en suivant l’arc de courbe  ; en sorte que ces deux points se réuniront en un seul, lorsqu’enfin sera devenu tout à fait nul, mais alors les deux courbes et se confondront dans toute leur étendue.

Cela posé, on a, par le théorème de Taylor,

Équations de
Équations de

équations dont les dernières rentrent, en effet, dans les premières, lorsqu’on suppose  ; et dont la combinaison, dans le cas contraire, fera connaître le point Elles sont au nombre de quatre, parce que, généralement parlant, deux courbes ne se coupent pas dans l’espace, mais, comme et sont ici situées toutes deux sur la surface elles doivent se rencontrer et ces quatre équations doivent équivaloir à trois seulement.

En rejetant donc la troisième, le point sera donné par le système des équations (1), (2), (4). Mais, lorsque trois surfaces passent par un même point, toute surface qui a pour équation une combinaison quelconque des équations de celle-là, passe aussi par ce point ; donc, en particulier, la différence entre les équations (2) et (4) est l’équation d’une surface qui, combinée avec celle qu’exprime l’équation (1), exprimera une courbe qui, comme coupera au point Cette équation est

ou, plus simplement,

(5)

puisque n’est point supposé nul. Ainsi on pourra, pour la détermination du point substituer le système des équations (1), (2), (5) au système des équations (1), (2), (4).

Mais, à mesure que décroitra, la courbe exprimée par le système des équations (1) et (5), tendra continuellement à devenir une courbe coupant ou en  ; on aura donc les équations de , en faisant dans l’équation (5), et combinant l’équation résultante avec l’équation (1) ; ainsi le point de qui répond à la valeur de la constante, sera donné par le système des trois équations

si donc on élimine entre elles, les deux équations résultantes, en devant être satisfaites à la fois par les coordonnées des points qui répondent aux diverses valeurs de la constante, seront les équations de la courbe qui les contient tous, c’est-à-dire, de l’arête de rebroussement.

Si l’équation renfermait constantes liées entre elles par équations ; on se conduirait absolument comme il a été expliqué dans le § précédent.[3]

  1. C’était, comme l’on voit, dans un temps, déjà bien loin de nous, où il y avait des cours publics de calcul différentiel, même dans les lycées de provinces ; et où l’on pensait que l’étude de la haute géométrie et de la mécanique, seule véritable introduction à celle des sciences physiques, devait, tout aussi bien que tant d’autres études, entrer dans le plan d’une éducation vraiment libérale.
  2. Je sous-entends la figure, qu’il est plus aisé de concevoir que de représenter, sans confusion.
  3. Ce qui précède me paraît établir, d’une manière nette, un point assez délicat de la géométrie transcendante, et pourrait, à la rigueur, être ramené eux simples élémens. Je n’ignore pas, au surplus, que l’opinion, toujours vacillante, semble maintenant repousser ces doctrines lumineuses, appelées vainement, pendant plus d’un siècle, par les vœux des géomètres, et dont la découverte fait tant d’honneur à l’époque où nous vivons. Mais, je n’en demeure pas moins fermement persuadé que, s’il peut être utile de se familiariser avec la considération des infiniment petits, il est beaucoup plus important encore, sur-tout dans l’enseignement élémentaire, de n’appuyer les théories fondamentales que sur les notions les plus rigoureuses, du moins, lorsqu’on aspire à quelque chose de plus qu’à enseigner ou à apprendre un métier.