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Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 13/Mathématiques appliquées, article 1

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MATHÉMATIQUES APPLIQUÉES.

Essai sur les forces qui déterminent les divers états des corps ;

Par M. H. G. Schmidten.
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On peut regarder la matière comme un assemblage de points d’où émanent des forces répulsives et des forces attractives. Celles-ci sont constantes dans le même corps, mais celles-là sont variables. Faisant l’élément variable qui y entre et la distance la plus courte entre deux centres de forces on peut toujours faire répondre la valeur à la valeur

Désignant par la somme de toutes les forces attractives d’un corps sur un point (fig. 1), dans la direction et par la somme des forces répulsives suivant la même direction, on a pour l’expression de la force totale qui attire le point vers

Actuellement, pour déterminer le volume du corps en état d’équilibre, on doit chercher en fonction de l’élément variable par le principe des vitesses virtuelles. En effet, si l’on suppose c’est-à-dire, si l’on suppose que le point fait partie du corps, l’état d’équilibre de ce point se déterminera par l’équation

ou bien

On a ainsi une relation entre et d’où l’on peut déduire le volume et la quantité en fonction de seule, et c’est sur-tout de la forme de cette dernière fonction que dépend celle du corps.

Dans l’ignorance où l’on est sur la nature de ces fonctions, on éclaircit ceci, autant qu’il est permis de le faire, par la considération des courbes où les abscisses représentent les diverses valeurs de depuis jusqu’à et où les ordonnées sont les fonctions qui leur répondent, pour une valeur constante de Si l’on désigne les forces répulsives par des ordonnées négatives, on voit qu’à l’origine des abscisses l’ordonnée doit être et qu’à l’abscisse infinie doit répondre l’ordonnée De plus, si la courbe a la forme (fig. 2), on voit que, dans l’état d’équilibre, la quantité doit avoir la valeur et étant positive, le corps doit être solide. D’ailleurs, il est très-possible, et même vraisemblable, que la courbe contient plusieurs maximums, et que par conséquent ce corps pourrait avoir plusieurs équilibres stables.

Telle paraît devoir être l’explication des changemens brusques qui s’opèrent dans plusieurs corps, par un certain changement de température.

Maintenant, si l’on augmente l’action du principe dont l’intensité est désignée par il est naturel qu’en général les ordonnées positives deviennent de plus en plus petites au point de devenir enfin négatives, de sorte que le maximum positif devient un minimum négatif, et que la courbe prend la forme ou (fig. 3). Mais le corps n’étant plus solide, parce que l’ordonnée n’est plus positive, il faut absolument qu’il soit liquide ; car l’état aériforme ne saurait répondre à aucune situation stable. Cependant, si l’on augmentait encore la quantité jusqu’à ce que le corps n’eût plus aucune situation stable, ou que la courbe eût la forme (fig. 4), ce corps serait aériforme ; et, comme il doit chercher un volume où l’ordonnée devienne un minimum, on voit qu’il n’aura jamais un équilibre stable, parce que le minimum vers lequel il tend répond à Ainsi les gaz peuvent seulement être en équilibre par l’action des forces extérieures, et ne comportent aucun rapport déterminé entre les quantités et parce que l’équation

existe seulement pour la valeur

Le caractère des corps solides et liquides est donc de n’admettre qu’une variable indépendante tandis que les corps aériforme, dépendent des deux variables et

La quantité plus ou moins grande de se fait remarquer par la température qui, dans les solides et les liquides, est fonction, de tandis que, dans les substances aériformes, elle l’est de et de Un fait général sur cette fonction est que deux corps à des températures inégales tendent toujours à partager le principe entre eux, de sorte que finalement les températures deviennent égales.

Commençons par les solides et les liquides, en discutant, autant que possible, la nature de cette fonction entre et la température Faisant, ce qui est permis, en même temps que on prend pour unité de une quantité qui est en état de produire un certain effet, par exemple, de fondre une certaine masse de glace. Si les abscisses représentent les valeurs de et les ordonnées celles de qui leur répondent respectivement, on voit que ces ordonnées doivent, en général, augmenter avec les abscisses ; mais, pour cela, il n’est pas impossible que la courbe ait un ou plusieurs maximums. Ce qu’on appelle chaleur spécifique n’est que le rapport de l’accroissement de à celui de ou et cette quantité doit être variable, à moins que la ligne ne soit droite ou qu’on ait

Les expériences, qui montrent que la chaleur spécifique augmente avec font voir que la courbe est concave vers l’axe des mais, dans les limites resserrées de nos expériences, sa courbure est peu considérable.

Un fait général pour tous les solides est qu’arrivés à un certain degré de température, cette température n’est plus augmentée par une augmentation de jusqu’à ce qu’un changement d’état l’ait rendu susceptible de recevoir un nouvel accroissement.

Si l’on regarde ce point comme répondant à un maximum dans la courbe des températures, ce qui convient avec la forme concave, on obtient une explication complète des phénomènes qui accompagnent le passage des corps d’un état à un autre. Soit, par exemple, la courbe des températures de la forme (fig. 5) ; il faut que la température diminue, lorsque, devient plus grand que mais, ayant égard à l’imparfaite conductibilité du principe on voit que cette circonstance doit donner lieu aux phénomènes qui se présentent dans la nature.

En effet, l’accroissement de se communiquant d’abord à une très-petite partie du corps, doit y opérer un changement considérable, et y faire passer la température au minimum, jusqu’à une valeur égale à celle de l’autre partie de ce corps ; mais alors il ne pourra monter plus haut sans le reperdre, à cause du principe de l’égalité des températures, jusqu’à ce que ce changement se soit opéré sur tout le corps, qui alors pourra augmenter de température comme à l’ordinaire. Supposant que la température va en diminuant, et que le corps est parvenu à l’état qui répond à la température on verra de même qu’en diminuant le principe d’abord une petite partie du corps, en passant par l’état qui répond à cette température, doit y rester jusqu’à ce que, dans tout le corps, le principe se soit diminué de la quantité

Cependant, si le changement n’était ni très-considérable ni très-subit, il se pourrait que le corps ne changeât pas encore brusquement d’état ; mais qu’il diminuât de température jusqu’au minimum et qu’y étant arrivé, il dût passer subitement à l’état qui répond à On voit ainsi une différence essentielle entre ces deux situations, savoir, le point de liquéfaction qui est fixe, et le point de congélation qui est susceptible de variations. C’est ainsi, par exemple, qu’on peut faire acquérir à l’eau une température fort inférieure à celle de la congélation, sans que pour cela elle cesse d’être liquide. Mais une question à laquelle il paraît impossible de répondre, dans l’ignorance où nous sommes de la forme des fonctions et est celle de savoir si un tel changement brusque doit toujours produire un passage de la solidité à la liquidité, et vice versâ, ou, ce qui revient au même, si le maximum de doit toujours répondre à une valeur nulle ou à peu près nulle de la fonction qui constitue la solidité ou la liquidité, selon qu’elle est positive ou négative. En effet, il faut bien distinguer trois fonctions différentes de savoir, le volume proportionnel à la température et la force Les observations n’offrent que très-peu de données pour les déterminer, et les tables de la dilatation des corps pour des températures différentes donnent seulement la relation entre les deux fonctions inconnues et La seule manière de déterminer l’une de ces fonctions serait de chercher les chaleurs spécifiques pour les diverses valeurs de d’où l’on conclurait, par l’interpolation et l’intégration ; mais il est très-difficile et presqu’impossible d’obtenir les expériences nécessaires pour cela.

Pour se faire une idée du passage d’un liquide à l’état aériforme, on doit se rappeler la courbe qui répond à la liquidité, savoir, (fig. 6), où les abscisses sont les valeurs de et les ordonnées celles de pour une valeur constante de Or, si un accroissement de venait à changer le minimum en un point d’inflexion on détruirait nécessairement l’équilibre stable par un nouvel accroissement de quelque petit qu’il fût, et l’on contraindrait le corps à en chercher un autre qu’il n’obtiendrait dans ce cas que pour une valeur infinie de c’est-à-dire que le corps deviendrait aériforme. On sait qu’il faut augmenter considérablement la quantité pour faire passer un corps à cet état ; mais on verra néanmoins qu’un changement très-faible de cette quantité peut à la longue avoir le même effet, à cause de l’imparfaite conductibilité ; car l’accroissement de se communiquant d’abord à une petite partie du corps, la transforme avant que de s’être communiqué au reste ; et la partie transformée absorbe encore de ce principe, jusqu’à ce que l’égalité de température se soit établie ; mais la température des vapeurs étant fonction de et du volume, on voit que la pression extérieure, aussi bien que la température du corps vaporisant, détermine la durée de la vaporisation. Il est d’ailleurs évident que, par exemple, la nature de la vapeur de la glace doit être la même que celle de la vapeur d’eau à la même température.

Nous avons déjà observé que le caractère des vapeurs est que la quantité n’est pas fonction de ou qu’il n’y a pas d’équilibre stable ; si l’on veut éclaircir cette théorie par la considération des courbes, il faut choisir d’autres fonctions que celles que nous avons considérées plus haut. Pour cela, nous tracerons une courbe où les abscisses représentent, pour une valeur constante de les valeurs de la quantité indépendante tandis que les ordonnées correspondantes sont les forces qui s’opposent, dans chaque point, aux forces extérieures qui tendent à comprimer la vapeur. Il est d’abord facile de voir que, lorsque l’ordonnée doit être tandis que pour cette ordonnée doit être nulle. Si cette courbe, que nous supposons être (fig. 7) a un maximum, il est facile d’en déduire les conséquences. Si, en effet, les forces extérieures compriment la vapeur jusqu’à ce que on voit qu’elles doivent, en vertu des forces intérieures, changer brusquement de forme, en passant à un état qui répond au minimum mais dans la nature, cette opération est toujours plus compliquée, à cause du principe de l’égalité des températures ; car celles-ci étant fonctions de et il est facile de voir que, pour que reste constant lorsque varie, il faut que varie aussi ; mais, dans l’ignorance où l’on est sur la forme de cette fonction, on peut seulement savoir qu’en cette rencontre il se dégage une partie considérable de cette quantité.

Il est d’ailleurs évident que le point où la vapeur se convertit en liquide est fixe ; mais que la vaporisation s’opère à toutes les températures. L’ordonnée représente la plus grande force élastique dans chaque point de la masse. La distinction qu’on établit entre les vapeurs et les gaz secs pourrait bien, au surplus, consister uniquement en ce que ceux-ci sont des vapeurs très-éloignées du maximum, ou en ce qu’ils sont représentés par une courbe de la forme (fig. 8) ; et dans ce cas, il serait absolument impossible de les réduire à l’état liquide, du moins tant que resterait constante.

Dans tout ce qui précède, nous avons évité de faire des hypothèses sur la nature de la matière. Dans ce qui va suivre, nous allons seulement déduire quelques conséquences mathématiques de deux hypothèses contraires entre lesquelles les physiciens sont encore aujourd’hui partagés, savoir, celle de la continuité et celle de la discontinuité des parties. Dans la première, la plus courte distance entre deux centres de forces est infiniment petite ; dans la seconde elle est finie. Les conséquences de la première peuvent donc se déduire de celles de la seconde, comme on déduit le calcul différentiel du calcul aux différences finies. Nous considérerons donc d’abord la première, comme la plus simple, en rappelant ce fait d’expérience que l’attraction moléculaire est insensible à une distance sensible du contact.

Soit donc un plan indéfini, à une distance, d’un point attiré. Supposons la matière dans l’état où et l’attraction d’un point à une distance égale à alors l’attraction totale sur le point (fig. 9), exercée par le plan, dans la direction perpendiculaire sera en faisant

d’où l’on conclut pour l’attraction exercée par le corps entier à la distance

Pour la valeur nous désignerons cette intégrale par

Maintenant, si n’était plus égale à l’unité de son espèce, on voit qu’à cause du rapport infini entre et la plus petite distance entre deux centres, il en résulterait seulement que l’attraction totale deviendrait alors

Si, au contraire, la matière n’est pas continue, il faudra avoir égard aux diverses positions des centres attirans, ce qui fera que entrera sous le signe et dans ce cas on ne pourra plus employer le calcul différentiel pour trouver la somme des attractions. Toute la théorie de l’action capillaire est fondée sur l’hypothèse de la continuité de la matière ; et il paraît en effet permis de l’adopter, ou du moins de supposer la matière assez voisine de cet état pour qu’on puisse se permettre, sans erreur sensible, de substituer les différentielles aux différences finies. Si présentement on considère la force répulsive, en supposant qu’elle agit aussi à une distance finie, on pourra représenter par la force qui agit sur ce même point, en sens contraire de étant celle qui répond à et étant conséquemment uniquement fonction de Dans ce cas, pour déterminer les conditions de l’équilibre, il faudra faire maximum par rapport à ce qui est impossible, à moins qu’on ne fasse Il faut donc que la force répulsive ait une autre forme que la force attractive, relativement à ce qui n’est possible que lorsqu’elle n’agit pas à des distances finies ; de sorte que doit entrer sous le signe Donc, en général, ce qui donne lieu à toutes les recherches que nous venons d’exposer.

L’on voit ainsi qu’en admettant la continuité de la matière, l’action du corps à distance devient absolument indépendante du principe répulsif ; de sorte que la force de cohésion doit exister même dans les gaz. En effet, l’action d’un corps sur un point à la distance (fig. 10) étant celle qu’il exerce sur un élément de la même nature que le corps lui-même, parallèle au plan sera et celle du corps entier situé au-dessous du plan sur celle qui est au-dessus du même plan sera où l’on a

La force répulsive n’agissant qu’à des distances infiniment petites, on voit que la force de cohésion est et par conséquent toujours positive.

Les différentes propriétés qui distinguent les corps les uns des autres sont encore l’élasticité, la dureté, la ductilité, qui dépendent de la forme des forces attractives et répulsives, et dont la dernière est parfaite dans les liquides. La fragilité dépend du plus ou moins rapide décroissement de la force attractive, à raison de l’accroissement des distances. La force de la pesanteur doit être fonction de quelque force élémentaire ; et c’est de cette fonction que dépend le poids des atomes. Enfin les forces élémentaires d’un liquide, combinées avec celle de la pesanteur, produisent les phénomènes capillaires.

Quant aux substances aériformes, nous observerons que, dans la force la quantité est beaucoup plus grande que dans les solides et dans les liquides, à température égale, et que augmente avec à une température constante. Donc, si l’on voulait développer en une série convergente, il faudrait faire en sorte que n’en détruisît pas la convergence ; observant donc que est nul ou infini, suivant que est à l’inverse infini ou nul, on peut faire

les fonctions étant toujours comparables à une quantité constante, quelque grand que soit En conséquence, la force totale agissant sur un point quelconque de la masse sera ainsi

et, on voit que, pour une valeur considérable de on peut rejeter, sans erreur sensible, vis-à-vis du premier terme, tous ceux qui le suivent ; admettant de plus que est proportionnelle à la température, on obtient la loi de Mariotte. Cette manière de se rendre compte de cette loi est loin, comme on le voit, d’être rigoureuse, et il serait bien difficile de parvenir à quelque chose de plus satisfaisant, dans l’ignorance où l’on est relativement à la forme de la fonction toutefois, elle est peut-être aussi légitime que celle qu’on a employée dans la théorie du son, pour démontrer que son intensité est en raison inverse du quarré de la distance au centre de l’ébranlement.

Si l’on n’admettait pas la continuité de la matière, l’expression de la force attractive aurait en général la forme

et, pour obtenir la loi de Mariotte, il faudrait établir une nouvelle hypothèse propre à faire disparaître la quantité

J’ai essayé de faire voir jusqu’à quel point il serait possible, dans l’état actuel de l’analise mathématique et de la physique expérimentale, de se rendre compte des principaux phénomènes qui accompagnent les différens états des corps.

Dans l’ignorance où l’on se trouve relativement à la force des diverses fonctions qui doivent être envisagées dans ce genre de recherches, on se trouve contraint de se borner à des considérations beaucoup trop générales ; combien donc les difficultés ne se trouveraient-elles pas encore accrues, si l’on voulait faire entrer en considération de nouvelles forces, telles, par exemple, que l’électricité, d’où dépendent les combinaisons chimiques, et dont la nature nous est encore plus cachée. L’on voit aussi combien malgré la simplicité des lois de la combinaison des corps et principalement des gaz, découvertes par l’expérience, il doit être difficile de trouver seulement une relation entre les chaleurs spécifiques et les quantités de chaleur absorbées ou dégagées par les transformations et les combinaisons.

Plombières, le 24 juillet 1822.