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Anne de Geierstein/18

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Anne de Geierstein, ou la fille du brouillard
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 21p. 242-250).

CHAPITRE XVIII.

LE PRÊTRE NOIR.

Au bord du Rhin, au bord du Rhin mûrissent les grappes du jus divin qui enflamme le courage du soldat joyeux : oh ! béni soit le Rhin !
Chanson à boire.

Une cabane ou deux au bord du fleuve, où étaient amarrées plusieurs barques de pêcheurs, montraient que le pieux Hans avait des successeurs dans sa profession de batelier. Le Rhin qui, un peu au dessous, était arrêté par une chaîne de petites îles, se déployait sur une surface plus large, et coulait avec moins de rapidité devant ces cabanes, de sorte que les bateliers n’avaient à lutter que contre un lit plus calme et plus uni, quoique le courant fût encore, même en cet endroit, trop fort pour qu’on pût y résister, à moins que le fleuve ne fût dans un état tranquille.

Sur la rive opposée, mais beaucoup plus bas que le hameau qui donnait son nom au bac, était située, sur une petite éminence couverte d’arbres et de taillis, la petite ville de Kirch-Hoff. Une barque, partant de la rive gauche, même dans les jours favorables, était obligée de naviguer un temps considérable sous le vent, et de suivre même une route oblique, pour arriver à l’autre bord de ce fleuve profond et impétueux, jusqu’à Kirch-Hoff. Au contraire, un bateau venant de Kirch-Hoff devait avoir un grand avantage de vent et de rames pour débarquer un chargement ou des passagers à la chapelle du Bac, à moins d’être sous la miraculeuse influence qui avait poussé l’image de la sainte Vierge dans cette direction. Les communications entre l’une et l’autre de ces rives se faisaient donc par des barques que l’on remontait jusqu’à une hauteur telle sur la rive gauche, qu’elles dérivassent ensuite, durant la traversée, de manière à toucher précisément l’endroit où l’on désirait aborder. De là il arrivait naturellement que, comme le passage d’Alsace en Souabe était le plus facile, le bac était plus employé par les voyageurs qui désiraient entier en Allemagne que par ceux qui venaient dans une direction opposée.

Quand le vieux Philipson eut, par un coup d’œil jeté autour de lui, reconnu la situation du bac, il dit avec fermeté à son fils : « Va, mon cher Arthur, et fais ce que je t’ai commandé. »

Le cœur déchiré d’inquiétudes filiales, le jeune homme obéit et se dirigea seul vers les cabanes près desquelles étaient amarrées les barques servant ordinairement aussi bien à la pêche qu’au passage des voyageurs.

« Votre fils nous quitte ? dit Barthélémy au vieux Philipson. — Oui, pour le moment, répondit le père ; il a certaines informations à prendre dans ce hameau. — S’il s’agit le moins du monde de la route que veut suivre Votre Honneur, répliqua le guide, je loue les saints de pouvoir mieux répondre aux questions que vous pouvez avoir à faire, que ces rustres ignorants, qui entendent à peine voire langue. — Si nous trouvons que leurs renseignements ont besoin d’explications, nous vous demanderons les vôtres. En attendant dirigeons-nous vers la chapelle, où mon fils nous rejoindra. »

Ils prirent alors la route de la chapelle, mais à pas lents, chacun de son côté, jetant des regards en arrière sur les huttes de pêcheurs, le guide comme cherchant à voir si le jeune voyageur revenait vers eux, le père, avide de découvrir sur la vaste surface du Rhin une voile, gonflée par les vents, conduisant son fils sur la rive qu’on pouvait regarder comme la plus sûre. Mais, quoique les yeux du guide et du voyageur fussent tournés dans la direction de la rivière, leurs pas les entraînaient vers la chapelle que les habitants, en mémoire du fondateur, avaient nommée la chapelle de Hans.

Des arbres plantés çà et là à l’entour donnaient un air agréable et champêtre à ce lieu ; et la chapelle, qui apparaissait sur une éminence, à quelque distance du hameau, était construite dans un style d’une noble simplicité, en harmonie avec le reste du paysage. Sa faible hauteur confirmait la tradition qu’elle n’avait d’abord été qu’une hutte de paysan ; et la croix de bois en sapin recouvert de son écorce attestait l’usage auquel elle était actuellement consacrée. La chapelle et tout l’alentour respiraient une paix et une tranquillité solennelles, et le vaste bruit du fleuve majestueux semblait imposer silence à toute voix humaine qui aurait osé se mêler à son terrible murmure.

Lorsque Philipson approcha du saint lieu, Barthélémy profita du silence de son patron pour entonner deux stances à la louange de la Dame du Bac et de son fidèle serviteur Hans, après quoi, il laissa échapper cette exclamation de ravissement : « Venez ici, vous qui craignez le naufrage, ici est votre port de salut !… Venez ici, vous qui mourez de soif, ici est une fontaine de miséricordes qui vous est ouverte !… venez ici, vous qui êtes las et fatigués, c’est ici votre lieu de repos ! » Et il aurait sans doute continué long-temps sur le même sujet si Philipson ne lui eût sévèrement imposé silence.

« Si ta dévotion était absolument véritable, dit-il, elle serait moins bruyante ; mais il est bien de faire ce qui est bon en soi, même lorsqu’un hypocrite le recommande… Entrons dans cette sainte chapelle, et prions pour une heureuse réussite dans nos dangereux voyages. »

Le vendeur d’indulgences releva ces derniers mots.

« J’étais sûr, dit-il, que Votre Seigneurie est trop sage pour passer devant ce saint lieu, sans implorer la protection et l’influence de Notre-Dame-du-Bac. Attendez seulement un instant que j’aille chercher le prêtre qui dessert l’autel, afin qu’il puisse dire une messe en votre faveur. »

Là il fut interrompu par la porte de la chapelle, qui s’ouvrit soudainement, et un ecclésiastique apparut sur le seuil. Philipson reconnut aussitôt le prêtre de Saint-Paul qu’il avait vu le matin à La Ferette. Barthélémy le reconnut aussi, à ce qu’il sembla, car son hypocrite et officieuse éloquence lui manqua au moment même, et il se tint devant l’ecclésiastique, les bras croisés sur la poitrine, comme un homme qui attend sa sentence de condamnation.

« Scélérat ! » dit le prêtre en regardant le guide avec un visage sévère, « conduis-tu un étranger dans les maisons des bienheureux saints afin de pouvoir l’assassiner et t’enrichir de ses dépouilles ? Mais le ciel ne souffrira pas plus long-temps ta perfidie. Arrière, misérable ! va retrouver tes frères mécréants qui se hâtent d’arriver ici ; dis-leur que ta malice est infructueuse, et que l’étranger innocent est sous ma protection !… sous ma protection ! et quiconque osera la violer aura pour récompense le sort d’Archibald d’Hagenbach ! »

Le guide demeura complètement immobile, tandis que le prêtre lui parlait d’une manière aussi menaçante que sans réplique ; et le ministre de l’autel n’eut pas plus tôt achevé sa dernière phrase, que, sans prononcer un seul mot de justification, Barthélémy tourna les talons, et battit en retraite d’un pas précipité, par la même route qui avait conduit le voyageur à la chapelle.

« Quant à vous, digne Anglais, continua le prêtre, entrez dans cette chapelle, accomplissez-y en toute sûreté les dévotions au moyen desquelles cet hypocrite projetait de vous retenir jusqu’à ce que ses frères d’iniquités arrivassent… Mais d’abord, pourquoi êtes-vous seul ? J’espère qu’aucun malheur n’est arrivé à votre jeune compagnon ? — Mon fils, répondit Philipson, passe le fleuve à ce bac, attendu que nous avons d’importantes affaires à régler sur l’autre rive. »

Tandis qu’il parlait ainsi, une légère barque, auprès de laquelle deux ou trois paysans avaient quelque temps rôdé, se détacha du rivage, avançant en plein courant, et fut presque forcée d’y céder entièrement, jusqu’à ce qu’une voile étendue le long de la vergue flexible, et soutenant le bateau contre l’impétuosité de l’onde, le mît en état de traverser obliquement le fleuve.

« Maintenant, Dieu soit loué ! » dit Philipson, persuadé que la barque qu’il apercevait en ce moment devait être celle qui transportait son fils à l’abri des périls auxquels il était lui-même exposé. — Ainsi soit-il ! » répondit le prêtre, faisant écho à la pieuse exclamation du voyageur. « Vous avez grandement raison de rendre grâces au ciel. — J’en suis convaincu, répliqua Philipson, mais pourtant j’espère apprendre de vous la cause spéciale du danger auquel j’échappe. — Ce n’est actuellement ni le lieu ni l’heure d’une pareille explication, répondit le prêtre de Saint-Paul. Il me suffira de vous dire que ce drôle, bien connu pour son hypocrisie et ses crimes, était présent lorsque le jeune Suisse Sigismond vint réclamer de l’exécuteur le trésor dont Hagenbach vous avait dépouillé. Ainsi fut éveillée l’ambition de Barthélémy : il entreprit de vous servir de guide jusqu’à Strasbourg, avec la criminelle intention de vous amuser en route jusqu’à l’arrivée d’une troupe trop nombreuse pour qu’il vous fût possible d’y résister. Mais son projet a été prévenu… Et maintenant, avant de vous abandonner à d’autres pensées mondaines, soit d’espérance, soit de crainte, entrez dans la chapelle, monsieur, et joignez vos prières aux miennes pour remercier celui qui vous a été en aide et ceux qui ont intercédé près de lui en votre faveur. »

Philipson entra dans la chapelle avec son guide, et mêlant sa voix à la sienne rendit grâces au ciel et au patron tutélaire du lieu d’avoir déjoué l’infâme complot tramé contre lui.

Quand ce devoir eut été rempli, Philipson annonça son projet de continuer son voyage : à quoi le prêtre noir répliqua que, loin de le retenir dans un endroit si dangereux, il l’accompagnerait lui-même une partie du chemin, puisqu’il se rendait aussi à la cour du duc de Bourgogne.

« Vous, mon père !… vous ! » dit le marchand avec quelque surprise. — Et pourquoi vous étonner ? répondit le prêtre ; est-il donc si étrange qu’un homme de mon ordre aille visiter la cour d’un prince ? Croyez-moi, on n’y rencontre que trop de mes semblables. — Je ne parle pas sous le rapport de votre rang, répliqua Philipson, mais par suite du rôle que vous avez joué aujourd’hui en présidant à l’exécution d’Archibald de Hagenbach. Connaissez-vous assez peu le fier duc de Bourgogne, pour vous imaginer qu’il soit possible d’affronter son ressentiment avec moins de périls que vous n’en devriez courir à agiter la crinière d’un bon endormi ? — Je connais bien son caractère, et ce n’est pas pour excuser, mais pour défendre la mort d’Hagenbach que je vais me présenter devant Son Altesse. Le duc peut faire exécuter suivant son plaisir ses serfs et ses vassaux ; mais il y a sur ma vie un charme qui est à l’épreuve de toute sa puissance. Au reste, pour en revenir à la question… vous, seigneur Anglais, connaissant si bien le naturel de Charles… vous, si récemment l’hôte et le compagnon de voyage des visiteurs les plus mal venus qui peuvent l’approcher… vous, impliqué en apparence du moins dans la prise de La Ferette… quelle chance avez-vous d’échapper à sa vengeance ? et pourquoi vous jeter au hasard en son pouvoir ? — Mon digne père, permettez que chacun de nous, sans offense pour l’autre, garde son propre secret. Je n’ai, il est vrai, aucun charme pour me défendre du ressentiment du duc… j’ai un corps pour souffrir la torture et l’emprisonnement, et des biens qui peuvent être saisis et confisqués. J’ai eu jadis de nombreuses relations avec le duc ; je puis même dire qu’il a des obligations à mon égard, et j’espère qu’en conséquence mon crédit près de lui suffira non seulement pour me sauver des suites de l’affaire d’aujourd’hui, mais encore pour être de quelque utilité à mon ami le landamman. — Mais si vous allez réellement à la cour de Bourgogne comme marchand, où sont les marchandises que vous vendez ? N’avez-vous pas d autres articles que ceux que vous portez sur vous ? J’ai entendu parler d’un cheval chargé de vos bagages : le misérable vous l’aurait-il enlevé ? »

C’était une question embarrassante pour Philipson, qui, ne songeant qu’à la douleur de quitter son fils, n’avait nullement décidé si le bagage resterait avec lui-même ou s’il serait transporté de l’autre côté du Rhin. Il fut donc pris comme en défaut par la question du prêtre, auquel il répondit avec un peu d’incohérence : « Je crois que mon bagage est au hameau… à moins que mon fils ne lui ait fait traverser avec lui le Rhin. — C’est une chose facile à savoir, répliqua le prêtre. »

Un novice, sortant à sa voix de la sacristie de la chapelle, reçut l’ordre d’aller demander au hameau si les paquets de Philipson, avec le cheval qui les portait, y avaient été laissés, ou si son fils ne les avait pas emmenés avec lui sur l’autre bord.

Le novice revint au bout de quelques minutes avec la bête de somme qu’Arthur, par commodité pour son père, avait laissée avec tout le bagage sur la rive gauche du fleuve. Le prêtre regardait attentivement, tandis que le vieux Philipson, montant sur son propre cheval, et prenant les rênes en main, souhaita le bonjour au prêtre noir dans les termes suivants ; « Adieu donc, père, adieu ! il faut que je me hâte avec mes ballots, puisqu’il est peu sage de voyager ainsi après l’arrivée de la nuit ; autrement je réglerai volontiers mon pas de manière à poursuivre ma route de compagnie avec vous, si vous voulez bien me le permettre. — S’il faut absolument que vous fassiez diligence, comme j’étais en vérité sur le point de vous y engager, dit le prêtre, sachez que je ne retarderai pas votre marche. J’ai ici un bon cheval, et Melchior, qui autrement aurait été à pied, peut remonter sur votre cheval de charge. Je vous propose cet arrangement, attendu qu’il ne serait pas prudent à vous de voyager seul la nuit. Je peux vous conduire à une auberge éloignée d’environ cinq milles, que nous atteindrons avant la fin du jour, et où vous serez convenablement logé pour votre argent. »

Le négociant anglais hésita un moment. Il ne se souciait guère de prendre un nouveau compagnon de voyage, et quoique la physionomie du prêtre fût plutôt belle, par rapport à son âge, telle en était pourtant l’expression qu’elle n’invitait pas à la confiance. Au contraire, il y avait quelque chose de mystérieux et de sombre qui obscurcissait son front, quoiqu’il fût haut, et une expression semblable qui jaillissait de son œil froid et gris annonçait la sévérité la dureté même de son caractère. Mais, malgré ces circonstances défavorables, le prêtre avait récemment rendu un éminent service à Philipson, en découvrant la trahison de son guide hypocrite, et le marchand n’était pas homme à changer de résolution par suite de préventions imaginaires contre le regard et les manières de son guide, ou par des craintes de complots tramés contre lui-même. Seulement il repassait dans son esprit la bizarrerie de sa destinée, qui semblait, alors précisément qu’il lui importait de se présenter d’une manière aussi prévenante que possible devant le duc de Bourgogne, le forcer à s’adjoindre des compagnons qui devaient nécessairement être odieux à ce prince ; et il ne sentait que trop bien que tel devait être le cas du prêtre de Saint-Paul. Après avoir réfléchi un instant, il accepta avec politesse l’offre que lui faisait l’ecclésiastique de le guider vers une bonne hôtellerie, qui était absolument nécessaire à son cheval avant de gagner Strasbourg, quand même il aurait pu, lui Philipson, se dispenser de prendre aucun rafraîchissement.

Les choses ainsi arrangées, le novice amena le cheval du prêtre qui s’y plaça avec grâce et agilité, et le néophyte, qui était probablement celui même dont Arthur avait joué le rôle pour s’évader de La Ferette, prit, d’après l’ordre de son patron, soin de la bête qui portait le bagage de l’Anglais ; et se signant avec une humble inclination de tête, quand le prêtre passa devant lui, il resta en arrière, et parut employer son temps, comme le faux frère Barthélémy, à réciter son chapelet avec une ardeur qui provenait peut-être d’une piété plus affectée que réelle. Le prêtre noir de Saint-Paul, à en juger par le regard qu’il jetait sur son novice, semblait dédaigner la dévotion extérieure du jeune homme. Il montait un fort cheval noir, ressemblant plus à un cheval de bataille qu’au tranquille palefroi d’un ecclésiastique, et la manière dont il le conduisait était complètement exempte de gaucherie et de timidité. Sa fierté, quelle qu’en fût la source, ne dérivait certainement pas de sa profession seule, mais découlait d’autres pensées plus hautes qui occupaient son esprit, et venaient se joindre pour l’augmenter encore à l’importance dont jouit à ses propres yeux un ecclésiastique puissant.

Lorsque de temps à autre Philipson examinait son camarade de route, à son regard scrutateur le prêtre répondait par un sourire hautain qui semblait dire : « Vous pouvez examiner et ma personne et mes traits, mais vous ne pénétrerez pas mon mystère. »

Les yeux de Philipson que personne ne pouvait avoir jamais vus s’abaisser devant aucun mortel, paraissaient répliquer avec une égale hauteur ; « Et vous, prêtre orgueilleux, vous ignorez aussi que vous êtes dans la compagnie d’un homme dont le secret est beaucoup plus important que le vôtre ne peut l’être. »

Enfin le prêtre fit les avances de la conversation, par une allusion à la réserve qu’ils observaient aussi religieusement que s’ils se la fussent imposée d’un commun accord :

« Nous voyageons donc, dit-il, comme deux puissants magiciens, chacun connaissant ses hauts et secrets desseins, chacun porté sur un char de nuages, mais ni l’un ni l’autre ne communiquant à son compagnon la direction ou le but de sa route. — Excusez-moi, mon père, répondit Philipson, je ne vous ai point demandé à connaître vos projets, et je ne vous ai pas caché en quoi les miens peuvent vous concerner. Je le répète, je me rends à la cour du duc de Bourgogne, et mon but, comme celui de tout autre marchand, est d’y vendre avec profit mes marchandises. — Sans doute, répliqua le prêtre noir, la chose est fort vraisemblable d’après l’extrême attention que vous montriez, il n’y a pas une demi-heure, pour vos marchandises, quand vous ne saviez pas si vos balles avaient passé le fleuve avec votre fils ou restaient sous votre surveillance. Les marchands anglais sont-ils ordinairement si indifférents pour les sources de leurs richesses ? — Quand leur vie est en danger, ils négligent parfois leur fortune. — C’est bien, répliqua le prêtre ; et il reprit ses méditations solitaires jusqu’à ce qu’une autre demi-heure de marche les eût amenés à un village, que le prêtre noir annonça à Philipson être celui où il lui conseillait de passer la nuit.

« Le novice, dit-il, vous montrera l’hôtellerie qui a bonne réputation, et où vous pourrez loger en toute sûreté. Quant à moi, j’ai à visiter dans ce village un pénitent qui désire mon saint ministère… peut-être vous reverrai-je ce soir, peut-être demain au matin seulement ; en tous cas, adieu pour le présent. «

En parlant ainsi, le prêtre fit avancer son cheval, tandis que le novice, se rapprochant de Philipson, le conduisit à travers la rue étroite du village où les fenêtres, laissant échapper çà et là des rayons de lumière, montraient que la nuit était venue. Enfin il fit entrer l’Anglais par un portail dans une sorte de cour où se trouvaient un chariot ou deux d’une forme particulière, employés ordinairement par les femmes lorsqu’elles voyagent, et quelques autres voitures de la même espèce. Là le jeune homme descendit de cheval, et, mettant les rênes dans la main de Philipson, il disparut au milieu des ténèbres croissantes, après avoir indiqué du doigt un bâtiment vaste mais ruiné, dont les nombreuses mais étroites croisées, qu’on apercevait obscurément dans le crépuscule, ne reflétaient aucune lumière sur la façade.