Anthologie de la littérature ukrainienne jusqu’au milieu du XIXe siècle/Épître au Pape

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L’évêque Missaël :

Épître au Pape.
(Extrait.)

Cette épître, adressée au pape en 1476 par le métropolite désigné Missaël, attire notre attention parce qu’on semble y entendre les derniers échos de la rhétorique traditionnelle et de la vieille langue littéraire. Obligé par la pression gouvernementale à faire une sorte de soumission au pape, l’évêque fait disparaître cette dangereuse question sous l’abondance de la forme, accable le saint Père de compliments exagérés et en profite pour se plaindre du clergé latin, qui ne suit pas les hauts exemples du pasteur chrétien idéal.

Il faut mêler son enseignement de sagesse aimable et de douceur, afin de ne jamais avoir à recourir aux armes de la colère pour corriger les ouailles. Mais, dans nos contrées, on voit bien de prétendus pasteurs, appartenant à l’église latine, qui prennent cette habitude : ils croient augmenter leur troupeau par la colère, tandis qu’ils ne font que le perdre. Ils font arrêter, maltraitent et traînent devant le juge des gens respectables et les forcent à changer une piété pour une autre[1], détruisant la paix du monde par leur haine envieuse. Une fois, c’est un berger imprudent qui par ses cris soudains effraye son troupeau et perd de ses brebis ; ou bien c’est un pasteur qui lance son bâton pour faire peur, mais, ayant touché une de ses brebis à la tête, il se trouve en face d’un cadavre. Une autrefois encore, entraîné par la colère et perdant la tête, il donne un coup de pied et casse une échine ou une côte qui protège les organes vitaux.

Mais un pasteur miséricordieux est libre de ces violences. Il regarde ses ouailles avec douceur, ses lèvres remuent à peine, c’est avec la voix du cœur qu’il les interpelle, il les amène ainsi à demeurer ensemble et à ne plus jamais s’éparpiller. Il enseigne aussi qu’il ne faut pas abandonner l’infirme et il le prend sur ses épaules.

Habitué à ces manières, le troupeau suit la voix douce du berger et n’écoute pas les voix étrangères et ainsi, marchant d’un pas alerte, il les conduit dans les voies évangéliques. Souvent le pasteur se retourne pour regarder ses ouailles marcher pieusement, bien manger, se multiplier et il se réjouit en espérant non seulement la récompense mais la gloire céleste. Mais quand la chaleur du soleil rend l’air brûlant et que l’on a besoin de fraîcheur, il conduit son troupeau sur les sommets des montagnes évangéliques, le fait jouir de la grande liberté et le fait marcher devant lui vers le ciel.


  1. Aux yeux de l’écrivain, la religion latine et la grecque sont également saintes ; passer de l’une à l’autre, c’est seulement changer de piété.