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Anthologie des poètes bretons du XVIIe siècle/René Le Pays

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Anthologie des poètes bretons du XVIIe siècleSociété des bibliophiles bretons et de l’histoire de la Bretagne (p. 194-200).

RENÉ LE PAYS

Né à Fougères, 1634, mort à Paris, le 30 avril 1690.



Le Pays dut jouir d’une certaine renommée, puisque ses œuvres eurent, de son temps, plusieurs éditions, et qu’on les réimprimait, à Leipsick, un siècle après leur apparition. C’est chose assez inexplicable, puisque ce très petit poète breton écrivait au plus beau moment de la littérature française.

Ses premiers volumes contiennent des pièces en prose, d’autres en vers, d’autres où les deux genres sont mêlés. Ce sont, pour la plupart, des lettres galantes, fort pauvres de sentiments et d’idées, où surnagent des vers d’une nullité qui va jusqu’au grotesque. On ne peut pas dire que Molière ait trouvé en lui le modèle de son amoureux bourgeois de la Comtesse d’Escarbagnas, car la première édition du premier volume de Le Pays est d’une année postérieure à la première représentation de cette comédie[1] ; on dirait, au contraire, que ce soi-disant poète breton s’est plu à imiter servilement et sérieusement M. Thibaudier. Je n’en veux pour preuve que cette citation :

« J’ay reçeu vos noix confites, et j’en ay déjà mangé beaucoup, et je les ay trouvées excellentes ; mais, Madame, ce ne sont pas là les douceurs que je vous demandons par mon dernier billet :

Alors qu’un pauvre Amour pleure et se désespère,
De semblables douceurs augmentent sa colère ;
C’est une cruauté que le ciel vous deffend ;
Ouy, quand on voit l’amour en des peines si dures,
C’est trop le traiter en enfant,
Que d’apaiser son mal avec des confitures. »

Des élégies fades, des épigrammes émoussées, des sonnets sans pointes, des déclarations d’amour sans passion ni bon goût, des madrigaux sans trait, des églogues ou des satires sans fraîcheur et sans style, des galanteries à donner des nausées, voilà l’œuvre de ce pauvre poète qui se plaît à entremêler vers et prose, et auprès duquel Saint-Évremond est un Homère et le galant Dumoustier un Horace.

Je ne citerai de lui que le seizième sonnet, non qu’il soit un chef-d’œuvre, mais il est inspiré par une vue de la Loire. Cette pièce passe du sévère au plaisant, comme le fameux sonnet du coude, de Scarron :

Vers l’endroit où la Loire entre dedans la mer,
Assez près de cette isle et fertile et charmante,

Qui fit faire à la Cour le voyage de Nante,
Et qui couste à son maistre un regret bien amer ;

Près de ce lieu fameux, un navire étranger,
Qui faisoit voir de loin son enseigne pendante,
Après avoir été battu de la tourmente,
Sembloit prendre repos, lassé de voyager.

La mer étoit pour lors douce, calme et tranquille,
Et n’eust pas soulevé le cœur le plus débile ;
Le ciel étoit aussi pour lors serain et doux.

Quand, dans ce grand vaisseau, parut à notre veüe
Un jeune matelot, Messieurs, le croirez-vous ?
Un jeune matelot mangeant de la morüe.

Ce sonnet, litteralement, desinit in piscem ; cela n’implique pas nécessairement que la première partie en soit belle.


Bibliographie

1o Le Pays. Œuvres en deux volumes. À Paris, chez Barbin, au Palais, sur le second perron de la Sainte-Chapelle, 1672.

2o Œuvres nouvelles de Le Pays ; un volume, avec figures, chez Charles Leray, au Palais, au sixième pilier de la grand’sale. (Sans date.)

3o Le Pays. Amitiez, amours et amourettes, 1665

4o Même ouvrage et même titre, « chez Claude Prudhomme, » 1705. »

5o Nouvelles œuvres de Monsieur Le Pays ; à Leipsig, chez Kruge, 1788. (C’est une réédition d’un choix de ses œuvres.)

Stephane Halgan

Nous avons respecté la teneur de ce jugement un peu écourté et paradoxal du regretté M. Halgan ; mais nous ne pouvons laisser le pauvre poète sous le coup de ces dures paroles, de cet injuste arrêt.

Certes, René Le Pays a été surfait par ses contemporains, qui lui ont payé comptant — dit ingénieusement M. C. Livet — toute la somme de gloire qu’il méritait. Tout n’est pas pourtant si ennuyeux ni si fade dans les œuvres du bouffon plaisant ; que de jolies choses nous pourrions extraire de ses piquantes relations de voyages, et comme nous voudrions mettre une lettre, intéressante et sérieuse, écrite de Londres, en regard des meilleures pages de Voiture, de la lettre sur la prise de Corbie, par exemple ! Mais le prosateur nous échappe ; le poète, qui est bien inférieur, n’est pas toujours dénué d’esprit et de charme, il est parfois ce que Lactance disait d’Ovide : poeta non insuavis. Que dites-vous de ce portrait d’un officier, un peu maraudeur, aux prises avec l’intendant de la police et des finances du Dauphiné, M. du Gué ?

Je vis encore un officier,
Qui peut-estre, dans son quartier,
Avoir permis maint brigandage,
Et qui faisoit passer ses soldats pour des saints,
Vous jurant qu’en chaque village,

Ils avoient tous vescu comme des Capucins.
Vous luy dites alors qu’on les croyoit fort sages,
Que la comparaison leur convenait fort bien,
Puisque, passant dans les villages,
Comme des Capucins ses gens ne payoient rien.

Dans ce même recueil des Nouvelles Œuvres, arrêtons-nous un instant devant des invectives tragi-comiques contre les tripots de Lyon ; le pauvre Le Pays avait perdu tout son argent chez ces cruels maistres d’Académie, — comme il appelle les gérants de ces honnêtes maisons :

Maudits soient les Fredocs, les Morels, les Colins,
Et maudits soient les Raboulins.
Ce sont des Juifs exécrables,
Qui profitent toujours de ce que nous perdons,
Des marchands si rusez que, par leurs tours damnables,
Ils profitent encor de ce que nous gagnons ;
Ils font un assuré commerce,
Ou qu’on gagne, ou qu’on perde, heureux ou malheureux,
Ils n’éprouvent jamais une fortune adverse,
Tout le profit reste pour eux.

Dans leur cruelle Académie,
Je suis entré cent fois la bourse bien garnie,
Avec un teint vermeil, avec la joye au cœur,
Et deux heures après, pâle et mélancolique,
J’en suis sorty fort gueux, accablé de douleur ;
Et cependant tout ce malheur
Ne vient que d’avoir dit certain mot diabolique,
Un Masse, un Tope, un mot qui ne veut dire rien,
Et qui, par sa vertu magique,
Vous ôte en un moment le repos et le bien.


Comment après cela pouvoir plaire à Sylvie,
Comment, devenu gueux, passeray-je la vie,
Moy qui sçay que le bien est si fort engageant,
Que sans luy les vertus passent pour bagatelles,
Et qu’à présent, auprès des belles,
Le mérite et l’esprit peuvent moins que l’argent !

La tristesse de Le Pays, joueur dupé par des grecs, n’est pas bien plus profonde que celle du Valère, de Regnard, elle ne fait qu’effleurer cet esprit souple et alerte. Avant de quitter l’aimable compagnon, nous ferons deux emprunts à la Muse Amourette, morceau mêlé de prose et de vers, où Le Pays retrace, avec une spirituelle érudition, la généalogie et les alliances de sa muse badine.

Voici en quels termes délicats Virgile est apprécié :

La Muse de Virgile, après seize cens ans,
Estant belle malgré son âge,
Conte encore entre ses amans
Plus d’un sçavant et plus d’un sage ;
Chacun sçait bien que Scaliger,
Ce sage et ce sçavant qui n’eut point de foiblesse,
L’ayant prise pour sa maîtresse,
Ne voulut jamais la changer :
Comme un amant, plein de tendresse
Jusque dans le cercueil souvent porte un tableau,
Scaliger ordonna, pour dernière caresse,
Que sur son cœur, dans son tombeau,
On mît tous les beaux vers qu’avoit faits sa maîtresse.

Le Pays poursuit sa revue critique des poètes anciens et modernes ; puis il s’excuse, non sans grâce, d’avoir conduit sa muse en si noble compagnie ; il la ramène modestement au port :

Mais, ma Muse, tout doucement,
Vous partez un peu brusquement,
Demeurez dans vostre province,
Vous y plaisez facilement
Et vous ne plairiez pas aux oreilles d’un prince.
La Cour mépriseroit vos champêtres appas,
Vostre esprit y paroistroit fade,
Et vous n’oseriez vous vanter
Qu’on daignât vous ouïr quelquefois caquetter…

Est-ce que Le Pays ne fait pas ici lui-même, avec un charme naïf et qui sent son homme du monde, le procès de sa poésie ? Ne nous dispose-t-il pas à l’indulgence en faveur de cette Muse de province qui confesse si ingénument ses défauts ?

Il faut lire, sur Le Pays. M. Ch.-L. Livet (Précieux et Précieuses, p. 293-321), et M. J. de la Pilorgerie, René Le Pays. (Nantes, in-8o, extrait de la Revue de Bretagne et de Vendée, mai et juin 1872.)

Nous avions vu de très jolis frontispices allégoriques dans les nombreuses éditions de Le Pays ; nous cherchions un portrait, quand M. Le Pays du Teilleul, de Fougères, a bien voulu nous autoriser, avec une obligeance dont nous ne saurions trop le remercier ici, à faire reproduire le beau portrait de famille qui est en sa possession. Il est en tête du présent volume.

O. de G.


  1. C’est une erreur : M. Halgan n’avait pas vu la 1re édition des Amitiez, Amours et Amourettes (1665) de six ans antérieure à la Comtesse d’Escarbagnac (1671.)