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Aristippe, ou De la Cour/Discours troisiesme

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Augustin Courbé (p. 65-86).

DISCOURS TROISIESME.



COmme ceux que nous laissasmes hier, manquent de la capacité requise, & ont l’intelligence fort courte, & fort limitée ; il s’en trouve d’autres, qui l’ont trop vague, & trop estenduë, & qui raisonnent avec excez. Je parle de ces Speculatifs, qui visent d’ordinaire au delà du but ; qui quittent les chemins, pour prendre les routes ; qui s’égarent, pour arriver plustost où ils vont.

Appellons-les, s’il vous plaist, des tireurs d’essences. Ils mettent leurs avis à l’alambic, & les reduisent à neant, à force de les subtiliser : ils evaporent en fumée les plus solides affaires. Disons que ce sont des Heretiques d’Estat, qui veulent faire dans la Politique, ce qu’Origene a fait dans la Religion. Ils suivent les ombres, & les images des choses, au lieu de s’attacher à leur corps, & à leur realité. Ils embrassent la Vray semblance, parce qu’ils l’ont peinte & embellie à leur mode ; mais ils rejettent la Verité, à cause qu’elle n’est pas de leur invention, & qu’elle a son fondement en elle-mesme.

Ces Messieurs se figurent que, par tout, il y a du dessein & de la finesse, & que toutes les actions des hommes sont meditées. Rien ne leur passe devant les yeux, dont ils ne cherchent le sens mystique, & l’allegorique. Ils ne s’arrestent jamais à la lettre, ces subtils Interpretes des pensées d’autruy. Et quand deux Princes s’attaquent de toute leur force, & de toute la puissance de leurs Estats, ils croyent qu’ils s’entendent ensemble, pour tromper les autres Princes. Ils font des jugemens presque aussi plaisans que ceux, qui disoient à Athenes, qu’on ne se fiast pas à la mort du Roy Philippe, & qu’il s’estoit fait tüer tout expres, pour attraper les Atheniens.

On voit par ce mauvais mot jusqu’où peut aller la mauvaise subtilité, & quel est l’esprit de la Grece, & de ces Speculatifs. Mais il y a eu des Speculatifs en tout Païs. Il y a tousjours eu des Alchimistes, & des Souffleurs, qui ont distillé les choses humaines ; qui ont donné plus de liberté qu’ils ne devoient, à leurs conjectures, & à leurs soupçons. Parce que Junius Brutus contrefit le Sot, ils ont eu de la desfiance de tous les Sots : Ils se sont figurez, que tous les Niais imitoient Brutus ; que la simplicité apparente estoit un artifice caché ; que ceux qui ne sçavoient rien, dissimuloient leur science, que le silence de ceux qui ne disoient mot, couvroit de dangereuses pensées.

C’estoit l’opinion qu’avoit un Prince Romain d’un certain Imbecille de son temps, que les Pages siffloient, & que personne n’estimoit que luy. L’Histoire rapporte qu’il en apprehendoit les vertus secrettes ; & que le mespris universel de la Cour, & vingt-cinq ans d’impertinences, ou faites, ou dites, à la face du grand Monde, ne l’avoient pû assurer de cet homme-là.

Du mesme Principe, de fausse subtilité, sont nées ces Visions, que nostre homme trouve si ingenieuses, & qui me semblent si ridicules ; que les Docteurs admirent, & que je ne puis souffrir. En cet endroit Aristippe adressant sa parole aux deux Gentilshommes, qui l’escoutoient ; Pensez-vous, leur dit-il, comme ces Docteurs subtils, qu’Annibal ne voulut pas prendre Rome, de peur de n’estre plus utile à Carthage, & de se voir obligé, par là, à finir la guerre, qu’il avoit dessein de perpetüer ? A vostre advis, Auguste choisit-il Tibere pour son Successeur, afin de se faire regretter, & rechercher de la gloire apres sa mort, par la comparaison d’une Vie, qui devoit estre si differente de la sienne ? Vous imaginez-vous que le conseil qu’on trouva dans ses Memoires, de mettre des bornes à l’Empire, fust un effet de son envie, contre sa Posterité ? Avoit-il peur, qu’un jour un autre Homme fust plus grand Seigneur que luy, & commandast à plus de Sujets ? Est-il croyable que le mesme Auguste ne faisoit l’amour, que par maxime d’Estat, & ne voyoit les dames de Rome, que pour apprendre le secret de leurs Maris ? Y a-t’il de l’apparence, que son ame ne se remüast que par reigle, & par compas ; que toutes ses actions fussent si guindées, & tous ses vices si estudiez ?

A mon avis, c’est faire le Monde plus fin qu’il n’est. C’est interpreter les Princes, comme quelques Grammairiens expliquent Homere : Ils y trouvent ce qui n’y est pas, & l’accusent d’estre Philosophe & Medecin, en des endroits, où il n’est que Faiseur de contes & de chansons. Contentons-nous quelquefois du sens litteral. Ne cherchons pas un Sacrement sous chaque syllabe, & sous chaque point. Ne soyons pas si indulgens à nostre esprit, ni si curieux, dans celuy d’autruy. Il ne faut pas aller querir si loin la Verité, ni prendre les choses de si haut. Il ne faut pas rapporter à des causes reculées, & aux Conseils du Siecle passé, des succez, ou arrivez fortuitement, ou à qui une legere occasion aura donné lieu.

Les Stoïques, qui n’ont pas voulu, qu’une feüille d’arbre se remuast, sans ordre particulier de la Providence, ni que le Sage levast le doigt, sans congé de la Philosophie ; ne jugeoient pas plus avantageusement de Dieu, & de la Personne plus proche de Dieu, que ces Rafineurs presument d’un Homme, qui est souvent moins que mediocre ; qui n’a que le quart, ou la moitié de la partie raisonnable ; qui de sa vie ne songea à estre Sage, ni à s’approcher de Dieu. Il n’y a point de moyen, qu’ils ajustent leurs opinions à nostre commune capacité : Ils ne peuvent descendre jusques à nous. Dans le jugement qu’ils font des hommes, ils ne peuvent presupposer une infirmité humaine, c’est à dire, un principe d’erreurs & de fautes ; une maladie de la naissance, de laquelle Alexandre & Cesar ne sont pas exempts ; un defaut qui traisne apres soy tant d’autres defauts, en la Personne des plus Parfaits ; en la conduitte des plus Sages ; & en celle de Salomon mesme, si vous le voulez.

Les Grands evenemens ne sont pas tousjours produits, par les grandes causes. Les ressorts sont cachez, & les machines paroissent : & quand on vient à descouvrir ces ressorts, on s’estonne de les voir si foibles & si petits. On a honte de la haute opinion qu’on en avoit euë. Une jalousie d’amour, entre des personnes particulieres, a esté la matiere d’une guerre generale. Des Noms baillez ou pris par hazard ; les Verds & les Rouges des Jeux du Cirque, ont formé les Partis & les Factions, qui ont dechiré l’Empire. Le mot ou le corps d’une Devise ; la façon d’une Livrée ; le rapport d’un Domestique ; un conte fait au Couché du Roy ne sont rien en apparence ; & par ce Rien commencent les Tragedies, dans lesquelles on versera tant de sang, & on verra sauter tant de testes. Ce n’est qu’un nüage qui passe, & une tache en un coin de l’air, qui s’y perd plustost qu’elle ne s’y arreste. Et neantmoins, c’est cette legere vapeur, c’est cette nuée presque imperceptible, qui excitera les fatales tempestes que les Estats sentiront, & qui ebranlera le Monde, jusqu’aux fondemens. On s’est imaginé autrefois que c’estoient les interests des Maistres, qui mettoient en feu toute la Terre, & c’estoient les passions des Valets.

Je ne doute point que le Roy de Perse ne prist des pretextes tres-specieux, pour justifier ses armes, quand il vint en Grece, & que ses Manifestes ne dissent merveilles de ses intentions. Il ne manqua pas de Pretentions ni de Droits. Il n’oublia pas, que le grand Roy ne venoit que pour chastier les petits Tyrans ; & qu’il apportoit aux Peuples une riche & abondante liberté, au lieu de leur maigre & sterile servitude. Il falsifia son dessein, en plusieurs autres façons, & jura, peut-estre, que ce dessein luy avoit esté inspiré immediatement des Dieux immortels, & que le Soleil en estoit le premier autheur. Cependant quelques Manifestes qu’il fist voler, & quelque couleur de Justice & de Religion qu’il donnast à son Entreprise, voicy la verité de la chose.

Un Medecin Grec, domestique de la Reine, ayant envie de revoir le Port de Pyrée, & de manger des figues d’Athenes, mit cette fantaisie de guerre, dans la teste de sa Maistresse, & la porta à y faire resoudre son Mary. Si bien que le Roy des Rois, le puissant & redoutable Xerxes ne leva une armée de trois cens mille Combattans, ne coupa les Montagnes, ne tarit les Rivieres, ne combla la Mer, que pour conduire un Charlatan en son Païs. Il me semble que ce galant-homme pouvoit bien faire son voyage à moins de frais, & en plus petite compagnie.

Mais il me vient de souvenir, Monseigneur, d’une autre chose qui merite d’estre sçeuë, & que vous ne trouverez pas mal-plaisante. Elle arriva au royaume de Macedoine, plus de quatre-vingts ans, devant la naissance du Roy Philippe ; au temps de cette fameuse conjuration, qui d’un Estat en fit deux, & qui partagea la Cour, les Villes, & les Familles.

Ce fut la femme de Meleagre, Gouverneur d’une Place frontiere, & General de la Cavallerie, qui jetta son Mari dans la revolte, & certes pour un fort digne sujet. Sur le rapport qui fut fait au Roy de l’esprit & de la galanterie de cette Femme, il luy prit envie de la voir un jour en particulier : Il ne luy fut pas difficile d’obtenir d’elle, une faveur qu’elle accordoit aisément à de moins grands Seigneurs, & de moins honnestes gens que luy. Elle n’avoit pas accoustumé de lasser la constance de ses Amans, ni de faire mourir personne de desespoir. Le Roy s’estant donc rendu à l’assignation qu’elle luy donna, &, par malheur, ne l’ayant pas trouvée telle qu’il se l’estoit figurée, il luy tesmoigna d’abord son desgoust, & se separa d’elle, presque aussi tost, avec peu de satisfaction. Cet affront fut senti si vivement par celle qui le receut, & qui n’avoit pas mauvaise opinion de son merite, qu’elle protesta à l’heure mesme de s’en vanger. Et ne le pouvant mieux faire qu’en corrompant la fidelité de son Mari, & le desbauchant du service de son Maistre, elle usa pour cela de tous les charmes de son esprit, & de son visage. Elle employa, sur une ame credule, les plus subtiles inventions, dont est capable une ame artificieuse. Et ne doutez point que dans la chaleur de sa vengeance, elle n’eust voulu avoir une infinité de Maris, pour faire une infinité d’Ennemis au Roy, & pour tirer raison, avec plus d’espées, de l’offense qu’elle croyoit en avoir reçeuë.

Ainsi Meleagre quitta le service du Roy, & s’embarqua dans le Parti du Tyran, sans sçavoir par quel mouvement il y estoit poussé, ni quelle passion il vengeoit. Il joüoit un personnage qu’il n’entendoit point : Il estoit le Soldat de sa Femme, & pensoit estre un des principaux Chefs de la Ligue. Par là on peut voir, qu’il est aisé de se tromper, dans le jugement qu’on fait des actions des hommes, puis que les hommes mesmes, qui les font, y sont les premiers trompez ; puis qu’ils n’en sçavent pas tousjours la vraye cause. Ils sont souvent instrumens aveugles, & sans connoissance, de l’interest, ou de la passion d’autruy.

Les Speculatifs de Macedoine ne manquerent pas de publier de plausibles, & de specieuses raisons, de la revolte de Meleagre. Les uns dirent, qu’un reproche, que le Roy luy avoit fait, en presence des Ambassadeurs de Thessalie, luy entra si avant dans le cœur, & y fit une si profonde playe, qu’il ne pût jamais en guerir, que les caresses & les faveurs, qu’il receut, depuis ce temps-là, furent d’inutiles appareils, sur ce cœur blessé, & que la memoire d’une injure luy osta le sentiment de mille bienfaits. D’autres alleguerent le refus d’une Charge, qu’il avoit demandée, pour son Fils, & que veritablement on ne donna pas à un autre, mais qui fut supprimée, afin qu’elle n’entrast pas en sa Maison. Il y en eut qui excuserent son changement, sur l’amour de la Patrie, & sur le zele de l’ancienne Religion, de laquelle le Tyran prenoit le pretexte, pour faire la guerre au Roy.

Tous les Historiens exercerent là dessus leur subtilité, & tous furent subtils, & ingenieux à faux. Ils chercherent la source du Mal, qui d’un costé, qui d’un autre, & pas un ne la trouva : Pas un ne parla du despit de la Femme de Meleagre, qui fut la seule cause de la defection de son Mari, & qu’on ne descouvrit qu’en un autre Siecle, & long temps apres la mort du Roy, du Tyran, & de Meleagre.


CEs deux courses que nous avons faites, en Grece, & en Macedoine, estoient sur nostre chemin, & je veux croire qu’elles n’auront pas esté desagreables à Vostre Altesse. Mais je croy de plus qu’elle juge aussi bien que moy, qu’il vaut encore mieux debiter des visions, dans l’Histoire que dans le Conseil, & que la mauvaise subtilité est moins dangereuse, quand on raconte des choses faittes, que quand on delibere des choses à faire. Icy, pour ne rien dire de pis, elle est cause que les choses ne se font point.

Les gens d’Athenes sont trop habiles, pour tromper les gens de Thebes : Ceux-là tendent leurs filets si haut, & ceux-cy volent si bas, qu’il faudroit qu’ils fissent un effort, pour y estre pris. Je dis davantage. Les Atheniens employent quelquefois leur finesse, à s’en faire accroire, & à se tromper eux-mesmes. De leurs faux principes, ils ne peuvent tirer que de fausses conclusions, & n’ont garde de negocier heureusement, ni d’amener jamais leurs Adversaires de leur costé ; se tenant tousjours en des termes si eloignez d’eux, & s’en approchant si peu, que bien loin de se pouvoir joindre, ils ne se peuvent pas reconnoistre.

Il est mal-aisé d’ouïr de plus beaux Parleurs, & de voir mieux debattre des Opinions. Mais aussi n’en demandez pas davantage : Ils mettent en cela tout leur soin, & toute leur industrie. Ils y apportent autant d’estude, que si le discours estoit la principale fin de la deliberation, & quelque chose de plus que l’action mesme. Ils aimeroient mieux faire paroistre leur eloquence, en perdant l’Estat, que de le conserver, sans dire mot. Ils estiment que c’est bien davantage, d’emporter le dessus au Conseil, sur leurs Compagnons, que de battre à la Campagne les Ennemis. Si bien qu’ils content, quasi pour rien, les disgraces de la Guerre, esperant tousjours d’en avoir leur revanche au premier Traitté. Et là neantmoins ils rencontreront quelque Esprit de fer, incapable de persuasion, qui couppera ce qu’il ne pourra desfaire ; &, par une ferme & constante negative, brisera tous leurs filets, & toutes leurs ruses, sans prendre la peine de les demesler.

Tesmoin ce Gouverneur de Figeac, qui se trouva à une Conference, qu’eut la Reine Catherine, avec les deputez du Roy de Navarre, & du Parti Huguenot. C’estoit pour leur faire quiter, devant le temps accordé, les Places de seureté, qui leur avoient esté mises, entre les mains. Elle avoit amené de Paris, un homme tout-puissant en paroles, & à la Rhetorique duquel rien n’avoit esté impossible, jusques alors. D’abord il se fit admirer à l’Assemblée : Il excita en suite de plus douces passions, dans le cœur des Deputez : Apres avoir vaincu leur esprit, il gagna leur volonté. Et desja les plus desfians avoient oublié le Massacre, & ne vouloient plus de Places de seureté. On se contentoit de la parole du Roy, & le Traitté s’alloit conclurre, à la satisfaction de la Reine ; quand en un moment tout son travail fut gasté, & toute l’eloquence de son Orateur renversée, par la brusque response que luy fit le Gouverneur de Figeac.

Cette Princesse s’estant addressée à luy, avec une mine de triomphante, & luy ayant demandé, (plustost pour couronner une chose faitte, et avoir des applaudissemens, que pensant avoir besoin de son opinion) ce qui luy sembloit de la Harangue qu’il avoit ouïe : Madame, luy respondit-il, avec une parole si forte, qu’elle cassa les articles du Traitté à demi-conclu, Il me semble que Monsieur que voilà a bien estudié, mais mes compagnons ni moy ne sommes pas d’avis de payer ses estudes, de nos testes.

Ce Monsieur neantmoins, dont je vous parleray une autre fois, estoit un tres-habile Negociateur : Il avoit reüssi ailleurs tres-heureusement ; Et quoy qu’il regnast en l’Art de bien dire, il n’estoit pas pourtant de nos gens, qui ne sçavent que parler : Il faisoit servir cette science à une meilleure, & ne preferoit pas, comme eux, la gloire de son esprit, au bien du service de son maistre.

Nos gens en effet sont plustost Declamateurs que Ministres, plustost Sophistes que Conseillers. Ils ne sont point si faschez du mauvais succez des affaires, qu’ils sont aises de l’honneur qui leur revient, d’avoir bien harangué, sur chaque proposition debatuë, & de s’estre fait admirer aux Deputez, & à l’Assemblée. Leur vanité les console aisément de leur malheur. Ce leur est assez, de traitter le Genre Deliberatif, selon les preceptes de Quintilien, & de sçavoir manier les choses, par tous les endroits que montre Aristote. Voilà la borne de leur ambition. Ils sont satisfaits, s’ils n’ont point peché, contre les regles de l’Art ; Et je les trouve, en cela, semblables à un Medecin de Milan, que j’ay connu à Padoüe. Cet homme content de la possession de sa Science, et, comme il parloit, de la joüissance de la Verité, ne cherchoit point particulierement, dans la Medecine, la guerison des Malades : Il se glorifioit mesme une fois, d’en avoir tué un, avec la plus belle methode du monde : è morto, disoit-il, canonicamente, è con tutti gli ordini.

Dans les affaires aisées, ils sement des espines, pour les cueillir. Dans la moindre occurrence qui se presente, ils font naistre mille difficultez ; Ils trouvent autant d’expediens, & ne forment, le plus souvent, aucune resolution. Le grand nombre des choses qu’ils voyent, en chaque sujet, leur ostant la liberté du choix, & l’abondance les rendant pauvres, ils s’embarrassent, dans la multitude de leurs raisons, & s’arrestent d’ordinaire à la plus mauvaise, & voicy pourquoy : C’est parce que la plus mauvaise est le dernier effort de leur imagination desja lasse, & que l’ayant esté chercher, hors du sens commun, qui est desja espuisé, il semble qu’elle soit plus à eux que les autres, qui sont tirées de cette source publique, ou qu’ils ont prises de l’experience.

À ce conte-là, la bonne chose que c’est que cette Sobrieté de sçavoir & de connoistre, si estimée par les Lettres Saintes ? Avoüons-le, à la honte de la Raison humaine, & de la subtilité des Sophistes : Un grand Esprit, tout seul, est un grand instrument à faire des fautes ; Et si le jugement necessaire ne l’appesantit, & ne l’emousse, pour l’assujetir à l’usage, & l’accommoder à l’exemple & à la pratique, sans doute cette vivacité penetrante sera beaucoup plus propre à agiter des questions de Metaphysique, qu’à donner de bons conseils, qu’à bien entreprendre, & qu’à bien agir. En effet, les actions humaines veulent estre maniées humainement, c’est à dire par des moyens possibles & familiers ; d’une façon, qui tienne du corps, comme de l’esprit ; avec des raisons, qui tombent quelquesfois, sous les sens, & ne demeurent pas tousjours, dans la haute region de l’ame.

Les Raffineurs, qui agissent autrement, sont bons à troubler les Negociations, & ne valent rien à conclurre les Affaires. Ce sont d’excellens Broüillons, pour remüer un Estat, & de mauvais Ministres, pour le gouverner. Ils reüssissent dans le desordre ; & comme les Demons de l’Air, ils se meslent parmi le Tonnerre : Mais ils n’ont plus de force, si tost que le calme est venu ; & cette pointe qui nous esbloüit, n’estant qu’une lumiere d’Eclairs, il est tres-dangereux de prendre une pareille adresse, dans la varieté des accidens, & dans les divers destours de la Vie civile.

Mais quand ce seroit une veritable & continüelle lumiere, de laquelle ils seroient guidez ; quand ce seroit le Soleil luy-mesme, qui les conduiroit, ce n’est pas à dire, qu’ils trouvassent tousjours la fin qu’ils cherchent, & qu’ils arrivassent, où ils vont. Et de cela, Monseigneur, j’aurois encore quelque chose à dire, si le bruit d’un carosse & de plusieurs voix que je viens d’oüir, ne m’avertissoit que voicy l’heure de l’audience, que Monsieur Le Duc d’Espernon a envoyé demander à vostre Altesse.