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Astronomie populaire (Arago)/XIV/11

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 121-126).

CHAPITRE XI

sur les moyens de faciliter l’observation des taches solaires.


Hariot, au commencement du XVIIe siècle, d’après ce que le docteur Robertson a rapporté de ses manuscrits, ne connaissait aucune méthode propre à affaiblir artificiellement l’image télescopique du Soleil. On lit, en effet, sur toutes les pages où les taches sont dessinées : « Brouillard…; brouillard épais…; images d’une épaisseur nouvelle…; le Soleil était un peu trop brillant. »

Fabricius n’avait d’abord trouvé qu’un seul moyen d’observer le Soleil avec une lunette : c’était d’attendre qu’il fut très-près de l’horizon. « J’avertis, disait-il, ceux qui voudraient faire de pareilles observations de commencer à recevoir la lumière d’une petite portion du Soleil, afin que l’œil s’y accoutume peu à peu et puisse supporter la lumière du disque tout entier. » Plus tard, Fabricius et son père imaginèrent « de recevoir les rayons du Soleil par un petit trou, dans une chambre obscure, sur un papier blanc, et ils y virent très-bien une certaine tache en forme de nuage allongé. »

Galilée aussi n’observait directement les taches solaires que près de l’horizon. « La tache du 5 avril 1612, dit-il, se voyait nel tramontar del Sole, au coucher du Soleil…; le 26 du même mois, nel tramontar del Sole, commença à se montrer, etc. »

À ces observations directes très-assujettissantes, très pénibles, Galilée substitua des observations dont la précision ne serait pas aujourd’hui suffisante, mais qui ne faisaient courir aucun danger à la vue. Ces dernières observations il les faisait, soit suivant le procédé imaginé par un de ses disciples, Castelli, en projetant sur un papier les rayons solaires sortant de l’oculaire de la lunette, soit par une autre méthode dans la quelle, à cause de sa simplicité, Galilée voyait la cortesia della natura ; je veux dire à l’aide de la chambre obscure sans objectif, de la chambre obscure dans laquelle la lumière ne pénètre que par un très-petit trou. À cet égard, comme on doit le remarquer, l’illustre astronome avait été précédé par Fabricius.

Avant l’invention des lunettes, avant la découverte des taches, les astronomes avaient déjà imaginé divers moyens d’observer le Soleil sans être complétement aveuglés. Les uns visaient à l’image de l’astre renvoyée par l’eau ou par tout autre miroir peu réfléchissant ; les autres regardaient à travers un trou d’épingle percé dans une carte. Apian nous apprend dans l’Astronomicum cœsareum imprimé en 1540, que de son temps quelques personnes faisaient usage de diverses combinaisons de verres colorés collés ensemble par les bords. Il est vraiment extraordinaire qu’une méthode si simple ait tant tardé à devenir générale, et particulièrement qu’après l’invention des lunettes un astronome tel que Galilée n’y ait pas eu recours. Les verres colorés auraient probablement préservé cet homme illustre des maux d’yeux dont il souffrit si souvent, et de la cécité complète qui affligea ses dernières années.

La première application des verres colorés aux lunettes est due, je crois, à Scheiner. Dans sa lettre à Velser du 12 novembre 1611, nous lisons qu’aux époques de la journée où le Soleil, à cause de sa grande hauteur, ne pouvait pas être regardé impunément, il couvrait l’objectif avec un verre vert plan. Dans un ouvrage de 1612, De maculis in Sole, etc., Scheiner recommandait des verres couleur d’azur et disait que les marins bataves, quand ils prenaient hauteur (à l’œil nu, sans lunettes), se servaient de verres colorés pour affaiblir le Soleil. Le verre coloré de Scheiner se plaçait devant l’objectif. Il devait donc être assez grand ; il fallait de plus qu’il fût d’une matière très-pure, bien poli et à faces parallèles ; sans ces conditions la régularité des images télescopiques aurait été fortement altérée. Serait-ce là ce qui empêcha Galilée d’adopter la méthode ? Mais alors pourquoi ne plaça-t-il pas, comme on le fait aujourd’hui, le verre coloré en dehors de la lunette, entre l’œil et l’oculaire. Dans cette position le verre obscurcissant peut n’avoir que quelques millimètres de diamètre. Il n’est nullement nécessaire qu’il soit très-pur, à faces exactement parallèles et d’un poli en quelque sorte mathématique. Le plus ancien ouvrage à ma connaissance, où il soit fait mention d’un verre coloré interposé entre l’œil et l’oculaire de la lunette est de 1620 ; il est intitulé : Barbonia Sidera, etc., par Jean Tarde, chanoine de la cathédrale de Sarla.

L’œil ne pouvant endurer la vive lumière de l’image solaire qui se forme au foyer d’une lunette ou d’un télescope, tous les astronomes regardent aujourd’hui cette image focale à travers un verre coloré en rouge ou en vert, et qui communique sa teinte aux rayons lumineux.

Ainsi l’astre radieux ne se voit pas dans son état naturel. Le choix des verres colorés dont il faut se servir pour atténuer l’intensité des images télescopiques du Soleil, a une grande importance. Il en est de même de la position qu’on assigne à ces verres affaiblissants. Puisque divers astronomes voués à l’étude de la constitution physique du Soleil, sont devenus aveugles, faute d’avoir donné à cette branche importante de l’art d’observer une attention suffisante, je dois résumer ici quelques-uns des résultats auxquels est arrivé William Herschel en soumettant la question à des expériences développées et à une étude approfondie.

Les verres rouges, lors même qu’ils ont affaibli la lumière solaire de manière qu’on puisse aisément la supporter, transmettent une grande quantité de rayons calorifiques dont l’œil de l’observateur souffre beaucoup.

Les verres verts interceptent la majeure partie de la chaleur ; mais, à moins d’une épaisseur démesurée, ils laissent à la lumière une intensité blessante.

Le faisceau de lumière qui sort de l’oculaire d’une lunette étant très-condensé, communique au verre coloré qu’il traverse, une chaleur locale très-intense ; de là des dilatations brusques, le craquement du verre, la destruction de son poli. On évite ces effets en établissant le verre coloré entre l’oculaire et l’objectif, dans une place où le faisceau lumineux n’a pas encore subi l’extrême condensation dont il vient d’être fait mention. William Herschel rapporte que cet artifice lui a très-bien réussi. Il doit avoir, ce me semble, un très-grave inconvénient : celui d’altérer la netteté de l’image (car les verres colorés sont rarement exempts de stries), et de soumettre ensuite les altérations au grossissement des oculaires. Dans la place usuelle de verre coloré, quand ce verre est en dehors des oculaires, les défauts dont il peut être la cause ne sont point grossis ; l’image focale conserve toute la pureté que le télescope comporte ; elle n’est pas plus déformée que si on la regardait à travers le verre à l’œil nu.

William Herschel a proposé de substituer au verre coloré, le liquide qu’on obtient en faisant passer de l’encre étendue d’eau à travers un filtre de papier. Ce liquide laisse au Soleil sa teinte blanc de neige : les inégalités, ou, si on le préfère, les accidents de lumière dont la surface de cet astre est parsemée, se voient alors beaucoup mieux. J’ajouterai que la teinte blanche doit aussi permettre d’étudier dans toute leur extension les phénomènes dépendant de la force dispersive de l’atmosphère.

Il est une circonstance importante qu’Herschel dit avoir constatée. Suivant cet observateur, le liquide en question absorbe la majeure partie des rayons calorifiques qui sont mêlés à la lumière solaire. L’œil appliqué à l’oculaire se trouve ainsi soustrait à une cause d’inflammation qui a été fatale à plus d’un astronome.

L’encre filtrée qu’Herschel substituait au verre coloré, était contenue dans un petit récipient terminé par deux glaces planes, polies et à faces parallèles. Le tout se plaçait un peu en avant de l’oculaire, de telle sorte que les rayons arrivaient à l’image focale déjà affaiblis.

Le moyen de perfectionner les observations solaires proposé par Herschel, malgré tout l’avantage que l’auteur semblait s’en promettre, n’est pas devenu usuel.