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Astronomie populaire (Arago)/XVII/24

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 397-401).

CHAPITRE XXIV

y a-t-il des exemples bien constatés du partage d’une comète
en plusieurs parties ?


Démocrite croyait avoir vu une comète se diviser et se résoudre, pour ainsi dire, en un grand nombre de petites étoiles.

D’après Éphore, historien grec, la comète de 371 avant Jésus-Christ se serait partagée en deux astres, suivant chacune des routes différentes. Sénèque, à la vérité, révoque en doute ce témoignage, mais Kepler, meilleur juge en pareille matière, prend sa défense avec vivacité. Il croyait, en effet, qu’un partage semblable avait eu lieu dans la seconde comète de 1618 (n° 40 du catalogue). C’est à cette occasion que notre savant cométographe, Pingré, voulant stigmatiser la crédulité de Kepler, lui appliqua ces paroles d’Horace :

Quandoque bonus dormitat Homerus.

La division de cette comète en plusieurs fragments résultait cependant des observations directes du père Cysat, de Vendelin et de Scheiner. Jusqu’à ces derniers temps, la difficulté d’expliquer le phénomène l’avait fait regarder comme une illusion. Mais en 1846, la comète de Gambart, de 6 ans 3/4, s’étant partagée en deux astres distincts sous les yeux des astronomes munis de télescopes, on a recueilli soigneusement les indications plus ou moins analogues consignées dans les anciennes cométographies.

Les astronomes chinois, d’après la traduction d’Édouard Biot, parlent de trois comètes accouplées qui parurent en l’an 896 et parcoururent leurs orbites de conserve.

« Le noyau de la comète de 1652 (n° 41 du catalogue), dit Hévélius, se divisa en quatre ou cinq parties qui montraient une densité un peu plus forte que le reste de la comète. »

L’illustre astronome de Dantzig cite encore des observations analogues pour les comètes de 1661 et de 1664 (nos 42 et 43 du catalogue).

Passons à l’observation si bien constatée de la comète de 1618.

Figueroes à Ispahan, Blancanus à Parme, des Jésuites à Goa, Kepler à Linz, ont vu deux comètes en même temps, dans la même partie du ciel. Leur mouvement propre les portait l’une et l’autre vers le nord. La seconde apparut tout à coup lorsque déjà la première avait été vue depuis plusieurs semaines.

Ces observations, comme on voit, ne se prêteront pas à l’explication arbitraire donnée par Pingré dans sa Cométographie. Elles n’ont aucune liaison avec de prétendues générations de nuages, ou des défauts de transparence dans l’atmosphère. Comme le dit Kepler, ne suffit-il pas qu’un fait soit pour qu’on doive l’admettre, lors même qu’on ne peut l’expliquer. La question ironique de Sénéque sur le point de savoir comment il se fait que personne n’ait vu aussi deux comètes se réunir en une seule, ne peut tenir lieu d’une bonne raison. Au surplus, à une époque où l’on a essayé de rendre compte du grand nombre de petites planètes comprises entre Mars et Jupiter, par les fragments d’une planète unique qui se serait brisée, l’intérêt des astronomes doit particulièrement se porter sur l’exemple d’une comète, celle de 6 ans 3/4 qui, sous nos yeux, en 1846, s’est partagée en deux moitiés qui ont suivi des routes entièrement différentes.

« Le 19 décembre 1845, rapporte mon ami Alexandre de Humboldt dans le tome IIIe du Cosmos, M. Hind avait déjà remarqué, dans la comète encore intacte, une sorte de protubérance vers le nord ; mais le 21, d’après l’observation de M. Encke, à Berlin, on n’apercevait aucun indice de séparation. La division déjà effectuée fut reconnue pour la première fois le 27 du même mois, dans l’Amérique septentrionale, et en Europe vers le milieu et à la fin du mois de janvier 1846. Le nouvel astre, le plus petit des deux, précédait le plus grand dans la direction du nord. L’éclat de chacune des comètes était changeant, de sorte que le second astre, augmentant peu à peu d’intensité, surpassa quelque temps en lumière la comète principale. Les enveloppes nébuleuses qui entouraient chaque noyau n’avaient aucun contour déterminé ; celle qui entourait la plus grande comète offrait un gonflement peu lumineux vers le sud-sud-ouest, mais la partie du ciel qui les séparait fut notée par M. Struve, à l’observatoire de Poulkova, comme libre de toute nébulosité. Quelques jours plus tard, le lieutenant Maury aperçut, à Washington, des rayons que l’ancienne comète envoyait vers la nouvelle, de sorte que, pendant quelque temps, il y eut une sorte de pont jeté de l’une à l’autre. Le 24 mars, la petite comète, diminuant insensiblement d’éclat, n’était déjà presque plus reconnaissable. On vit encore la plus grande durant quelque temps ; vers le 20 avril, elle disparut à son tour. »

Le 19 février 1846, M. Struve vit pour la première fois la comète double, et, grâce à la pureté du ciel, il put en faire un dessin (fig. 211) basé sur des mesures exactes. Deux jours plus tard, le 21 février, il put en tracer un second portrait (fig. 212), mais par un ciel moins transparent. Dans la première observation, la distance des deux noyaux était de 6′ 7″, et dans la seconde elle était devenue 6′ 33″. Le 4 mars, cette même distance était de 7′ 20″, et le 23 mars de 13′ 32″. Ces nombres ne donnent pas les rapports réels, mais seulement les rapports apparents des distances des deux noyaux, à cause des variations d’éloignement à la Terre ; M. Plantamour a calculé les distances réelles, qu’on lira avec intérêt :

 1846. Lieues.
10
février 
60 260
17
février 
61 770
26
février 
62 990
3
mars 
63 250
16
mars 
62 660
22
mars 
62 030

La plus grande distance des deux comètes a eu lieu, d’après les chiffres précédents, le 3 mars 1846, et elle s’élevait aux deux tiers de la distance de la Lune à la Terre.

Nous avons dit (chap. viii), que le 26 septembre 1852 le père Secchi avait constaté à Rome la seconde apparition des deux parties de la comète de Gambart. Alors la distance des deux noyaux était d’environ 500 000 lieues.

On doit regretter que le fait même de la séparation des deux parties de la comète, en 1846, ait échappé aux observateurs ; il eut été intéressant d’assister à un tel phénomène, d’en noter toutes les circonstances et de prendre le dessin de la comète avant son partage. Toutefois la naissance de nouveaux corps du système solaire par voie de disjonction n’en est pas moins un fait de la plus haute importance désormais hors de toute contestation.