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Astronomie populaire (Arago)/XVII/33

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 447-454).

CHAPITRE XXXIII

trouve-t-on, dans l’ensemble des phénomènes astronomiques, quelque raison de supposer que des comètes soient jamais tombées dans le soleil ?


Au moment de son passage au périhélie, la comète de 1680 (n° 49 du catalogue) n’était éloignée de la surface du Soleil que de 53 mille lieues ou d’une quantité égale à la sixième partie environ du diamètre de cet astre[1]. Dans une région aussi rapprochée de ce globe immense, l’atmosphère dont il est entouré peut avoir une densité appréciable, et produire sur les corps qui la traversent des effets qu’on ne doive pas négliger. Cela sera vrai surtout à l’égard des comètes dont la vitesse au périhélie est considérable et qui ont, en général, très-peu de densité. Sur la comète de 1680, l’effet nécessaire de cette résistance atmosphérique dut être de diminuer sa vitesse tangentielle. Mais si un corps céleste se ralentit dans sa marche, quelle qu’en soit d’ailleurs la cause, la force centrifuge diminue, la force centripète qu’elle contrebalançait devient à l’instant prépondérante, et ce corps, quitte la courbe qu’il parcourait pour se rapprocher du centre d’attraction. Ainsi, la comète dont il est question dut passer plus près de la surface solaire en 1680 que dans son apparition antérieure. Cette diminution dans les dimensions de l’orbite se continuera à chaque nouveau retour au périhélie : la comète de 1680 finira donc par tomber sur le Soleil. Des raisonnements analogues seraient applicables de tout point à la comète de 1843 (n° 164 du catalogue), qui passa encore plus près du Soleil que celle de 1680 (chap. xiv).

Ces raisonnements reposent sur des principes de mécanique incontestables ; la conséquence que nous en avons déduite n’est donc pas moins certaine. Il faut seulement reconnaître que dans notre ignorance actuelle sur la densité des diverses couches superposées de l’atmosphère solaire, sur celle des comètes de 1680 et de 1843, et sur la durée de leur révolution, il serait impossible de calculer après combien de siècles arrivera l’étrange événement que je viens de faire entrevoir. Les Annales de l’astronomie ne fournissent d’ailleurs aucune raison de supposer qu’il soit rien survenu de pareil depuis les temps historiques.

Remontons à des époques plus anciennes, à celles qui se perdent dans la nuit des temps, et voyons si parmi les conditions actuelles de notre système planétaire, il en est dont l’explication nous forcerait d’admettre qu’une comète s’est jadis précipitée dans le Soleil.

Toutes les planètes circulent autour du Soleil de l’occident à l’orient, et dans des plans qui forment entre eux des angles peu considérables.

Les satellites se meuvent autour de leurs planètes respectives, comme les planètes elles-mêmes autour du Soleil, c’est-à-dire aussi de l’occident à l’orient. Les planètes, enfin, et les satellites dont on a pu observer les mouvements de rotation, tournent sur leurs centres de l’occident à l’orient, et pour la plupart dans le plan de leur mouvement de translation. On appréciera mieux tout ce qu’il y a d’extraordinaire dans un pareil phénomène, si je fais ici l’énumération complète des mouvements que je viens de signaler.

Les astronomes ont observé des mouvements de rotation dans le Soleil, dans Mercure, Vénus, Mars, la Terre, Jupiter et Saturne ; dans la Lune ; dans les quatre satellites de Jupiter ; dans l’anneau de Saturne et dans le dernier satellite de cette planète, ce qui fait un total de 14. En augmentant ce nombre, d’abord de celui des mouvements de translation des astres que je viens de nommer, ensuite du nombre de mouvements analogues qu’exécutent les planètes et les satellites qui par leur petitesse ou d’autres circonstances ont échappé aux observations immédiates de rotation, on trouve un ensemble de 72 mouvements dirigés dans le même sens. Jusqu’à présent les satellites d’Uranus font seuls exception à cette loi. Or, le calcul des probabilités montre qu’il y a plusieurs milliards à parier contre un, que cette disposition de notre système solaire n’est pas l’effet du hasard. Il faut donc admettre qu’une cause physique primitive dirigea tous les mouvements des planètes au moment de leur formation.

Buffon est le premier qui, envisageant notre système solaire de ce point de vue élevé, ait essayé de remonter à l’origine des planètes, des satellites et de ce qu’il semble y avoir de commun dans les mouvements de tous ces astres.

Il suppose qu’une comète tomba obliquement dans le Soleil ; qu’elle en rasa la surface, ou du moins qu’elle ne la sillonna qu’à une petite profondeur. Il remarque que, dans le torrent de matière fluide qu’elle lança devant elle, les parties qui, à égalité de volume, étaient les plus légères, durent éprouver la plus forte impulsion et s’éloigner le plus du Soleil. Il admet qu’elles formèrent par concentration d’immenses planètes, telles que Saturne et Jupiter, dont la densité est, en effet, assez faible ; que les parties les plus denses s’agglomérèrent, au contraire, dans des régions moins éloignées de leur point de départ, y produisirent Mercure, Vénus, la Terre et Mars ; qu’ainsi dans l’origine les planètes étaient brûlantes et dans un état complet de liquéfaction ; que c’est alors qu’elles prirent toutes des formes régulières ; qu’ensuite elles se refroidirent graduellement et de manière à offrir les diverses apparences que nous observons aujourd’hui.

On a argumenté, contre le système de Buffon, du volume, de la masse et de la grande vitesse qu’une comète devrait avoir pour qu’elle pût chasser du Soleil une quantité de matière égale à celle dont l’ensemble des planètes et des satellites de notre système se compose ; mais des objections de cette nature ne sont jamais sans réplique, puisqu’il n’y a rien, en soi, qui puisse empêcher d’attribuer à la masse de la comète choquante, la valeur qu’une théorie quelconque nécessiterait. Au surplus, il est bon d’observer ici que toutes les planètes avec les satellites ne font, comme nous le calculerons plus tard, qu’une très-faible partie de la masse du Soleil.

Des corps célestes produits comme Buffon le suppose, jouiraient, sans aucun doute, dans leurs mouvements de translation, de cette similitude de directions qu’on remarque dans notre système planétaire. Il n’en serait pas de même des mouvements de rotation ; ceux-ci pourraient s’opérer en sens contraire des mouvements de translation. La Terre, par exemple, tout en parcourant, comme elle le fait, son orbite annuelle de l’occident à l’orient, aurait pu tourner sur son centre de l’orient à l’occident. L’objection doit s’appliquer aussi aux mouvements des satellites dont la direction ne serait pas nécessairement la même que celle du mouvement de translation de la planète ; Ainsi, l’hypothèse de Buffon ne satisfait pas à toutes les circonstances du phénomène ; ainsi elle n’a-pas dévoilé le secret de la formation des planètes ; ainsi on ne saurait argumenter de cette théorie pour soutenir qu’à la naissance de notre système, une comète tomba dans le Soleil.

À l’objection que je viens de signaler, je puis en joindre une autre puisée dans des considérations que fournissent des observations modernes, dont Buffon n’avait aucune connaissance.

Tout corps solide, tout boulet de canon, par exemple, qui serait lancé dans l’espace avec la direction et la vitesse convenables pour qu’il devînt un satellite de la Terre, repasserait à chacune de ses révolutions par le point de départ, abstraction faite, du moins, de la résistance de l’air ; cela résulte, avec une entière évidence, des premiers principes de la mécanique.

Si la comète de Buffon, en choquant le Soleil, en avait détaché des fragments solides ; si les planètes de notre système avaient été originairement de tels fragments, elles auraient, à chaque révolution, rasé de la même manière la surface du Soleil. Tout le monde sait à quel point cela est éloigné de la vérité. Aussi notre grand naturaliste ne croyait-il pas que la matière qui compose les planètes fût sortie du globe solaire en masses distinctes et toutes formées. Il imaginait, comme je l’ai dit, que la comète avait fait jaillir un véritable torrent de matière fluide, dans lequel les impulsions que les diverses parties recevaient les unes des autres et les effets de leurs attractions mutuelles, rendaient impossible toute assimilation avec le mouvement des corps solides. Le système de Buffon suppose donc implicitement que la matière du Soleil, la matière extérieure du moins, est en état de liquéfaction. Les observations modernes se concilient elles avec une pareille constitution physique ? Les rapides changements de forme que les taches solaires obscures et lumineuses éprouvent incessamment ; les espaces immenses que ces changements embrassent dans des temps très-courts, avaient déjà conduit à supposer, depuis quelques années, avec beaucoup de vraisemblance, que de pareils phénomènes devaient se passer dans un milieu gazeux. Aujourd’hui des expériences d’une tout autre nature, des expériences de polarisation lumineuse faites à l’Observatoire de Paris, établissent ce résultat d’une manière incontestable (liv. xiv, ch. vi). Mais si la partie extérieure et incandescente du Soleil est un gaz, n’est-il pas évident que le système de Buffon pèche par sa base essentielle, qu’il n’est plus soutenable ?

On pourrait, il est vrai, alléguer que le corps obscur auquel cette atmosphère lumineuse sert d’enveloppe ; que le corps central qu’elle laisse à découvert dans une petite étendue quand ses parties se désunissent, est liquide ; mais ce serait là une hypothèse entièrement gratuite, on ne saurait l’appuyer sur aucune observation exacte.

Malgré ces puissantes objections, si, pour expliquer l’étonnante coïncidence de tous les mouvements de translation et de rotation des planètes de notre système, on n’avait encore su donner d’autre théorie que celle de Buffon, il serait sage de suspendre son jugement ; mais nous n’en sommes plus là, et les hypothèses si ingénieuses de Laplace, quels que soient les doutes qu’elles doivent encore exciter, montrent du moins que le grand problème cosmogonique dont il s’agit ici peut être rattaché à des causes totalement distinctes de celles que le Pline français avait mises en action.

En résumé, et c’est à cela que tendait ce chapitre, rien ne prouve, quoi qu’en dise Buffon, « que les planètes aient appartenu anciennement au Soleil, dont elles auraient été séparées par une force impulsive commune à toutes, et qu’elles conserveraient encore aujourd’hui ; » rien, dès lors, ne nous force à supposer qu’une comète ait eu quelque part à la formation de notre système planétaire ; rien n’indique, enfin, qu’à l’origine des choses, un astre de cette espèce soit tombé dans le Soleil. Il est bien plus probable, comme l’a pensé Laplace, que les comètes, à l’origine, ne faisaient point partie du système planétaire, et qu’elles ne sont point non plus formées de l’immense nébuleuse solaire ; il faut seulement les considérer comme de petites nébuleuses errantes que la force attractive du Soleil a déviées de leur route.

  1. Au moment du passage au périhélie de la comète de 1680, le Soleil devait s’y montrer sous un angle de 73 degrés, trois et demi de ces diamètres auraient donc suffi pour remplir l’espace compris entre un point de l’horizon et le point opposé. Si, comme on l’a supposé (chap. xvii, p. 348), cette comète a une révolution périodique de 575 ans, elle ne doit voir le Soleil, de son aphélie, que sous un angle de 14 secondes : or, 14 secondes ne forment pas même la valeur du rayon de la planète Mars quand, parvenue à son opposition, elle passe au méridien à minuit.