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Astronomie populaire (Arago)/XX/20

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 289-296).

CHAPITRE XX

détermination des longitudes géodésiques


Nous avons vu (chap. viii) que la longitude d’un lieu n’est pas autre chose que la différence de l’heure marquée en ce lieu avec celle marquée au même moment sur le méridien qui sert d’origine aux longitudes, l’heure pouvant être transformée en degrés, minutes et secondes de degrés à raison de 15° pour 1h, 15′ pour 1m, 15″ pour 1s. On comprend facilement qu’un observateur qui s’avance vers l’orient va à la rencontre apparente du Soleil, et que l’astre radieux doit passer plus tôt aux méridiens des nouveaux lieux qu’il visite ; au contraire, lorsqu’un observateur marche vers l’ouest, il fuit en quelque sorte le mouvement apparent diurne du Soleil, qui passera plus tard par les méridiens des lieux parcourus par le voyageur. Puisque le Soleil se meut d’une manière uniforme dans sa rotation diurne apparente et fait le tour de la Terre en vingt-quatre heures, les angles qui séparent les divers méridiens de tous les points du globe, sont proportionnels à la durée de la rotation diurne. Si donc une montre est réglée à l’Observatoire de Paris, dont le méridien soit pris pour l’origine des longitudes, les heures de tous les lieux situés à l’est de Paris seront en avance, et les heures des lieux situés à l’ouest de cette ville seront en retard de quantités qui indiqueront exactement les angles faits par les méridiens de tous ces lieux, placés vers l’est ou vers l’ouest, avec le méridien de Paris.

Il est évident, d’après ces explications, qu’un voyageur qui ferait le tour de la Terre en s’avançant progressivement vers l’orient pour revenir au point de départ, verrait le Soleil se lever, passer au méridien, se coucher, une fois de plus que les personnes restées au même lieu, et qu’il gagnerait ainsi un jour tout entier.

Au contraire, un autre voyageur qui partirait de Paris en s’avançant progressivement vers l’occident, aurait perdu un jour entier en revenant après avoir fait le tour de la Terre. C’est ce qu’ont observé les compagnons de Magellan au retour du voyage de circumnavigation pendant lequel mourut l’illustre navigateur portugais ; le jour de leur retour à San Lucar était pour eux le 20 septembre 1522, tandis que les habitants de la ville comptaient le 21.

Les voyageurs qui arrivent dans les îles de la mer du Sud, éloignées de douze heures du méridien de Paris, doivent compter différemment les jours de la semaine, selon qu’ils viennent des Indes ou de l’Amérique. C’est ce qui est arrivé aux Portugais qui de Macao sont allés aux îles Philippines par le cap de Bonne-Espérance, et aux Espagnols qui y sont parvenus en partant de l’Amérique et en traversant la mer du Sud.

Il résulte clairement des explications précédentes que la longitude d’un point situé à l’est de Paris est égale à l’heure de ce point oriental, moins celle marquée à Paris au même instant, et que la longitude d’un lieu situé à l’ouest de Paris, est égale à l’heure de cette ville à un moment donné, moins l’heure de ce lieu occidental. Par conséquent, deux méthodes s’offrent immédiatement à l’esprit pour la détermination des longitudes géodésiques. L’une de ces méthodes consiste à emporter l’heure du lieu dont le méridien est regardé comme cercle terrestre initial, et à aller en divers points avec des chronomètres, des montres marines, des garde-temps, convenablement réglés sur le temps sidéral du point de départ ; on comparera l’heure que marqueront ces instruments avec les heures sidérales de tous les autres lieux ; les différences observées seront les longitudes cherchées. Dans l’autre méthode, divers observateurs constatent les heures sidérales locales, au moment où tous aperçoivent ou reçoivent le même signal.

Les deux méthodes exigent que l’on puisse connaître très-exactement l’heure de chaque lieu ; dans le livre consacré au calendrier, nous dirons comment on y parvient et sur terre et sur mer. Ici nous supposerons que ce problème est résolu, et alors il ne nous reste que peu de mots à ajouter pour que le lecteur ait une idée complétement exacte de la détermination des longitudes.

On conçoit que si un chronomètre n’avait pas une marche extrêmement régulière, on ne pourrait nullement compter sur ses indications pour trouver la longitude d’un lieu où on le transporterait. Aussi, l’exécution de chronomètres d’une extrême précision fut-elle mise de bonne heure au rang des questions les plus importantes pour l’astronomie et pour la navigation. Le parlement d’Angleterre, l’Académie des sciences de Paris ouvrirent des concours, proposèrent plusieurs fois des prix pour les meilleures montres marines. En 1765, le parlement anglais décerna une somme de 250 000 fr. à Harrison, d’abord charpentier dans un village, et ensuite très-habile horloger, pour avoir exécuté une montre avec laquelle des officiers de la marine avaient déterminé assez exactement la longitude de la Jamaïque. En 1800, les artistes Arnold et Earnshaw reçurent chacun 75 000 francs, à titre d’encouragement, pour de nouveaux perfectionnements dans la construction des chronomètres. On cite encore Kendal, Mudge, Emery, parmi les horlogers de la Grande-Bretagne, qui ont rendu célèbres les horloges marines anglaises. Nous sommes heureux de dire que la France, grâce aux efforts de Le Roy, de Ferdinand et de Louis Berthoud, de MM. Bréguet père et fils, de M. Winnerl, s’est placée au premier rang pour l’horlogerie de précision. Le Roy remporta le prix de l’Académie des sciences, en 1769. Par le bill relatif à la détermination des longitudes en mer, le parlement d’Angleterre promettait une récompense de 250 000 francs à l’artiste qui exécuterait des chronomètres assez parfaits pour donner la longitude, au bout de six mois, sans une erreur de deux minutes de temps. J’ai eu l’occasion de prouver que les chronomètres de M. Bréguet ne donnent pas au bout de six mois une erreur d’une seule minute. En employant à la fois plusieurs excellents chronomètres, on peut d’ailleurs obtenir une longitude moyenne, extrêmement approchée de la véritable longitude. En 1826, une opération de ce genre fut faite par ordre de l’amirauté anglaise : 35 chronomètres traversèrent six fois la mer du Nord pour déterminer les longitudes d’Altona, de Brémen et de l’île d’Helgoland par rapport au méridien de l’observatoire de Greenwich. En 1843, la différence des longitudes de l’observatoire russe de Pulkova, près de Saint-Pétersbourg, et de l’observatoire de Greenwich, fut obtenue à l’aide du transport de 68 chronomètres qui marchèrent avec un accord remarquable.

La méthode et la détermination des longitudes par l’observation simultanée d’un même signal, peut être appliquée de diverses manières. On peut prendre pour signal un phénomène céleste, une éclipse, une occultation d’étoile, etc. ; on conçoit qu’un pareil phénomène présente l’avantage de pouvoir être observé en même temps de lieux extrêmement éloignés les uns des autres sur la surface de la Terre. Nous reviendrons, en parlant des éclipses, sur cette méthode de détermination des longitudes.

Les signaux de feu employés par Cassini n’offrent pas la facilité d’être observés de distances extrêmement grandes, mais au moins ils n’ont pas l’inconvénient d’obliger les astronomes à attendre un phénomène céleste que voileront peut-être les intempéries atmosphériques. Des fusées composées de quelques hectogrammes de poudre et lancées pendant la nuit, donnent une lumière assez vive pour être vue dans un rayon de 100 kilomètres, et par conséquent de deux stations éloignées d’environ 200 kilomètres. Si aucun obstacle ne se trouve entre ces deux stations, on comprend que la simple comparaison des observations du signal faites par deux astronomes munis d’horloges bien réglées sur l’heure sidérale de chaque lieu, donne immédiatement la différence des longitudes des deux stations. Lorsque les stations M et N (fig. 274), sont tellement situées qu’un seul signal ne pourrait être vu à la fois de ces deux points, on établit des stations auxiliaires, par exemple, en B et en D, et entre toutes les stations, en A, en C, en E, on fait successivement des signaux de feu à des heures convenues d’avance. La comparaison des résultats partiels donne, sans aucune peine, la différence des longitudes cherchées ; c’est ainsi qu’on a opéré jadis entre Paris et Londres, entre Bordeaux et Genève, etc.

Fig. 274. — Détermination des longitudes par les signaux de feu.

Mais une invention moderne de la plus grande importance ôte tout intérêt à l’emploi des signaux de feu : je veux parler de la télégraphie électrique, qui envoie les signaux avec une telle vitesse, que, par rapport aux distances terrestres, on peut admettre une transmission instantanée.

L’idée de faire concourir les télégraphes électriques à la détermination des longitudes était si naturelle, qu’elle est née presque aussitôt après l’installation des premiers télégraphes de cette espèce, et qu’on ne saurait dire où elle prit naissance. Le Bureau des longitudes s’en occupa dès l’origine avec persévérance, et il avisa aux moyens d’établir une communication électrique directe entre l’Observatoire de Paris et celui de Greenwich, dès qu’il fut question du câble sous-marin entre Douvres et Calais. Dans ce but un fil conducteur relie l’une des salles de l’Observatoire et l’administration télégraphique centrale, située au ministère de l’intérieur, rue de Grenelle. De son côté, le savant directeur de l’Observatoire de Greenwich, M. Airy, établit une communication directe entre cet Observatoire et l’une des lignes électriques aboutissant à Douvres et au câble sous-marin, de manière qu’il y aura liaison de Greenwich avec Dunkerque, un des points de la grande méridienne de France. De plus, on va pouvoir transmettre par le télégraphe électrique, l’heure de Paris aux divers ports importants, tels que le Havre, Nantes, Marseille, Toulon, etc. ; les navigateurs puiseront dans ces indications journalières des moyens très exacts de régler la marche de leurs chronomètres.