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Berthe aux grands pieds/VI

La bibliothèque libre.
Alphonse Lemerre, éditeur (p. 35-37).

VI

LE DÉPART POUR LA FRANCE

Tout est prêt. Sous les doigts des brodeuses agiles,
Les robes de velours, de soie et de satin,
Belles de leurs couleurs pimpantes et fragiles,
Sont écloses, comme des fleurs dans le matin.

On a mis aux chevaux des guirlandes de roses ;
La cour d’honneur a pris un air d’enchantement.
Des poètes joufflus ont récité des proses
Au nom de la famille et du gouvernement.

Voici l’heure des vrais adieux et des tendresses,
Et du dernier baiser, qu’un autre toujours suit.
Le roi Flores se sent le cœur plein de détresses,
Des pleurs tremblent au bord de ses yeux pleins de nuit.

« Adieu, puisque je suis trop vieux pour vous conduire,
Ma fille, trop d’hivers ont alourdi mes pas ;
Mais si dans mon palais l’âge m’a su réduire,
Mes suprêmes conseils ne vous quitteront pas.

« Aux pauvres, avant tout, ne soyez point amère.
Il sied mal au bonheur d’être orgueil et dédain.
Soyez fleur, blanche fleur, comme était votre mère,
Ouvrez votre âme à tous, ainsi qu’un clair jardin. »

Il dit, et se détourne, et Berthe sans pensée
Sanglote éperdument, sachant qu’il est trop tard.
Tout au fond de son cœur d’heureuse fiancée
S’éplore la tristesse amère du départ.

Déjà, pour son passage, on fait ranger la foule ;
Au galop des chevaux, Berthe va s’éloigner.
Cependant, les yeux lourds de pleurs qu’elle refoule,
La reine Blanchefleur ne peut se résigner.

Elle est là, sans espoir dont son deuil se soulage,
Près de Berthe, impuissante à lui quitter la main.
« Je t’accompagnerai jusqu’au prochain village,
Dit-elle, je serai plus vaillante… demain. »