Betty petite fille/16

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(pseudonyme non identifié)
Librairie artistique et Édition parisienne réunies (p. 195-203).


CHAPITRE XVI


Betty s’était levée, une faiblesse aux reins, une brûlure aux tempes. Elle se traîna par la chambre, puis se laissa tomber dans un fauteuil avec une grimace énervée.

Un souci la lancinait, la rongeant lentement, sans qu’il lui fut possible de le chasser. Elle savait que ce jour-là Charles viendrait.

Madame Cérisy était aussi au courant de ce détail ; dès le matin, elle fut d’une gaîté exubérante, allant de pièce en pièce, sans arrêt. Elle chantonnait, riait de tout, avait des exclamations puériles.

Devant tant de légèreté, les remords de la fillette s’apaisèrent un peu. Elle se voyait incapable de prendre au sérieux sa mère, qui se montrait si inconséquente.

Pourtant elle demeura maussade et son teint tellement blafard, que Madame Cérisy elle-même lui conseilla de manquer l’école.

À midi, elles déjeunèrent en silence, l’une en face de l’autre, évitant de se regarder. Chacune avait des pensées secrètes dont elle craignait la divulgation. Puis aussitôt après le repas, elles se réfugièrent au boudoir.

Plus l’heure avançait, plus la fillette se sentait nerveuse et plus la mère se troublait de sensualité exacerbée.

On sonna et ensemble elle sursautèrent : Betty devint très pâle, Madame Cérisy rougit intensément.

Elle eut un geste brusque et poussa la gamine :

— Mais va donc ouvrir !

Betty se dressa, ses sourcils se froncèrent, cette brutalité l’avait blessée. À la dérobée elle jeta à la femme un regard mauvais, puis elle s’éloigna, lentement, jouissant de la nervosité impatiente de l’autre.

Sa main tremblait lorsqu’elle tira le verrou, mais ensuite, elle eut un recul en voyant apparaître Charles. Ce jour là il avait négligé les habits féminins et se présentait en gentleman, une émeraude à l’index gauche, un bracelet d’or au poignet droit.

Il la repoussa et ricaneur, lui souffla :

— Si tu interviens, je raconte tout sur toi à ta maternelle !

La fillette blêmit, mais bien vite elle haussa les épaules. Non elle n’interviendrait pas, à quoi bon.

Quand elle vit son jeune amant en si somptueuse mise, Madame Cérisy eut un petit cri de surprise heureuse, puis elle rougit, à cause de Betty qui l’épiait.

Sans un mot la gamine se retira, montrant nettement par sa façon d’agir qu’elle n’était plus dupe.

Elle rentra dans sa chambre, s’examina dans la glace, lissa ses cheveux d’une main hésitante, et enfin retourna dans l’antichambre sur la pointe des pieds.

Silencieusement, usant de mille précautions sournoises, elle avança et devant la porte du boudoir s’arrêta, le cœur serré.

Une minute elle écouta, un bruit de baiser parvint jusqu’à elle. Une grimace crispa son joli visage, sa jalousie se réveillait soudaine et âpre.

Curieuse, elle appliqua son œil à la serrure. Ce qu’elle vit accrut son irritation.

Elle se redressa, pâle et nerveuse, une envie furieuse de se précipiter dans la pièce, la bouleversait.

De longs moments s’écoulèrent ; encore elle se baissa et regarda, Madame Cérisy et Charles étaient assis côte à côte sur un divan. L’éphèbe avait un air narquois, il répétait à la femme tout ce qu’il savait d’elle, par les indications de Betty. Il essayait d’abord du chantage, comme d’un moyen lui étant plus habituel. Mais elle n’eut qu’un haussement d’épaules désinvolte : après tout ce lui était égal, que ce petit « gigolo » connut sa vie, il lui serait aisé de s’en défendre.

Il eut un rire sardonique et avoua son besoin d’argent. Elle eut de la pitié, et naturellement offrit de lui remettre cent francs.

Ils ne pouvaient s’entendre, lui en réclamait mille, comme la somme la plus minime qu’il lui fut digne d’accepter.

Cette fois elle refusa net. Cynique, il la prévint :

— Tu sais, je cogne, j’aime pas discuter…

Elle le considéra avec ahurissement, une peur entrait en elle, en le voyant si résolu. Auprès de lui, elle avait la notion de sa faiblesse ; personne ne viendrait la protéger, elle était à la merci de ce gamin qui profitait audacieusement de sa situation équivoque. Alors elle comprit sur quelle pente elle glissait, mais il était trop tard pour revenir en arrière.

Décidé à en finir, il ne se répéta pas et de ses fines mains nerveuses, saisit la chevelure si artistement emmêlée de Madame Cérisy.

Elle eut un faible cri, mais le retint aussitôt, prévoyant sa honte, si Betty survenait.

Brutalement, il la jeta à terre et martela son beau corps, si rémunérateur, de coups de poings et de pieds. Elle se mordait les lèvres pour ne pas crier ; en réalité, cette correction, qui la brûlait physiquement, lui procurait une volupté morale toute nouvelle.

Charles ricanait, tapant avec une sauvagerie tranquille, la malheureuse les bras repliés protégeait son visage qu’elle craignait de voir marqué.

Néanmoins elle se roulait sur le tapis, en râlant doucement, toujours prudente malgré la douleur.

Il s’arrêta et demanda :

— Alors tu marches !

Elle fit « oui » très bas, en un souffle. Aussitôt il s’éloigna et de son mouchoir parfumé s’épongea le front.

Péniblement elle se redressa et sans oser regarder l’homme se dirigea vers la glace. Les mains tremblantes, elle rajusta sa chevelure, remit de l’ordre dans sa toilette et lassée se laissa tomber sur une causeuse.

Il la rappela au sens de la réalité.

— Tu vas chercher le pèze ?

Elle acquiesça d’un signe de tête. Déjà elle s’apprêtait à se lever, lorsque le timbre de l’entrée la rejeta en arrière, blêmissante.

Elle se tourna vers Charles :

— Oh ? va-t-en, on vient me voir !

Il s’assit tranquillement, les mains dans les poches, les jambes allongées :

— Pas avant de tenir la galetouse !

Elle eut un soupir de désespoir.

 

Betty, le cœur bouleversé par le remords, s’était sauvée dans sa chambre. Mais une partie de cette scène brutale à laquelle elle avait assisté, avait mis en elle, un énervement nouveau, un besoin subit de sensation.

Elle ne sut pourquoi, mais elle se trouvait gênée habillée ; elle retira donc la robe pesante, le pantalon froufroutant et par dessus la chemise s’enveloppa d’un peignoir léger.

Depuis quelques minutes, elle gisait dans un fauteuil, lorsqu’on sonna à la porte. Aussitôt, elle pensa à sa mère, au flagrant délit possible, dans le débraillé de la bataille.

Elle courut ouvrir et se vit confrontée avec un tapissier ordinaire qu’elle connaissait bien. Le renvoyer risquait de le mécontenter, il fallait plutôt le retenir et permettre à Madame Cérisy de reprendre un peu de calme.

Aussitôt une idée saugrenue poussa dans son esprit. Elle se fit souriante pour affirmer :

— Maman n’est pas là, mais elle ne va pas tarder à revenir.

Et, hôtesse aimable, elle entraîna le visiteur au salon. Sur le divan, elle s’assit auprès de lui, immédiatement aguicheuse, poussée par le démon de curiosité sensuelle qui la harcelait.

Et puis l’énervement précédent s’était encore accru, le désir l’affolait, parce qu’elle se figurait l’apaisement possible et proche.

Dans l’exaltation du moment, il lui semblait qu’elle n’avait plus de crainte, plus de répugnance. L’homme lui plaisait, parce qu’il était élégant et net.

Elle se rapprocha encore, amenant la conversation sur des thèmes grivois. Inconsciemment, elle faisait preuve d’une science très avertie des choses de l’amour.

Il s’étonna :

— Mais quel âge avez-vous donc ?

Elle redressa fièrement sa taille souple :

— Seize ans d’puis les cerises… j’suis restée petitoune comme ça, j’ignore pourquoi…

Sincèrement allumé, il se montra plus osé, parla à l’oreille, lâchant des obscénités choisies.

Elle riait, la gorge tendue, le peignoir bâillant sur la poitrine ferme.

Il n’eut plus de doute et persuadé d’être seul dans l’appartement en compagnie de la fillette, il se dit qu’une occasion s’offrait.

Sa vanité était délicieusement chatouillée, à l’idée d’avoir été distingué par cette jeune fille futée et qui, probablement, connaissait le loup et ses oreilles.

Il la prit à la taille, et amoureuse, elle s’alanguit sur sa poitrine, prête à tous les abandons. Tremblante, elle se disait que le moment était enfin venu, où elle allait savourer le miel des caresses viriles.

Il s’attardait, se complaisant à cet émoi juvénile, certain que l’avenir lui appartenait.

Malgré son impatience énervée, elle dompta sa nervosité, se laissant aller, câline et soumise.

Persuadé devoir user d’égards, il la poussait lentement sur le sopha, hésitant sur la marche à suivre. À Madame Cérisy, la maîtresse ordinaire, il ne pensait plus, emporté par le délire des sens.

Et brusquement elle se vit allongée sur le divan. La réalité soudain lui apparut affreuse, une terreur incoercible l’étreignit. Elle ne se révoltait pas, elle avait peur seulement.

Alors dans un dernier sursaut d’affolement, elle hurla :

— Maman ! Maman !

L’homme recula épouvanté, la porte s’ouvrit avec fracas et Madame Cérisy apparut, échevelée.

Elle comprit que sa fille, sauvée par l’instinct, avait crié avant la suprême minute.

L’explication qui suivit, fut orageuse, et Charles, avec son habitude du chantage, apporta au couple, l’appui de sa ruse.

Le tapissier, persuadé d’être tombé dans un traquenard, partit pour ne plus revenir. Mais en revanche, Charles emporta cent louis au lieu de cinquante.

Mais il promit de revenir.

Betty s’était redressée, déjà souriante ; devant la glace, elle remit coquettement de l’ordre dans sa toilette.

— Comment donc cela est-il arrivé ? s’écria Madame Cérisy encore émue.

Elle eut un rire narquois :

— C’était pour l’occuper pendant que Charles te battait !


FIN