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Bigot et sa bande/74

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Luc de Lacorne de Saint-Luc


Parmi les millionnaires de la Nouvelle-France le sieur de C. donne une place d’honneur au sieur Saint Luc de Lacorne, capitaine de la Marine, grand interprète des Sauvages, à qui il attribue une fortune de 1,200,000 livres.[1]

Cet officier n’est autre que le jovial et populaire Lacorne de Saint-Luc dont Aubert de Gaspé parle avec tant de plaisir dans ses Anciens Canadiens et ses Mémoires. Le vieil auteur ne l’avait pas connu puisque M. de Lacorne de Saint-Luc était mort précisément l’année de sa naissance. Mais il était son parent et sa mère avait dû lui parler souvent de ses prouesses et de ses bons tours.

Né à Montréal en 1711, M. de Lacorne de Saint-Luc était le fils d’un officier de valeur, Jean-Louis de Lacorne, et de Marie Pécaudy de Contrecœur, fille d’un autre officier distingué. Il était donc de bonne souche.

M. Lacorne de Saint-Luc entré dans les troupes de la marine en 1735 fut promu enseigne en pied en 1743, lieutenant en 1748 et capitaine en 1755. La croix de Saint Louis lui fut accordée en 1759.

Ce n’est pas comme commandant de fort ni comme chef d’expéditions guerrières que s’écoula la carrière de cet officier. Son rôle fut apparemment plus modeste mais peut-être plus utile. Il parlait plusieurs dialectes sauvages et c’est en qualité d’interprète qu’il servit son pays. Les interprètes qui savaient se faire aimer des Sauvages réussissaient à les faire agir à peu près à leur guise. M. Lacorne de Saint-Luc rendit en cette qualité d’interprète des services nombreux et importants à la colonie. Aussi, les gouverneurs et les intendants lui rendirent témoignage en maintes circonstances auprès des autorités, ce qui explique qu’on ne lui refusait pas grand’chose.

Sous le régime anglais, M. de Lacorne de Saint-Luc fut également attaché au service des Sauvages et il sut se rendre utile aux autorités anglaises qui le récompensèrent en le faisant entrer au Conseil législatif. Il décéda à Montréal le 4 octobre 1784.

M. de Lacorne de Saint-Luc avait été en 1761 le héros d’une terrible aventure. Passager du navire l’Auguste qui fit naufrage sur la côte du Cap Breton le 16 novembre il fut un des sept survivants de cette horrible catastrophe. L’existence qu’il avait menée pendant tant d’années dans les bois avec les tribus sauvages lui permit en cette occasion de se rendre à pieds, en hiver, du Cap Breton à Québec, randonnée de quelques centaines de lieues.

Nous ne voulons pas discuter ici le chiffre de la fortune que le sieur de C. accorde à M. de Lacorne de Saint-Luc. Disons tout de même qu’il n’est guère probable qu’un officier qui ne commande jamais un fort ou une expédition ait pu amasser en quelques années une fortune de plus d’un million.

  1. Rapport de l’Archiviste de la province de Québec, 1924, 1925, p. 196.