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Biographies de l’honorable Barthélemi Joliette et de M le Grand vicaire A Manseau/Chapitre XXXVII

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XXXVII.

Chemin de Fer.


Situé à quatorze lieues de Montréal et à douze milles au nord du St. Laurent, le « Village d’Industrie, » isolé au milieu des campagnes encore peu défrichées, se voyait privé de communications faciles avec les grands centres de commerce. Il ne pouvait prospérer que par son industrie locale, par l’exploitation des chantiers, par les travaux incessants qu’exécutait l’homme extraordinaire que la Providence y avait suscité.

Ces ressources venant à manquer, advenant la mort de ce protecteur, l’établissement au berceau, aurait été condamné à languir dans son isolement, partageant le triste sort de ces villages stationnaires que le défaut de communication ou d’initiative retient dans l’engourdissement, empêche de progresser et de grandir.

Plein de sollicitude pour une œuvre en faveur de laquelle il avait consacré les forces de sa vie, l’Honorable Joliette ne songeait à rien moins qu’à relier par une voie ferrée, son établissement avec le St. Laurent.

Déjà un plan avait été conçu ; déjà sur ses cartons, une route avait été tracée de l’Industrie à l’Assomption, lorsque les marchands de ce dernier Village, créèrent à ce projet une si vive opposition qu’il dût s’adresser à meilleure enseigne. Il se tourna vers Berthier : il offrit d’y diriger son Chemin de Fer, à la condition que le Village souscrirait une certaine somme en faveur de l’entreprise ; mais les citoyens de cette localité, à l’instar de ceux de l’Assomption, ayant refusé ses avances, il ne se découragea pas.

Ayant tenté de faire déboucher son chemin à Lavaltrie, de nouveaux obstacles surgirent et l’empêchèrent d’effectuer ce dessein. Il y avait de quoi réfléchir. Il résolut alors de choisir la voie la plus courte, malgré les immenses travaux que devait nécessiter son terrassement.

Le village de St. Thomas, qui ne comptait alors que quelques maisons, et celui de Lanoraie furent les jalons de cette artère féconde qui, avec le commerce, amènerait à Joliette, le mouvement, la vie et la prospérité.

En quelques mois, sous sa présidence et par ses soins intelligents, une compagnie puissante est formée ; une charte est sollicitée et octroyée Enfin, au printemps de 1848, deux cents travailleurs, la hache et la pioche à la main, opéraient à travers la forêt, une large trouée que devaient bientôt parcourir de lourds chariots, descendant au fleuve géant, les produits du Nord.

Le touriste à qui il a été donné de faire le trajet de Lanoraie à Joliette, qui a promené son regard sur ces immenses savanes mouvantes et bourbeuses, couvertes d’eaux stagnantes que la persévérance a assainies ; qui a vu ces côteaux sablonneux à travers les flancs desquels il a fallu tracer un sillon profond ; qui a considéré ces dix milles d’abattis qui ont été faits ; qui a examiné les terrassements élevés qu’a nécessités l’ouverture de cette voie ferrée, peut se faire une idée des difficultés qu’a dû vaincre M. Joliette pour parachever son œuvre.

Président, conducteur, aviseur, il était tout à la fois ; qu’il fit beau ou mauvais temps, que le ciel fût sombre ou qu’un soleil de juillet embrasât l’atmosphère, il était là, au milieu des ouvriers, dirigeant toutes les opérations ; rien n’échappait à sa sagacité.

S’il arrivait à quelqu’un de ne pas comprendre sa tâche ou de la remplir négligemment, il pouvait être assuré de ne pas échapper à l’œil du maître. Une première et douce réprimande suivait cette première maladresse ou cette première faute. Si l’admonition ne suffisait pas pour amender les coupables, ils devaient s’attendre à recevoir poliment leur argent et leur congé, sans plus de cérémonie.

M. Joliette n’aimait pas à perdre son temps dans les contestations inutiles. Très affable et très-conciliant pour ses employés qui, après leurs manquements, promettaient de mieux s’acquitter de leurs devoirs, il était inflexible envers les ivrognes, les paresseux et les scandaleux qu’il refusa toujours d’admettre à son service.

Six mois d’infatigable labeur avaient englouti dans l’entreprise la somme de $25,000. Au printemps suivant, les travaux furent repris avec une nouvelle vigueur. Aux derniers jours de la saison d’automne, signalés par une noire colonne de fumée, les chars nouvellement apparus dans ces régions solitaires se promenaient du St. Laurent au village de St. Thomas. Enfin, au printemps de 1850, au prix de $55,300, la ligne du village d’Industrie au St. Laurent se trouvait parfaitement organisée, et fonctionnait à merveille, à l’extrême satisfaction de l’Honorable Joliette.

Mandé pour la circonstance, Monseigneur Bourget qui, en tant d’occasions, s’était rendu à l’Industrie pour bénir les travaux et les entreprises de M. Joliette, voulut encore cette fois, condescendre au vœu général de la population, et venir procéder lui-même à la bénédiction du nouveau chemin de fer. Cette belle cérémonie eut lieu le dimanche, dans l’après-midi, au milieu d’un immense concours de peuple. L’Évêque y prononça une belle et touchante allocution.

Entr’autres considérations du plus haut intérêt, il peignit à grands traits, avec des éloges mérités, les œuvres de l’Honorable fondateur du village d’Industrie.

Puis, parlant de l’alliance intime de la Religion avec le progrès des arts, des sciences et de l’industrie, il rappela que c’était au foyer sacré de la Religion que s’était rallumé, au moyen-âge, le feu du génie, et que sous son inspiration créatrice, avaient été enfantés ces chefs-d’œuvre que la vieille Europe est aujourd’hui si fière d’offrir à l’admiration du monde.

« Cependant, a-t-il ajouté, si bien des fois, à la vue des merveilles de l’art chrétien, le cri de : « Gloire à nos pères ! » s’est échappé de nos poitrines, nous pouvons répéter aussi : gloire à nos concitoyens qui, par leurs travaux et leurs sacrifices, ont procuré le bien être matériel et religieux de leurs frères ! gloire au génie qui rapproche les distances, suspend des ponts dans les airs, et qui, par la puissance de la vapeur donne à de lourds chariots l’agilité de l’aigle et la rapidité de la flèche qui fend les airs.

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Amie constante du progrès, la Religion applaudit au succès de l’homme, se fait un bonheur de rendre un solennel hommage aux créations du génie. Voilà pourquoi elle vient aujourd’hui, entourée de sa pompe et de ses vœux, imprimer le sceau d’une salutaire consécration, à ce magnifique chemin de fer, triomphe de la persévérance et du patriotisme d’un grand citoyen… Tout en encourageant ce progrès matériel, elle demande qu’il soit uni au progrès religieux et moral ; elle nous fait ressouvenir qu’il ne faut pas oublier la main généreuse qui bénit les entreprises humaines et leur accorde un heureux couronnement. C’est ce qu’a compris le fondateur du beau Village d’Industrie qui, en nous appelant pour bénir chacune de ses entreprises, s’est rappelé la parole des livres saints : Nisi Dominus œdificaverit domum, in vanum laboraverunt qui œdificant eam. »

Par cette nouvelle voie de communication, le coût exorbitant de la descente du bois de sciage qu’il fallait auparavant conduire au fleuve par les interminables sinuosités de la rivière, fut considérablement réduit. Il en fut de même des produits de l’agriculture, qui, par des routes à demi-ébauchées, devaient être transportés soit à Berthier, soit à l’Assomption.

Dès lors, le Village d’Industrie prit un nouvel essor. Dès ce moment, son commerce quadrupla, et, en moins de cinq années, le chiffre de sa population fut doublé.