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Brest (Honoré Dumont)/Chant troisième

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Impr. de P.-L. Tanquerey (p. 13-21).

BREST.


CHANT TROISIÈME.

Napoléon, pourquoi ton regard glorieux
Ne connut-il jamais ce port majestueux ?
Ton génie, étonné de cette enceinte unique,
Eût mis dans ta pensée un vœu patriotique ;
Pour l’accomplissement d’admirables projets,
Dont il fût résulté les plus heureux effets.
Ton œil d’aigle eût plané sur une rade immense,
Qui se fût animée à ta noble présence,
Et qui t’aurait offert le spectacle frappant
De ce que la marine a de plus imposant.
À ta voix, qui pour nous fut souvent salutaire,
Le port de Brest encore eût agrandi sa sphère :
Ta, pénétrante vue aurait su découvrir
Ce qu’il était possible ici d’approfondir ;
Pour donner plus d’éclat et de magnificence
À ce lieu, dont je viens célébrer l’influence.

Mon cœur, Napoléon, ne peut point se cacher
Permets donc que ma Muse ose te reprocher

D’avoir trop négligé ta puissance navale.
Celle qu’ont les Anglais ne voit rien qui l’égale.
Nous savons cependant que ton constant désir
Était que la Marine en France vint fleurir :
Cherbourg, Flessingue, Anvers, avec reconnaissance ;
Ont reçu des travaux d’une grande importance,
Qu’a fait exécuter ton zèle pour l’État ;
Ils donnent à ces ports le plus superbe éclat.
Mais nos meilleurs marins, appelés par ta gloire,
Abandonnaient les mers, couraient à la victoire ;
Ils surent déployer une intrépidité
Qui rehaussait le prix de leur habileté :
Vingt fleuves étrangers ont admiré le zèle
De ces fils de Thétis, pleins d’une ardeur nouvelle.
Berlin, Vienne, Dantzick, Friedland, Eylau, Iéna,
Varsovie, Austerlitz, Wagram, Bautzen, Vilna,
Votre sol fut témoin que les marins de France
Ont, comme nos soldats, une rare vaillance :
Que ceux qui, de Neptune affrontent les hasards,
Bravent avec sang-froid tous les dangers de Mars.

Ô monarque fameux ! qui fis trembler le Mondes,
Ta gloire aurait brillé d’un beau, lustre sur ronde,
Si la Fortune avait secondé tes desseins,
Qui voulaient que la France eût les plus grands destins.
La Marine reçut encor, sous ton Empire,
Une augmentation qu’ici je vais redire :
Sous ton règne, on vit plus de quatre-vingts vaisseaux
Sortir de nos chantiers, s’avancer sur les eaux.

Frégates, vous avez, au nombre de soixante,
Accru de ces vaisseaux la quantité frappante ;
La plupart d’entre vous, perdus pour les Français,
N’ont jamais signalé leur nom par des succès :
Beaucoup sont dans les mains des puissans insulaires
Qui furent bien long-temps pour nous des adversaires.
Si jamais contre nous vous êtes dirigés,
Bâtimens, puissiez-vous être tous submergés,
Plutôt que d’obtenir un cruel avantage,
Qui devrait vous paraître un criminel outrage !

Il est presque impossible à notre nation
Que sa marine prenne assez d’extension
Pour se mettre au niveau de celle d’Angleterre ;
Qui semble maintenant commander à la terre.
Quoi ! l’empire des flots doit-il appartenir
À celui qui les veut sous son joug asservir ?
La France est maritime, elle est continentale :
Ses vaisseaux ne sont point sa force principale ;
Mais ils sont les soutiens de ces relations.
Qu’elle entretient avec diverses nations.
Nos vaisseaux puissamment servent nos colonies ;
Mais la plupart, hélas ! nous ont été ravies !
Cependant un État tel que se vient offrir
La France, que Neptune aime à faire fleurir ;
Veut des possessions en diverses contrées,
Qui soient par sa marine à jamais assurées.
Un peuple très-nombreux, actif, entreprenant,
Dont l’agitation est un goût persistant,

Ne peut pas tout entier rester dans sa patrie :
Beaucoup semblent entendre une voix qui leur crie
D’aller chercher ailleurs un sort plus fortuné ;
Et l’homme à s’éloigner alors est entraîné.
Mais le Français est fier du sol qui l’a vu naître ;
Il aime à concourir toujours à son bien-être,
Et veut rester soumis aux usages, aux lois,
D’un pays ou chacun jouit de tous ses droits :
Il désire habiter au sein d’un territoire
Qui se montre sensible au bonheur, à la gloire,
De cette France chère à tout homme d’honneur.
Ainsi, pour satisfaire au penchant de son cœur,
Il faut que le Français fixe sa résidence
En des lieux non soumis à toute autre influence
Que celle du pays qui lui donna le jour,
Et pour lequel il a le plus constant amour.
À la France il faut donc diverses colonies,
Qui du joug étranger se trouvent garanties,
Par notre pavillon, toujours si plein d’ardeur
Pour ce qui de l’État augmente la splendeur :
Elles doivent fournir à la mère-patrie
Tout ce dont a besoin son immense industrie.
Son commerce, ses arts, devenus si brillans,
Réclament, d’outre-mer, des produits importans,
Qu’il faut qu’aillent chercher les navires de France,
Aux plages où nos lois, exercent leur puissance.

L’Angleterre en ses mains tient le trident des mers :
Le bronze ainsi la montre aux yeux de l’univers.

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Vienne emboucher pour toi le clairon belliqueux,
Ni vanter ce qu’offrait ton Empire d’heureux.
Combien de beaux écrits et d’histoires sublimes
Ont peint tes actions, tes sentimens intimes,
Et de la Renommée ont secondé la voix,
Pour te faire admirer des peuples et des rois,
Dans l’Univers entier, où ton rare courage,
Tes talens, recevront un éternel hommage !

Fin du troisième chant.