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Brumes de fjords/Le Cygne noir

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Pour les autres éditions de ce texte, voir Le Cygne noir.

Brumes de fjordsLemerre. (p. 12-16).
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LE CYGNE NOIR


Sur les ondes appesanties, flottait un nuage de cygnes clairs.

Ils laissaient un reflet d’argent dans leur sillage.

Vus de loin, ils semblaient une neige ondoyante.

Mais, un jour, ils aperçurent un cygne noir dont l’aspect étrange détruisait l’harmonie de leurs blancheurs assemblées.

Il avait un plumage de deuil et son bec était d’un rouge sanglant.

Les cygnes s’épouvantèrent de leur singulier compagnon.

Leur terreur devint de la haine et ils assaillirent le cygne noir si furieusement qu’il faillit périr.


Et le cygne noir se dit : « Je suis las des cruautés de mes semblables qui ne sont pas mes pareils.

« Je suis las des inimitiés sournoises et des colères déclarées.

« Je fuirai à jamais dans les vastes solitudes.

« Je prendrai l’essor et je m’envolerai vers la mer.

« Je connaîtrai le goût des âcres brises du large et les voluptés de la tempête.

« Les ondes tumultueuses berceront mon sommeil, et je me reposerai dans l’orage.

« La foudre sera ma sœur mystérieuse, et le tonnerre, mon frère bien-aimé. »


Il prit l’essor et s’envola vers la mer.

La paix des fjords ne le retint pas, et il ne s’attarda point aux reflets irréels des arbres et de l’herbe dans l’eau ; il dédaigna l’immobilité austère des montagnes.

Il entendait bruire le rythme lointain des vagues…

Mais, un jour, l’ouragan le surprit et l’abattit et lui brisa les ailes…

Le cygne noir comprit obscurément qu’il allait mourir sans avoir vu la mer…

Et pourtant, il sentait dans l’air l’odeur du large…

Le vent lui apportait un goût de sel et l’aphrodisiaque parfum des algues…

Ses ailes brisées se soulevèrent dans un dernier élan d’amour.

Et le vent charria son cadavre vers la mer.