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Bulletin de la société géologique de France/1re série/Tome II/Séance du 16 avril 1832

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Bulletin de la société géologique de France1re série - 2 - 1831-1832 (p. 375-389).


Séance du 16 avril 1832.


M. Michelin, trésorier, occupe le fauteuil.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

M. Tournal adresse à la Société une série d’échantillons de roches et de corps organisés des terrains tertiaires des environs de Narbonne, savoir : 62 échantillons de roches, morceaux d’ossements, à échantillons d’impressions végétales, et une vingtaine de fossiles.

M. Hœninghaus fait aussi hommage à la Société, par l’entremise de M. Brongniart, de 22 échantillons de corps organisés, savoir :

1. Calamopora avec des Cyrtoccratites et une Delthyris ; i. Cyrtoesratites costatus (Goldfuss) ; 3. Orthocera inflata (G.), partie inférieure et supérieure ; 4. Orthoccra nodosa (Schlotheim) 5. Orthocora Breynii (Sowerby) ; 6. Orthocera Steinhaueri (Sowerby) ; 7. Orthocera ; 8. Evomphalus radiatus (Goldfuss) ; g. Turitella elongata ; Ève., Pecten priscus (Goldfuss) ; 11. Sanguinolaria concentrica (G.) ; 1 2. Calceola sandalina, avec opercule ; 15. Idem sans opercule ; 14. Productus elegans (Goldfuss) : 15. Leptoma rugosa (Dalman) ; 1 6. Delthyris crispa (D.) ; 17. Terebratula affinis (Schlotheim) : 18. Terebrytula intermedia (Schl.) ; 19. Calymena macrophtalma ; 20. bouclier et yeux d’une grande Calymène.

Plus, un polypier et un morceau de roche de transition.

On reçoit de M. Boué une lettre écrite de Bordeaux, le 13 avril 1832 ; en voici l’extrait :

« Depuis que je suis arrivé à Bordeaux, je n’ai eu d’autre but géologique que de rechercher si le calcaire marin parisien existait réellement dans les environs de la ville, et sur les rives de la Garonne ou de la Gironde.

« Je ne vois pas les raisons de séparer en deux dépôts les calcaires coquilliers de Blaye, de Bourg, d’entre deux mers, de Saint-André-de-Cussac et du Fronsadais ; le calcaire constitue plusieurs couches alternant avec des marnes ou des roches arénacées, et renferme toujours les mêmes genres de fossiles, quoique quelques espèces paraissent propres à certaines localités, ou même à certaines couches.

« Il serait bien à désirer que M. Deshayes pût voir les environs de Bordeaux, pour se convaincre que certains fossiles de Paris sont associés dans d’autres bassins avec des coquillages dont les espèces lui paraissent indiquer un dépôt plus récent que le calcaire marin de Paris. M. Deshayes pourrait voir dans les collections de MM. Jouannet et Desmoulins le calcaire à clavagelles, à crassatella tumida, à terebellum convolutum, etc., empâter les fossiles ordinaires, non seulement dans le calcaire marin ordinaire de Bordeaux, mais encore dans le falun qui recouvre ce dernier. Ainsi ce calcaire à clavagelles, etc, qui, d’après M. Deshayes, serait le dépôt équivalent du calcaire noir ; parisien, présenterait, le rapprochement dût-il être admis des anomalies zoologiques qui nous semblent inconciliables avec le système de classification purement zoologique de M. Deshayes.

« Dans le bassin du S.-O. de la France, la distribution des fossiles présente des différences locales assez particulières pour que celui qui voudrait suivre strictement le mode de classification de M. Deshayes, soit obligé de séparer ce que la nature a réuni ou formé dans le même moment, ou pendant la même période de temps. Ainsi, outre les différences bien connues entre les fossiles de Dax et de Bordeaux, dans ces deux cantons il y a longtemps qu’on a reconnu des accidens locaux, et l’on sait que certains coquillages sont propres à certaines localités, ou du moins n’abondent que là. Les zoologies connaissent aussi les particularités des falunières de Terre-Nègre à Bordeaux (térébratule, delphinule, cranies, nummulites, etc.) de Merignac, de Saucas, de Leognan, de Salles (Jouannetia, etc.) ; dire, que tous ces faluns, ainsi que ceux de Dax forment une seule et même couche, ce serait avancer quelque chose qu’on ne peut pas prouver, puisque la continuité des masses est impossible à tracer ; mais regarder ces faluns comme sur le même horizon géologique, cela parait être une opinion très raisonnable. Doit-on maintenant pour quelques espèces de coquilles qui se trouvent à Paris, adopter d’autres idées et attacher à leur présence seule plus de valeur géologique qu’à celle des fossiles ordinaires de Bordeaux ? C’est à la Société à le décider.

« Pour nous, il nous semble qu’il faut sortir de cette routine de comparaison, et étudier bassin par bassin ; or, sous ce point de vue, celui de Bordeaux et de Dax présente des caractères intermédiaires entre celui de Paris et de la Méditerranée. Si l’on voulait procéder autrement, les rudistes caractérisant le terrain crayeux du S.-O. de la France, et n’existant pas dans tout le nord de l’Europe, on donnerait gain de cause à celui qui, malgré les caractères tirés de la position géologique, prétendrait que la craie du midi est un dépôt plus ancien ou plus récent que la craie du nord de l’Europe.

« Des types particuliers de formation géologique, des dépôts zoologiques particuliers caractérisent ou plutôt différencient les diverses parties de l’Europe, ou peut-être même du globe ; étudions-les jusqu’à ce qu’il nous soit possible de nous expliquer l’origine de ces différences.

« M. Deshayes supposant tout le bassin de Bordeaux rempli après celui de Paris, sera toujours obligé de se jeter dans les hypothèses, lorsqu’on lui demandera ce qui se formait à Bordeaux, lorsqu’il se déposait de si grandes masses à Paris. D’un autre côté, en modifiant la rigueur de sa doctrine, si ces fossiles de Paris, épars à Bordeaux, pouvaient être de quelque poids dans la balance des équivalents géologiques ; si l’on pouvait s’y fier, vu la position de ces coquillages dans-des masses associées, à des mollasses, les conséquences géologiques qu’on en tirerait resteraient des faits extrêmement curieux. »

La Société décide que M. Boué sera invité à adresser les roches, fossiles et coupes qu’il croira propres à éclairer la question.

La Société reçoit :

1° De la part de M. Keferstein, les ouvrages suivans, dont il est l’auteur :

A. Description géologique de l’Allemagne (Teutschland geognostisch Dargastellt). 20 cahiers in-8o formant la collectionn complète de tout ce qui a paru jusqu’à ce jour de ce journal (de 1821 à 1832).

B. Tableaux sur la géognosie comparative (Tabellen über die vergleichende Geognosie). In-4° de 60 pages. Halle, 1825.

C. Notice sur les causes des variations régulières du baromètre (Ueber die Ursachen der regelmassigen Barometer Schwankungen). In-4° de 10 pages.

D. Deux numéros de la Gazette littéraire et universelle d’Iéna (Ienaisehe Allgemeine litteratur-zeitung) ; et deux autres numéros du Iahzbucher fur wissenschaftliche Kritik, contenant des articles critiques de l’auteur sur différens ouvrages géologiques. In-4°.

E. Un exemplaire de ses observations sur les formations basaltiques de l’Allemagne occidentale (Geognostische Bemer Kungen über die basaltischen Gebilde des westliehen Deutschlands). 1 vol. in-8o de 207 pages, avec une planche coloriée. Halle, 1820.

2° Les ouvrages suivans donnés par M. Virlet :

A. Voyage au Montamiata et dans le Siemneig, contenant des observations nouvelles sur la formation des volcans, l’histoire géologique, minéralogique et botanique de cette partie de l’Italie, par Georges Santi. 2 vol. in-8o. Lyon, 1802.

B. Système de Hutton sur la théorie de la terre expliquée par Playfair, et combattue par Murray. 1 gros vol. in-8o de 662 pages, avec figures. Paris, 1815.

C. Essai géologique, par M. Dufour. Brochure in-8o de 28 pages. Paris, 1821.

D. Essai sur la théorie des volcans d’Auvergne, par M. de Montlosier. 1788 (première édition).

E. Notice sur M M. de Gallois, ingénieur des chef du mines, et Joseph Bessy, par M. Virlet. In-8° de 14 pages.

3° De la part de M. Tournal fils, sa Description géognostique du bassin inférieur de l’Aude et de la Berre, In-8° de 47 pages, avec une carte.

4° De la part de M. London, le N° 25 (avril 1832) de son Magasin d’histoire naturelle, journal de zoologie, botanique, minéralogie, géologie et météorologie, in-8o.

M. London demande à échanger cet ouvrage contre le Bulletin de la société : cette demande est renvoyé au conseil.

5° Le N° d’octobre 1831 du Bulletin des sciences naturelles et de géologie.

b° Le N° 106 (février 1832) du Bulletin de la société de géographie de Paris.

7° Le N° 16 (avril 1832) du Mémorial encyclopédique et progressif des connaissances humaines.

8° La deuxième livraison (15 mars 1832) du tome V des Actes de Société linnéenne de Bordeaux.

9° Les N° 19 et 20 de l’Européen.

10° De la part de M. Fée, l’année 1830 à 1831 des Mémoires de la Société royale des sciences, de l’agriculture et des arts de Lille. — Le conseil décidera si l’on doit envoyez en échange le Bulletin de la Société.

M. Boubée fait hommage à la Société de son Tableau de l’état du globe à ses différens âges, basé sur l’examen des faits, ou Résumé synoptique de son cours de géologie.

On donne lecture des deux notices suivantes de M. Tournal :


1. Rapport des terrains tertiaires de Paris, Pézénas et Narbonne.
PARIS PÉZÉNAS NARBONNE
Sol végétal. Sol végétal. Sol végétal.
Sol alluvien. Sol alluvien. Sol alluvien.
Calcaire à meulières. Calcaire d’eau douce.
Sables marins. Terrain mixte. Terrain mixte.
Calcaire d’eau douce et grand dépôt de gypse Calcaire d’eau douce gypseux et siliceux Marnes lacustres, calcaire d’eau douce, marnes avec soufre tubercul.
Sables marins.
Calcaire grossier. Calcaire grossier. Calcaire grossier.
Marnes gypseuses. Tufs à coquilles marines.
Calcaire grossier Sables marins.
Marnes eau douce. Marnes bleues.
Calcaire grossier.
Marne à lignites.
Calcaire grossier. Calc. grossier ou moellon. Calcaire grossier.
Marne a lignites.
Marnes bleues. Marnes bleues.
Argile plastique.
Craie. Terrain secondaire. Terrain secondaire.

« Je crois inutile d’entrer dans de plus grands détails sur les terrains tertiaires, ce tableau fera mieux comprendre ma pensée que la meilleure description ; d’ailleurs mon mémoire imprimé sur le bassin inférieur de l’Aude et de la Barre, n’est que le développement de ce tableau.

« Les considérations tirées de l’étude comparée des coquilles fossiles du nord et du midi de la France, me semblent d’une importance très secondaire, parce que, pendant cette période, l’influence climatérique était déjà très marquée, et que les coquilles devaient même varier dans chaque subdivision des bassins océaniques et méditerranéens. Les considérations tirées de la présence des grands mammifères sont d’un plus grand poids ; aussi tous les jours des observations nouvelles de cette nature viennent prouver la contemporanéité des dépôts tertiaires océaniques et méditerranéens, et même de ces immenses dépôts fluviatiles lacustres qui ont comblé le vaste bassin de Toulouse.

« Mais si l’étude des coquilles fossiles ensevelies dans les terrains tertiaires me semble peu importante, parce que l’influence climatérique devait nécessairement faire varier les espèces d’un point à un autre, il n’en est pas de même des coquilles renfermées dans les terrains plus anciens, parce que, à ces époques reculées, la température du globe était à peu près uniforme sur toute sa surface.

« Dans l’état actuel de la science, le concours des caractères géologiques et paléontologiques est encore nécessaire pour la détermination géognostique des dépôts, il ne suffit plus pour déterminer la nature et le rapport des formations entre elles d’examiner seulement la continuité des couches qui les composent, mais il faut y joindre l’observation de l’ensemble des fossiles qu’elles renferment. Quant aux caractères tirés de la nature minéralogique des dépôts, ils sont à peu près sans importance, puisque des roches absolument semblables se rencontrent dans des formations différentes, et vice-versâ.

« En thèse générale, il me semble qu’il est permis de dire que l’importance des fossiles est d’autant plus grande que les terrains sont plus anciens. »


2. Cavernes à ossemens de Bize (Aude).


« Je me propose d’adresser sous peu à la Société une collection d’ossements fossiles et de brèches osseuses. Malgré les observations de M. Desnoyers, qui me semblent pouvoir s’appliquer à un grand nombre de localités ; je persiste à penser que les poteries, les ossemens humains, et les ossemens travaillés des cavernes de Bize sont contemporains des ossemens appartenant aux espèces perdues qui se trouvent dans les mêmes cavernes, et que par conséquent les ossemens humains méritent le nom de fossiles.

« Si l’on admettait en principe que toutes les fois que l’observera dans les grottes à ossemens des poteries et des ossemens humains, le mélange a eu lieu accidentellement et après coup, ce serait une véritable fin de non-recevoir, et annoncer à priori que le problème de la contemporanéité qui est depuis si long-temps en discussion ne peut pas être résolu.

« Mais il est une preuve dont M. Desnoyers n’a pas fait mention, et qui cependant mérite d’être prise en considération ; c’est l’altération égale des ossemens que l’on croit appartenir à des époques différentes. Je dois ajouter que les observations-de M. J. de Christol sont de nature à ne laisser aucun doute dans l’esprit, et que, dans la caverne qu’il a observée, les ossemens humains se trouvaient tout-à-fait à la base du dépôt, qu’il s’étaient aussi altérés que les ossemens d’ours et d’hyène, et que le limon n’était nullement bouleversé.

« Toutes les cavernes à ossemens n’ont pas été comblées par de grands courans d’eau et dans une période de temps extrêmement courte ; plusieurs au contraire ont été comblées très lentement par des phénomènes purement locaux et dans une période de temps très longue ; il me parait d’ailleurs impossible de supposer que certaines cavernes ont pu être comblées par l’ouverture de la vallée, puisqu’elles offraient des cailloux roulés et des ossemens empâtés à la voûte, c’est-à-dire la preuve la plus positive qu’a une certaine époque elles ont été entièrement comblées ; il faut donc admettre de toute nécessité qu’à une certaine époque, l’ouverture de la vallée n’existait pas, et que ces cavernes ont été remplies par des fissures verticales.

« Il suffit d’un simple examen des cavernes de Bize pour s’assurer que l’ouverture de la vallée n’a été formée que par suite des dégradations successives de la montagne ; j’ai même fait observer dans des notes publiées il y a déjà plusieurs années, qu’à Bize une de ces espèces de cheminées était encore comblée par du limon et des ossemens. Ce phénomène établit d’une manière positive la liaison qui existe entre les brèches osseuses et les cavernes à ossemens ; on conçoit, en effet, que lorsqu’une fissure verticale communiquait dans une caverne, le double phénomène des brèches et des cavernes a dû se produire simultanément[1].

M. Boubée signale, au sujet de cette dernière notice, quelques observations qu’il a pu faire sur les lieux, dans son dernier voyage.

Selon lui, l’examen géognostique de la contrée ne pourrait appuyer que l’opinion de M. Desnoyers ; il lui a paru qu’il n’existe même pas de terrain diluvien dans les environs de ces cavernes, qu’il n’y a que des dépôts alluviens toujours argileux, évidemment postérieurs au terrain diluvien à blocs erratiques. C’est ainsi que M. Boubée a fait observer à M. Tournal lui-même, sur ses propres échantillons, que les ossemens de Bise sont empâtés par une argile grossière, sablonneuse et terreuse, qui, loin de rappeler les caractères des argiles du terrain diluvien, présente cette texture lâche, occasionée par le mélange de parties reconnaissables de terreau végétal, que l’on ne remarque que dans les dépôts les plus modernes des alluvions de nos fleuves.

Enfin, M. Boubée fait observer que ces cavernes sont situées dans le bas de la vallée, qu’elles ont dû toujours être exposées aux grandes inondations, et que rien ne saurait démontrer d’après l’état des lieux, et surtout d’après les caractères géognostiques de la contrée, que l’introduction des débris humains, celle de l’argile alluviale qui les empâte, celle de plusieurs ossemens d’animaux de l’époque actuelle qui s’y trouvent aussi, et leur mélange dans ces cavernes par l’action des eaux, ne puissent avoir été opérés long-temps après le creusement de la vallée ; or, le creusement même de ces vallées ne paraît pas dater d’une époque ancienne, et M. Boubée croit devoir le rapporter à l’époque post-diluvienne avec plusieurs autres faits, mieux caractérisés il est vrai, qu’il a reconnus dans le midi de la France et dans l’Auvergne.

─ On lit un Mémoire de M. Ezquerra del Bayo, ingénieur des mines, pensionné du roi d’Espagne, sur les montagnes primitives de l’Erzgebirge, et sur leurs rapport avec la formation du grès vert de la Suisse saxonne.

L’auteur réunit dans ce Mémoire un grand nombre d’observations et de considérations à l’aide desquelles il établit que le relief de l’Erzgebirge a été modifié après le dépôt du grès vert et de la craie ; il pense que l’expansion des basaltes a été la cause du soulèvement des roches granitiques dans l’Erzgebirge, vers l’époque tertiaire.

— On donne lecture d’une lettre de M. le professeur Viviani à M. Pareto, sur les restes de plantes fossiles trouvées dans les gypses tertiaires de la Stradella, dans laquelle il tend à démontrer que ces feuilles appartiennent toutes à des espèces analogues à celles de la flore européenne, et qui existent encore maintenant dans le royaume de Naples, en Corse et en Provence.

— On lit un Mémoire de M. Reboul sur le Synchronisme des terrains tertiaires inférieurs, métalymnéens et prolymnéens. L’auteur cherche à faire prévaloir sur la doctrine de l’émersion successive des bassins de la Seine, de la Loire, et des collines subapennines, celle de l’émersion simultanée de ces terrains sous-marins par un abaissement unique du niveau des mers.

Il continue de combattre l’opinion des géologues qui, comme MM. Deshayes, Desnoyers, de Beaumont, ont reconnu parmi les terrains tertiaires plusieurs périodes marines en partie plus récentes que celles du bassin de Paris, et qui ont appuyé leurs distinctions, soit sur les caractères zoologiques, soit sur les faits propres à démontrer la succession des bassins durant cette grande époque, soit sur l’interruption de ces terrains par des soulèvemens de montagnes (voir Annales des sciences naturelles, février 1829 ; Mém. de M. Desnoyers. ─ Bulletin de la Société géologique, 1831, tom. I, pag. 186 ; Résultats des tableaux de M. Deshayes. — Idem, pag. 187 ; Divisions proposées par M. de Beaumont. ─ Et § 19 et 20 du Rapport des travaux de cette société pour 1831).

« Jusqu’à présent, dit M. Reboul, on n’a aperçu aucun vestige de révolution ni dans le bassin de Paris, entre le terrain protéique et l’épilymnique, ni dans le midi de la France, entre le calcaire moellon et le terrain marin supérieur[2], ni dans les intervalles des autres terrains indiqués.

On ne saurait supposer aucune relation géognostique entre des soulèvemens qui auraient eu lieu dans une contrée et le dépôt paisible de sédimens qui se serait fait dans une autre. Le soulèvement des mollasses alpines n’a pas plus interrompu la formation des strates tertiaires de la Pologne et de la Russie, que les éruptions de l’Etna n’ont dérangé les derniers dépôts marins des côtes de la Sicile et de l’Italie.

La période tertiaire, si on la compare aux précédentes, parait avoir été tout entière une période de tranquillité, puisque le dépôt des sédimens y a été à peine dérangé sur la centième partie du sol qu’elle a recouvert. Les soulèvemens locaux qui s’y sont opérés n’y ont donc produit aucune interruption générale dans la série des phénomènes. C’est ainsi que dans la période actuelle les tremblemens de terre et les plus grandes éruptions volcaniques n’affectent que les lieux où leur action est circonscrite.

La divergence des opinions sur la chronologie tertiaire provient surtout de la manière dont on a considéré les fossiles. On s’est fondé d’abord sur des différences qu’on a exagérées entre les fossiles marins tertiaires, pour les classer en tritoniens et protéiques. On a essayé de dresser des catalogues de fossiles supposés caractéristiques des deux terrains.

L’immense travail de M. Deshayes est venu renverser toutes ces idées. C’est maintenant le bassin de Paris tout entier, protéique ou tritonien, qu’il faut considérer à part et mettre en tête des terrains tertiaires, puisque, sur quatorze cents espèces de mollusques, il ne s’en trouve que trois pour cent d’analogues aux espèces vivantes.

Les terrains de deuxième époque ont offert dix-neuf pour cent de ces espèces analogues, et ceux de la troisième cinquante-deux pour cent ; dans une quatrième on en compte jusqu’à quatre-vingt-treize pour cent[3].

Il faut distinguer dans ce travail important les faits et les rapports positifs qui subsisteront toujours, des inductions qui demeurent subordonnées aux recherches futures.

Ce principe que, plus les terrains sont anciens, plus leurs fossiles s’éloignent des espèces du monde actuel, ne peut être contesté dans tous les cas où il est applicable, mais il est des circonstances qui en modifient l’application. On a déjà fait observer que les caractères empruntés à la zoologie fossile sont bien plus distincts et plus constans dans les terrains secondaires que dans ceux de la période tertiaire.

L’uniformité des fossiles, soit végétaux, soit animaux, dans les dépôts secondaires correspondans, quelle que soit leur latitude, semble indiquer qu’un même climat régnait à la fois sur tous les points de la superficie terrestre aux diverses époques de cette période, au lieu que l’inégalité des températures contemporaines a déjà exercé quelque influence sur la répartition des fossiles tertiaires dans les diverses contrées, selon leur voisinage des pôles ou de l’équateur. »

... Les différences qui s’observent entre les fossiles de localités voisines, dépendantes d’un même bassin, offrent à M. Reboul un nouvel obstacle qui se réunit à l’incertitude de détermination des genres, et à la multiplicité des espèces, pour lui faire douter de l’importance du caractère conchyliologie dans l’étude des terrains tertiaires.

« Si l’on considère des dépôts testacés actuels, situés en diverses contrées, on voit qu’ils diffèrent beaucoup entre eux, quoique à de médiocres distances, et que cette différence est quelquefois sensible sur la même plage par le seul effet du changement de saisons.

Or, quelle autre condition a pu être mieux appropriée à introduire de grandes différences entre les mollusques d’un même temps que l’habitation d’un golfe de la mer ou celle d’un bassin dont les eaux marines ont été constamment mélangées et souvent remplacées par les eaux douces stagnantes. Cette différence d’habitat n’explique-t-elle pas bien mieux qu’une différence d’âge le contraste des constitutions géologiques de deux calcaires, l’un purement marin, l’autre semi-lacustre, où les neuf dixièmes des mollusques consistent en cérites ? Pourquoi exigerait-on entre les gîtes coquilliers des terrains tertiaires, dont les conditions climatériques ne sont pas les mêmes, une similitude de composition qui ne se trouve point entre les dépôts de même nature existant actuellement à diverses expositions et à diverses latitudes ?

« M. De France a fait cette remarque importante, que les coquilles des terrains tertiaires de la France et des régions voisines se rapprochaient les unes des autres par des transitions successives, et qu’on pouvait suivre la liaison des fossiles du bassin de la Seine avec ceux de l’Italie par les dépôts intermédiaires de l’Anjou, de la Touraine et de la Gironde ; les changemens lui ont paru en proportion avec les latitudes. Ainsi, dans la période tertiaire, comme au temps présent, les contrastes des groupes coquilliers doivent être attribués bien plus à la différence des lieux qu’à celle des temps. En effet, si les fossiles d’un même bassin tertiaire sont à peu près les mêmes dans les sédimens inférieurs et dans les supérieurs, ainsi que l’indiquent les observations de M. Deshayes pour le bassin de Paris, dont la formation a exigé tant de siècles ; et s’il est prouvé d’ailleurs que les bassins tertiaires appartiennent tous à une même période, ce n’est plus dans la succession des temps qu’il faut chercher la cause de leur différence.

« Au midi de la France on a inscrit dans la même catégorie et rapporté à un même temps les coquilles fossiles de Nafiach et de Banyuls-les-Aspres, en Roussillon et celles du calcaire des marnes bleues, appelé moellon, des bords de la Méditerranée. Cependant ce calcaire est un terrain inférieur et de première époque dans les bassins méditerranéens, au lieu que les dépôts coquilliers de Nafiach et de Banyuls appartiennent aux sables et aux limons de terrains de transport, c’est-à-dire à la troisième époque. À Nafiach on voit distinctement ces sables et ces limons, qui ont comblé l’ancien golfe de Roussillon, recouvrir en stratification discordante les marnes bleues et les mollasses du terrain marin inférieur.

« S’il est difficile d’apprécier les effets du temps sur la distribution des fossiles entre les divers membres de la période tertiaire, ces effets deviennent très sensibles dans les sédimens postérieurs à cette période, où la plupart des fossiles sont analogues aux espèces actuellement vivantes sur les rivages voisins...

« ... Les débris de palmiers enfouis dans le bassin tertiaire de Paris prouvent que sa température a été peu différente de celle qu’on prouve maintenant en Égypte et en Mauritanie ; on doit donc s’attendre à retrouver les analogues de ces mollusques dans les mers voisines des Tropiques.

« L’abaissement de la température terrestre de la période tertiaire à la quaternaire correspond à peu près à 10° du thermomètre centigrade dans la zone du bassin de la Seine ; mais il est probable que ce refroidissement a été moindre dans les contrées plus voisines de l’équateur.

Toutes ces considérations prouvent combien il est difficile de distinguer dans la variété des dépôts coquilliers tertiaires, ce qui est dû aux circonstances locales, de ce qui est l’effet du progrès des temps. J’avoue qu’elles ne font qu’élever des doutes, et qu’elles ne peuvent suffire par elles-mêmes à résoudre la question ; mais celle-ci me paraît nettement résolue par l’examen critique de l’hypothèse que nécessite la doctrine de la formation successive, et par échelons, des bassins tertiaires ; ici, la preuve cherchée est acquise par l’emploi de la méthode d’exclusion.

« Pour que l’émersion du bassin de la Seine eût précédé celle du bassin de la Loire, et celle-ci celle des marnes bleues de l’Apennin, du Danube et du Languedoc, comme l’horizon de tous ces terrains est à peu près le même, il faudrait supposer qu’un soulèvement très régulier, a d’abord exhaussé d’environ deux cents mètres ce vaste plateau tertiaire parisien ; qu’après un intervalle, le même phénomène a eu lieu en Touraine, puis en Italie, en Languedoc, et aux bords du Danube, et qu’il s’est reproduit aux différentes périodes tertiaires, pour élever tous les dépôts supposés de différens âges à un niveau à peu près égal…

L’auteur combat, comme tout-à-fait invraisemblable, cette hypothèse du soulèvement successif de tous les terrains tertiaires, et lui oppose, comme bien plus naturelle, celle de leur émersion simultanée, par suite d’un abaissement général et unique du niveau des mers à la fin de cette grande époque.

Les terrains tertiaires soulevés sont, dit-il, ordinairement sur la lisière des grands plateaux. Cette position, le petit nombre de leurs lambeaux épars, et l’horizontalité presque générale de ces terrains, doit convaincre que ces grandes masses si régulièrement disposées, n’ont pas été déplacées, et surtout ne l’auraient pas été à différentes époques, pour atteindre toujours le même niveau[4].

En géognosie, il faut chercher la règle dans les faits généraux, non dans les exceptions. Il est constant qu’au midi de la France, en Italie, dans la vallée du Danube, sur tout le littoral de la Méditerranée, et peut-être partout où manque le sédiment crayeux, le terrain marin métalymnéen succède immédiatement aux dépôts secondaires. On ne l’a vu nulle part séparé de ces dépôts par une formation analogue à celle du calcaire grossier, est dans son essence, mixte, accidentelle, et seulement aussi ancienne qu’elle puisse l’être parmi celles de son espèce. C’est par sa composition mixte, et non par son âge, qu’elle diffère du terrain des marnes bleues, qui est le véritable terrain marin tertiaire, homogène, le moins accidentel de tous, et le plus universel…

« Si le synchronisme des terrains inférieurs métalymnéens et prolymnéens ne peut être démontré par les analogies des dépôts coquilliers, il est du moins indiqué par celles des ossemens fossiles des plus anciens mammifères.

« Parmi les cétacés, les baleines et les lamantins, parmi les mammifères terrestres, les lophiodons, les palœothères[5] et les anoplothères, ont été reconnus contemporains du calcaire grossier. Ces mêmes animaux ont laissé leurs ossemens dans le terrain métalymnéen des marnes bleues et de leur calcaire ; savoir : la baleine dans les marnes bleues du Plaisantin, les lamantins dans le calcaire de Pézenas, les lophiodons dans celui de Boutonnet près Montpellier, les palœothères dans les marnes bleues du Métauro dans les marnes argileuses de la Gironde, et dans le calcaire de Saint-Geniez et de Pézenas[6].

« D’autres ossemens d’animaux, peut-être moins anciens, ont été observés dans plusieurs bassins métalymnéens, et notamment dans celui du Danube ; mais ces bassins ont aussi leurs terrains supérieurs, de deuxième et de troisième époque ; et ce n’est point aux inférieurs que se rapportent les gîtes où ont été trouvés les ossemens des grands pachydermes, des carnassiers et des ruminans[7].

« Je n’offre point cette considération zoologique comme une preuve isolée, mais comme une confirmation de celles que fournissent toutes les indications géognostiques du synchronisme des terrains tertiaires inférieurs, soit métalymnéens, soit prolymnéens. »



  1. M. Desnoyers n’a pas prétendu que les cavernes du midi avaient été remplies exclusivement par des cours d’eau provenant des vallées, mais aussi souvent par des courans qui ont du entraîner les ossemens et les graviers des hauts plateaux dans des fissures, remplir celles-ci de brèches osseuses et pénétrer dans les cavernes inférieures. M. Tournal a montré lui-même l’intime liaison de ces deux faits géologiques.
  2. Je dois faire observer ici que ceux qui ont proposé et adopté la dénomination de calcaire moellon l’ont appliquée à la formation marine tout entière du midi de la France, en l’assimilant à celle appelée protéique par M. Brongniart.
  3. Cette quatrième époque est hors de la période tertiaire et appartient à la quaternaire, à raison de l’analogie de ses monumens avec ceux du temps présent.
  4. Évidemment M. Reboul a interprété la théorie du remplissage successif des bassins tertiaires telle que l’avait proposée M. Desnoyers, dans un sens tout autre que l’auteur lui-même, et il applique ses objections à des idées qui ne semblent pas avoir été exprimées, c’est-à-dire à une hypothèse d’émersion successive, par soulèvemens des couches tertiaires. Il s’agissait, au contraire, de l’immersion successive en en forme de bassin d’un sol préexistant pouvant servir, par suite de son affaissement, de nouveaux réceptacles aux sédimens et aux eaux des mers après leur retraits de bassins plus anciens. M. R. semble avoir rapproché, pour les combattre, deux séries d’idées distinctes : le fait rendu incontestable par les nombreuses observations de M. de Beaumont, du redressement des couches tertiaires solidifiées, jusqu’à un niveau supérieur de plusieurs milliers de pieds au niveau habituel des grandes plaines tertiaires, et le fait du creusement successif durant cette même période de bassins propres à recevoir des sédimens et des fossiles non existans encore, et différens autant à raison de l’intervalle chronologique que des distances climatériques. (Note du secrétaire.)
  5. Ceux de baleine dans le calcaire grossier de Paris, de lamantins dans les marnes inférieures de Marly. Recherches de M. Cuvier, t. I ; p. 271.

    Ceux de lophiodon, d’anoplothère, de palœothère, dans le calcaire grossier de Nanterre.

  6. La carrière de St-Geniez, où Faujas a trouvé des ossemens de palœothère, est de calcaire marin et non d’eau douce. En 1731, on a extrait de la carrière de Gigiri, près Pézenas, un fragment mutilé où il est facile de reconnaître la tête d’un tibia de palœotherium magnum, semblable à celle décrite par M. Cuvier ; t. 3, pl. 28, fig. 7.

    M. Billandel a trouvé les mêmes ossemens dans le calcaire de le Gironde.

    Ann. des Sc. nat., t. 18. Revue bibl., p. 146.

  7. Cette explication n’est pas applicable aux ossemens des faluns de la Loire, où les débris de mastodonte, d’hippopotame, de rhinocéros, etc., couverts de polypiers, sont dans la partie inférieure du dépôt. On sait, au contraire, que le bassin de Paris, quoique si rapproché de celui de la Loire, n’a présenté dans aucune de ses couches marines, ou d’eau douce, les ossemens des mêmes animaux considérés généralement comme plus modernes. (Note du secrétaire.)