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Cérémonies de la semaine sainte à Jérusalem, notes d’un voyageur/01

La bibliothèque libre.
Le Tour du mondeVolume 5 (p. 225-227).


CÉRÉMONIES DE LA SEMAINE SAINTE À JÉRUSALEM[1].

NOTES D’UN VOYAGEUR.

185… — TEXTE ET DESSINS INÉDITS[2].


I

LE VOYAGE.

Comment je suis obligé de partir pour Jérusalem.

Voici, monsieur, les notes de voyage que vous m’avez demandées. Faites-en tel usage qu’il vous conviendra. Je crains, à vous dire toute ma pensée qu’elles ne soient pas de nature à plaire à tout le monde. Regardez-y de près, monsieur. Je ne suis ni savant, ni écrivain, et n’ai point le secret de ceux qui savent donner de l’intérêt au récit des choses même les plus simples. Ce n’est pas une curiosité profane qui m’a conduit à Jérusalem, mais, je dois ainsi l’avouer avec sincérité, ce n’est pas davantage un acte spontané de ma conscience. J’ai entrepris ce grand pèlerinage aux lieux saints, dans des circonstances très-tristes, malgré moi, et j’en suis revenu, que dirai-je ? à demi édifié, à demi scandalisé. Ne me condamnez pas à l’avance. Vous verrez pourquoi.

À la fin du mois de décembre de l’année 185…, au fond d’une retraite de campagne où je vis presque en toute saison, je reçus une lettre qui me jeta dans une surprise et une consternation profondes. Ma belle-sœur, que je croyais paisiblement établie depuis deux mois dans une petite villa de Sorrente, près de Naples, venait de mourir subitement en arrivant à Jérusalem : sa fille, ma nièce, seule, sans appui, s’était réfugiée chez les dames de Notre-Dame de Sion, et ne se doutant avec raison ni de [3]

mon dévouement ni de ma tendresse, elle m’y attendait. Mon cœur n’avait pas la plus petite objection à faire : mes goûts et ma raison en avaient mille, ce qui n’empêcha pas que quatre jours après, je m’embarquai à Marseille sur un bâtiment de la compagnie des Messageries impériales.

Peut-être, monsieur, auriez-vous désiré quelques renseignements pratiques à l’usage de ceux de vos lecteurs qui seraient obligés ou tentés de faire un voyage en terre sainte.

Dans ma précipitation, je n’avais demandé aucun conseil.

Je suis parti de France pour la Palestine, comme on va de Dijon à Paris, avec une malle, un carton à chapeau et un parapluie. En somme, malgré mon âge et mon peu d’habitude de pareilles aventures, je n’ai pas eu trop à me repentir de mes imprévoyances. Mon seul souci, en traversant la capitale, avait été de me procurer au ministère des affaires étrangères un passe-port pour l’Orient.

À Marseille, forcé d’attendre pendant près de vingt-quatre heures le départ du bâtiment, j’aurais eu, assurément, tout le loisir nécessaire pour faire des provisions et des emplettes à remplir trois ou quatre caisses, si j’avais voulu écouter les avis que me donnait un beau jeune gentilhomme parisien qui logeait, ainsi que moi, à l’hôtel Bauveau. À l’en croire, que de choses indispensables ! On ne pouvait se hasarder, me disait M. Alf. de T…, à mettre le pied en Orient sans péril de la vie, si l’on n’était armé jusqu’aux dents et vêtu à l’asiatique. Il s’ébahissait de voir que je n’achetais ni fusils, ni pistolets, ni éperons, ni selles arabes, ni sacoches à provisions de toutes sortes, ni boîte à pharmacie, etc. Il s’en fallut de peu qu’il ne se fachât tout rouge lorsque je lui répondis que je n’allais pas à Jérusalem pour y voir ou y faire le carnaval. Voyez les susceptibilités ! J’avais dans ma malle quelques vêtements de laine. Je portais sur moi mes vêtements d’hiver, flanelle et drap, et il me paraissait que mon caban, mon chapeau gris de campagnard, mes guêtres en cuir me feraient tout aussi bon usage en Orient que le beau burnous, le joli chapeau de paille, les fraîches guêtres en toile blanche et toutes les pièces élégantes de costume nouveau dont mon futur compagnon avait commencé à faire l’essai en pleine Canebière, lorsqu’un mistral féroce le jeta contre une muraille, si bien qu’il revint au plus vite et ne sortit plus sans s’emprisonner dans son paletot et enfoncer sa casquette jusqu’au bas de ses oreilles.

Je dois reconnaître toutefois qu’il me parut assez raisonnable d’acheter, à son exemple, quelques chemises de coton, un peu de quinine et de l’arnica. Je me procurai de plus une bonne carte de la Palestine, et l’Itinéraire à Jérusalem, encore que je ne fusse guère en humeur d’étudier ni de lire.

Pendant mon voyage, j’ai eu l’occasion de parcourir sur le bâtiment divers ouvrages où vos lecteurs trouveront toutes les instructions nécessaires : l’Itinéraire en Orient, descriptif historique et archéologique, par MM. Adolphe Joanne et Émile Isambert ; le Bulletin de l’œuvre des Pèlerinages en terre sainte ; le Handbook de Murray, etc.[4].


Sur le paquebot.

J’ai peur et horreur du mal de mer. À l’hôtel, on m’avait dit : « Restez au grand air, promenez-vous sur le pont. » Dès mon embarquement, je me suis couché dans ma cabine. Là, un citron d’une main, un livre de l’autre, j’ai cherché à tendre le plus possible mon attention sur la description de Jérusalem. Mais, ramené insensiblement à de longues réflexions sur la triste cause qui m’avait forcé d’abandonner si subitement ma bonne maison et à m’enfermer dans cette maudite petite prison de bois nauséabonde, je me perdis en conjectures sur la fatale idée qu’avait eue ma pauvre belle-sœur de partir pour la Palestine, seule avec sa fille, sans m’avoir demandé conseil ou seulement m’avoir averti. Bientôt le sommeil me gagna et dura je ne sais pendant combien d’heures.

Je fus réveillé par des chants. Je me hasardai à me lever et à monter sur le pont. Il était presque nuit. Des jeunes gens et quelques prêtres, réunis à l’arrière du bâtiment, chantaient l’Ave maris Stella. La mer était calme, le ciel était pur et scintillant : je n’éprouvai aucune souffrance. Un officier du bâtiment m’apprit que ce groupe religieux était une des caravanes qui, presque tous les ans, vont à Jérusalem, sous les auspices de l’œuvre des pèlerinages en terre sainte, fondée en 1854, à Paris. Ces pèlerins, dont le nombre s’est élevé quelquefois jusqu’à trente et quarante, ont toujours pour guide et directeur un ecclésiastique. À Marseille, ils entendent une messe dans la chapelle de Notre-Dame de la Garde, où l’on donne à chacun d’eux une petite croix en argent qu’ils portent sur la poitrine. On dresse d’ordinaire pour eux dans le bâtiment un petit autel portatif au fond du salon des premières, et l’on y célèbre chaque matin plusieurs messes. En général, leur pèlerinage dure soixante jours, dont quarante sont consacrés au séjour à Jérusalem et à l’exploration de la terre sainte. D’après des arrangements pris avec la compagnie des Messageries impériales et avec un habitant de Jérusalem, le prix total du voyage, à partir de Marseille, jusqu’au retour en France, nourriture comprise, est de mille deux cent cinquante francs pour la première classe, et de mille francs pour la seconde[5]. C’est à peu près aussi ce que m’aurait coûté mon voyage d’un mois seulement, si j’étais revenu seul. Le prix ordinaire d’une place en première classe sur les bateaux de la compagnie, en y comprenant toujours la nourriture, est de cinq cent quarante-huit francs de Marseille à Jaffa ; mais on paraît être assez bien aux secondes, où le prix est de trois cent quatre-vingt-cinq francs. Un jeune peintre, que j’ai rencontré au retour, et qui s’était bravement accommodé des quatrièmes (cent vingt-trois francs), n’avait dépensé en totalité que six cents francs, et avait exploré, le crayon à la main, la Palestine et la Syrie pendant six semaines. Beaucoup de nos jeunes gens de Paris peuvent, je crois, employer plus mal leur temps et leur argent.

On fait le trajet de Marseille à Jaffa en dix jours ou douze jours au plus. Chemin faisant, on aborde à Malte et à Alexandrie.

Ma disposition d’esprit, un certain malaise, une sorte de stupéfaction de mon aventure qui ne se dissipait pas, me rendirent presque insensible à toutes choses pendant le voyage. À Malte, je ne suivis pas nos jeunes pèlerins et les autres passagers dans leurs visites au palais de la Valette, au couvent et à l’ossuaire des capucins, à la cathédrale de Saint-Jean, au palais du gouverneur, à Civitta Vecchia, ni à la grotte de Saint-Paul. Je ne me sentis pas beaucoup plus de curiosité même à Alexandrie, où du reste il ne nous fut possible de rester que quelques heures. Je n’ai réellement été un peu ému qu’en arrivant, le onzième jour depuis mon départ de France, devant le rocher qui porte Jaffa ; encore ne suis-je pas sûr que le fond de mon trouble n’eût pas pour cause principale le sentiment d’impatience douloureuse qui se réveillait plus vivement en moi à l’approche du but…[6].

Il fallut passer la nuit à Jaffa. L’excellent artiste Bida et un voyageur anonyme[7] vous ont raconté, si j’ai bonne mémoire, comment on se rend, à cheval, en un jour et une nuit, de Jaffa, par la plaine de Saron, Ramlé et la vallée de Térébinthe, à Jérusalem, qu’on aperçoit de haut, à vingt minutes de distance, isolée, entourée de remparts et solennellement aride comme le paysage qui l’entoure.

  1. Voy. sur la Palestine et sur Jérusalem, t. Ier, p. 385-416.
  2. Tous les dessins joints au texte de cette livraison ont été faits sur des croquis pris, d’après nature, par M. Rudhart.
  3. On peut recommander les cartes de la Palestine par Bergham, par Robinson et Smith, par Andriveau, etc. Voy. aussi la note suivante.
  4. Handbook for Syria and Palestine, un vol in-18. Londres, 1860. — Edward Robinson, Recherches bibliques sur la Palestine (en anglais), trois vol. 1856. — De Vogué, Les églises de Terre sainte, un vol. 1860 ; les lieux saints. — Gérardy-Saintine, Trois ans en Judée, un vol. Paris, 1860. — Munk, Palestine, un vol. (Univers pittoresque). — Coquerel, Topographie de Jérusalem, Strasbourg, 1843. — Les saints lieux, par Mgr Mislin. — Eothen (traduit de l’anglais). — La correspondance d’Orient, par Michaud et A. Poujoulat, quatrième volume. — La Syrie, la Palestine et la Judée, par le R. P. Haorty Hadji. — Mme de Gasparin, Voyage au Levant. — Le Voyage en Orient, par Lamartine, etc., etc.
  5. Nous croyons que, récemment, ces chiffres ont été portés à treize cents et à onze cents francs.
  6. Nous supprimons quelques ligues sur Jaffa, qui a déjà été décrite dans notre troisième volume (Souvenirs d’un voyage au Liban, 53e livraison).
  7. M. Gérardy-Saintine, ancien consul à Jérusalem, et qui, en 1861, est mort bien jeune encore. Ces deux relations terminent le premier semestre du Tour du monde (1860, t. Ier, 25e et 26e livraisons).