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César-Antéchrist/ActeII

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Fasquelle éditeurs (p. 169-187).

L'ACTE HÉRALDIQUE
ORLE
Acte II

Scène I

De sable à un Roi d’or.

Le Roi. — L’Antechrist est né, le César naîtra, il faut être Dieu pour être homme, et Dieu le Père vieux et raidi ne put qu’engendrer cette destinée, du moindre, selon la loi primordiale, le mieux, du néant sortant l’infini. — Orle, je te cherche de mes paumes dans la nuit impérissable ; et si je n’ai pas rêvé tu t’es avec moi égaré pour une chasse dernière à la limite de la terre plate, où l’herbe d’azur pousse au pied du ciel vertical. Le vair des cloches de lumière…

(Il passe.)


Scène II

De sable à une Licorne passante d’argent.

Scène III

De vair à Quatre Hérauts porte-torches (Chef, Pairle, Trescheur, Fasce) ; Orle, en pals de divers émaux et métaux, et à César-Antechrist en chef, d’or et carnation.

Orle. — Cariatide de la mandragore gigantale fossilifiée, desséchée par la lumière, qui est foudre, et du faix du lingot d’or qui fouille de son museau mes épaules comme une bêche de sépulture, les quatre hérauts cardinaux m’associèrent à leur œuvre devenue impaire, et des quatre vents ont rayonné vers mon second foyer, masqués d’armures en ellipse, les tambourineurs. Mes cheveux emmêlés par l’agonie de la lumière nocturne se mirent dans une couronne d’épines, et notre polygone sustentateur grave la fosse et le cercueil du pentagramme crucifié. Sépulcre aérien, permets à l’un des piliers de ton temple de s’enfuir, sans déraciner les quatre fûts non cerclés et peints d’emblèmes qui ont leur importance, pieds d’un lit ou d’un catafalque dont je n’ai vu ni le dais ni le toit, non plus que les visages voilés par l’araignée tisseuse de l’ombre barbe des visières.

(Devant le premier héraut.)

Avant la fuite irréconciliable, voir quelles sont les faces.

(Devant le second.)

Comme on se penche sur un puits.

(Devant le troisième.)

Les enluminures des missels aux niches fermées des quatre pierres du dolmen.

(Devant le quatrième.)

Comme on regarde dans une cloche.

(Il n’ose et passe.)


Scène IV

De vair aux Quatre Hérauts en pals et César-Antechrist en chef.

(À chaque mouvement des Hérauts porteurs des torches-tulipes bleues, le fond de vair déplacé, glace qui craque, se disloque et choque en arpèges de cloches. Fasce quittant l’auvent dont il est pilier dégaine de sa ceinture un long droit buccin étalon de la trompe finale.)

La Trompette. — Miroir terrestre et limité, anneau fermé de vil sphincter, la terre souillera l’œil bolide du caméléon bercé. Les deux globes réfléchiront leurs deux pupilles comme deux yeux. Tout homme ou tout Dieu né s’incarne au caméléon pétri et peint d’autorité blasphématoire. Dors pour te réveiller au soleil miroir de la terre noire, César.

(Fasce s’agenouille. Les Trois Hérauts s’agenouillent et déposent à terre derrière eux l’écu pentagonal de César Antechrist couché. Tous se relèvent sauf Fasce.)


Scène V

De vair à Fasce agenouillé, les Trois Hérauts en pals et César Antechrist en fasce abaissée.

Pairle. — Face à face au miroir convexe de la terre, l’Antechrist lui deviendra semblable d’âme et de corps.

Trescheur. — Comme le Christ qui vint victime sur la terre, le Dieu deviendra homme et comme un homme sera bourreau.

Chef. — Donc il ne viendra point Contre-le-Christ, mais En-Son-Lieu.

Pairle. — Nous ne serons ses satellites qu’après la fin de sa vie terrestre.

Trescheur. — Je sens une mort, sommeil spécial, qui nous figera jusqu’à cette heure-là dans le moule de cristal du ciel.

Chef. — Je sens un vent germé de la terre, nouveau déluge, irrespirable pour un temps pour nous, et qui chasse les bêtes du monde héraldique.

Pairle. — Endormons-nous au glas de nos torches de vair.

Trescheur. — Entendons-les, car nous n’entendrons pu les cors de la chasse du nouveau roi.

Chef. — Devant le nouveau Dieu se rétracte la Licorne rouge.

(Cloches. La Licorne passe. Cors.)

Pairle. — Face à face au miroir convexe de la terre, l’Antéchrist lui deviendra semblable d’âme et de corps.

(Les Trois Hérauts se vitrifient céramiques. Les torches flambent, les cloches cessent.)

Scène VI

De même aux Mêmes et à un Templier de gueules à la croix d’argent, et au Bâton-à-Physique, pal ou fasce de gueules, roulant sur ses extrémités.

Le Templier. — Phallus déraciné, ne fais pas de pareils bonds !

Fasce. — Pal ou fasce, reflet de mon maître, en toi je me remire en mon reflet.

Le Templier. — Tu es une roue dont la substance seule subsiste, le diamètre du cercle sans circonférence créant un plan par sa rotation autour de son point médian.

Fasce. — Tu es la roue, tu es l’œil, demi-Saint-Esprit, Éternel.

Le Templier. — La substance de ton diamètre est un point. La ligne et son envergure sont dans mes yeux, clignant devant les rayures d’or et vertes d’un bec de gaz palloïde.

Fasce. — Squelette, en tes culbutes d’ara, tu es le Christ ou Saint Pierre.

Le Templier. — Le cycle est un pléonasme : une roue et la superfétation du parallélisme prolongé des manivelles. Le cercle, fini, se désuète. La ligne droite infinie dans les deux sens lui succède. Ne fais pas de pareils bonds, demi-cubiste sur l’un et l’autre pôle de ton axe ou de ton soi !

Fasce. — MOINS-EN-PLUS, tu es le hibou, le sexe et l’Esprit, l’homme et la femme.

Le Templier. — Le cavalier t’étreint (suspendu, s’il le désire, à la Cardan entre tes côtes — laissons le disque quelques siècles encore aux accessoires et à l’homme) et tu poursuis la succession de tes équilibres momentanés, dans le sens du mouvement (si le spectateur est à ta droite, et encore ta droite est ta gauche dans la seconde moitié de ta course latérale) des aiguilles d’une montre.

Fasce. — Phallus perpendiculaire au sourire de l’Ithyphalle en ta latéralité.

Le Templier. — Tu concilies le discontinu de la marche et le continu de la rotation astrale.

Fasce. — Zénith et Nadir, pôle et pôle, pal des pôles, rose des quatre vents.

Le Templier. — À chaque quart de chacune de tes révolutions (qu’on la mesure d’où l’on voudra), tu fais une croix avec toi-même. Tu et saint, tu es l’emblème bourgeon de la génération, (si cela était, pourtant, tu serais maudit, bourgeois), mais de la génération spontanée, vibrion et volvoce, dont les images gyroscoposuccessives révèlent à nos yeux, hélas trop purs, ta scissiparité, et qui projettes loin des sexes terrestres le riz cérébral de ton sperme nacré jusqu’à la traîne où les haies d’indépendantes pincettes des chinois Gastronomes illustrent la Vierge lactée.

Fasce. — Axiome et principe des contraires identiques, le pataphysicien, cramponné à tes oreilles et à tes ailes rétractiles, poisson volant, est le nain cimier du géant, par delà les métaphysiques ; il est par toi l’Antechrist et Dieu aussi, cheval de l’Esprit, Moins-en-Plus, Moins-qui-es-Plus, cinématique du zéro restée dans les yeux, polyédrique infini.

Générateur jadis, tu es pour moi le glaive ; crochet de vipère, tu sèmes et brûles ; pal enflammé, tu souffles le feu.

Tu es le hibou, le sexe et l’Esprit, hermaphrodite, tu crées et détruis.

Rebondis sur les pôles, globe égal à la terre que tu pourrais forcer aux abîmes, et avant de disparaître bénis-moi de ta bave suprême, PLUS-EN-MOINS.


Scène VII

De même aux Mêmes moins le Bâton-à-Physique.

Le Templier. — Délégué terrestre du Christ, je viens à toi humble avec des paroles d’amour et mon épée dans le fourreau, symbole d’une union précise et immuable.

Fasce. — Quel besoin as-tu de moi ? Car je parle au nom du dédain de mon maître endormi. Je me vois dans le miroir de ton sexe poli, tu n’es que moi-même avec quelque chose en plus — si l’on ne me considère passant. Messager du Dieu de l’amour, Christophore, tu contrepales de ton lingam hideux l’horizontalité de mon être, plus infinie, car non divisée elle n’a point de mesure. Et souvent (il n’est point besoin d’invoquer l’identité des contraires) la surabondance est un manque. Tu n’as point compris ton maître, qui a dit : on donnera à ceux qui ont, affirmant la divergence des deux signes, et en même temps que l’un surajouté à lui même s’annule, puis devient son contraire. Déjà le bégaiement des géomètres a déchiffré que multipliés par nous-mêmes l’un ou l’autre, valets, masques ou armes de nos maîtres, nous devenons ton Christ, l’un par l’autre nous devenons mon César.

(Le Templier tire son épée. Fasce se lève. Près de lui :)

Le signe Plus ne combattra point contre le signe Moins. Comme de toute lutte, l’issue possible ne serait que l’anéantissement — car chaque adversaire est l’Infini — de l’un et l’autre principe, — ou leur réconciliation. De l’accouplement monstrueux ou de la fécondation par le fleuve de la semence ovale éclora le zéro. De l’anéantissement d’un des signes naîtra le déséquilibre : la droite cherchera la gauche, et l’homme fendu longitudinalement sautera sur une seule jambe et l’on verra trembler des quarts de croissants, comme des glottes semi-muettes, dans ses intestins pareils à des serpents non retournés dont on aurait mangé la moitié dans un plat rouge.

Attends avec patience la fin de ma faction près du palais de l’Antechrist. La vingt-cinquième heure sidérale de mes veilles et la première de

mon sommeil est la première de ta surgissante

dignité. Quand on Le couchera sur une broche — pour un temps — au feu de l’enfer soi-disant éternel, et qui n’est pas éternel, en soi, mais sert de repos, cahute de douanier, au Dieu qui attend son heure, ton Christ se lèvera et plantera, lit de camp debout, son signe sur le triangle noir du cercueil momentané de César, le nom de Lucifer le grand-vizir rentrera dans la nuit où l’on met en réserve, et les deux sommets de la claire trinité se joindront en l’Esprit-Saint.

Le Templier. — Frère, je vais changer d’être, car le signe seul existe (il brise la hampe de sa croix) provisoire… le repos est le changement.


Scène VIII

De pourpre à deux fasces d’argent, un chef (contrepalé) et un pairle d’or, trescheur d’or et argent, et à une face abaissée d’or.

César Antechrist. — À mesure qu’avec la lumière se précise le sol terrestre, la matière crasse envahit la subtile, et les formes, seules réelles idées, meurent, naissent ou changent, et tout cela est la même chose. Malheur ou heur, incertitude ou plutôt indifférence, à cause du son des trois trompes des trois hérauts qui n’ont point encore sonné.

(Derrière les Trois Hérauts, il n’en voit que les silhouettes rases.)

Le roi futur…

(La lumière se fait plus solaire.)


Scène IX

De gueules à deux fasces d’argent, un chef contrepalé et un pairle d’or, trescheur d’or à huit feuilles d’argent ; — couché d’argent et de sable ; d’argent à une fasce de carnation et une sphère de sable, — et de sable à trois sphères d’argent chargées : en premier d’un gironde gueules, en second d’une pile de sinople, en tiers de six cotices ensemble d’azur.

(Au premier plan, Ubu, puis les trois palotins semblables à des sphères grossissantes, germent.)

Ubu. — Cornegidouille, Messieurs, je crois que voici ce qu’il faut demander : qui sera Roi ?

(Au soleil levant les trois écus de Chef, Trescheur, Pairle, luisent, écrivant : T. O. Y.)

(Cloche.)

Ubu. — Semblable à un œuf, une citrouille ou un fulgurant météore, je roule sur cette terre où je ferai ce qu’il me plaira. — D’où naissent ces trois animaux (Apparaissent Giron, Pile et Cotice) aux oreilles imperturbablement dirigées vers le nord et leurs nez vierges semblables à des trompes qui n’ont point encore sonné ?


Scène X

De sable aux Trois Palotins d’argent.

Giron. — Hon ! Monsieuye, nous sommes les seuls

Pile. — Parfaits pour qui veut que sa volonté s’érige loi souveraine, les Palotins, qui sont

Cotice. — Mécaniques et pourtant ne se remontent que par le repos, comme

Giron. — Des êtres animés, dans d’ophidiennes caisses en fer-blanc, dominicalement

Pile. — Ouvertes. Et ils ont

Cotice. — Une voionté propre, parallèle plus loin prolongée

Giron. — De la Volonté de leur maître. Ils ont

Pile. — Au moins quatre oneilles, sur lesquelles le pôle

Cotice. — Exerce diverses influences

Giron. — De déclinaison, et autant d’inclinaison. Ils n’ont

Pile. — Que de petits ailerons, et de grands

Cotice. — Pieds plats sonores.


Scène XI

D’or à un Centaure passant de sable.

Scène XII

De sable à un Roi d’or.

Le Roi. — Par la côte interminable et les grises obscurités des voûtes d’églises, après avoir sauté les ruisseaux où poussent les iris des pêcheurs et fui l’œil d’opale des poissons cuirassés, j’ai vu parmi la foule processionnelle le balancement des deux pattes ou des deux bras de dinotherium du Centaure. L’insecte hexapode à tête d’Adam s’est effacé pour me laisser passer aux grilles, et par les fidèles des bas-côtés il a conversé, tendant la gorge et draguant de ses griffes. Chaque demi-douzaine des piliers a tremblé et sonné devant sa sœur qui marchait, et les chevaux caparaçonnés ont avancé sans ruer comme des poulains cravachés par les troncs d’arbres. Je cherche en haut la tête d’Adam et je ne frapperai point Goliath. Les ondes du nombril de la terre répètent à son cerveau les pas derniers du Centaure.

(Il marche.)

ENTR’ACTE
Les baleines paraissent à la surface de la mer.