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César-Antéchrist/Texte entier

La bibliothèque libre.
Fasquelle éditeurs (p. 131-135).

LES PROLÉGOMÈNES
DE CÉSAR-ANTÉCHRIST[1]

i

Prose (Saint Pierre parle.)


Comme deux amants
La nuit bouche à bouche
Dispersent leur couche
De baisers déments;
Tête du Ciboire,
Épanche en mon sein
Ton amour malsain.
Nomme-t-on ça croire ?
De mon Dieu jaloux,
Il n’est pas pour vous.



L’un me dit qu’il l’aime :
Âne du latin,
Il me cite même
Du saint Augustin ;
Plus ou moins notables
Épluchant des faits
Grattés sur les tables
Froides des cafés.
L’un me dit qu’il l’aime,
L’autre qu’il blasphème.



L’amant de son Dieu
À son nom qu’il jure
Dans sa bouche impure
En tout temps et lieu.
Dans un petit groupe
Le blasphémateur
Cite son auteur
Aux pages qu’il coupe.
Les blasphémateurs
Sont littérateurs.


Il me plaît répandie
Dans un lieu fermé
Comme au vent la cendre
Le sang de l’aimé.
Et j’aime qu’il rampe
Devant mon courroux ;
Sa langue de Lampe
Lèche mes genoux.
Dieu permet encore
Que je Le dévore.



Mais il ne veut pas
Que l’on s’évertue
En d’oisifs combats ;
Que l’on prostitue
L’amour éprouvé
À l’âme banale
Qui n’a même pas le
Chic du réprouvé.
Il s’offre à ma fête —
Pour que je Le prête ?


De mon Dieu jaloux
Dont l’on fait un thème,
Il n’est pas pour vous.
La mode est qu’on l’aime ;
On en fait un sport.
On le prend peut-être
Pour un beau décor…
Comme une fenêtre
Fermons sur ma croix
Sa porte de bois.

ii

Ubu parle.

« Quand j’aurai pris toute la Phynance, je tuerai tout le monde et je m’en irai. »

Les Polonais ou Ubu Roi.



CÉSAR-ANTECHRIST














L'ACTE PROLOGAL
LE RELIQUAIRE
Personnages :

César-Antechrist

Le Roi

Orle

Chef

Pairle

Fasce

Trescheur

Ubu

Giron

Pile

Cotice

Le Bâton-à-Physique

Le Centaure

La Licorne

Le Templier

Vendredi.

CÉSAR-ANTECHRIST

ACTE PROLOGAL[2]

Le versant de la montagne. À gauche (du spectateur) Saint Pierre tiaré aux ceps de ses clefs dans le pilori de jaspe triangulaire de trois Christs renversés. Au fond, un peu à droite, une Croix d’or surmontée d’une cassette couronnée, scellée, des griffes d’un Coq endormi. Quatre Oiseaux d’or aussi sur ses bras.

Scène I

SAINT PIERRE-HUMANITÉ
LES TROIS CHRISTS

Saint Pierre (vu de dos presque, les yeux à gauche). — Le Juif Errant parcourt l’Univers, le Pape siège au centre de sa toile. Je suis comme un grand arbre ou un polype sous le bleu de l’air liquide.

Le Christ Vert. — Sur toi, Pierre, t’a dit avant les Temps ma voix de bronze, j’ai bâti mon Église.

(Le pilori tourne d’un tiers.)

Saint Pierre. — J’ai renié Dieu à trois reprises, et par mon reniement, triple foi, j’ai créé cette trinité renversée dont les bras amoureux m’étouffent. Christ de l’or sculpté d’Hermès trismégiste, dont la natte chinoise rampe où germèrent pénultièmes les racines du Christ d’avant l’histoire, pourquoi n’as-tu point dans ta chute architecturale écrasé ma lâcheté de blasphème ?

Le Christ d’Or. — La joue droite souillée, tendez la joue gauche.

(Le pilori tourne.)

Saint Pierre. — Trinité de Parques, vous avez filé mes jours. Vous me protégez de la cage lancéolée de vos trois pals. Vous vous hérissez contre les glaives du monde pour moi qui vous livrai aux soldats.

Le Christ Blanc. — Aimez-vous les uns les autres.

Saint Pierre. — Avant que le coq chante, vous m’avez béni. Avant que le coq chante, je vous ai reniés trois fois. Christ Vert, semblable à la poignée d’une épée ternie ; Christ d’Or, momie de ma première idole ; Christ d’Argent, presque séculier, squelette qui s’effrite et au chant du coq tombera en poussière… vos étreintes sont trop passionnées, je sens que vous allez me quitter.

Christ d’Argent, j’ai fleuri autour de tes os comme la Méduse qui sortirait de la mer si le tuteur des longs fémurs lui était prêté ; Christ d’Or, tu m’as clos le monde de ton réticule lumineux ; Christ d’Or, Christ d’Argent, Christ de Bronze, vous m’avez identifié à votre paradis fermé ; le gardien s’est adapté au mur de la porte du jardin, comme un fruit ou un fœtus au verre de sa prison. Tes disciples sont des oiseaux timides. Christ d’Or, Christ d’Argent, Christ de Bronze, vous vous étiez fondé un trône durable, car votre peuple ne pouvait subsister sans le pasteur-qui-défend.

(Le pilori tourne trois tours silencieux.)


Scène II

SAINT PIERRE-HUMANITÉ
LES TROIS CHRISTS, LES OISEAUX D’OR.

Saint Pierre (face à la croix). — Calvaire et reliquaire des oiseaux d’or, étal du brocanteur des supplices, j’ai trois fois jeté de votre trône mon Maître, qui voit avec six yeux renversés le triomphe de vos ailes de casque, et abrite contre vous et vos ricochets stellaires ma face des parasols des Sciapodes. Que mugiras-tu, Oiseau, de ton front de trapèze et de tes cornes horizontales ?

Le Deuxième Oiseau d’Or (dans l’espace, de gauche à droite, non dans la succession verbale). — Je suis le Tau, le protecteur des anciens Mages ; et même après qu’ils m’ont renié, allant adorer, guidés par l’étoile au regard aimé dont ils obscurcirent de trois grains de poussière la traîne de comète, leur futur ennemi, j’ai combattu pour eux ; je me suis fait le maillet qui L’a cloué sur le tronc d’arbre ; je me suis fait le tronc branchu où s’est déchiré Son corps ; j’ai étendu mes bras pour qu’on y écrasât les Siens ; et changeant ma forme immuable pour Le dominer vaincu, j’ai poussé au-dessus de Sa tête mon front où dort le Coq maintenant, le Coq à la queue en croissant.

(Le pilori tourne.)

Saint Pierre (après une révolution complète). — Troisième Oiseau, à la face ronde, dont les yeux huhulants luisent et dansent dans l’ombre du fût vertical et qui traces le cône incliné de la projection de mes révolutions régulières : que le vent apporte ta plainte au passage momentané de mon orbite parallèle à l’horizon.

Le Troisième Oiseau. — Je suis le Ciboire ; je lève ma griffe d’or où Son corps se lacère, attendant que les hommes Le reclouent sur ces branches où est mon nid, pour arracher avec le croc de mon bec, de ses yeux d’extase la flamme maudite.

(Le pilori tourne.)

Saint Pierre, après un tour. — Dernier animal perché, tu n’as point parlé ; je t’ai pris à tort pour un oiseau, et une langue anthropinement grasse ne se meut point, semblable à un bonnet phrygien, dans le bivalve de tes lèvres. Tu es un scarabée qui trembles comme un cerf à l’hallali ; tu es un scarabée qui pleures comme un cerf au couteau servi ; tes fines antennes courbes frémissent au vent, et j’attends que des mots bruissent à travers tes élytres, dans le sens des banderoles de la brise.

(Le pilori tourne un tour entier silencieux.)

Le Scarabée. — Je suis la Pince et les Tenailles qui déclouèrent le Corps divin ; éclaboussé par Son sang qui rachète (Son sang et non mes pleurs joncha ce sol de ses pétales), je lui pardonne, à Lui qui a fait pénitence et le fera bien plus encore.

(Le pilori tourne deux tours silencieux ; — l’aurore commence à lustrer les poils fauves de la Croix ; — le Coq se réveille et hérisse ses plumes.)

Le Christ d’Argent, face à la Croix d’Or et semblable à son reflet sur un marais. — César !

(Le pilori tourne.)

Le Christ de Bronze. — César !

(Le pilori tourne.)

Le Christ d’Or. — César !

Les Trois Christs. — César-Antechrist, ceux qui vont mourir te saluent.

Saint Pierre. — Maître, Maître, pourquoi m’abandonnes-tu ?

Le Christ d’Or. — Le jour et la nuit, la vie et la mort, l’être et la vie, ce qu’on appelle, parce qu’il est actuel, le vrai, et son contraire, alternent dans les balancements du Pendule qui est Dieu le Père.

(Le pilori tourne.)

Saint Pierre. — Maître, Maître, pourquoi m’abandonnes-tu ?

Le Christ d’Argent. — Le jour et la nuit, la vie et la mort, l’action et le sommeil. Dieu a sommeil.

(Le pilori tourne.)

Saint Pierre. — Maître, Maître, pourquoi m’abandonnes-tu ?

Le Christ de Bronze. — Les hommes ne veulent plus d’un paradis fermé. Le nouveau souverain les fouaille en liberté. Les clefs seront perdues et l’on n’ouvrira plus. — César !

(Le pilori tourne.)

Le Christ d’Or. — César !

(Le pilori tourne.)

Le Christ d’Argent. — César-Antechrist, ceux qui vont…

Le Coq chante : — Fiat lux diei !

(Les trois Christs spectres et les clefs s’évanouissent.)


Scène III

Saint Pierre-Humanité, les Oiseaux d’or, le Soleil roulant lentement de droite à gauche sa tête dentelée, entrant avec les sons de la Corne en terre rouge du Héraut, puis le Héraut, le Roi éclairé assis sur une colline ; la Foule jusqu’à l’horizon par la verdure.
La Corne du Héraut.
Pouls dans le vent, pouls dans la mer, pouls sur la nuit qui fuit !

La toux du pouls de mes artères bruit.
Les cornes des piliers forent leurs graminées
Comme les cors vrillés d’Ammon d’en haut sonnés.
Cloisonnant ton cœur de son marteau doux
Bergère d’Ammon, d’en hout tonne et bruit
Sur le vent, la mer et la nuit.
Le
Pouls.

Le Héraut. — La vie a conçu dans un happement convulsé celui qui la détruira. Écoute l’hallali de la vie pour les cors de mort sonné dans les bois. La vie a conçu la mort, et le Christ répandu ses dons sur celui qui le rependra.

Le Roi. — Sonneur de la naissance de l’Antechrist, ainsi le fils succède à son père, et les corbeaux desservent les pantins et les potences.

La Corne

Les oursins ronds ont hérissé leurs crins

Les chevaux de mer de leur crinière de fer se creusent les reins

Et la rafale tonne et tord les cors et les cornes.

Voici le vol griffu des hippocampes au lieu des cornes d’Ammon.

Lourd sur le vent, lourd sur la mer, lourd sur la crête
Des bruits

Tapi dans les feuilles comme grimpe un menteur loup-garou

Le
Pouls.

La Foule. — Nous avons vu un arbre fendu qui marchait… Et ses cuisses se fermaient et s’entre-croisaient comme des ciseaux. — Milon n’y fût point resté pris, mais la terre aurait sucé ses dix doigts de museaux. — L’Antechrist est né comme Adam : à trente ans, et avec des pommes dans ses mains belles.

La Corne

Pouls dans la vie et sur la mer hors de la nuit,
Hors du sommeil et par le bruit.
Mort pointillée en repos qui survit

Où soupçonne et bout et tonne partout
Le
Pouls.


Scène IV

Nuit. — Saint Pierre-Humanité déchainé et son Reflet dans l’eau qui remplit le gouffre de jaspe creusé des trois Christs du pilori.

Saint Pierre. — Seul !

Son Reflet. — Seul.

Saint Pierre. — Sans appui, sans barreaux.

Le Reflet. — Sans rage, sans maître.

Saint Pierre. — Écho contradicteur qui jumelles mon être en un Pape de tarots, que faire ?

Le Reflet. — Marche.

Saint Pierre. — Que faire ?

Le Reflet. — Prends le bourdon de ta crosse et marche.

Saint Pierre. — La barbe a été la girouette du quadrangle de teus les vents. Quel suivre ?

Le Reflet. — Marche à la croix de cuivre.

Saint Pierre (fait un pas en avant et recule). — Le gong de ma crosse sonore rappelle aux convenances étiquetées l’humilité de mes mules qui se plaquent insolentes sur la joue auguste de la Terre. Au bruit de mes pas trop hardis, deux chevaux à taille de mastodontes, blottis dans une fente des marches du Calvaire, vont-ils s’enfuir, et là-bas là-bas peu à peu s’amoindrir, et devenir petits comme des che aux terrestres, jusqu’à ce qu’ils me soient cachés par le vol des collines de pierre retombant autour de moi, par leurs sabots sonores détachées de leur couche l’horizon ?

(Au son de sa voix libre, les oiseaux s’envolent, sauf le premier, endormi en la posture d’une fleur de lys.)

Le Reflet. — Touche la croix d’une main ferme et sans déraison.


Scène V

Saint Pierre, qui s’est avancé d’un pas avec son Reflet symétrique acolyte sous le sol luisant humide ; la Fleur de Lys.

Saint Pierre. — La Couronne d’Épines a fructifié en la couronne d’or gemmé qui encerclait chacune des dix têtes de la Bête. Réveille-toi, fleur de lys dormante, digne de régner sur mon être, puisque tu n’as point eu peur de moi en ton repos indifférent. Cette cassette couronnée est-elle le berceau de l’ovule fécondé d’où naîtra le Souverain futur ?

La Fleur de Lys. — L’homme ne naîtra plus, ni du sperme ni du sang ; par scissiparité nous multiplierons tes cadavres, qui font belles les plantes à l’envol symétriquement infernal et céleste. Les hommes sont le Milieu, entre l’Infini et Rien tiraillés par les anses d’un zéro. Et quant à cette cassette, l’apôtre qui à la Porte Latine fut oint d’un sacre d’huile bouillante y écrivit : « C’est ici la sagesse : que celui qui a de l’intelligence compte le nombre de la Bête ; car c’est un nombre d’homme, et ce nombre est six cent soixante-six. » — Julien est mort depuis plus de mille ans, déchiffre un nombre nouveau.

Saint Pierre. — Fleur pure, qui seule t’épanouis sur cet arbre de la greffe des supplices, d’où sortira cet homme s’il ne naît ni du sperme ni du sang ?

La Fleur de Lys. — Il existe dans cette couronne, dans toute couronne, crâne foré par la chute du zénith, est un cerveau. Cette couronne, corbeille sur la croix, est la plus haute, et rien ne peut la dominer. — Ce n’était point un Coq qui la scellait de ses griffes ; ce n’étaient point les croissants parallèles des plumes de sa queue sous lesquels rampaient les étoiles, c’était le croissant lunaire.

Et s’il te faut un miracle pour croire (je te sais pourtant triplement crédule, car tu as renié trois fois), je m’envole, regarde ton maître.


Scène VI

SAINT PIERRE-HUMANITÉ,
CÉSAR-ANTECHRIST,
LES TROIS CHRISTS, LES CINQ ANIMAUX
AILÉS.
(La Croix couronnée baisse ses bras et marche vers
Saint Pierre prosterné).

Voix souterraines des trois Christs. — César ! — César !César ! — Ceux qui sont morts te saluent.

Le Chirst d’Argent, de sa voix grêle. — Que le scepticisme, crédulité bourgeoise, ne s’indigne point d’entendre parler les morts : sur votre sol local renversés, pour les Antipodes nous nous érigeons debout.

Le Christ d’Or. — Symétrique au-dessous de mon grand méridien, César-Antechrist, tu n’es que mon reflet dans la banale vision humaine.

Voix sortant de la Croix. — Si je ne nais souverain égoïste, sadique et jaloux, le médiocre essaiera mon œuvre et ne t’enfoncera qu’au centre. Tu seras néant et n’auras point de sens ni de direction.

Le Christ de Bronze, de sa voix de glas. — César !

César-Antechrist. — Fourmilion sous la double voûte de mes pieds, nuages de l’ascension de ton sable, les littérateurs sans génie ni talent parlent de toi. En dehors d’eux, tu ne peux qu’être exprimé par leur verbe. Je suis le souverain miroir qui te réfléchit : tu me pénétres et c’est pourquoi je suis ton contraire. Et avec ma ruse perverse je te dis, te tenant renfermé en moi : c’est toi qui as mon contraire et qui me réfléchis. Je suis le souverain Mal, et tu es le Bien suprême. Que l’homme n’écarquille passes yeux, qu’abandonnent leurs crémastères ; la stupidité de ces théories est vieille comme Ormutz et Ahriman. L’homme est la ligne d’écrasement entre nous deux, le plan nul où s’embrassent deux bulles de savon jumelées.

Le Christ d’Or. — César !

Le Christ d’Argent. — César !

César-Antechrist. — La mort est le ressaisissement concentré de la Pensée ; elle ne s’étoile plus infiniment vers le monde extérieur ; sa circonférence, nyctalope pupille, se rétrécit vers son centre ; c’est ainsi qu’elle devient Dieu, qu’elle commence d’être. La mort est l’égoïsme parfait et la véritable — … Mieux vaut qu’elle entraine d’autres morts vers la sienne, inverse d’un bâillement sympathique… Christ qui vins avant moi, je te contredis comme le retour du pendule en efface l’aller. Diastole et systole, nous sommes notre Repos. Primitif et primordial, tu promis aux esprits bruts non dégangués de la chair et de l’amour la Vie éternelle ; je leurs promets l’éternelle Mort qui crée la Vie comme le noir la lumière et le ressac des burins charrues l’imprimante crête des traits montagnes. On oppose le Néant à l’Être, puis par l’erreur croissant en mode d’avalanche, le Néant à la Vie. Voici les contraires : le Non-Être et l’Être, bras de fléau du Néant pivot ; l’Être et la Vie ou la Vie et la Mort. Le soleil noir subsiste après les soleils tous les jours redorés du ciel terrestre. Je serai le disque de carton brûlé qui glisse, comme voit un ivrogne, sur les décors du septentrion où poussent le plâtre et la céruse, et les sels d’arsenic chus des plumes des paons pérennels.

Le Christ de Bronze. — César !

Voix aériennes des cinq Animaux ailés. — César ! — César ! Ceux qui sont sur terre te saluent !

Dimanche.
ENTR’ACTE
Les étoiles tombent du ciel.
L'ACTE HÉRALDIQUE
ORLE
Acte II

Scène I

De sable à un Roi d’or.

Le Roi. — L’Antechrist est né, le César naîtra, il faut être Dieu pour être homme, et Dieu le Père vieux et raidi ne put qu’engendrer cette destinée, du moindre, selon la loi primordiale, le mieux, du néant sortant l’infini. — Orle, je te cherche de mes paumes dans la nuit impérissable ; et si je n’ai pas rêvé tu t’es avec moi égaré pour une chasse dernière à la limite de la terre plate, où l’herbe d’azur pousse au pied du ciel vertical. Le vair des cloches de lumière…

(Il passe.)


Scène II

De sable à une Licorne passante d’argent.

Scène III

De vair à Quatre Hérauts porte-torches (Chef, Pairle, Trescheur, Fasce) ; Orle, en pals de divers émaux et métaux, et à César-Antechrist en chef, d’or et carnation.

Orle. — Cariatide de la mandragore gigantale fossilifiée, desséchée par la lumière, qui est foudre, et du faix du lingot d’or qui fouille de son museau mes épaules comme une bêche de sépulture, les quatre hérauts cardinaux m’associèrent à leur œuvre devenue impaire, et des quatre vents ont rayonné vers mon second foyer, masqués d’armures en ellipse, les tambourineurs. Mes cheveux emmêlés par l’agonie de la lumière nocturne se mirent dans une couronne d’épines, et notre polygone sustentateur grave la fosse et le cercueil du pentagramme crucifié. Sépulcre aérien, permets à l’un des piliers de ton temple de s’enfuir, sans déraciner les quatre fûts non cerclés et peints d’emblèmes qui ont leur importance, pieds d’un lit ou d’un catafalque dont je n’ai vu ni le dais ni le toit, non plus que les visages voilés par l’araignée tisseuse de l’ombre barbe des visières.

(Devant le premier héraut.)

Avant la fuite irréconciliable, voir quelles sont les faces.

(Devant le second.)

Comme on se penche sur un puits.

(Devant le troisième.)

Les enluminures des missels aux niches fermées des quatre pierres du dolmen.

(Devant le quatrième.)

Comme on regarde dans une cloche.

(Il n’ose et passe.)


Scène IV

De vair aux Quatre Hérauts en pals et César-Antechrist en chef.

(À chaque mouvement des Hérauts porteurs des torches-tulipes bleues, le fond de vair déplacé, glace qui craque, se disloque et choque en arpèges de cloches. Fasce quittant l’auvent dont il est pilier dégaine de sa ceinture un long droit buccin étalon de la trompe finale.)

La Trompette. — Miroir terrestre et limité, anneau fermé de vil sphincter, la terre souillera l’œil bolide du caméléon bercé. Les deux globes réfléchiront leurs deux pupilles comme deux yeux. Tout homme ou tout Dieu né s’incarne au caméléon pétri et peint d’autorité blasphématoire. Dors pour te réveiller au soleil miroir de la terre noire, César.

(Fasce s’agenouille. Les Trois Hérauts s’agenouillent et déposent à terre derrière eux l’écu pentagonal de César Antechrist couché. Tous se relèvent sauf Fasce.)


Scène V

De vair à Fasce agenouillé, les Trois Hérauts en pals et César Antechrist en fasce abaissée.

Pairle. — Face à face au miroir convexe de la terre, l’Antechrist lui deviendra semblable d’âme et de corps.

Trescheur. — Comme le Christ qui vint victime sur la terre, le Dieu deviendra homme et comme un homme sera bourreau.

Chef. — Donc il ne viendra point Contre-le-Christ, mais En-Son-Lieu.

Pairle. — Nous ne serons ses satellites qu’après la fin de sa vie terrestre.

Trescheur. — Je sens une mort, sommeil spécial, qui nous figera jusqu’à cette heure-là dans le moule de cristal du ciel.

Chef. — Je sens un vent germé de la terre, nouveau déluge, irrespirable pour un temps pour nous, et qui chasse les bêtes du monde héraldique.

Pairle. — Endormons-nous au glas de nos torches de vair.

Trescheur. — Entendons-les, car nous n’entendrons pu les cors de la chasse du nouveau roi.

Chef. — Devant le nouveau Dieu se rétracte la Licorne rouge.

(Cloches. La Licorne passe. Cors.)

Pairle. — Face à face au miroir convexe de la terre, l’Antéchrist lui deviendra semblable d’âme et de corps.

(Les Trois Hérauts se vitrifient céramiques. Les torches flambent, les cloches cessent.)

Scène VI

De même aux Mêmes et à un Templier de gueules à la croix d’argent, et au Bâton-à-Physique, pal ou fasce de gueules, roulant sur ses extrémités.

Le Templier. — Phallus déraciné, ne fais pas de pareils bonds !

Fasce. — Pal ou fasce, reflet de mon maître, en toi je me remire en mon reflet.

Le Templier. — Tu es une roue dont la substance seule subsiste, le diamètre du cercle sans circonférence créant un plan par sa rotation autour de son point médian.

Fasce. — Tu es la roue, tu es l’œil, demi-Saint-Esprit, Éternel.

Le Templier. — La substance de ton diamètre est un point. La ligne et son envergure sont dans mes yeux, clignant devant les rayures d’or et vertes d’un bec de gaz palloïde.

Fasce. — Squelette, en tes culbutes d’ara, tu es le Christ ou Saint Pierre.

Le Templier. — Le cycle est un pléonasme : une roue et la superfétation du parallélisme prolongé des manivelles. Le cercle, fini, se désuète. La ligne droite infinie dans les deux sens lui succède. Ne fais pas de pareils bonds, demi-cubiste sur l’un et l’autre pôle de ton axe ou de ton soi !

Fasce. — MOINS-EN-PLUS, tu es le hibou, le sexe et l’Esprit, l’homme et la femme.

Le Templier. — Le cavalier t’étreint (suspendu, s’il le désire, à la Cardan entre tes côtes — laissons le disque quelques siècles encore aux accessoires et à l’homme) et tu poursuis la succession de tes équilibres momentanés, dans le sens du mouvement (si le spectateur est à ta droite, et encore ta droite est ta gauche dans la seconde moitié de ta course latérale) des aiguilles d’une montre.

Fasce. — Phallus perpendiculaire au sourire de l’Ithyphalle en ta latéralité.

Le Templier. — Tu concilies le discontinu de la marche et le continu de la rotation astrale.

Fasce. — Zénith et Nadir, pôle et pôle, pal des pôles, rose des quatre vents.

Le Templier. — À chaque quart de chacune de tes révolutions (qu’on la mesure d’où l’on voudra), tu fais une croix avec toi-même. Tu et saint, tu es l’emblème bourgeon de la génération, (si cela était, pourtant, tu serais maudit, bourgeois), mais de la génération spontanée, vibrion et volvoce, dont les images gyroscoposuccessives révèlent à nos yeux, hélas trop purs, ta scissiparité, et qui projettes loin des sexes terrestres le riz cérébral de ton sperme nacré jusqu’à la traîne où les haies d’indépendantes pincettes des chinois Gastronomes illustrent la Vierge lactée.

Fasce. — Axiome et principe des contraires identiques, le pataphysicien, cramponné à tes oreilles et à tes ailes rétractiles, poisson volant, est le nain cimier du géant, par delà les métaphysiques ; il est par toi l’Antechrist et Dieu aussi, cheval de l’Esprit, Moins-en-Plus, Moins-qui-es-Plus, cinématique du zéro restée dans les yeux, polyédrique infini.

Générateur jadis, tu es pour moi le glaive ; crochet de vipère, tu sèmes et brûles ; pal enflammé, tu souffles le feu.

Tu es le hibou, le sexe et l’Esprit, hermaphrodite, tu crées et détruis.

Rebondis sur les pôles, globe égal à la terre que tu pourrais forcer aux abîmes, et avant de disparaître bénis-moi de ta bave suprême, PLUS-EN-MOINS.


Scène VII

De même aux Mêmes moins le Bâton-à-Physique.

Le Templier. — Délégué terrestre du Christ, je viens à toi humble avec des paroles d’amour et mon épée dans le fourreau, symbole d’une union précise et immuable.

Fasce. — Quel besoin as-tu de moi ? Car je parle au nom du dédain de mon maître endormi. Je me vois dans le miroir de ton sexe poli, tu n’es que moi-même avec quelque chose en plus — si l’on ne me considère passant. Messager du Dieu de l’amour, Christophore, tu contrepales de ton lingam hideux l’horizontalité de mon être, plus infinie, car non divisée elle n’a point de mesure. Et souvent (il n’est point besoin d’invoquer l’identité des contraires) la surabondance est un manque. Tu n’as point compris ton maître, qui a dit : on donnera à ceux qui ont, affirmant la divergence des deux signes, et en même temps que l’un surajouté à lui même s’annule, puis devient son contraire. Déjà le bégaiement des géomètres a déchiffré que multipliés par nous-mêmes l’un ou l’autre, valets, masques ou armes de nos maîtres, nous devenons ton Christ, l’un par l’autre nous devenons mon César.

(Le Templier tire son épée. Fasce se lève. Près de lui :)

Le signe Plus ne combattra point contre le signe Moins. Comme de toute lutte, l’issue possible ne serait que l’anéantissement — car chaque adversaire est l’Infini — de l’un et l’autre principe, — ou leur réconciliation. De l’accouplement monstrueux ou de la fécondation par le fleuve de la semence ovale éclora le zéro. De l’anéantissement d’un des signes naîtra le déséquilibre : la droite cherchera la gauche, et l’homme fendu longitudinalement sautera sur une seule jambe et l’on verra trembler des quarts de croissants, comme des glottes semi-muettes, dans ses intestins pareils à des serpents non retournés dont on aurait mangé la moitié dans un plat rouge.

Attends avec patience la fin de ma faction près du palais de l’Antechrist. La vingt-cinquième heure sidérale de mes veilles et la première de

mon sommeil est la première de ta surgissante

dignité. Quand on Le couchera sur une broche — pour un temps — au feu de l’enfer soi-disant éternel, et qui n’est pas éternel, en soi, mais sert de repos, cahute de douanier, au Dieu qui attend son heure, ton Christ se lèvera et plantera, lit de camp debout, son signe sur le triangle noir du cercueil momentané de César, le nom de Lucifer le grand-vizir rentrera dans la nuit où l’on met en réserve, et les deux sommets de la claire trinité se joindront en l’Esprit-Saint.

Le Templier. — Frère, je vais changer d’être, car le signe seul existe (il brise la hampe de sa croix) provisoire… le repos est le changement.


Scène VIII

De pourpre à deux fasces d’argent, un chef (contrepalé) et un pairle d’or, trescheur d’or et argent, et à une face abaissée d’or.

César Antechrist. — À mesure qu’avec la lumière se précise le sol terrestre, la matière crasse envahit la subtile, et les formes, seules réelles idées, meurent, naissent ou changent, et tout cela est la même chose. Malheur ou heur, incertitude ou plutôt indifférence, à cause du son des trois trompes des trois hérauts qui n’ont point encore sonné.

(Derrière les Trois Hérauts, il n’en voit que les silhouettes rases.)

Le roi futur…

(La lumière se fait plus solaire.)


Scène IX

De gueules à deux fasces d’argent, un chef contrepalé et un pairle d’or, trescheur d’or à huit feuilles d’argent ; — couché d’argent et de sable ; d’argent à une fasce de carnation et une sphère de sable, — et de sable à trois sphères d’argent chargées : en premier d’un gironde gueules, en second d’une pile de sinople, en tiers de six cotices ensemble d’azur.

(Au premier plan, Ubu, puis les trois palotins semblables à des sphères grossissantes, germent.)

Ubu. — Cornegidouille, Messieurs, je crois que voici ce qu’il faut demander : qui sera Roi ?

(Au soleil levant les trois écus de Chef, Trescheur, Pairle, luisent, écrivant : T. O. Y.)

(Cloche.)

Ubu. — Semblable à un œuf, une citrouille ou un fulgurant météore, je roule sur cette terre où je ferai ce qu’il me plaira. — D’où naissent ces trois animaux (Apparaissent Giron, Pile et Cotice) aux oreilles imperturbablement dirigées vers le nord et leurs nez vierges semblables à des trompes qui n’ont point encore sonné ?


Scène X

De sable aux Trois Palotins d’argent.

Giron. — Hon ! Monsieuye, nous sommes les seuls

Pile. — Parfaits pour qui veut que sa volonté s’érige loi souveraine, les Palotins, qui sont

Cotice. — Mécaniques et pourtant ne se remontent que par le repos, comme

Giron. — Des êtres animés, dans d’ophidiennes caisses en fer-blanc, dominicalement

Pile. — Ouvertes. Et ils ont

Cotice. — Une voionté propre, parallèle plus loin prolongée

Giron. — De la Volonté de leur maître. Ils ont

Pile. — Au moins quatre oneilles, sur lesquelles le pôle

Cotice. — Exerce diverses influences

Giron. — De déclinaison, et autant d’inclinaison. Ils n’ont

Pile. — Que de petits ailerons, et de grands

Cotice. — Pieds plats sonores.


Scène XI

D’or à un Centaure passant de sable.

Scène XII

De sable à un Roi d’or.

Le Roi. — Par la côte interminable et les grises obscurités des voûtes d’églises, après avoir sauté les ruisseaux où poussent les iris des pêcheurs et fui l’œil d’opale des poissons cuirassés, j’ai vu parmi la foule processionnelle le balancement des deux pattes ou des deux bras de dinotherium du Centaure. L’insecte hexapode à tête d’Adam s’est effacé pour me laisser passer aux grilles, et par les fidèles des bas-côtés il a conversé, tendant la gorge et draguant de ses griffes. Chaque demi-douzaine des piliers a tremblé et sonné devant sa sœur qui marchait, et les chevaux caparaçonnés ont avancé sans ruer comme des poulains cravachés par les troncs d’arbres. Je cherche en haut la tête d’Adam et je ne frapperai point Goliath. Les ondes du nombril de la terre répètent à son cerveau les pas derniers du Centaure.

(Il marche.)

ENTR’ACTE
Les baleines paraissent à la surface de la mer.
L'ACTE TERRESTRE
UBU ROI
Personnages :

Le Roi Venceslas

La Reine Rosemonde

Boleslas

Ladislas

Bougrelas

leurs fils

Le Général Lascy

Stanislas Leczinsky

Jean Sobiesky

Nicolas Rensky

L’Empereur Alexis

Ubu

Mère Ubu

Giron

Pile

Cotice

Bordure

Conjurés et Soldats

Nobles

Magistrats

Conseillers

Financiers

Larbins de Phynances

Paysans

Toute l’Armée Russe

Toute l’Armée Polonaise

L’Ours

Le Cheval à Phynance

La Machine à Décerveler

Acte III

Scène I

Une salle du Palais à Varsovie.
Le Roi Venceslas, entouré de ses officiers ; Bordure ; les fils du roi, Boleslas, Ladislas et Bougrelas. Puis Ubu.

Ubu, entrant. — Ô vous savez, ce n’est pas moi, c’est la Mère Ubu et Bordure.

Le Roi. — Qu’as-tu, Père Ubu ?

Bordure. — Il a trop bu.

Le Roi. — Comme moi ce matin.

Ubu. — Oui, je suis saoul, c’est parce que j’ai bu trop de vin de France.

Le Roi. — Père Ubu, je tiens à récompenser tes nombreux services comme capitaine de dragons et je te fais aujourd’hui Comte de Sandomir.

Ubu. — Ô monsieur Venceslas, je ne sais comment vous remercier.

Le Roi. — Ne me remercie pas, père Ubu, et trouve-toi demain matin à la grande revue.

Ubu. — J’y serai, mais acceptez de grâce ce petit mirliton.

(Il présente au roi un mirliton.)

Le Roi. — Que veux-tu à mon âge que je fasse d’un mirliton ? Je le donnerai à Bougrelas.

Le Jeune Bougrelas. — Est-il bête ce Père Ubu !

Ubu. — Et maintenant, je vais foutre le camp. (Il tombe en se retournant.) Oh aie au secours ! — De par ma chandelle verte je me suis rompu l’intestin et crevé la bouzine !

Le Roi (le relevant). — Père Ubu, vous êtes-vous fait mal ?

Ubu. — Oui, certes, et je vais sûrement crever. Que deviendra la mère Ubu ?

Le Roi. — Nous pourvoirons à son entretien.

Ubu. — Vous avez bien de la bonté de reste. (Il sort.) Oui, mais, roi Venceslas, tu n’en seras pas moins massacré.


Scène II

La maison d’Ubu.
Giron, Pile, Cotice, Ubu, Mère Ubu, Conjurés et Soldats, Bordure.

Ubu. — Eh mes bons amis, il est grand temps d’arrêter le plan de la conspiration. Que chacun donne son avis. Je vais d’abord donner le mien si vous le permettez.

Bordure. — Parlez, Père Ubu.

Ubu. — Eh bien mes amis, je suis d’avis d’empoisonner simplement le Roi en lui fourrant de l’arsenic dans son déjeuner. Quand il voudra le brouter il tombera mort et ainsi je serai Roi.

Tous. — Fi le Sagouin !

Ubu. — Eh quoi, cela ne vous plaît pas ? Alors que Bordure donne son avis.

Bordure. — Moi, je suis d’avis de lui ficher un grand coup d’épée qui le fendra de la tête à la ceinture.

Tous. — Oui ! Voilà qui est noble et vaillant.

Ubu. — Et s’il vous donne des coups de pied ? Je me rappelle maintenant qu’il a pour les revues des souliers de fer qui font très mal. Si je savais je filerais vous dénoncer pour me tirer de cette sale affaire et je pense qu’il me donnerait aussi de la monnaie.

Mère Ubu. — Ô le traître, le lâche, le vilain et plat ladre !

Tous. — Conspuez le Père Ubu !

Ubu. — Hé Messieurs, tenez-vous tranquilles si vous ne voulez visiter mes poches. Enfin, je consens à m’exposer pour vous. De la sorte, Bordure, tu te charges de pourfendre le Roi.

Bordure. — Ne vaudrait-il pas mieux nous jeter tous à la fois sur lui en braillant et gueulant, nous aurions chance ainsi d’entraîner les troupes.

Ubu. — Alors voilà. Je tâcherai de lui marcher sur les pieds, il regimbera, alors je lui dirai MERDRE, et à ce signal vous vous jetterez sur lui.

Mère Ubu. — Oui, et dès qu’il sera mort tu prendras son sceptre et sa couronne.

Bordure. — Et je courrai avec mes hommes à la poursuite de la famille royale.

Ubu. — Oui, et je te recommande spécialement le jeune Bougrelas.

(Exeunt.)

Ubu (courant après et les faisant revenir.) — Messieurs, nous avons oublié une cérémonie indispensable, il faut jurer de nous escrimer vaillamment.

Bordure. — Et comment faire ? Nous n’avons pas de prêtre.

Ubu. — La mère Ubu va en tenir lieu.

Tous. — Eh bien, soit.

Ubu. — Ainsi vous jurez de bien tuer le Roi ?

Tous. — Oui, nous le jurons. Vive le Père Ubu !


Scène III

Le palais du roi.
Venceslas, La reine Rosemonde, Boleslas, Ladislas et Bougrelas.

Le Roi. — Monsieur Bougrelas, vous avez été ce matin fort impertinent avec M. Ubu, chevalier de mes ordres et comte de Sandomir. C’est pourquoi je vous défends de paraître à ma revue.

La Reine. — Cependant, Venceslas, vous n’auriez pas trop de toute votre famille pour vous défendre.

Le Roi. — Madame, je ne reviens jamais sur ce que j’ai dit. Vous me fatiguez avec vos sornettes.

Le Jeune Bougrelas. — Je me soumets, monsieur mon père.

La Reine. — Enfin, Sire, êtes-vous toujours décidé à aller à cette revue ?

Le Roi. — Pourquoi non, Madame ?

La Reine. — Mais encore une fois ne l’ai-je pas vu en songe vous frappant de sa masse d’armes et vous jetant dans la Vistule, et un aigle comme celui qui figure dans les armes de Pologne lui plaçant la couronne sur la tête ?

Le Roi. — À qui ?

La Reine. — Au Père Ubu.

Le Roi. — Quelle folie ! Monsieur de Ubu est un fort bo gentilhomme, qui se ferait tirer à quatre chevaux pour mon service.

La Reine et Bougrelas. — Quelle erreur !

Le Roi. — Taisez-vous, jeune sagouin. Et vous, Madame, pour vous prouver combien je crains peu Monsieur Ubu, je vais aller à la revue comme je suis, sans arme et sans épée.

La Reine. — Fatale imprudence, je ne vous reverrai pas vivant.

Le Roi. — Venez Ladislas, venez Boleslas.

(Ils sortent. La Reine et Bougrelas vont à la fenêtre.)

La Reine et Bougrelas. — Que Dieu et le grand Saint Nicolas vous gardent !

La Reine. — Bougrelas, venez dans la chapelle avec moi prier pour votre père et vos frères.


Scène IV

Le champ des revues.
L’Armée Polonaise, Le Roi, Boleslas, Ladislas, Ubu, Bordure et ses Hommes, Giron, Pile, Cotice.

Le Roi. — Noble Père Ubu, venez près de moi avec votre suite pour inspecter les troupes.

Ubu (aux siens). — Attention, vous autres ! (Au roi.) On y va, Monsieur, on y va. (Les hommes d’Ubu entourent le Roi.)

Le Roi. — Ah ! voici le régiment des gardes à cheval de Dantzick. Ils sont fort beaux, ma foi.

Ubu. — Vous trouvez ? Ils me paraissent misérables. Regardez celui-ci. (Au soldat.) Depuis combien de temps ne t’es-tu débarbouillé, ignoble drôle ?

Le Roi. — Mais ce soldat est fort propre. Qu’avez-vous donc, Père Ubu ?

Ubu. — Voilà ! (Il lui écrase le pied.)

Le Roi. — Misérable !

Ubu. — MERDRE ! À moi mes hommes !

Bordure. — Hurrah ! en avant ! (Tous frappent le Roi, un Palotin explose.)

Le Roi. — Oh ! Au secours ! Sainte Vierge, je suis mort.

Boleslas (à Ladislas). — Qu’est cela ? Dégainons.

Ubu. — Ah ! j’ai la couronne ! aux autres maintenant !

Bordure. — Sus aux traîtres !! (Les fils du Roi s’enfuient, tous les poursuivent.)


Scène V

Le Palais du Roi.
Ubu, Mère Ubu, Bordure.

Ubu. — Non, je ne veux pas, moi ! Voulez-vous me ruiner pour ces bouffres ?

Bordure. — Mais enfin, Père Ubu, ne

voyez-vous pas que le peuple attend le don de joyeux avènement ?

Mère Ubu. — Si tu ne fais pas distribuer des viandes et de l’or, tu seras renversé d’ici deux heures.

Ubu. — Des viandes, oui ! de l’or, non ! Abattez trois vieux chevaux, c’est bien bon pour de tels sagouins.

Mère Ubu. — Sagouin toi-même. Qui m’a bâti un animal de cette sorte ?

Ubu. — Encore une fois je veux m’enrichir, je ne lâcherai pas un sou.

Mère Ubu. — Quand on a entre les mains tous les trésors de la Pologne.

Bordure. — Oui, tenez, je sais qu’il y a dans la chapelle un immense trésor, nous le distribuerons.

Ubu. — Misérable ! Si tu fais ça.

Bordure. — Mais, Père Ubu, si tu ne fais pas de distributions, le peuple ne voudra pas payer les impôts.

Ubu. — Est-ce bien vrai ?

Mère Ubu. — Oui, oui !

Ubu. — Oh ! alors je consens à tout. Réunissez trois millions, cuisez cent cinquante bœufs et moutons, d’autant plus que j’en aurai aussi !

(Ils sortent.)


Scène VI

Le palais.

Ubu. — Je m’étais dit, quand je serais roi. que je me ferais construire une grande capeline comme celle que j’avais en Aragon et que ces coquins d’Espagnols m’ont impudemment volée.

Mère Ubu. — Tu pourras aussi te procurer un parapluie et un grand caban qui te tombera sur les talons.

Ubu. — De par ma chandelle verte, Madame, me voici roi dans ce pays. Je me suis déjà flanqué une indigestion et on va m’apporter ma grande capeline.

Mère Ubu. — En quoi est-elle, Père Ubu, car nous avons beau être rois, il faut être économes.

Ubu. — Madame ma femelle, elle est en peau de mouton avec une agrafe et des brides en peau de chien.

Mère Ubu. — Voilà qui est beau, mais il est encore plus beau d’être Rois. Nous avons une grande reconnaissance au duc de Lithuanie.

Ubu. — Qui donc ?

Mère Ubu. — Eh ! le capitaine Bordure.

Ubu. — De grâce, Mère Ubu, ne me parle pas de ce bouffre, maintenant que je n’ai plus besoin de lui il peut bien se brosser le ventre, il n’aura point son duché.

Mère Ubu. — Tu as grand tort, père Ubu. Il va se tourner contre toi.

Ubu. — Oh ! je le plains bien, ce petit homme. Je m’en soucie autant que de Bougrelas.

Mère Ubu. — Le jeune Bougrelas a pour lui le bon droit.

Ubu. — Le mauvais droit ne vaut-il pas le bon ? Ah ! tu m’injuries, Mère Ubu, je vais te mettre en morceaux.

(La Mère Ubu se sauve poursuivie par Ubu.)


Scène VII

La grande salle du Palais
Ubu, Mère Ubu, Officiers et Soldats, Giron, Pile, Cotice, Nobles enchaînés, Financiers, Magistrats, Greffiers. Dans le sous-sol La Machine à Décerveler.

Bruit souterrain. — Pétrissant les glottes et les larynx de la mâchoire sans palais,

Rapide, il imprime, l’imprimeur.

Les sequins tremblent aux essieux des moyeux du moulin à vent,

Les feuilles vont te long des taquins au vent.

La mâchoire du crâne sans cervelle digère la cervelle étrangère

Le dimanche sur un tertre au son des fifres et tambourins

Ou les jours extraordinaires dans les sous-sols des palais sans fin.

Dépliant et expliquant, décerveleur,

Rapide il imprime, il imprime, l’imprimeur.

Ubu. — Apportez la caisse à Nobles et le crochet à Nobles et le couteau à Nobles et le bouquin à Nobles ! ensuite faites avancer les Nobles.

(On pousse brutalement les Nobles.)

Mère Ubu. — De grâce, modère-toi, Père Ubu.

Ubu. — J’ai l’honneur de vous annoncer que pour enrichir le royaume je vais faire périr tous les Nobles et prendre leurs biens.

Nobles. — Horreur ! À nous, peuple et soldats !

Ubu. — Amenez le premier Noble et passez-moi le crochet à Nobles. Ceux qui seront condamnés à mort, je les passerai dans la trappe, ils tomberont dans les sous-sols du Pince-Porc et de la Chambre à Sous, où l’imprimeur les décervelera. — (Au Noble.) Qui es-tu, bouffre ?

Le Noble. — Comte de Vitepsk.

Ubu. — De combien sont tes revenus ?

Le Noble. — Trois millions de rixdales.

Ubu. — Condamné ! (Il le prend avec le crochet et le passe dans le trou.)

Mère Ubu. — Quelle basse férocité !

Ubu. — Second Noble, qui es-tu ? (Le Noble ne répond rien.) Répondras-tu, bouffre ?

Le Noble. — Grand-duc de Posen.

Ubu. — Excellent, excellent ! Je n’en demande pas plus long. Dans la trappe. Troisième Noble, qui es-tu ? tu as une sale tête.

Le Noble. — Duc de Courlande, des villes de Riga, de Revel et de Mitau.

Ubu. — Très bien ! très bien ! Tu n’as rien autre chose ?

Le Noble. — Rien.

Ubu. — Dans la trappe, alors. Quatrième Noble, qui es-tu ?

Le Noble. — Prince de Podolie.

Ubu. — Quels sont tes revenus ?

Le Noble. — Je suis ruiné.

Ubu. — Pour cette mauvaise parole, passe dans la trappe. Cinquième Noble, qui es-tu ?

Le Noble. — Margrave de Thorn, palatin de Polock.

Ubu. — Ça n’est pas lourd. Tu n’as rien autre chose ?

Le Noble. — Cela me suffisait.

Ubu. — Eh bien, mieux vaut peu que rien. — Dans la trappe. — Qu’as-tu à pigner, Mère Ubu ?

Mère Ubu. — Tu es trop féroce, Père Ubu.

Ubu. — Eh ! je m’enrichis. — Je vais faire lire MA liste de MES biens. Greffier, lisez MA liste de MES biens.

Le Greffier. — Comté de Sandomir.

Ubu. — Commence par les principautés, stupide bougre !

Le Greffier. — Principauté de Podolie, Grand-duché de Posen, Duché de Courlande, Comté de Sandomir, Comté de Vitepsk, Palatinat de Polock, Margraviat de Thorn.

Ubu. — Et puis après ?

Le Greffier. — C’est tout.

Ubu. — Comment, c’est tout ! Oh ! bien alors, en avant les Nobles, et comme je ne finirai pas de m’enrichir, je vais faire exécuter tous les Nobles et ainsi j’aurai tous les biens vacants. Allez, passez les Nobles dans la trappe. (On empile les Nobles dans la trappe.) Dépêchez-vous plus vite, je veux faire des lois maintenant.

Plusieurs. — On va voir ça.

Ubu. — Je vais d’abord réformer la justice, après quoi nous procéderons aux finances.

Plusieurs Magistrats. — Nous nous opposons à tout changement.

Ubu. — Merdre ! D’abord les magistrats ne seront plus payés.

Magistrats. — Et de quoi vivrons-nous ? Nous sommes pauvres.

Ubu. — Vous aurez les amendes que vous prononcerez et les biens des condamnés à mort.

Un Magistrat. — Horreur ! — 2e Infamie ! — 3e Scandale ! — 4e Indignité !

Tous. — Nous nous refusons à juger dans des conditions pareilles.

Ubu. — À la trappe, les magistrats ! (Ils se débattent en vain.)

Mère Ubu. — Eh ! que fais-tu, Père Ubu ? Qui rendra maintenant la justice ?

Ubu. — Tiens ! moi. Tu verras comme ça marchera bien.

Mère Ubu. — Oui, ce sera du propre.

Ubu. — Allons, tais-toi, bouffresque ! — Nous allons maintenant, Messieurs, procéder aux Finances.

Financiers. — Il n’y a rien à changer.

Ubu. — Comment, je veux tout changer, moi. D’abord, je veux garder pour moi la moitié des impôts.

Financiers. — Pas gêné !

Ubu. — Messieurs, nous établirons un impôt de 10% sur la propriété, un autre sur le commerce et l’industrie, et un troisième sur les mariages et un quatrième sur les décès, de quinze francs chacun.

1er Financier. — Mais c’est idiot, Père Ubu.

2e Financier. — C’est absurde.

3e Financier. — Ça n’a ni queue ni tête.

Ubu. — Vous vous fichez de moi ! Dans la trappe, les financiers ! (On enfourne les financiers.)

Mère Ubu. — Mais enfin, Père Ubu, quel roi tu fais, tu massacres tout le monde.

Ubu. — Eh merdre !

Mère Ubu. — Plus de justice, plus de finances.

Ubu. — Ne crains rien, ma douce enfant, j’irai moi-même de village en village recueillir les impôts.


Scène VIII

Une maison de paysans dans les environs de Varsovie.
Plusieurs Paysans sont assemblés.

Un Paysan, entrant. — Apprenez la grande nouvelle. Le Roi est mort, les Ducs aussi et le jeune Bougrelas s’est sauvé avec sa mère dans les montagnes. De plus, le Père Ubu s’est emparé du trône.

Un Autre. — J’en sais bien d’autres. Je viens de Cracovie, où j’ai vu emporter les corps de plus de trois cents nobles et de cinq cents magistrats qu’on a tués, et il paraît qu’on va doubler les impôts et que le Père Ubu viendra les ramasser lui-même.

Tous. — Grand Dieu ! qu’allons-nous devenir ? Le Père Ubu est un affreux sagouin et sa famille est, dit-on, abominable.

Un Paysan. — Mais écoutez : ne dirait-on pas qu’on frappe à la porte ?

Une Voix, au dehors. — Cornegidouille ! Ouvrez de par ma merdre, par Saint Jean, Saint Pierre et Saint Nicolas, ouvrez, sabre à finances, corne finances, je viens chercher les impôts ! (La porte est défoncée, Ubu pénètre suivi d’une légion de grippe-sous.)

Ubu. — Qui de vous est le plus vieux ? (Un paysan s’avance.) Comment te nommes-tu ?

Le Paysan. — Stanislas Leczinski.

Ubu. — Eh bien, cornegidouille, écoute-moi bien, sinon ces messieurs te couperont les oneilles. Je viens te dire, t’ordonner et te signifier que tu aies à produire et exhiber promptement ta finance, sinon tu seras massacré. Allons, messeigneurs les salopins de finance, roulez ici le voiturin à finances. (On apporte le voiturin.)

Stanislas. — Sire, nous ne sommes inscrits sur le registre que pour 152 rixdales que nous avons déjà payées, il y aura tantôt six semaines à la Saint-Mathieu.

Ubu. — C’est fort possible, mais j’ai changé le gouvernement et j’ai fait mettre dans le journal qu’on paierait deux fois tous les impôts et trois fois ceux qui pourront être désignés ultérieurement. Avec ce système j’aurai vite fait fortune, alors je tuerai tout le monde et je m’en irai.

Paysans. — Monsieur Ubu, de grâce ayez pitié de nous. Nous sommes de pauvres citoyens.

Ubu. — Je m’en fiche. Payez.

Paysans. — Nous ne pouvons, nous avons payé.

Ubu. — Payez ! ou ji vous mets dans ma poche avec supplice de décollation du cou et de la tête ! Cornegidouille, je suis le Roi peut-être !

Tous. — Ah c’est ainsi ! Aux armes ! Vive Bougrelas, par la grâce de Dieu roi de Pologne et de Lithuanie !

Ubu. — En avant, Messieurs des Finances, faites votre devoir.

(Une lutte s’engage, la maison est détruite et le vieux Stanislas s’enfuit seul à travers la plaine. Ubu reste à ramasser la finance.)


Scène IX

Une casemate des fortifications de Thorn.
Bordure enchaîné. Ubu.

Ubu. — Ah ! citoyen, voilà ce que c’est, tu as voulu que je te paye ce que je te devais, alors tu t’es révolté parce que je n’ai pas voulu, tu as conspiré et te voilà coffré. Corne finance, c’est bien fait et le tour est si bien joué que tu dois toi-même le trouver fort à ton goût.

Bordure. — Prenez garde, Père Ubu. Depuis cinq jours que vous êtes roi, vous avez commis plus de meurtres qu’il n’en faudrait pour damner tous les saints du Paradis. Le sang du Roi et des Nobles crie vengeance et ces cris seront entendus.

Ubu. — Eh, mon bel ami, vous avez la langue fort bien pendue. Je ne doute pas que si vous échappiez, il en pourrait résulter des complications, mais je ne crois pas que les casemates de Thorn aient jamais lâché quelqu’un des honnêtes garçons qu’on leur avait confiés. C’est pourquoi bonne nuit et je vous invite à dormir sur les deux oneilles, bien que les rats dansent ici une assez belle sarabande.

(Il sort. Les Larbins viennent verrouiller toutes les portes.)


Scène X

Le Palais de Moscou.
L’Empereur Alexis et Sa Cour. Bordure.

Le Czar Alexis. — C’est vous, infâme aventurier, qui avez coopéré à la mort de notre cousin Venceslas ?

Bordure. — Sire, pardonnez-moi ; j’ai été entraîné malgré moi par le Père Ubu.

Alexis. — Ô l’affreux menteur ! Enfin que désirez-vous ?

Bordure. — Le Père Ubu m’a fait emprisonner sous prétexte de conspiration, je suis parvenu à m’échapper et j’ai couru cinq jours et cinq nuits à cheval à travers les steppes pour venir implorer votre gracieuse miséricorde.

Alexis. — Que m’apportes-tu comme gage de ta soumission ?

Bordure. — Mon épée d’aventurier et un plan détaillé de la ville de Thorn.

Alexis. — Je prends l’épée, mais par Saint Georges brûlez ce plan, je ne veux pas devoir ma victoire à une trahison.

Bordure. — Un des fils de Venceslas, le jeune Bougrelas, est encore vivant, je ferai tout pour le rétablir.

Alexis. — Quel grade avais-tu dans l’armée polonaise ?

Bordure. — Je commandais le 5e régiment des dragons de Wilna et une compagnie franche au service du Père Ubu.

Alexis. — C’est bien, je te nomme sous-lieutenant au 10e régiment de Cosaques et gare à toi si tu trahis. Si tu te bats bien tu seras récompensé.

Bordure. — Ce n’est pas le courage qui me manque, Sire.

Alexis. — C’est bien, disparais de ma présence.

(Il sort.)


Scène XI

La salle du Conseil d’Ubu.
Ubu, Mère Ubu, Conseillers de Phynances.

Ubu. — Messieurs, la séance est ouverte et tâchez de bien écouter et de vous tenir tranquilles. D’abord, nous allons faire le chapitre des finances, ensuite nous parlerons d’un petit système que j’ai imaginé pour faire venir le beau temps et conjurer la pluie.

Un Conseiller. — Fort bien, Monsieur Ubu.

Mère Ubu. — Quel sot homme !

Ubu. — Madame de ma merdre, garde à vous, car je ne souffrirai pas vos sottises. Je vous disais donc, Messieurs, que les finances vont passablement. Un nombre considérable de chiens à bas de laine se répard chaque matin dans les rues et les Salopins fom merveille. De tous côtés on ne voit que des matons brûlées et des gens pliant sous le poids de nos phynances.

Le Conseiller. — Et les nouveaux impôts, Monsieur Ubu, vont-ils bien ?

Mère Ubu. — Point du tout. L’impôt sur les mariages n’a encore produit que 11 sous, et encore le Père Ubu poursuit les gens partout pour les forcer à se marier.

Ubu. — Sabre à finances, Corne de ma gidouille, Madame la financière. — (Un Messager entre.)

Allons bon, qu’a-t —il encore celui-là ? Va-t’en, sagouin, ou je te poche avec décollation et torsion des jambes.

Mère Ubu. — Ah ! le voilà dehors, mais il y a une lettre.

Ubu. — Lis-la. Je crois que je perds l’esprit ou que je ne sais pas lire. Dépêche-toi, bouffresque, ce doit être de Bordure.

Mère Ubu. — Tout justement. Il dit que le Czar l’a accueilli très bien, qu’il va envahir tes États pour rétablir Bougrelas et que toi tu seras tué.

Ubu. — Ho ! Ho ! J’ai peur ! Jai peur ! Ha ! je pense mourir. Ô pauvre homme que je suis ! Que devenir, grand Dieu ? Ce méchant homme va me tuer. Saint Antoine et tous les Saints, protégez-moi, je vous donnerai de la phynance et je brûlerai des cierges pour vous. Je suis tout disposé à devenir un saint homme, je veux être évêque et voir mon nom sur le calendrier.

Mère Ubu. — Il n’y a qu’un parti à prendre, Père Ubu.

Ubu. — Lequel, mon amour ?

Mère Ubu. — La guerre !!

Tous. — Vive Dieu ! Voilà qui est noble !

Ubu. — Oui, et je recevrai encore des coups.

Premier Conseiller. — Courons, courons organiser l’armée.

Deuxième. — Et réunir les vivres.

Troisième. — Et préparer l’artillerie et les forteresses.

Quatrième. — Et prendre l’argent pour les troupes.

Ubu. — Ah ! non, par exemple ! Je vais te tuer toi, je ne veux pas donner d’argent. En voilà d’une autre ! J’étais payé pour faire la guerre et maintenant il faut la faire à mes dépens. Non, de par ma chandelle verte, faisons la guerre, puisque vous en êtes enragés, mais ne déboursons pas un sou.

Tous. — Vive la guerre !


Scène XII

Le Camp sous Varsovie.

Soldats et Palotins. — Vive la Pologne ! Vive le Père Ubu !

Ubu. — Ah ! Mère Ubu, donne-moi ma cuirasse et mon petit bout de bois. — Je vais être bientôt tellement chargé que je ne saurais marcher si j’étais poursuivi.

Mère Ubu. — Fi le lâche !

Ubu. — Ah ! voilà le sabre à merdre qui se sauve et le croc à finances qui ne tient pas !!! n’en finirai jamais et les Russes avancent et vont me tuer.

Un Soldat. — Seigneur Ubu, voilà le ciseau à oneilles qui tombe.

Ubu. — Ji tou tue au moyen du croc à merdre et du couteau à figure.

Mère Ubu. — Comme il est beau avec son casque et sa cuirasse, on dirait une citrouille armée.

Ubu. — Nos Palotins sont aussi d’une grande importance, mais point si beaux que quand j’étais roi d’Aragon. Pareils à des écorchés ou au schéma du sang veineux et du sang artériel, la bile financière leur sortait par des trous et rampait en varicocèles d’or ou de cuivre. Ils étaient numérotés aussi et je les menais combattre avec un licou d’où pendaient des plombs funéraires. Les femmes avortaient devant eux heureuses, car les enfants nés leur serpient devenus semblables. — Et les pourceaux coprophages vomissaient d’horreur. — Ah ! maintenant, je vais monter à cheval. Amenez, Messieurs, le cheval à phynances.

Mère Ubu. — Père Ubu, ton cheval ne saurait plus te porter, il n’a rien mangé depuis cinq jours et est presque mort.

Ubu. — Elle est bonne celle-là ! On me fait payer 12 sous par jour pour cette rosse et elle ne me peut porter. Vous vous fichez, corne d’Ubu, ou bien si vous me volez. (La Mère Ubu rougit et baisse les yeux.) Alors que l’on m’apporte une autre bête, mais je n’irai pas à pied, cornegidouille !

(On amène un énorme cheval.)

Ubu. — Je vais monter dessus. — Oh ! assis plutôt ! Car je vais tomber. (Le cheval part.) Ah ! Arrêtez ma bête. Grand Dieu, je vais tomber et être mort !!!

Mère Ubu. — Il est vraiment imbécile. Ah ! le voilà relevé. Mais il est tombé par terre.

Ubu. — Corne physique, je suis à moitié mort. Mais c’est égal, je pars en guerre et je tuerai tout le monde. Gare à qui ne marchera pas droit ! Ji lon mets dans ma poche avec torsion du nez et des dents et extraction de la langue.

Mère Ubu. — Bonne chance, Monsieur Ubu.

Ubu. — J’oubliais de te dire que je te confie la régence. Mais j’ai sur moi le livre de finances, tant pis pour toi si tu me voles. Je te laisse pour t’aider le Palotin Giron. Adieu, Mère Ubu.

Mère Ubu. — Adieu, Père Ubu. Tue bien le Czar.

Ubu. — Pour sûr. Torsion du nez et des dents, extraction de la langue et enfoncement du petit bout de bois dans les oneilles.

(L’armée s’éloigne au bruit des fanfares.)

Mère Ubu, seule. — Maintenant que ce gros pantin est parti, tâchons de faire nos affaires, tuer Bougrelas et nous emparer du trésor.


Scène XIII

L’Armée Polonaise en marche dans l’Ukraine.

Ubu. — Cornebleu, jambedieu, tête de vache ! Nous allons périr, car nous mourons de soif et sommes fatigué. Sire Soldat ayez l’obligeance de porter notre casque à finances, et vous, sire Lancier, chargez-vous du ciseau à merdre et du bâton-à-physique pour soulager notre personne, car, je le répète, nous sommes fatigué.

(Les soldats obéissent.)

Pile. — Hon, Monsieuye ! Il est étonnant que les Russes n’apparaissent point.

Ubu. — Il est regrettable que l’état de nos finances ne nous permette pas d’avoir une voiture à notre taille, car par crainte de démolir notre monture nous avons fait tout le chemin à pied, traînant notre cheval par la bride. Mais quand nous serons de retour en Pologne nous imaginerons au moyen de notre science en physique et aidé des lumières de nos conseillers, une voiture à vent pour transporter toute l’armée.

Cotice. — Voilà Nicolas Rensky qui se précipite.

Ubu. — Et qu’a-t-il ce garçon ?

Rensky. — Tout est perdu, Sire. Les Polonais sont révoltés, Giron est tué et la mère Ubu est en fuite dans les montagnes.

Ubu. — Oiseau de nuit, bête de malheur, hibou à guêtres ! Où as-tu pêché ces sornettes ? En voilà d’une autre ! Et qui a fait ça ? Bougrelas, je parie. — D’où viens-tu ?

Rensky. — De Varsovie, Noble Seigneur.

Ubu. — Garçon de ma merdre, si je t’en croyais, je ferais rebrousser chemin à toute l’armée. Mais, seigneur garçon, il y a sur tes épaules plus de plumes qui de cervelle et tu as rêvé des sottises. Va aux avant-postes, mon garçon, les Russes ne sont pas loin et nous aurons bientôt à estocader de nos armes tant à merdre qu’à phynances et à physique.

Le Général Lascy. — Père Ubu, ne voyez-vous pas dans la plaine les Russes ?

Ubu. — C’est vrai, les Russes ! me voilà joli. Si encore il y avait moyen de s’en aller, mais pas du tout, nous sommes sur une hauteur et nous serons en butte à tous les coups.

L’Armée. — Les Russes ! L’ennemi !

Ubu. — Allons, Messieurs, prenons nos dispositions pour la bataille. Nous allons rester sur la colline et ne commettrons point la sottise de descendre en bas. Je me tiendrai au milieu comme une citadelle vivante et vous autres graviterez autour de moi. J’ai à vous recommander de mettre dans les fusils autant de balles qu’ils en pourront tenir, car 8 balles peuvent tuer 8 Russes et c’est autant que je n’aurai pas sur le dos. Nous mettrons les

fantassins à pied au bas de la colline pour recevoir

les Russes et les tuer un peu, les cavaliers derrière pour se jeter dans la confusion, et l’artillerie autour du moulin à vent ici présent pour tirer dans le tas. Quant à nous, nous nous tiendrons dans le moulin à vent et tirerons avec le pistolet à phynances par la fenêtre, en travers de la porte nous placerons le bâton à physique et si quelqu’un essaye d’entrer, gare au croc à merdre !!!

Officiers. — Vos ordres, Sire Ubu, seront exécutés.

Ubu. — Eh ! Cela va bien, nous serons vainqueurs. — Quelle heure est-il ?

Le Général Lascy. — Onze heures du matin.

Ubu. — Alors nous allons dîner, car les Russes n’attaqueront pas avant midi. Dites aux soldats, Seigneur Général, de faire leurs besoins et d’entonner la Chanson à Finances.

(Lascy s’en va.)

Soldats et Palotins. — Vive le Père Ubu, notre grand Financier ! Ting, ting, ting ; ting, ting, ting ; ting, ting, ting !

Ubu. — Ô les braves gens, je les adore. (Un boulet russe arrive et casse l’aile du moulin.)

Ah ! j’ai peur, Sire Dieu, je suis mort ! et cependant non, je n’ai rien.


Scène XIV

Les Mêmes, Un Capitaine, puis L’Armée russe.

Un Capitaine, arrivant. — Sire Ubu, les Russes attaquent.

Ubu. — Eh bien après, que veux-tu que j’y fasse, ce n’est pas moi qui le leur ai dit. — Cependant, Messieurs des Finances, préparons-nous au combat.

Le Général Lascy. — Un second boulet.

Ubu. — Ah ! Je n’y tiens plus. Ici il pleut du plomb et du fer et nous pourrions endommager notre précieuse personne. Descendons. (Tous descendent au pas de course. La bataille vient de s’engager. Ils disparaissent dans des torrents de fumée au pied de la colline.)

Un Russe, frappant. — Pour Dieu et le Czar !

Rensky. — Ah ! Je suis mort.

Ubu. — En avant ! — Ah toi, Monsieur, que je t’attrape, car tu m’as fait mal, entends-tu, sac à vin, avec ton flingot qui ne part pas.

Le Russe. — Ah ! voyez-vous ça ! (Il lui tire un coup de revolver.)

Ubu. — Oh ! Oh ! Je suis blessé, je suis troué, je suis perforé, je suis administré, je suis enterré. — Oh mais tout de même ! Ah ! je le tiens. (Il le déchire.) Tiens ! recommenceras-tu maintenant ?

Le Général Lascy. — En avant, poussons vigoureusement, passons le fossé. La victoire est à nous.

Ubu. — Tu crois ? — Jusqu’ici je sens sur mon front plus de bosses que de lauriers.

Cavaliers Russes. — Hurrah ! Place au Czar !

Le Czar arrive, accompagné de Bordure déguisé.

Un Polonais. — Ah Seigneur ! Sauve qui peut, voilà le Czar !

Un Autre. — Ah mon Dieu ! Il passe le fossé.

Un Autre. — Pif ! Paf ! en voilà quatre d’assommés par ce grand bougre de lieutenant.

Bordure. — AhI vous n’avez pas fini, vous autres ! Tiens, Jean Sobiesky, voilà ton compte. (Il l’assomme.) À d’autres maintenant ! (Il fait un massacre de Polonais.)

Ubu. — En avant, mes amis ! Attrapez ce bélître ! En compote les Moscovites ! La victoire est à nous. Vive l’Aigle Rouge !

Tous. — En avant ! — Hurrah ! — Jambedieu ! — Attrapez le grand bougre !

Bordure. — Par Saint Georges, je suis tombé.

Ubu, le reconnaissant. — Ah c’est toi, Bordure ! Ah ! mon ami. Nous sommes bien heureux ainsi que toute la compagnie de te retrouver. Je vais te faire cuire à petit feu. Messieurs des Finances, allumez du feu. — Oh ! Ah ! Oh ! Je suis mort. C’est au moins un coup de canon que j’ai reçu. — Ah mon Dieu, pardonnez-moi mes péchés. — Oui c’est bien un coup de canon.

Bordure. — C’est un coup de pistolet chargé à poudre.

Ubu. — Ah ! tu te moques de moi ! Encore ! À la poche ! (Il rue sur lui et te déchire.)

Le Général Lascy. — Père Ubu, nous avançons partout.

Ubu. — je le vois bien, je n’en peux plus, je suis criblé de coups de pied, je voudrais m’asseoir par terre. Oh ! ma bouteille.

Le Général Lascy. — Allez prendre celle du Czar, Père Ubu.

Ubu. — Eh ! j’y vais de ce pas. Allons ! Sabre à merdre, fais ton office, et toi, croc à finances, ne reste pas en arrière. Que le bâton à physique travaille d’une généreuse émulation et partage avec le petit bout de bois l’honneur de massacrer, creuser et exploiter l’Empereur moscovite. En avant, Monsieur notre cheval à finances ! (Il se rue sur le Czar.)

Un Officier russe. — En garde, Majesté !

Ubu. — Tiens, toi ! — Oh ! aïe ! Ah mais tout de même ! Ah monsieur, pardon, laissez-moi tranquille. — Oh mais ! je n’ai pas fait exprès !

(Il se sauve. Le Czar le poursuit.)

Ubu. — Sainte Vierge, cet enragé me poursuit ! Qu’ai-je fait, grand Dieu ! Ah ! bon, et il y a encore le fossé à repasser. Ah ! je le sens derrière moi et le fossé devant ! Courage, fermons les yeux.

(Il saute le fossé. Le Czar y tombe.)

Le Czar. — Bon, je suis dedans.

Polonais. — Hurrah ! le Czar est à bas !

Ubu. — Ah ! j’ose à peine me retourner ! Il est dedans. Ah ! C’est bien fait et on tape dessus. Allons, Polonais, allez-y à tour de bras, il a bon dos, le misérable ! — Moi, je n’ose pas le regarder ! — Et cependant notre prédiction s’est complètement réalisée, le bâton-à-physique a fait merveilles et nul doute que je ne l’eusse complètement tué si une inexplicable terreur n’était venue combattre et annuler en nous les effets de notre courage. — Mais nous avons dû soudainement tourner casaque, et nous n’avons dû notre salut qu’à notre habileté comme cavalier ainsi qu’à la solidité des jarrets de notre cheval à finances, dont la rapidité n’a d’égale que la solidité et dont la légèreté fait la célébrité ainsi qu’à la profondeur du fossé qui s’est trouvé fort à propos sous les pas de l’ennemi de nous l’ici présent Maitre des Phynances. — Tout ceci est fort beau mais personne ne m’écoute. Allons ! bon, ça recommence !

(Les Dragons Russes font une charge et délivrent Le Czar.)

Le Général Lascy. — Cette fois, c’est la débandade.

Ubu. — Ah ! voici l’occasion de se tirer des pieds. Or donc, Messieurs les Polonais, en avant ! ou plutôt en arrière !

Polonais. — Sauve qui peut !

Ubu. — Allons ! en route. — Quel tas de gens — quelle fuite — quelle multitude — comment me tirer de ce gâchis ? — (Il est bousculé.) Ah mais toi ! fais attention ou tu vas expérimenter la bouillante valeur du Maître des Finances. — Ah ! il est parti. Sauvons-nous et vivement pendant que Lascy ne nous voit pas. (Il sort, ensuite on voit passer Le Czar et L’Armée Russe poursuivant Les Polonais.)


Scène XV

Une caverne en Lithuanie. Il neige.
Ubu, Pile, Cotice.

Ubu. — Ah le chien de temps ! il gèle à pierre à fendre et la personne du Maître des Finances s’en trouve fort endommagée.

Pile. — Hon ! Monsieuye Ubu, êtes-vous remis de votre terreur et de votre fuite ?

Ubu. — Oui ! je n’ai plus peur, mais j’ai encore la fuite.

Cotice (à part). — Quel pourceau !

Ubu. — Eh ! sire Cotice, votre oneille, comment va-t-elle ?

Cotice. — Aussi bien, Monsieuye, qu’elle peut aller tout en allant très mal. Par conséiquent, de quoye — le plomb la penche vers la terre et je n’ai pu extraire la balle.

Ubu. — Tiens, c’est bien fait ! Toi aussi tu voulais toujours taper les autres. Moi, j’ai déployé la plus grande valeur et sans m’exposer j’ai massacré quatre ennemis de ma propre main sans compter tous ceux qui étaient déjà morts et que nous avons achevés.

Cotice. — Savez-vous, Pile, ce qu’est devenu le Palotin Giron ?

Pile. — Il a reçu une balle dans la tête.

Ubu. — Ainsi que le coquelicot et le pissenlit à la fleur de leur âge sont fauchés par l’impitoyable faux de l’impitoyable faucheur — ainsi le petit Giron a fait le coquelicot, il s’est fort bien battu cependant, mais aussi il y avait trop de Russes.

Pile et Cotice. — Hon, Monsieuye !

Un écho. — Hhrron !

Pile. — Qu’est-ce ? Armons-nous de nos lumelles.

Ubu. — Ah non ! par exemple, encore des Russes, je parie ! J’en ai assez ! et puis c’est bien simple, s’ils m’attrapent ji lou fous à la poche.


Scène XVI

Les Mêmes. Entre Un Ours.

Cotice. — Hon, Monsieuye !

Ubu. — Oh tiens, regardez donc le petit toutou. — Il est gentil, ma foi.

Pile. — Prenez garde ! Ah ! quel énorme ours ! Mes cartouches !

Ubu. — Un ours ! Ah ! l’atroce bête. Oh ! pauvre homme, me voilà mangé. Que Dieu me protège ! Et il vient sur moi — non, c’est Cotice qu’il attrape. Ah ! je respire. (L’Ours se jette sur Cotice. Pile l’attaque à coups de couteau. Ubu se réfugie sur un rocher.)

Cotice. — À moi, Pile ! à moi ! au secours, Monsieuye Ubu !

Ubu. — Bernique ! Débrouille-toi, mon ami, pour le moment nous faisons notre Pater Noster. Chacun son tour d’être mangé.

Pile. — Je l’ai, je le tiens.

Cotice. — Ferme, ami, il commence à me lâcher.

Ubu. — Sanctificetur nomen tuum.

Cotice. — Lâche bougre !

Pile. — Ah ! il me mord ! Ô Seigneur, sauvez-nous, je suis mort.

Ubu. — Fiat voluntas tua.

Cotice. — Ah ! j’ai réussi à le blesser.

Pile. — Hurrah ! il perd son sang. (Au milieu des cris des Palotins, L’Ours beugle de douleur et Ubu continue à marmotter.)

Cotice. — Tiens-le ferme, que j’attrape mon coup de poing explosif.

Ubu. — Panem nostrum quotidianum da nobis hodie.

Pile. — L’as-tu enfin ? je n’en peux plus.

Ubu. — Sicut et nos dimittimus debitoribus nostris.

Cotice. — Ah ! je l’ai. (Une explosion retentit et L’Ours tombe mort.)

Pile et Cotice. — Victoire !

Ubu. — Sed libera nos a malo. Amen. — Enfin est-il bien mort ? puis-je descendre de mon rocher ?

Pile (avec mépris). — Tant que vous voudrez.

Ubu (descendant). — Vous pouvez vous flatter que si vous êtes encore vivants et si vous foulez encore la neige de Lithuanie vous le devez à la vertu magnanime du Maître des Finances, qui s’est évertué, échiné et égosillé à débiter des patenôtres pour votre salut et qui a manié avec autant de courage le glaive spirituel de la prière que vous avez manié avec adresse le temporel de l’ici présent Palotin Cotice coup de poing explosif. Nous avons même poussé plus loin notre dévouement, car nous n’avons pas hésité à monter sur un rocher fort haut pour que nos prières aient moins loin à arriver au ciel.

Pile. — Révoltante bourrique !

Ubu. — Voici une grosse bête. Grâce à moi vous avez de quoi souper. Quel ventre, messieurs ! Les Grecs y auraient été plus à l’aise que dans le cheval de bois et peu s’en est fallu, chers amis, que nous n’ayons pu aller vérifier de nos propres yeux sa capacité intérieure.

Pile. — Je meurs de faim. Que manger ?

Cotice. — L’ours !

Ubu. — Eh ! pauvres gens, allez-vous le manger tout cru ? Nous n’avons rien pour faire du feu.

Pile. — N’avons-nous pas nos pierres à fusil ?

Ubu. — Tiens, c’est vrai. Et puis il me semble que voilà non loin d’ici un petit bois où il doit y avoir des branches sèches. Vas en chercher, sire Cotice. (Cotice s’éloigne à travers la neige.)

Pile. — Et maintenant, Sire Ubu, allez dépecer l’ours.

Ubu. — Oh non ! Il n’est peut-être pas mort — tandis que toi qui es déjà à moitié mangé et mordu de toutes parts, c’est tout à fait dans ton rôle. — Je vais allumer du feu en attendant qu’il apporte du bois. (Pile commence à dépecer l’ours.)

Ubu. — Oh prends garde ! Il a bougé.

Pile. — Mais, Sire Ubu, il est déjà tout froid.

Ubu. — C’est dommage, il aurait mieux valu le manger chaud. Ceci va procurer une indigestion au Maître des Finances.

Pile. — (À part.) C’est révoltant. (Haut.) Aidez-nous un peu, Monsieuye Ubu, je ne puis faire toute la besogne.

Ubu. — Non, je ne veux rien faire, moi ! Je suis fatigué, bien sûr !

Cotice (rentrant). — Quelle neige, mes amis, on se dirait en Castille ou au Pôle Nord. La nuit commence à tomber. Dans une heure il fera noir. Hâtons-nous pour voir encore clair.

Ubu. — Oui, entends-tu, Pile, hâte-toi. Hâtez-vous tous les deux ! Embrochez la bête, cuisez la bête, j’ai faim, moi !

Pile. — Ah ! c’est trop fort à la fin ! Il faudra travailler ou bien tu n’auras rien, entends-tu, goinfre !

Ubu. — Oh ! ça m’est égal, j’aime autant le manger tout cru, c’est vous qui serez bien attrapés — et puis j’ai sommeil, moi !

Cotice. — Que voulez-vous, Pile ? Faisons le dîner tout seuls. Il n’en aura pas, voilà tout. Ou bien on pourra lui donner les os.

Pile. — C’est bien. Ah ! voilà le feu qui flambe.

Ubu. — Oh ! c’est bon, ça, il fait chaud maintenant. Mais je vois des Russes partout. Quelle fuite, grand Dieu ! Ah ! (Il tombe endormi.)

Cotice. — Finissons de faire le souper.

Ubu (parle en dormant). — Ah ! sire Dragon Russe, faites attention, ne tirez pas par ici, il y a du monde. — Ah ! voilà Bordure, qu’il est mauvais, on dirait un ours — et Bougrelas qui vient sur moi ! L’ours, l’ours ! Ah le voilà à bas ! qu’il est dur, grand Dieu ! — Je ne veux rien faire, moi ! Va-t’en, Bougrelas ! — Entends-tu, drôle ! Voilà Giron maintenant, et le Czar ! Oh ! ils vont me battre. — Et la Rbue. Où as-tu pris tout cet or ? Tu m’as pris mon or, misérable, tu as été farfouiller dans mon tombeau qui est dans la cathédrale de Varsovie, près de la Lune. Je suis mort depuis longtemps, moi, c’est Bougrelas qui m’a tué et je suis enterré à Varsovie près de Vladislas le Grand et aussi à Cracovie près de Jean Sigismond et aussi à Thorn dans la casemate avec Bordure ! Le voilà encore. Mais va-t’en, maudit ours. Tu ressembles à Bordure. Entends-tu, bête de Satan ? Non, il n’entend pas, les Salopins lui ont coupé les oneilles. — Décervelez, tudez, coupez les oneilles, arrachez la finance et buvez jusqu’à la mort, c’est la vie des Salopins, c’est le bonheur du Maître des Finances.

(Il se tait et dort.)

ENTR’ACTE
Le ciel se retire comme un livre qu’on roule.
ACTE DERNIER (DU JUGEMENT)
LE TAUROBOLE
Personnages :

César-Antechrist

Le Lépreux

La Sphinge

Le Hibou

Le Taureau

Jésus-Christ

Dieu le Père

Les Ifs

Énoch

Élie

Les Prêtres

Les Morts

L’Ange

L’Âne

Acte IV.

Scène I

Le noir de ce qui fut le ciel, où disparait l’ascension météorique d’Ubu, Pile et Cotice.

César-Antechrist, descendant avec deux cordes un Taureau dans une fosse, on voit encore les cornes. — Descends vivant, Tête Montelée, dans le trou que je t’ai creusé. Nature, amour de la nature ! Ministre une fois pour toutes de mes affaires terrestres, que la bête donc cause avec la terre. Comme un goret pendu par les pieds sous une table, si je voulais je la verrais encore, par-delà son couvercle hermétique…


Scène II

L’Escalier.

Les Prêtres. — Et facti sumus tanquam immundus nos. et cecidimus quasi folium universi.


Scène III

Les Ifs, comme ils poussent le long des pèlerinages, semblables au Chandelier à sept branches de Jérusalem, et à droite et à gauche les deux grands oliviers qui sont Énoch et Élie. — La route où César-Antechrist va passer, seul sentier blanc horizontal dans l’ombre (de sable ocellé d’ifs et à une fasce d’argent).

Élie. — Hi sunt duae olivae et duo candelabra, in conspectu Domini terrae stantes.

Les Ifs. — Et si quis voluerit eis nocere, ignis exiet de ore corum, et devorabit inimicos eorum.

Énoch. — Et si quis voluerit eos laedere, sic oportet eum occidi.


Scène IV

On découvre que ce lieu est la vallée de Josaphat, montagnes au fond, montagnes à gauche et à droite ; et qu’il y a beaucoup de tombeaux en files des deux côtés, les ifs étant peut-être des croix, très régulières le long des versants. Il y a sur les tombeaux des noms de grands pécheurs et de grands Saints bien apparents.

César-Antechrist. — Le diable et mon squelette supplémentaire, bras de levier plus long de ma force, me tentent de cette ville endormie, qui est à moi. Je l’ai vue de très haut, la traversant très vite, et voici tous les toits plats de la cité où il ne pleut jamais, et où les gouttes excrémentielles des oiseaux de nuit ne tombent point pendant l’éternité de fois quarante jours. — Semblable à l’orbe de la lune, je repelotonne le fil des choses naturées et voici les reliquaires de mes œuvres. Planisphère de la mâchoire de la terre, entre les lèvres jadis oscillantes comme des ailes de papillon, décharnées aujourd’hui de ces monts moussus de cèdres, vous avez éclairé la marche de votre roi de la lumière carrée de toutes vos pierres milliaires.

(Silence, accoudé sur la première tombe à droite.)

J’ai dormi, mon âme a dormi, mon corps agissant a rampé, mon Double. Quand on voit son double on meurt. Mais il s’est enfui devant moi, et je n’ai vu que la météorique ascension des comètes de ses satellites, et je ne sais si les temps sont finis, et si mes cinq anges ont parlé et versé leurs sept fioles de ma colère. Je veux monter hors de ce sol qui sera mobile et tremblant et se révoltera sous moi quand l’Autre viendra vivre son rêve terrestre, remettant mes soldats de plomb debout. — Non, les temps ne sont point finis, et les trompes de mes hérauts n’ont point dû déjà retentir, et je les attendrai, car voici un vivant encore, à moins que grince la larve du crime et du remords qu’a pu créer l’humanité sous moi. Puisque je fais des restrictions — à moins que l’homme ou que le Dieu, étant centre, ait plusieurs doubles.


Scène V

César-Antechrist, Le Lépreux, menant Un Âne chargé d’outres et de pains.

Le Lépreux. (Les premiers et les derniers vers hors de la scène. Aux harpes éoliennes des Croix, Prose de l’Âne.)

Mon âme fenêtre voit,
Mon âne porte la croix,
Voici la feuille des bois
Cliquetant au pleur des rois.
Miserere, Deus.

(Il lève la tête.)

Triangle Antéchrist, étal
D’un corps nu raide aux plis pâles
Du manteau sacerdotal,
Couperet ton jour natal,
Miserere, Deus.

(Il s’incline.)

L’Un se manifeste trois.
Le pôle a levé le doigt.
César pentagramme en croix.
Christ a la pourpre des rois.
Ô parce, Christe.


Scène VI

Au bruit des pas de l’âne, un Grand-Duc s’envole et après avoir plané en cercle se pote sur l’olivier senestre, qui est Élie. Torsions de cou admiratives devant l’éclat de César-Antechrist, un manteau d’or sur les épaules, une étole d’or sur le sexe et aux orteils des sandales d’or.

César-Antechrist. — Qui êtes-vous, Oiseau, dans cette vallée où il ne doit point y avoir d’animants ? Bahal-Zébub mon ministre ou le Paraclet qui m’inspire, comme il a pour charge d’inspirer le Dieu actuellement terrestre ? Êtes-vous l’un et l’autre, je le crois. Car tu as érigé tes cornes traditionnelles quand je t’ai nommé par l’un de tes noms, et te baptisant Saint-Esprit l’eau de mon verbe a couché les antennes de ta tête auritée, et tu t’es aplati comme une chrysalide, faisant plus douces les plumes de ta gorge de colombe.

(Il se hausse à la croix de l’arbre et caresse l’Oiseau, qui demeure hérissé comme un artichaut de cuivre, avec un front de taureau aux cornes en croissant : car on marche pour la seconde fois dans la vallée sainte.)

César-Antechrist. — Il y a un pigeon qui roucoule perché sur la croix : dans ma première vie végétative, de pareilles griffes habitèrent mes bras.


Scène VII

Les Mêmes, La Sphinge aux griffes de lion qui marche entre les tombeaux.

César-Antechrist. — Tu es au-dessus de la femme comme l’homme est au-dessus de la femme. Tu es reine et tu es déesse ; comme les anges tu as les côtes attachées en avant, et la substance de ton cerveau diffère aussi peu de la mienne que la semence femelle du sperme du mâle. Parce que tu es femme, tu reflètes infiniment et représentes le monde, et sais ce qui échappe aux yeux mortels. — Je n’ai que faire de cette extérieure représentation et je passe aveugle et sourd sur la terre, me contemplant moi-même, sûr qu’on ne peut rien m’adjoindre d’externe — et je ne serais pas Dieu si je ne savais créer du néant. Si je m’amuse à marcher sur la terre comme un clown sous qui tourne une boule, je m’en abstrais par l’oubli, qui est du présent comme du passé. Je suis César il est vrai, non des hommes que je méprise et pour qui je ne veux user les courts moments de mon séjour terrestre, mais de l’Univers et de l’Absolu, car, grâce à cet oubli mon esclave, ce que je veux existe ou n’existe pas selon qu’il me plaît. La surabondance est le manque, ce pourquoi je m’abstrais du monde, et puisque tu concrètes l’Univers, je m’abats sur toi, eupire et vampire, mon sexe César possède en toi et allaite de son fleuve sacré toute la matérielle nature, et mon intelligence dévore ton intelligence. J’ai la tienne virtuelle en moi, mais le temps est cher, je la prends en sa déjà presque dernière concoction : on donnera à ceux qui ont, a dit le Christ qui m’a précédé, qui est moi-même parce que je suis son contraire, et à la place de qui je suis venu. Mon héraut l’a dit au Templier qui croyait à la binarité des principes. Moi et le Christ nous sommes Janus, et je n’ai point à me retourner pour montrer ma double face. L’être qui a de l’intelligence peut voir ces deux contraires simultanés, ces deux infinis qui coexistent et sans cela n’existeraient point, malgré l’erreur indéracinée des philosophes. Moi seul peux percevoir ces choses, car je suis né pour la domination et je vois tous les mondes possibles quand j’en regarde un seul. Dieu — ou moi-même — a créé tous les mondes possibles, ils coexistent, mais les hommes ne peuvent même en entrevoir un. Je suis l’infinie Intuition comme toi la Perception éternelle ; et au miroir l’un de l’autre nous verrons tout. Je suis l’Orgueil absolu parce que je suis la Force suprême ; et c’est pourquoi je ne dominerai pas, car ma domination ne serait pas comprise (laissons cela aux faux Césars), et aussi tout ce qui est moi est un élixir précieux qui ne doit pas être follement perdu. Avec un seul de mes effluves, tu participeras à l’éternité, et tu entreverras la Pensée se mouvoir, et le travail de la Création en moi et par moi incessamment renouvelé. — Fuis plutôt, parce que tu es nue et mourrais, comme les vierges que l’on prostitue à l’idole de fer, et les yeux sur le bec des oiseaux nocturnes.

(Il recule et s’adosse à la croix de droite, qui est Énoch, les doigts nonchalamment étendus sur les bras du fauteuil. Le Hibou a baissé ses aigrettes.)


Scène VIII

César-Antechrist, la Sainte Trinité, Énoch et Élie.

Dieu le Père (dans les branches de la croix de gauche. Sommet trop faible du polygone dynamique, La Sphinge disparaît). — Écoutez-le : comme il y a dix-huit siècles, c’est encore aujourd’hui mon fils bien-aimé, en qui j’ai mis toutes mes complaisances.

Le Christ (sur l’olivier de gauche, évoqué par contraire, miroir, ou reflet). — Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous laissé ? Prométhée cloué, le vautour du Saint-Esprit.

L’Oiseau (lui arrachant les yeux). — Que la lumière soit — Une !

César-Antechrist. — Je ne plains point ton supplice, éternel isolé pour avoir prêché de s’aimer les uns les autres. Je suis resté volontairement seul sur un rocher escarpé, sans distraction et sans lumière que les yeux subictériques de mes vautours, et c’est pour cela que ce qui m’égale presque car l’adéquation parfaite est impossible, monte jusqu’à moi. Je connais ton supplice, j’ai eu la force de l’endurer et surtout d’en sortir, car je ne suis pas station ni statique, mais dynamique, et semblable au dragon qui de sa queue entraîne la troisième partie des étoiles, je fais choir à ma suite tout ce qui, n’étant pas impur ni ordure, est digne de ma pourpre, et les obstacles, flottant au vent derrière moi, me sont un vêtement de gloire.

Dieu le Père. — Écoutez-le : c’est ici mon fils bien-aimé, en qui j’ai mis toutes mes complaisances.

(Silence. Le Hibou ricane et s’envole, comme semble-t-il effrayé par des pas plus nouveaux.)

César-Antechrist. — Pourquoi ricanes-tu, Oiseau ? Tu t’envoles, comme semble-t-il effrayé par des pas plus nouveaux. Serais-je à l’une des trois dernières stations de mon rôle agi, et l’antépénultième trompe de mes hérauts viendrait-elle sonner ? Mais tu planes, et tu attires de tes ailes comme par delà l’horizon un autre oiseau ton serviteur quoique d’envergure plus immense, comme le petit poisson remore les grandes naufs. Ha ! tu resplendis dans la lumière… le Rock advole.

(Le Saint Esprit plane illuminé. Le Christ descend de sa croix faisante aussi, t’arrache et brandit en hampe le grand arbre. Dieu le Père dome. César-Antechrist calciné noir glisse aux pieds d’Énoch.)


Scène IX

Les Mêmes, Le Christ montrant le sommet de la montagne de l’horizon, où L’Ange du Jugement Dernier est debout les ailes errantes par tout le ciel.

Le Christ. — Voici le fanion rouge des mineurs. Comme sur la butte et la montagne d’un champ de tir, au plus haut sommet le clairon s’insère au ciel clair, épandant la pluie de commencer le feu, la trompe dernière s’écriera :

La Trompette. — HALLELUIAH !
POSTACTE
Les morts se lèvent et viennent au jugement.
FIN
Ce livre est dédié
à
Saint Jean Damascène.
  1. Note de Wikisource : L’éditeur original a choisi de garder cette section dans Les Minutes de sable mémorial alors qu’il a pris la décision de déplacer la section qui suit dans le texte de César-Antéchrist. Afin de regrouper tous les textes liés à César-Antéchrist, nous avons pris la décision de déplacer également cette section dans l’autre livre (Cf. la page de discussion)
  2. Note de Wikisource : Lors de la publication originale, cet acte, ainsi que Les Prolégomènes de César-Antechrist, étaient compris dans Les Minutes de sable mémorial. À la sortie du reste de César-Antéchrist, le lecteur trouvait la phrase suivante à l'endroit où devait apparaitre cet acte-ci : cet acte, des MINUTES DE SABLE MÉMORIAL, ne sera point réimprimé ici. (Cf. la page de discussion)