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Catéchisme d’économie politique/1881/05

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Texte établi par Charles Comte, Joseph GarnierGuillaumin (p. 21-29).
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CHAPITRE V.

Ce que c’est qu’un Capital, et comment on l’emploie.


Ne faut-il pas à un entrepreneur d’industrie quelque chose de plus que ses talents et son travail pour entreprendre la production ?

Oui ; il faut encore du capital.

Qu’est-ce qu’un capital ?

C’est une somme de valeurs acquises d’avance.

Pourquoi ne dites-vous pas une somme d’argent ?

Parce que ces valeurs peuvent consister dans beaucoup d’objets divers, aussi bien qu’en une somme d’argent.

À quoi sert le capital dans la production ?

Il sert à faire l’avance des frais que nécessite la production, depuis le moment où l’on commence les opérations productives, jusqu’à ce que la vente du produit rembourse à l’entrepreneur l’avance qu’il a faite de ces frais.

Qu’est-ce qu’une avance ?

C’est une valeur que l’on prête ou que l’on consomme[1] dans le dessein de la recouvrer. Si cette valeur n’est pas restituée ou reproduite, ce n’est pas une valeur avancée, c’est une valeur perdue, en tout ou en partie.

Donnez-moi un exemple.

Lorsqu’un homme veut fabriquer du drap, il emploie une partie de ses valeurs capitales à acheter de la laine ; une autre partie à acheter des machines propres à filer, à tisser, à fouler, à tondre son étoffe, une autre partie à payer des ouvriers, et le drap, lorsqu’il est achevé, lui rembourse toutes ses avances par la vente qu’il en fait.

Attend-il d’avoir achevé une grande quantité de produits pour se rembourser de ses avances ?

Cela n’est point nécessaire ; du moment qu’il a terminé une pièce de drap et qu’il l’a vendue, il emploie la valeur qu’il a tirée de sa pièce de drap à une autre avance, comme, par exemple, à acheter de la laine ou bien à payer des salaires d’ouvriers ; de cette manière la totalité de son capital est constamment employée ; et ce qu’on nomme le capital de l’entreprise se compose de la valeur totale des choses achetées au moyen du capital, et dont une partie sont des produits commencés et avancés à différents degrés.

N’y a-t-il pas cependant une partie de la valeur capitale d’une entreprise qui reste en écus ?

Pour ne laisser oisive aucune partie de son capital, un entrepreneur habile n’a jamais en caisse que la somme nécessaire pour faire face aux dépenses courantes et aux besoins imprévus. Lorsque des rentrées promptes lui procurent plus d’argent qu’il ne lui en faut pour ces deux objets, il a soin d’employer le surplus à donner plus d’extension à son industrie.

Comment donne-t-on plus d’extension à une entreprise industrielle ?

En augmentant les constructions qui servent à son exploitation, en achetant une plus forte quantité de matières premières, en salariant un plus grand nombre d’ouvriers et autres agents.

Ne divise-t-on pas les capitaux employés en plusieurs natures de capitaux ?

On divise le capital d’une entreprise en capital engagé et en capital circulant.

Qu’est-ce que le capital engagé ?

Ce sont les valeurs qui résident dans les bâtiments, les machines, employés pour l’exploitation de l’entreprise aussi longtemps qu’elle dure, et qui ne sauraient être distraits pour être employés dans une autre entreprise, si ce n’est avec perte.

Qu’est-ce que le capital circulant ?

Ce sont les valeurs qui se réalisent en argent, et s’emploient de nouveau plusieurs fois durant le cours d’une même entreprise. Telles sont les valeurs qui servent à faire l’avance des matières premières et des salaires d’ouvriers. Chaque fois que l’on vend un produit, cette vente rembourse sans perte à l’entrepreneur la valeur de la matière première employée, et des divers travaux payés pour la confection du produit.

À quelle époque un entrepreneur réalise-t-il son capital engagé ?

Lorsqu’il vend le fonds de son entreprise.

L’usure et la dégradation de valeur qu’éprouvent les machines et les constructions ne diminuent-elles pas constamment le capital engagé ?

Elles le diminuent en effet ; mais, dans une entreprise bien conduite, une partie de la valeur des produits est employée à l’entretien de cette portion du capital, sinon pour lui conserver sa valeur tout entière, du moins pour le mettre en état de continuer toujours le même service ; et comme, malgré les précautions les plus soutenues, le capital engagé ne conserve pas toujours la même valeur, on a soin, chaque fois qu’on fait l’inventaire de l’entreprise, d’évaluer cette partie du capital au-dessous de l’évaluation qu’on en avait faite dans une autre occasion précédente.

Éclaircissez cela par un exemple.

Si l’on a évalué, l’année dernière, les métiers et les autres machines d’une manufacture de drap à 50,000 francs, on ne les évalue, cette année-ci, qu’à 45,000 francs, malgré les frais qu’on a faits pour les entretenir ; frais que l’on met au rang des dépenses courantes, c’est-à-dire des avances journalières que la vente des produits doit rembourser.

Vous m’avez donné l’idée de l’emploi d’un capital dans une entreprise manufacturière ; je voudrais me faire une idée de l’emploi d’un capital dans une entreprise agricole.

La maison du fermier, les granges, les étables, les clôtures et, en général, toutes les améliorations qui sont ajoutées au terrain, sont un capital engagé qui appartient ordinairement au propriétaire de la terre ; les meubles, les instruments de culture, les animaux de service, sont un capital engagé, qui appartient ordinairement au fermier. Les valeurs qui servent à faire l’avance des semences, des salaires, de la nourriture des gens et des animaux de service, les valeurs qui servent à payer les réparations d’outils et de charrettes, l’entretien des attelages et, en général, toutes les dépenses courantes, sont prises sur le capital circulant, et sont remboursées à mesure qu’on vend les produits journaliers de la ferme.

Une même entreprise peut donc être exploitée avec différentes portions de capitaux qui appartiennent à diverses personnes ?

Sans doute ; l’entrepreneur paie, sous une forme ou sous une autre, la jouissance d’une portion de capital qui ne lui appartient pas. Dans l’exemple ci-dessus, une ferme bien bâtie, et améliorée par des fossés de dessèchement ou d’arrosement et par de bonnes clôtures, se loue plus cher qu’un terrain nu ; d’où il suit qu’une partie du loyer est le prix du service rendu par le sol, et qu’une autre partie est le prix du service rendu par le capital répandu en améliorations sur la terre.

Je voudrais me faire une idée de l’emploi d’une valeur capitale dans une entreprise de commerce.

Un négociant français emploie une partie de son capital en soieries, et les envoie en Amérique, c’est une avance, une valeur qui momentanément a disparu de la France, pour renaître, de même que le blé qui a servi de semence. Ce négociant donne en même temps à son correspondant d’Amérique l’ordre de vendre ces marchandises et de lui en faire les retours (c’est-à-dire de lui en renvoyer la valeur) en d’autres marchandises, telles que du sucre, du café, des peaux d’animaux, peu importe. Voilà le capital qui reparaît sous une nouvelle forme. Il faut considérer les marchandises envoyées comme des matières premières consommées pour la formation d’un nouveau produit. Le nouveau produit consiste dans les marchandises qui composent les retours.

Le capital au moyen duquel on conduit une semblable entreprise, peut-il encore appartenir à différentes personnes ?

Sans contredit ; en premier lieu, le négociant qui fait un envoi en Amérique peut travailler avec un capital qu’il a emprunté à un capitaliste ; il peut aussi avoir acheté les soieries à crédit ; c’est alors le fabricant de soieries qui prête au négociant la valeur de la marchandise que ce dernier a fait partir.

Vous avez employé l’expression de matière première ; donnez-moi une idée exacte de ce qu’elle signifie.

La matière première est la matière à laquelle l’industrie donne une valeur qu’elle n’avait pas, ou dont elle augmente la valeur quand elle en avait une. Dans ce dernier cas, la matière première d’une industrie est déjà le produit d’une industrie précédente.

Donnez-m’en un exemple.

Le coton est une matière première pour le fileur de coton, bien qu’il soit déjà le produit de deux entreprises successives qui sont celle du planteur de coton, et celle du négociant en marchandises étrangères, par les soins de qui cette marchandise a été apportée en Europe. Le fil de coton est à son tour une matière première pour le fabricant d’étoffes ; et une pièce de toile de coton est une matière première pour l’imprimeur en toiles peintes. La toile peinte elle-même est la matière première du commerce de marchand d’indiennes ; et l’indienne n’est qu’une matière première pour la couturière qui en fait des robes, et pour le tapissier qui en fait des meubles.

Comment un entrepreneur d’industrie sait-il si la valeur de son capital est augmentée ou diminuée ?

Par un inventaire, c’est-à-dire par un état détaillé de tout ce qu’il possède, où chaque chose est évaluée suivant son prix courant.

Qu’est-ce qu’on appelle le capital d’une nation ?

Le capital d’une nation, ou le capital national, est la somme de tous les capitaux employés dans les entreprises industrielles de cette nation. Il faudrait, pour connaître à combien se monte le capital d’une nation, demander à tous les propriétaires fonciers la valeur de toutes les améliorations ajoutées à leur fonds ; à tous les cultivateurs, manufacturiers et commerçants, la valeur des capitaux qu’ils emploient dans leurs entreprises, et additionner toutes ces valeurs.

Le numéraire d’un pays fait-il partie de ses capitaux ?

La portion du numéraire que chacun possède, qui vient d’un capital réalisé, et que l’on destine à une nouvelle avance, fait partie des capitaux d’une nation. La portion qui vient d’un profit réalisé, et dont on achète ce qui est nécessaire à l’entretien des individus ou des familles, ne fait partie d’aucun capital ; et c’est probablement la plus considérable.




  1. Les personnes qui veulent se former une idée juste de la consommation, la trouveront expliquée plus loin, chapitres XIV et suivants.