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Catéchisme d’économie politique/1881/09

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Texte établi par Charles Comte, Joseph GarnierGuillaumin (p. 47-51).
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CHAPITRE IX.

Des produits immatériels.


Qu’est-ce qu’un produit immatériel ?

On désigne par ce nom une utilité produite, qui n’est attachée à aucune matière, qui cependant a une valeur, et dont on peut se servir.

Donnez-m’en des exemples.

Un chirurgien fait une opération qui sauve un malade, et sort après avoir reçu ses honoraires : voilà une utilité vendue, payée, et qui cependant n’a pas été un seul instant attachée à une substance matérielle, comme l’utilité qui est dans un habit, dans un chapeau.

Des musiciens se rassemblent dans une salle, pour donner un concert. Il en résulte un délassement assez désirable pour qu’un auditoire nombreux se réunisse et paie en commun la jouissance qui résulte de cette représentation. Voilà une utilité produite, achetée et consommée, sans avoir été un seul instant attachée à une substance matérielle.

Voilà des produits immatériels.

Qu’observez-vous relativement aux produits immatériels ?

Qu’ils n’ont d’autre durée que le temps de leur production, et qu’ils doivent nécessairement être consommés au moment même qu’ils sont produits. Une personne qui n’aurait pas entendu un concert qui vient d’être terminé, n’a aucune espérance de pouvoir jouir de son exécution. Pour qu’elle se procure cette jouissance, il faut une production nouvelle ; il faut que le concert soit recommencé.

Les produits immatériels sont-ils des produits de l’industrie ?

Sans doute ; et l’on observe, dans l’industrie qui les produit, les mêmes opérations qui concourent à la création des produits matériels ; plusieurs genres de connaissances leur servent de base ; il faut que des entrepreneurs appliquent ces connaissances aux besoins des consommateurs ; souvent plusieurs agents sont employés à l’exécution ; enfin, pour que l’entrepreneur qui a fait les frais de leur production ne soit pas en perte, il faut que la valeur du produit lui rembourse le montant des avances qu’il a faites.

Donnez-moi quelques exemples du besoin qu’on a et de l’usage qu’on fait de plusieurs produits immatériels.

Les militaires sont utiles à la communauté, en se tenant toujours préparés pour la défendre ; les juges sont utiles en administrant la justice ; les fonctionnaires publics, dans tous les grades, en prenant soin des affaires de la communauté et en veillant à la sûreté publique ; les ministres de la religion en exhortant aux bonnes actions et en consolant les affligés. L’utilité de ces diverses classes est payée au moyen des contributions publiques fournies par la communauté.

D’autres classes, dont les services fournissent des secours ou des délassements, ne sont payées que par les seules personnes qui jugent à propos d’avoir recours à elles. Telle est la classe des médecins, qui n’est point payée par la communauté, mais par les personnes seulement qui ont recours à leurs conseils. Les avocats sont dans le même cas. Les comédiens et, en général, les personnes qui travaillent pour le divertissement du public, produisent de même une satisfaction que les seules personnes qui veulent y prendre part sont tenues de payer, et qui n’existe plus du moment que l’exécution en est achevée.

Les fonds de terre ne produisent-ils pas une utilité qu’on peut appeler immatérielle ?

Oui ; tous les jardins d’agrément qui ne produisent aucun fruit, aucun bois qui aient une valeur jointe à leur matière, procurent du moins une jouissance à ceux qui en font usage. Cette jouissance a un prix, puisque l’on trouve des personnes qui consentent à l’acheter par un loyer ; mais le produit qui l’a procurée n’existe plus. La jouissance qu’on recueillera l’année prochaine, du même jardin, sera un nouveau produit de cette nouvelle année, et ne sera pas davantage susceptible de se conserver.

N’y a-t-il pas des capitaux qui donnent des produits immatériels ?

Oui ; ce sont ceux qui, par leur service, procurent des jouissances, mais ne font naître aucune valeur nouvelle.

Donnez-m’en des exemples.

Une maison habitée par son propriétaire est une valeur capitale, puisqu’elle est née d’accumulations, de valeurs épargnées et durables. Cependant, elle ne rapporte point d’intérêts à son propriétaire ; il n’en tire pas non plus des matières qu’il puisse vendre ; mais elle produit pour lui une jouissance qui a une valeur, puisqu’il pourrait la vendre s’il consentait à louer sa maison. Cette jouissance ayant une valeur réelle, et n’étant pas jointe à un produit matériel, est un produit immatériel.

On en peut dire autant des meubles durables qui remplissent la maison, de la vaisselle et des ustensiles d’argent, etc., qui rapportent, non un intérêt, mais une jouissance.

Pourquoi ne dites-vous cela que des objets durables ?

Parce que, quand la consommation détruit la valeur du fonds, cette valeur n’est plus une valeur capitale, une valeur que l’on retrouve après s’en être servi. Mon argenterie est un capital, parce qu’après m’en être servi un an, dix ans, j’en retrouverai la valeur principale ; je n’aurai consommé que l’utilité journalière dont elle pouvait être[1] ; mais les chaussures que je porte ne sont pas un capital, car lorsque je les aurai usées, il ne me restera plus en elles aucune valeur.



  1. Une personne à qui on loue de l’argenterie n’acquiert pas la valeur des objets d’argent ; elle acquiert seulement, pour tout le temps qu’elle la tient à loyer, l’utilité journalière qui peut naître de l’argenterie.