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Catéchisme d’économie politique/1881/11

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Texte établi par Charles Comte, Joseph GarnierGuillaumin (p. 58-66).
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II

CHAPITRE XI.

Des échanges et des débouchés.


Qu’est-ce qu’on entend par un échange ?

Un échange est le troc d’une chose qui appartient à une personne, contre une autre chose qui appartient à une autre personne.

Les ventes et les achats sont-ils des échanges ?

La vente est l’échange que l’on fait de sa marchandise contre une somme de monnaie ; l’achat est l’échange que l’on fait de sa monnaie contre de la marchandise.

Quel but se propose-t-on quand on échange sa marchandise contre une somme de monnaie ?

On se propose d’employer cette monnaie à l’achat d’une autre marchandise ; car la monnaie ne peut servir à aucune autre fin qu’à acheter.

Qu’en concluez-vous ?

Que les ventes et les achats ne sont, dans la réalité, que des échanges de produits. On échange le produit que l’on vend et dont on n’a pas besoin, contre le produit qu’on achète et dont on veut faire usage. La monnaie n’est pas le but, mais seulement l’intermédiaire des échanges. Elle entre passagèrement en notre possession quand nous vendons ; elle en sort quand nous achetons, et va servir à d’autres personnes de la même manière qu’elle nous a servi.

Les échanges sont-ils productifs de richesse ?

Non, pas directement ; car rien ne produit de la richesse que ce qui ajoute à la valeur des choses en ajoutant à leur utilité. Or, des objets échangés ont passé dans des mains différentes, sans avoir, après l’échange terminé, une valeur courante supérieure à celle qu’ils avaient auparavant.

Pourquoi donc les échanges jouent-ils un si grand rôle dans l’économie sociale ?

Parce que chaque personne ne se consacrant qu’à un seul genre de production, et une multitude de produits lui étant nécessaires chaque personne ne consomme jamais qu’une très petite partie de ce qu’elle produit, et se trouve forcée de vendre tout le reste pour acheter la presque totalité des objets dont elle a besoin.

N’y a-t-il pas des personnes qui achètent sans produire ?

Il n’y a que celles qui vivent de secours gratuits qui puissent acheter sans produire ; et alors elles vivent sur les produits des personnes de qui elles tiennent ces secours[1].

Un propriétaire foncier n’achète-t-il pas sans produire et sans tenir des secours d’autrui ?

Un propriétaire foncier produit par le moyen de son instrument, de sa terre. Le loyer qu’il en reçoit est le prix du blé ou de tout autre produit qu’il a obtenu pour sa part dans la production à laquelle il a contribué par la collaboration de sa terre.

Il en est de même du capitaliste. L’intérêt de ses fonds est le prix de sa part des produits auxquels ses fonds ont concouru.

Quelle différence mettez vous entre le prix des produits et leur valeur ?

Le prix est la quantité de monnaie courante que l’on peut obtenir pour un produit, lorsqu’on veut le vendre ; c’est sa valeur exprimée en argent.

Quel est le prix le plus bas auquel un produit puisse être vendu et acheté ?

Un produit ne saurait être vendu et acheté, d’une manière suivie, à un prix inférieur aux frais de production qui sont indispensables pour l’établir. Si chaque livre de café ne peut être amenée dans la boutique où nous l’achetons sans une dépense de 40 sous on ne peut longtemps de suite, vendre une livre de café au-dessous du prix de 40 sous[2].

Le prix d’une marchandise ne baisse-t-il pas en proportion de ce qu’elle est plus offerte, et ne monte-t-il pas en proportion de ce qu’elle est plus demandée ?

Une marchandise, par cela seul qu’elle est plus offerte, c’est-à-dire offerte en plus grande quantité, sans que les autres marchandises le soient davantage, est à meilleur marché par rapport aux autres ; car le meilleur marché d’une chose consiste dans la possibilité où sont les acheteurs d’en avoir une plus grande quantité pour le même prix.

Par la même raison, du moment qu’elle est plus demandée, elle est plus chère ; car qu’est-ce que la demande d’un produit, sinon l’offre que l’on fait d’un autre produit pour acquérir le premier ? Or, du moment que cet autre produit est offert en plus grande quantité pour acquérir le premier, dès ce moment, dis-je, le premier est plus cher.

Que signifie, en parlant d’une marchandise, ce qu’on appelle l’étendue de ses débouchés ?

C’est la possibilité d’en vendre une plus ou moins grande quantité.

Quelles sont les causes qui étendent le débouché d’un produit en particulier ?

C’est d’abord le bon marché auquel il peut être établi par comparaison avec son utilité, avec les services qu’il peut rendre ; en second lieu, c’est l’activité de la production de tous les autres produits.

Pourquoi le bon marché d’un produit étend-il ses débouchés ?

Les familles qui habitent un canton, en contribuant à une production ou à une autre, gagnent chaque année des revenus très divers ; les uns 100 écus, les autres 1,000, d’autres 100,000 écus et davantage. On fait des gains annuels qui s’élèvent à toutes les sommes intermédiaires ; les plus nombreux sont les plus modiques, et les plus gros sont les plus rares. Vous comprenez dès lors qu’un produit se vendra en quantité d’autant plus grande qu’il sera plus utile et qu’il coûtera moins cher ; car ces deux conditions le font désirer de plus de monde, et permettent à plus de monde de l’acquérir.

Pourquoi l’activité dans la production de tous les autres produits augmente-t-elle les débouchés de chaque produit en particulier ?

Parce que les hommes ne peuvent acheter un produit particulier qu’ils ne produisent pas qu’à l’aide de ceux qu’ils produisent. Plus il y a de gens qui produisent du blé, du vin, des maisons, et plus les gens qui produisent du drap peuvent vendre d’aunes de leur marchandise.

Les producteurs ne sont donc pas intéressés à habiter un pays où l’on produit peu ?

Non, sans doute ; il se vend maintenant en France bien plus de marchandises que dans les temps de barbarie, par la raison qu’on en produit beaucoup plus qu’à ces malheureuses époques. Les producteurs, en s’y multipliant, y ont multiplié les consommateurs ; et chaque producteur, en produisant davantage, a pu multiplier ses consommations.

Nous produisons tous les uns pour les autres. Le fermier, ou fabricant de blé, travaille pour le fabricant d’étoffes ; celui-ci travaille pour le fermier ; le quincaillier vend ses serrures au banquier ; celui-ci reçoit et paie pour le quincaillier ; le droguiste fait venir des couleurs pour le peintre ; le peintre fait des portraits pour le marchand. Tout le monde est utile à tout le monde ; et chacun fait d’autant plus d’affaires, que les autres en font davantage.

Le commerce étranger n’est donc pas indispensable pour ouvrir des débouchés à notre industrie ?

Non ; mais le commerce que nous faisons avec l’étranger étend nos productions et notre consommation. Si nous n’avions pas en France de commerce au dehors, nous ne produirions pas de café, et nous n’en consommerions pas ; mais, par le moyen du commerce avec l’étranger, nous pouvons produire et consommer une immense quantité de café ; car, en produisant des étoffes que nous échangeons contre cette denrée d’un autre climat, nous produisons notre café en étoffes.

Dans quel cas les nations étrangères offrent-elles le plus de débouchés à notre industrie ?

Lorsqu’elles sont industrieuses elles-mêmes, et d’autant plus que nous consentons à recevoir plus de produits de leur industrie.

Notre intérêt n’est donc pas de détruire leur commerce et leurs manufactures ?

Au contraire ; la richesse d’un homme, d’un peuple, loin de nuire à la nôtre, lui est favorable ; et les guerres livrées à l’industrie des autres peuples paraîtront d’autant plus insensées qu’on deviendra plus instruit.



  1. Il y a, dans tous les pays, un grand nombre de personnes qui ne vivent pas de secours, et qui cependant achètent et consomment sans produire ; ainsi, tous les individus qui possèdent des sinécures ou qui sont payés pour remplir des emplois inutiles ou malfaisants, achètent et consomment sans rendre aucun service à la production ; les armées qui n’ont pas d’autre objet que de tenir dans l’oppression les classes industrieuses de la société, consomment d’immenses richesses et n’en produisent aucune ; les hommes qui livrent leurs capitaux au gouvernement pour qu’il les emploie à exécuter des entreprises inutiles ou funestes, et qui reçoivent en échange des rentes que les contribuables sont contraints de leur payer, achètent et consomment, mais ne produisent rien, du moins en leur qualité de rentiers ; enfin, tous les individus qui vivent d’extorsions ou de soustractions frauduleuses plus ou moins déguisées, achètent et consomment, et ne peuvent cependant être mis ni dans la classe des producteurs, ni dans celle des gens qui vivent de secours. Ch. C.
  2. Il ne faut pas oublier ici ce qui a été dit au chapitre vii, que les travaux des divers entrepreneurs (planteurs et négociants) qui ont concouru à cette production font partie des avances qu’elle a nécessitées, et que leurs profits n’étant que le remboursement de ces avances font partie des frais de production.