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Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/La comtesse de Beauharnais

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LA COMTESSE DE BEAUHARNAIS.


La comtesse Fanny de Beauharnais naquit à Paris en 1738. Elle était fille d’un receveur-général des finances, qui lui fit donner une brillante éducation. Dès sa jeunesse, elle montra beaucoup de goût pour la poésie, À dix-sept ans elle épousa le comte de Beauharnais, qu’elle ne put aimer et dont elle trouva le moyen de se séparer par sa retraite au couvent de la Visitation. Cette dame réunissait tous les talents littéraires, et recevait chez elle les hommes de lettres et les savants les plus distingués ; mais, quoique entourée de flatteurs, elle ne put échapper à la critique : si Buffon l’appelait sa fille. Le Brun faisait contre elle des épigrammes. Madame Fanny de Beauharnais a publié des poésies fugitives, les Lettres de Stéphanie, roman historique, plusieurs autres romans et une comédie ayant pour titre la Fausse inconstance ou le triomphe de l’honnêteté. Elle est morte en 1813.


ÉPÎTRE AUX HOMMES.


Sexe qui vous croyez le maître,
Soyez au moins digne de l’être ;
Justifiez votre fierté,
Et puis ce sera notre affaire,
Quand vous l’aurez bien mérité.
De vous surpasser pour vous plaire.

Pardonnez-moi cette candeur,
Ma plume obéit à mon cœur ;
Disserter est votre partage,
Mais disserter est-ce être sage ?

Notre frivole aréopage
Donne des lois à vos héros,
Et des pompons du badinage
Nous semons vos graves bureaux.
Vous savez manier les armes ;
Un grand sabre a pour vous des charmes ;
Vous vous battez bien mieux que nous :
Chez vous la force aide au courroux.
Oui, sur ce point, je dois le dire,
Vous avez sûrement l’empire ;
Notre force à nous n’est point là :
Que pouvons-nous faire à cela ?

Le ciel aussi nous dédommage ;
Dans nos cœurs il met le courage ;
Nos combats, hélas ! sont affreux :
Les vôtres sont moins douloureux ;
Et l’ennemi qu’il vous faut craindre,
Ne sachant ni plaire, ni feindre,
Moins cher, est bien moins dangereux.
Vous faut-il dévorer des larmes,
Résister à votre vainqueur ?
Sans honte vous rendez les armes.
Mais sous une feinte douceur,
Quand l’amour blesse notre cœur,
Trop sincères pour ne pas croire,
Pleurant la peine ou le bonheur,
Et la défaite et la victoire,
Et le triomphe de l’honneur,

Ou la perte de notre gloire,
Vous trouvons partout le malheur.
Savez-vous vaincre la nature ?
Connoissez-vous tous ces tourmens,
Vous esclaves de vos penchans,
Vous, que l’impunité rassure ?
J’ai tort, je vous condamne en vain ;
Tous mes reproches sont des crimes :
N’avez-vous pas votre latin
Qui vous rend des êtres sublimes ?
Oui, messieurs, le sexe jaseur
Doit tout au sexe raisonneur :
Trop heureuse, je suis sincère,
Que des demi-dieux tels que vous
Daignent descendre jusqu’à nous,
Et s’humaniser pour nous plaire.
Des philosophes, des penseurs,
Des géomètres, des docteurs,
Dont les discours sont admirables
Et les écrits inexplicables,
S’occuper de jolis enfans !
En perdre parfois le bon sens !
Autour de nous jouer sans cesse !
S’abaisser à notre foiblesse !
Tel est pourtant notre pouvoir.
Que la nature forme un sage ;
Si le sage vient à nous voir,
Reconnoît-elle son ouvrage ?
Enfin, tout adore nos fers ;
Tout suit l’instinct qui nous dirige ;
Par nos graces, par nos travers,
Si l’on veut, par notre vertige,
Nous enchaînons cet univers ;
Nous lui prouvons, grace au prestige,

Qu’en vous ébauchant avant nous,
Le ciel, de notre honneur jaloux,
Pour la fin garda son prodige,
Et que la main du Créateur
Commença vite par la tige,
Pour donner ses soins à la fleur.


ÉPÎTRE AUX FEMMES.


Mon sexe parfois est injuste :
Mais j’absous ce sexe charmant ;
Il fut ainsi du temps d’Auguste,
C’est tenir à son sentiment.
Je voudrois le fléchir, sans doute ;
Pour des titres, j’en ai plus d’un ;
Mes traits n’ont rien que de commun ;
Je me tais, et même j’écoute…
N’importe, il me faut renoncer
À l’espoir flatteur de lui plaire ;
Auprès de lui j’aurois beau faire.
Tout en moi paroît l’offenser,
Et mes juges, dans leur colère,
M’ôtent jusqu’au droit de penser.
Un jour que j’étois bien sincère,
J’exerçai ma plume à tracer
Les charmes de leur caractère[1] :
Par-là, j’ai su les courroucer.
Cependant j’exalte ces dames ;
J’encourage leurs défenseurs ;
Je leur donne à toutes des ames ;

Je chante leurs grâces, leurs mœurs,
Et leurs combats, et leur victoire ;
Je les compare aux belles fleurs
Qui des campagnes font la gloire :
Elles rejettent mon encens,
Et, ce qu’on aura peine à croire,
Me traitent, dans leur humeur noire,
Presque aussi mal que leurs amans.
Mes vers sont pillés, disent-elles ;
Non, Chloé n’en est pas l’auteur ;
Elle fut d’une pesanteur…
Le temps ne donne pas des ailes.
Mon Dieu ! reprend avec aigreur,
À coup sûr l’une des moins belles,
Jadis je la voyois le soir ;
Alors elle écrivoit en prose ;
Peut-être, hélas ! sans le savoir,
Et hasardoit fort peu de chose.
Mesdames, à ne point mentir,
Je prise fort de tels suffrages :
Mais craignez de m’enorgueillir
En me disputant mes ouvrages ;
Ne me donnez point le plaisir
De me croire un objet d’envie ;
Je triomphe quand vous doutez ;
Rendez-moi vite vos bontés,
Et je reprends ma modestie.


À UN DE SES AMIS,
QUI VENAIT D’ÊTRE MALADE.


Je vous le dis sans compliment,
Car je fuis la louange fade,
Vous me semblez intéressant,
Même en cessant d’être malade.
Croyez-en à la bonne foi
Qui, comme on sait, nous est prescrite ;
De tout mon sexe c’est la loi
Depuis qu’il s’habille en lévite.
N’allez pas vous croire flatté ;
Non, jamais je ne dissimule :
La modestie est ridicule
Lorsque l’éloge est mérité.
Vous, l’Alcibiade anonyme,
À qui j’adresse mes chansons ;
Vous, le phénix des papillons,
On vous dit fort sujet au crime,
Comme aux peines du changement ;
Plus d’une belle en est victime,
Et je les plains assurément.
Jouissez donc, s’il est possible,
De ce plaisir si languissant ;
Mais réparez, ami sensible,
Tous les torts du volage amant.


À M. BAILLY,
DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES,
en recevant de lui le présent de ses lettres sur l’atlantide de platon.


 
Qu’il est beau de suivre les traces
De ce philosophe vanté,
Qui faisoit à la vérité
Parler le langage des Graces !
Rien n’échappe à la faulx du tems.
De Platon partageant la gloire,
Vous sondez l’abîme des ans,
Et vous montrez ce qu’il faut croire.
Il parloit aux Athéniens,
Peuple léger, frivole, aimable :
Pour instruire un peuple semblable.
Vos talens égalent les siens.
Chaque vérité qu’il suppose,
Vous la prouvez élégamment :
Je retrouve dans votre prose
De la sienne tout l’agrément ;
Et tout m’oblige en ce moment
De croire à la métempsycose…
D’y croire, au moins, en vous lisant.
Qu’elle est rare, votre science !
Elle disparoît sous les fleurs
Dont l’embellit votre éloquence,
Et désarme ainsi les censeurs.
Que j’aime surtout la peinture

De ces insulaires fameux[2],
Qui ne suivaient que la nature,
Dont la vertu fut la parure,
Dont le secret fut d’être heureux !
Mais s’il est vrai que les Atlantes
Sont nos véritables aïeux,
Si de ces hommes vertueux
Descendent les races présentes,
Convenez que, depuis le tems
Qu’ils n’habitent plus l’hémisphère.
Les mortels qui peuplent la terre
Tiennent peu de ces bons parens !
Nos amours sont un peu légères :
Les agréables de Paris
Trompent assez bien leurs bergères,
Et ne valent point vos Péris.
On est faux, léger et perfide,
Et surtout on est peu discret :
On ne garde pas un secret
Aussi bien que dans l’Atlantide.
Jusqu’aux douces illusions,
Dont le mensonge secourable,
Des amoureuses passions
Rendoit le jour plus supportable,
Dans ce siècle on a tout détruit.
À qui dresse-t-on des trophées ?
Au manége, au faste, au crédit,
À la beauté qui s’avilit,
Et l’on ne croit guère à vos fées.
Mais des Atlantes de Platon
Ne reste-t-il aucune trace ?
Et cette auguste et noble race

N’a-t-elle point de rejeton ?
Il en est un, tout me l’atteste ;
Et je vous en dirois le nom,
Si je vous savois moins modeste.


AUX SAUVAGES.


Sauvages, soyez nos modèles.
Le sentiment guide vos pas ;
À sa loi vous êtes fidèles.
Que n’habité-je vos climats !

Chaque nœud s’y forme ou se brise
Au gré des cœurs indépendans :
Parmi vous il n’est point de grands
Que l’on redoute ou qu’on méprise.

Vous ne descendez pas au soin
De vous surpasser en richesse ;
Chez vous, la seule qu’on connaisse.
C’est d’en ignorer le besoin.

Si vous ne donnez qu’une rose,
Elle vaut tous nos diamans :
Que fait la valeur de la chose ?
Le cœur met un prix aux présens.

Vous vous aidez avec tendresse ;
Nul secours n’est humiliant,
Et jamais la délicatesse
Ne rougit même en acceptant.


Reconnoissante, et non séduite,
La beauté nomme son vainqueur :
Le penchant règle sa conduite :
On n’y ment jamais à son cœur.

C’est sous vos huttes qu’on sait vivre !
On végète sous nos lambris ;
La nature vous sert de livre,
Son instinct vaut tous nos écrits.


À OROSMANE.


Cher Orosmane, mon idole.
Toi, le seul Turc dont je raffole,
Combien je fais cas de ton cœur !
Ton amour te coûta l’empire ;
Le repos, le jour et Zaïre,
Tu perdis tout par une erreur :
N’importe ! injuste, je t’adore ;
Armé d’un fer, je t’aime encore ;
Je chéris jusqu’à ta fureur ;
Je pardonne à ta violence,
Et la préfère à la langueur
De tous nos scélérats de France,
De ces caméléons de cour,
Sans principes, sans consistance,
Qui nous attaquent sans amour,
Qui nous gardent par convenance ;
Fripons et dupes tour à tour,
Que l’on trahit sans conséquence ;
Trop foibles pour être jaloux,
Et trop froids, soit dit entre nous.
Pour le plaisir de la vengeance.


LE SONGE TROMPEUR.


La bonne foi fut ma chimère :
N’ai-je donc chéri qu’une erreur ?
Ô dieux ! laissez-moi mon bonheur
Je ne veux point que l’on m’éclaire
S’il faut que l’Amour soit trompeur.
Que l’Amitié soit un mensonge ;
Faites encor durer le songe,
Et laissez la nuit dans mon cœur.

Que dis-je, hélas ! brisons des chaînes
Qui peuvent coûter des soupirs,
Et défendons-nous des plaisirs,
Quelquefois si voisins des peines.
Mais pourquoi veux-je me sauver
D’une erreur qui m’est aussi chère ?
Rendors-toi, rendors-toi, Glycère :
Pour être heureuse, il faut rêver.


L’ÂGE DU BONHEUR.


Dans le monde, nos premiers ans
Sont dirigés par l’innocence.
Quelle est heureuse notre enfance !
Toujours croire est sa jouissance,
Et tous nos rêves sont charmans.
Combien sa joie est vive et pure !
Il lui semble, du sein des jeux,
Que tous les cœurs sont vertueux,

Qu’ils sont fermés à l’imposture.
Mortels, qui nous ouvrez les yeux,
Hélas ! vous êtes bien coupables :
On perd tout quand on vous voit mieux ;
On perd ces prestiges aimables
Par qui des hommes sont des dieux
Ah ! rendez-moi, s’il est possible,
L’opinion que j’eus de vous.
Sur la foi d’une erreur paisible,
J’aimois à vous estimer tous.
Je regrette un bandeau si doux :
La vérité m’est trop pénible.


PORTRAIT DES FRANÇAIS.


Tous vos goûts sont inconséquents ;
Un rien change vos caractères ;
Un rien commande à vos penchans,
Vous prenez pour des feux ardents
Les bluettes les plus légères.
La nouveauté, son fol attrait.
Vous enflamme jusqu’au délire ;
Un rien suffit pour vous séduire,
Et l’enfance est votre portrait.
Qui vous amuse vous maîtrise :
Vous fait-on rire, on a tout fait,
Et vous n’aimez que par surprise
Vous n’avez tous qu’un seul jargon,
Bien frivole, bien incommode.
Si la raison étoit de mode,
Vous auriez tous de la raison

  1. Voir l’Épitre aux hommes, de 1772. Celle-ci est de 1773.
  2. Les Atlantes