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Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/Madame de Bourdic-Viot

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MADAME DE BOURDIC-VIOT.


Madame Viot (Marie-Anne-Henriette Payan de l’Estang) naquit à Dresde en 1746, de parents peu fortunés. Amenée en France on ne sait comment, à l’âge de quatre ans, elle épousa à douze ans le marquis de Ribère-d’Antremont, du comtat Venaissin, qui la laissa veuve à seize ans. Elle connaissait parfaitement le latin, l’allemand, l’anglais et l’italien, ainsi que la musique, qui, jointe à la poésie, partageait tout son temps. Ses poésies, qui sont en grand nombre et dont la plupart lui ont été dérobées, sont disséminées dans l’Almanach des Muses et autres recueils de ce genre. Madame d’Antremont épousa en secondes noces le baron de Bourdic, major de la ville de Nîmes, après la mort duquel elle contracta de nouveaux liens, en épousant M. Viot, commissaire des relations extérieures à Barcelonne. Cette dame, connue autant par son esprit que par son amabilité, et dont les vers sont dans le style de Voltaire et de Gresset, est morte à la Ramière, près Bagnols (Gard), en 1802.


ÉPÎTRE A MA MUSE.


En vain du temple de Mémoire,
Muse, tu me promis l’accès ;
En vain quelques instans de gloire
Flattèrent mes premiers succès :

Ces riens, ces stériles merveilles
D’un auteur flétri par les veilles,
Qui pour vivre meurt en détail ;
Ces courts honneurs d’un long travail :
Ces éloges, cette couronne,
Le faux éclat qui l’environne,
Ont-ils satisfait mes désirs ?
L’épine croît où le laurier repose ;
C’est à Paphos que naît la rose,
La rose, emblème des plaisirs.

Dis-moi, trompeuse enchanteresse,
Si dans les antres du Permesse
J’avois perdu mes premiers ans,
La gloire, ce prix des talens,
Vaut-elle un jour de la jeunesse,
Une fraîche nuit du printems ?
Mais non, je veux, flatteuse idole,
Qu’au gré de tes vœux on immole
Ses jeunes ans et ses amours,
Pour s’assurer un nom frivole
Dans l’hiver de ses derniers jours :
Le vol de tes constantes ailes
Jusques aux voûtes éternelles
Eut-il porté mes pas heureux ?
Non, muse, cet essor rapide
N’est point fait pour l’aile des jeux :
Voit-on la fauvette timide
Élever son vol jusqu’aux cieux ?
Écho léger du badinage,
Sa voix n’a que de tendres sons ;
Il suffit à son goût volage
De répéter dans le bocage
L’air négligé des folâtres chansons.

Autour d’une molle cadence
Quelques vers pliés par l’aisance,
Enfans légers d’un doux loisir,
Ne sont pas nés dans l’espérance
De vivre un jour dans l’avenir.
Pensant peu, respirant sans cesse
Les douceurs du désœuvrement,
Je n’ai pas cru que la justesse
Fût nécessaire à l’agrément ;
Non, la beauté de la paresse
Naît du plus simple ajustement.
Dans la peine le goût s’émousse ;
Un pinceau foible se courrouce
S’il est trop long-tems corrigé :
Le mien ne peint qu’en taille-douce ;
Mes Graces sont en négligé :
Ainsi, la bergère naïve
Dédaigne les vains ornemens ;
Son esprit est sa gaîté vive ;
Ses attraits sont des sentimens.
Le goût embellit Deshoulière ;
Le peintre de la volupté,
Chaulieu, d’une touche légère,
A peint pour l’immortalité.
S’il est un art pour les Apelles,
Il en est un pour les Mignards ;
Loin des lis et des immortelles
Les fougères sont assez belles,
Et méritent quelques regards.
Oui, muse, je pourrois peut-être
Aux lieux où le ciel m’a fait naître
Trouver des lecteurs indulgens ;
Aux essais de mes jeunes ans
Albertine a daigné sourire ;

Mais quand ces vers, fruits d’un moment,
Ou du caprice, ou du délire,
Seraient accueillis dans l’empire
Des graces et de l’enjoûment,
Muse, que de peines réelles
Suivroient ce dangereux honneur !
Par des angoisses éternelles
Peut-être j’expîrois un moment de faveur
Vois-tu ces tribunaux bizarres
Et ces philosophes barbares
Citer les talens à leur cour,
Comme si, pour voir le grand jour,
Les Ris accouroient à leur siége,
Ou qu’il fallût un privilége
Aux fugitives de l’Amour !
Ils voudroient aux règles sévères
Asservir mes rimes légères,
En effacer ce peu d’appas,
Cet air libre et vif de l’aisance,
Ces couleurs de la négligence
Faites pour les yeux délicats.
Du moins si par une loi sage
On avoit réglé le partage,
Le département des écrits :
Qu’on laissât les doctes fadaises
A nos pédans, à nos Saumaises ;
Aux petits-maîtres étourdis,
Les historiettes nouvelles,
Les anecdotes des ruelles
Et les affiches de Cypris ;
Alors les Gressets, les Voltaires
Ne seroient lus que des Plaisirs ;
Leurs chansons vives et légères
Seroient le code des bergères

Et l’ame de tous leurs désirs.
Mais puisque l’envie à l’œil louche,
Que la critique âpre et farouche
Versèrent sur eux leurs poisons,
Bien plus sensible à leurs disgrâces
Qu’éprise des fleurs dont les Graces
Parent leurs écrits et leurs noms,
Je reste dans ma solitude ;
J’y trouve ma tranquillité ;
Un sort exempt d’inquiétude
Vaut mieux que la célébrité.
L’ombre s’accroît, et le silence
Descend de la voûte des cieux ;
Le jour fuit, et la nuit commence.
Règne avec elle dans ces lieux,
Sommeil ; aux loisirs studieux
Fais succéder la nonchalance
Et le repos voluptueux.
Tu m’entends.... déjà la paresse
Couronne mon front de pavots ;
En touffe de fleurs la mollesse
S’enveloppe dans mes rideaux,
Et, cédant au dieu qui la presse,
Tombe et s’endort sur mes pinceaux.


LETTRE

DE MADAME LA MARQUISE D’ANTREMONT,

A M. DE VOLTAIRE,

A QUI ELLE ENVOYAIT QUELQUES OUVRAGES EN VERS.


Monsieur,


Une femme qui n’est pas madame Desforges-Maillard[1], une femme vraiment femme, et femme dans toute la force du terme, vous prie de lire les pièces renfermées sous cette enveloppe ; elle fait des vers parce qu’il faut faire quelque chose, parce qu’il est aussi amusant d’assembler des mots que des nœuds, et qu’il en coûte moins de symétriser des pensées que des pompons : vous ne vous apercevrez que trop, Monsieur, que ces vers lui ont peu coûté, et vous lui direz que

Des vers faits aisément sont rarement aisés.

Elle se rappelle vos préceptes sur ce sujet, et ceux de Boileau, qui partage avec vous l’art de graver ses écrits dans la mémoire de ses lecteurs, et d’instruire l’esprit sans lui demander des efforts. Vos principes et les siens sont admirables, mais ils ne s’accordent pas avec la légèreté d’une personne de vingt-un ans, qui a beaucoup d’antipathie pour tout ce qui est pénible ; heureusement je rime sans prétention, et mes ouvrages restent dans mon portefeuille ; s’ils en sortent aujourd’hui, c’est parce qu’il y a long-temps que je désirois d’écrire à l’homme de France que je lis avec le plus de plaisir, et que je me suis imaginée que quelques pièces de vers serviroient de passeport à ma lettre ; je n’ai point eu d’autres motifs, Monsieur :


Il est des femmes beaux-esprits ;
À Pindare autrefois, dans les jeux Olympiques,
Corinne des succès lyriques
Très-souvent disputa le prix.
Pindare, assurément, ne valoit pas Voltaire ;
Corinne valoit mieux que moi ;
Qu’il faudroit être téméraire
Pour entrer en lice avec toi !
Mais je le suis assez pour désirer de plaire
A l’écrivain dont le goût est ma loi.
Si tu daignois sourire à mes ouvrages,
Quel sort égaleroit le mien !
Tu réunis tous les suffrages,
Et moi, je n’aspire qu’au tien.


Il seroit bien glorieux pour moi, Monsieur, de l’obtenir ; n’allez pourtant pas croire que j’ose me flatter de le mériter, mais croyez que rien ne peut égaler les sentiments d’estime et d’admiration avec lesquels j’ai l’honneur d’être, etc.

D’ANTREMONT.

A Aubenas, le 4 février 1768.


RÉPONSE DE M. DE VOLTAIRE.


Vous n’êtes point la Desforges-Maillard :
De l’Hélicon ce triste hermaphrodite
Passa pour femme, et ce fut son seul art ;
Dès qu’il fut homme, il perdit son mérite.
Vous n’êtes point, et je m’y connois bien,
Cette Corinne et jalouse et bizarre
Qui par ses vers, où l’on n’entendoit rien,
En déraison l’emportoit sur Pindare.
Sapho, plus sage, en vers doux et charmans
Chanta l’amour ; elle est votre modèle,
Vous possédez son esprit, ses talens ;
Chantez, aimez : Phaon sera fidèle.

Voilà, Madame, ce que je dirois si j’avois l’âge de vingt-un ans, mais j’en ai soixante-quatorze passés ; vous avez des beaux yeux sans doute ; cela ne peut être autrement, et j’ai presque perdu la vue ; vous avez le feu brillant de la jeunesse, et le mien n’est plus que de la cendre froide ; vous me ressuscitez, mais ce n’est que pour un moment, et le fait est que je suis mort.

C’est du fond de mon tombeau que je vous souhaite des jours aussi beaux que vos talents.

J’ai l’honneur d’être, etc.

DE VOLTAIRE.

A Ferney, pays de Gex, le 20 février 1768.


LA PRÉSIDENTE DE TOURVILLE A VALMONT.

ROMANCE.


Toi qui séchas souvent mes larmes,
Amitié, je t’implore en vain ;
Mon cœur, insensible à tes charmes,
S’agite et cède à son destin ;
Le feu secret qui le consume
N’est point l’ouvrage de l’amour ;
La flamme qu’un enfant allume
N’auroit pas duré plus d’un jour.

Mon esprit est dans le délire,
Je cherche ce que je veux fuir ;
Quand je veux parler, je soupire,
Tout m’attriste, jusqu’au plaisir ;
Si parfois la raison m’éclaire
Sur le danger qui me poursuit,
C’est comme une vapeur légère
Que le souffle du vent détruit.

Quel est donc ce charme invincible
Qui fait et défait mon bonheur,
Qui, tour à tour, doux et terrible,
Caresse ou déchire mon cœur ?
Les arbres perdent leur parure,
La rose meurt chaque printemps ;
Mais les saisons et la nature
Ne changent point mes sentimens.


Objet qui causes ma souffrance,
Toi qui m’enlèves mon repos,
Toi qui défends à l’espérance
De venir soulager mes maux ;
Tu t’abuses si tu peux croire
Me rebuter par ta froideur :
La constance est comme la gloire ;
Elle grandit dans le malheur.

Ta victime, proscrite, errante,
Ira, de climats en climats,
Fatiguer de sa voix mourante
L’écho que tu n’entendras pas :
Quelques remords pourront, peut-être,
Un jour te ramener vers moi ;
Et, lorsque j’aurai cessé d’être,
Tu me croiras digne de toi.


A M. DE * * *,

SUR LE SÉJOUR DE PARIS.


Marquis, je ne vois pas comment
Dans cette cité misérable,
Où le plaisir est un tourment,
Dont la fatigue nous accable,
Tu peux trouver quelque agrément.
Des désœuvrés de nos ruelles
Préférerois-tu les pavots
Aux fleurs, aux plantes immortelles
Dont Mars ceint le front des héros ?
Voudrois-tu, tristement tranquille,

Des invalides de la ville
Grossir le cortège ennuyeux ?
Je sais qu’il est sur cette rive
Une belle à deux yeux mourans
Qui, sur la foi de tes sermens,
Rappelle ton ame captive
A ses premiers engagements.
Mais quoi ! le cœur d’un militaire
N’est avec nous que volontaire
Et ne suit que ses goûts changeans.
Si quelquefois, quand Mars repose,
Vénus a des soins obligeans.
Elle a le destin d’une rose,
Qu’on oublie avec le printemps :
Tels, appelés par la victoire,
On a vu nos jeunes guerriers
Quitter les amours pour la gloire,
Et le myrte pour les lauriers.
Tous les peuples ont leur génie ;
Le nom sacré de la patrie
Transporte l’ame de l’Anglais ;
Le Suisse commerce la vie ;
Du Batave dans ses marais
Plutus anime l’industrie ;
La volupté toujours en paix
Séduit l’indolente Italie ;
La gloire entraîne le Français ;
Elle seule est la récompense,
Le plus doux prix de ses travaux ;
Gloire, c’est à toi que la France
Doit le grand homme et le héros !


À M. F * * *,


QUI INVITAIT L’AUTEUR À NE PAS S’AMUSER DE COLIFICHETS

ET QUI, POUR L’ENGAGER À LES MÉPRISER,

LUI CITAIT LES EXEMPLES DE SAPHO, D’ÉLISABETH, etc.


Laissez-moi mes pompons, mes nœuds et mes aigrettes,
J’aime à symétriser tous ces colifichets ;
Pour créer tous ces riens les femmes furent faites :
La mode dans leurs mains a remis ces hochets.
Ne nous disputez point ce frivole avantage
D’arranger avec art un chiffon élégant :
Le soir, dans un souper charmant,
(Car c’est là notre aréopage)
Nous recevons le prix de ce joli talent ;
Il sait nous attirer l’hommage
Du petit-maître et du pédant,
Et fait parfois tourner la tête au sage.
Je crois que le sexe jaseur
Ne doit pas envier le suffrage trompeur
Du fameux temple de mémoire :
Sapho, par son luth enchanteur,
Ceignit son front des lauriers de la gloire
Et du léger Phaon ne put fixer le cœur ;
Que gagne-t-on à vivre dans l’histoire ?
Élisabeth fut roi ! voyez le grand bonheur !
Christine, bien moins vaine et bien plus sage qu’elle,
Sous le poids de la dignité
Se lassant de plier une tête rebelle,
Sut abjurer la royauté,
Et renonçant sans peine au titre d’immortelle,

Elle jouit en paix des droits de la beauté.
Le zéphir, par sa douce haleine,
Vient caresser les fleurs qui croissent dans nos champs ;
Le rossignol, par ses accords touchans,
Fait retentir et les monts et la plaine ;
Vous faites des vers séduisans :
Chaque être cède au penchant qui l’entraîne.


LE PINÇON.

ROMANCE.


Dans le cristal d’une eau claire,
Un jour pinçon se mira :
Que d’attraits ! comme il va plaire !
Quelle beauté sera fière,
Quand pinçon se montrera ?

Pour qui sera son hommage ?
Pour qui, dit-il ? quelle erreur !
Croit-on que pinçon s’engage ?
C’est aux belles du bocage
À se disputer son cœur.

Il prend l’essor, il s’élance,
Va de buisson en buisson
Étaler son élégance :
Mais, voyez l’impertinence !
Linotte siffle pinçon.


En vain il crie à fauvette :
Regarde, remarque bien
Ce plumage, cette tête !
Ah ! la surprise est complette ;
Fauvette n’admira rien.

Aussi quelle fantaisie !
Fauvette a-t-elle des yeux ?
Les moineaux sont sa folie.
Les moineaux ! Ah ! je parie,
Philomèle en juge mieux.

Le voilà donc auprès d’elle.
Vite, au phœnix des oiseaux,
Rends hommage, Philomèle :..
Gloire, chanta cette belle,
Honneur au phœnix des sots !
 
Quelqu’un me dira, peut-être,
Sans doute il se corrigea.
— Non, non, c’est mal le connaître ;
Pinçon était petit-maître :
Pinçon jamais ne changea.


À UNE JOLIE DÉVOTE.


Y pensez-vous, jeune Thémire ?
Quoi ! dans l’âge heureux des désirs,
Vous oseriez adopter le délire
D’une dévotion qui défend les plaisirs ?
Vénus se plaint, l’Amour soupire ;
Les Grâces pleurent sur ces nœuds

Que votre main brûle et déchire.
Quel zèle ennemi vous inspire ?
Eh quoi ! faut-il, pour plaire aux dieux,
Qu’on se dépare et s’enlaidisse ?
Exigent-ils le sacrifice
Des attraits que l’on reçut d’eux ?
Il fut un tems où, moins sévère,
Votre doctrine étoit l’amusement ;
Delille, votre bréviaire ;
Votre morale, un sentiment.
Mais, hélas ! quel revers funeste !
Et que le tems est bien changé !
Votre beauté seule vous reste ;
Aux amours vous donnez congé.
Le chapeau cède à la cornette ;
Plus de boudoir, plus de toilette ;
Le miroir même est négligé.
Vos jolis vers, dans le sein du mystère,
Sont désormais ensevelis ;
Massillon succède à Voltaire,
Et Bourdaloue aux jeux, aux ris…
Ah ! croyez-moi, quittez ce ton sévère ;
Retournez encore à Cythère ;
Vous aurez pour temple un berceau,
Vénus pour pénitencière ;
Pour oracle, le chalumeau
Du berger qui saura vous plaire ;
De tendres chansons pour prière.
Et pour peine….. un désir nouveau.


ADIEUX AUX MUSES.


Vous dont j’ai trop chéri l’empire,
Déités de mes jeunes ans,
Muses, reprenez votre lyre :
Je vais à des dieux plus charmans
Porter mes vers et mon encens.
L’amour est un plus doux délire ;
Vous m’égarâtes, il m’inspire :
Lui seul remplit tous nos momens :
C’est par lui que le cœur désire ;
Lui seul est l’intérêt du temps.
Près des biens dont sa main dispose,
Que les fleurs du sacré vallon,
Que les lauriers sont peu de chose !
L’épine croit sur l’Hélicon :
C’est à Paphos que naît la rose.
Hélas ! dans l’âge du désir,
Muses, faut-il qu’on vous immole
Des jours destinés à jouir ?
Qu’importe une gloire frivole ?
L’éternité de l’avenir
Vaut-elle un moment qui s’envole ?
Dans ce gouffre où tout va finir,
Voyez tomber et s’engloutir
Talens sublimes, noms célèbres ;
Rien sur ces profondes ténèbres
Ne surnage que le plaisir ;
Et tandis qu’il vient me sourire,
Tandis qu’à son souffle enchanteur,
Mon cœur se ranime et respire,

Le feu doux et pur du bonheur ;
J’irois, esclave dans vos chaînes,
Vivre dans un antre écarté,
Mourir en détail dans les peines
D’une triste célébrité !
Tranquille enfin sur le rivage,
J’irois encor chercher l’orage,
Braver les dédains, le mépris
D’un public injuste et volage,
Exposer mes frêles écrits
Aux fureurs d’un censeur sauvage !
Non, il est temps d’être plus sage :
Cachons-nous sous l’aile de jeux ;
Laissons à Verdier l’avantage
De charmer un jour nos neveux.
Écrire et plaire est son partage ;
Mon sort sera moins glorieux ;
Mais pour être heureuse à mon âge,
A-t-on besoin d’un nom fameux ?
Muses, reprenez votre lyre.
Je vous dis adieu pour toujours ;
J’aime, et mon cœur et les amours
Bien mieux que vous m’apprendront à le dire.


LE MONDE TEL QU’IL EST.


Vante qui voudra le vieux tems !
L’âge d’or est l’âge où nous sommes :
Nous avons fort peu de grands hommes ;
Mais nous avons des fous charmans,
De jolis roués de vingt ans,
Des petits maîtres de soixante.

Honneur à la race présente !
Ce n’est plus tous ces preux errans,
Ces paladins si fiers, si francs ;
Ce n’est plus ces bonnes grand’ mères,
N’ayant que griffes pour les gens,
Et les montrant pour des misères ;
Nous avons bien d’autres manières,
Des procédés plus amusans.
Ah ! grace aux dieux, tout est en France
D’une honnêteté, d’une aisance !
Nos belles ne font plus languir
Dans les siècles de l’espérance ;
Le roman est prêt à finir
Au moment même qu’il commence.
Nous avons l’éclair du plaisir,
Les bluettes, l’effervescence ;
On rit de l’antique constance ;
Tout s’abrège jusqu’au désir :
On s’étoit pris sans conséquence,
On se quitte sans se honnir :
Aussi, quels nœuds et quelle flâme !
C’est un concert délicieux.
Tout chevalier, selon ses vœux,
Peut, sans encourir aucun blâme.
Vingt fois le jour trahir ses feux :
On n’en meurt pas..... Sa chère dame
Le lui rend vite..... et c’est tant mieux !
D’honneur, ce procédé m’enchante !
Tous ces petits arrangemens
Forment une scène piquante.
Font du jour les tableaux charmans
Et la chronique intéressante :
Il nous faut des événemens ;
Tout est pour nous comme le temps.

Nos mœurs en ont les mouvemens
Et la mobilité constante.
Tel qu’il est dans ses goûts changeans,
J’aime ce monde à la folie ;
Je suis comme à la comédie ;
Quelquefois, même à mes dépens,
Je permets fort bien qu’on m’ennuie.
Un sot a l’intrépidité
De se trouver en comité
Avec l’esprit et le génie ;
Que faire ? il veut être écouté,
Il veut donner signe de vie.
Avec mon cœur toujours d’accord,
Excuser tout est ma manie :
A mes yeux personne n’a tort ;
Rien ne m’aigrit, rien ne m’offense ;
Je vois avec indifférence
Des fats outrant l’impertinence,
Des nains qui cherchent la grandeur,
Des Midas jouant l’importance,
Des prudes sans mœurs, sans décence,
D’honnêtes femmes sans honneur.
Pourquoi verrai-je avec humeur
Rouler ce monde sublunaire
Dans l’inconséquence et l’erreur ?
Quel qu’il soit, il est ma chimère ;
C’est une épine avec sa fleur.

  1. Il s’agit ici de M. Desforges-Maillard, du Croisic, en Bretagne, poète de ce temps, qui mystifia le public pendant plusieurs années en publiant ses œuvres d’abord sous le nom d’une prétendue demoiselle Malcrai de la Vigne, et ensuite sous celui de sa femme.