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Choses vues/1847/Notes éparses (2)

La bibliothèque libre.
Ollendorf (Œuvres complètes. Tome 25p. 294-295).


[NOTES ÉPARSES.]


10 décembre 1847.

M. Barthélémy est venu me voir ce matin et m’a lu des vers qu’il m’adresse sur la Poésie et qui paraîtront dimanche dans le Siècle. Son point de vue est à la fois injuste et étroit. Je ne le lui ai pas dissimulé. Il m’appelle

Novateur dans le vers et non dans la pensée.

Toute cette épître, je le lui ai dit, rappelle par le fond mesquin des idées l’épître de Boileau à Molière :

Enseigne-moi, Molière, où tu trouves la rime.

Il y a du reste de fort beaux vers dans l’épître de M. Barthélémy. Il m’a dit : — Je ne la publierai pas si elle vous déplaît. — Je lui ai dit : — Publiez. Je crois que vous avez aujourd’hui, et que j’ai demain. Le public vous donnera raison et la postérité vous donnera tort. Moi, je vis penché en avant.




19 décembre.

On a crié quand j’ai dit dans Notre-Dame de Paris que la chimie de nos jours ne fait guère que retrouver l’alchimie, si niée et si raillée depuis deux siècles, de même que le magnétisme explique et constate les prophètes, les sybilles, les visionnaires et les martyrs. Chaque jour le prouve. Ainsi l’éther et le chloroforme, ces miracles d’aujourd’hui, sont, pour qui a lu, de vieux miracles. Il y a, à la bibliothèque communale de Cambrai, deux exemplaires d’un livre intitulé : Proprietates rerum Domini Bartholomei anglici. L’un de ces exemplaires, édition de 1482, vient de l’abbaye de Saint-Aubert, l’autre, édition de 1488, vient de l’abbaye de Saint-Sépulcre. On y lit au livre XVII, chapitre 104, les quatre lignes que voici : — Mandragoræ cortæ, vino mixtus, porrigitur ad bibendum, his quorum corpus, et, secundum, ut dolorem non sentiant, soporati. — « L’écorce de mandragore, mêlée au vin, est présentée à boire à ceux dont le corps (doit subir quelque opération douloureuse) et sur-le-champ ils sont endormis de manière à ne point sentir la douleur. »

Je disais l’autre jour à un savant que cela ébouriffait : — Savez-vous ? depuis quelque temps, à son insu, l’Académie des sciences dans ses séances du samedi ne fait autre chose que réhabiliter la magie.




26 décembre. — M. Teste est toujours à la Conciergerie. Il y reçoit beaucoup de visites. Ses amis ne l’ont point abandonné. Sa femme, vieille et malade, vient tous les jours à huit heures du matin, et ne s’en va qu’à sept heures du soir. Sa cellule, qui donne sur la cour des femmes, se trouve être précisément au-dessous de la chambre qu’il présidait à la cour de cassation, de sorte qu’à chaque instant il entend le bruit de la sonnette du président, de cette sonnette qu’il avait seul le droit d’agiter il n’y a pas un an. En face de sa fenêtre est la fenêtre du cabinet du bâtonnier de l’ordre des avocats. Ce cabinet aussi a été le sien.

On voulait faire transférer M. Teste dans une maison de santé, les médecins avaient donné un certificat de maladie, quoiqu’il ne fût pas malade. On a échoué. — M. Teste a donné des conseils affectueux à l’avocat de Rosemond de Beauvallon pour ses moyens de pourvoir en cassation. Il y a un an le même Teste eût été impitoyable à Beauvallon.