Chronique de la quinzaine - 14 janvier 1864

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Chronique n° 762
14 janvier 1864


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 janvier 1864.

La tâche que nous aurions aujourd’hui à remplir semble nettement tracée : notre mission serait d’essayer de résumer les impressions que les nobles et vastes débats commencés au corps législatif laissent au sein du grand auditoire de la France ; notre devoir serait de condenser les argumens qui s’entre-choquent dans la discussion, de les peser, de les comparer, de les mettre en balance ; notre agrément et notre plaisir seraient d’étudier sur le vif le génie ou le talent des orateurs, d’estimer la portée de leurs paroles par l’appréciation de leurs antécédens et de leur situation personnelle, de calculer l’influence réciproque des personnes sur les choses et des choses sur les personnes, de faire en un mot, à propos des scènes d’éloquence politique auxquelles nous assistons, ce double travail entremêlé, qui consisterait à constater l’impulsion que les débats législatifs donnent à la vie publique de ce pays, les résultats pratiques qui en découlent pour la conduite de nos affaires, et en même temps à rendre cette sorte d’émotion esthétique que l’on éprouve devant le spectacle de l’émulation des opinions et des talens. Eh bien ! cette tache, nous croyons, à notre grand regret, que nous n’avons pas le pouvoir légal de la remplir. Comment pourrions-nous nous y essayer sans courir le péril d’être accusés d’esquisser un compte-rendu des débats parlementaires ? Il ne peut y avoir d’autres comptes-rendus de ces débats que ceux qui sont autorisés par le règlement de la chambre. Entre l’appréciation permise et le compte-rendu interdit, qui nous dira où est la limite ? Les avertissemens donnés récemment aux journaux nous ont bien montré qu’aux yeux de l’administration il existe une telle limite, et qu’il est dangereux de la franchir ; mais l’administration ne nous a point fait connaître où elle la place. Si donc nos lecteurs trouvaient que nous ne consacrons point aux débats du corps législatif l’attention détaillée et sympathique dont ils sont si dignes, qu’ils veuillent bien ne point nous accuser de négligence ou de froideur. La circonspection nous est imposée avec une telle force qu’on ne saurait nous reprocher avec justice de la pousser trop loin. Le grand et spirituel orateur que la France admire parlait naguère d’un homme qui confierait son secret à dix personnes et qui recommanderait bien à une onzième de n’en rien dire. C’est nous qui sommes la onzième personne, onzième personne qui se résigne d’autant plus volontiers au petit ridicule de sa situation qu’elle sait que le secret en question est aujourd’hui en meilleures mains que les siennes, et n’est autre chose après tout que le secret de tout le monde.

Si pour le moment la critique politique se voit refuser dans la presse les franchises qui appartiennent à la critique philosophique ou littéraire, une ressource nous reste : nous avons le droit de parler en notre nom des mêmes questions qui s’agitent au sein du corps législatif, et il ne nous est pas interdit de nous aider au besoin, dans l’appréciation de ces questions, des lumières et des informations que le débat parlementaire nous peut apporter. C’est dans ces limites, ce nous semble, qu’il nous est permis de discuter à notre point de vue les questions dont le corps législatif vient de s’occuper en votant les crédits supplémentaires et en abordant le débat de l’adresse.

Dans l’ordre des dates, la première de ces questions est la question financière. Un rapport excellent de M. Larrabure a vulgarisé les principaux traits de notre situation financière et les a pleinement portés à la connaissance du public. Un beau discours de M. Berryer, discours substantiel, nourri de l’étude consciencieuse des documens qui établissent l’état de nos finances, a puissamment appelé sur cette question l’attention émue du pays. Une réponse développée de M. Vuitry, claire et sincère comme tous les exposés qui émanent de ce vice-président distingué du conseil d’état, a complété cette exploration publique de la situation financière de la France. Pour ce qui nous concerne, cette belle discussion n’a point modifié les opinions que nous avons émises depuis longtemps sur la question de nos finances. Nous sommes plus frappés, et si nous osions nous servir d’une expression forte, nous dirions plus choqués que jamais du contraste que présente notre situation financière. Il n’y a pas en Europe, et nous n’exceptons pas même l’Angleterre, de pays mieux fait que la France pour avoir de magnifiques finances, et cependant nous nous trouvons toujours en face de situations de trésorerie pénibles et pour ainsi dire nécessiteuses. Plus riches que les autres peuples, nous nous donnons à nous-mêmes et nous donnons au monde le spectacle maussade et peu flatteur du riche gêné. Si nous considérons nos ressources financières, nous pouvons sans faux orgueil affirmer que notre richesse est sans égale. Notre revenu public est énorme et suffit à couvrir un budget de plus de deux milliards, les impôts qui alimentent ce revenu sont lourds sans doute, mais la France les supporte facilement, ils ne dépassent point encore les forces des contribuables, puisque le produit de ces impôts, au lieu de diminuer, s’accroît chaque année d’une trentaine de millions ; la France prouve en outre constamment les progrès de sa richesse par le développement de son commerce et par l’accumulation annuelle de ses épargnes, qui suffit à défrayer de nombreux emprunts d’état et de grandes entreprises étrangères. Cependant à des intervalles trop rapprochés nous sommes périodiquement contraints de trahir les embarras de notre trésorerie, soit en recourant à des réalisations de ressources brusquées, soit à des emprunts sous une forme directe, soit à des émissions excessives de bons du trésor, soit enfin à de nouvelles émissions de rentes. Il y a là quelque chose d’anormal, de peu digne de l’honneur financier de la France, d’inquiétant pour la marche des affaires, qui frappe tout le monde et dont tout le monde se plaint, on peut le dire, sans distinction de partis et d’opinions politiques. L’empereur, on doit le reconnaître, s’est dignement ému de cette situation lorsqu’à la fin de 1861 il renonça spontanément à la faculté d’ouvrir des crédits par décrets. Non-seulement l’empereur s’émut alors, mais il crut avoir trouvé le remède au vice de la situation financière en acceptant le nouveau système de comptabilité proposé par M. Fould ; mais un mode de comptabilité financière pouvait-il être un remède suffisant ? C’est la question à laquelle une expérience de deux années n’a malheureusement pas répondu d’une façon satisfaisante.

Une méthode de comptabilité, quelque perfectionnée qu’elle soit, ne peut avoir d’influence sur l’équilibre même des recettes et des dépenses ; elle ne peut servir qu’à faire connaître plus exactement et en temps plus opportun les élémens de la recette et de la dépense publique. La vertu d’une bonne comptabilité est en quelque sorte passive ; elle ne vaut qu’autant que ceux qui ont en leur pouvoir la recette et la dépense veulent profiter des lumières qu’elle leur donne. Le sénatus-consulte de 1861 ajoutait, il est vrai, une garantie à la comptabilité inaugurée par M. Fould. Les crédits supplémentaires devaient être ouverts non plus par des décrets, mais par des lois. La prérogative et la responsabilité du souverain étaient ainsi transférées en partie au corps législatif. L’équilibre des budgets étant ordinairement troublé par les dépenses imprévues auxquelles il est pourvu par des crédits supplémentaires, le nouveau système augmentait considérablement la responsabilité et en même temps le pouvoir du corps législatif. L’intérêt de l’équilibre financier était, par cette innovation, confié en très grande partie au corps législatif. Nous avons toujours pensé que l’opposition n’avait pas été juste dans l’appréciation de cette importante concession faite au pouvoir parlementaire. C’est à nos yeux une chose considérable pour le corps législatif d’avoir été ainsi associé de très près à la responsabilité des mesures qui peuvent porter le trouble dans l’équilibre financier. L’intervention prompte et opportune de la chambre dans le vote des crédits supplémentaires lui donne un pouvoir réel, et qui doit devenir très efficace, sur la politique d’où peut sortir une dépense extraordinaire et excessive. L’habitude du nouveau système une fois prise, il est évident que la perspective seule d’une délibération nécessaire de la chambre doit devenir un frein pour le pouvoir exécutif, et que le pouvoir exécutif, s’il cédait à des entraînemens déraisonnables, devrait rencontrer dans cette délibération une résistance et un obstacle. L’opposition peut voir dès aujourd’hui, par la gravité de la discussion qui vient de s’engager sur les crédits supplémentaires et par l’intérêt que le public a pris à ce débat, de quel profit le régime du sénatus-consulte de 1861 est en réalité pour-le pouvoir parlementaire. Sans le sénatus-consulte, nous n’aurions eu ni le rapport de M. Larrabure ni le discours de M. Berryer.

Mais, dit-on, le nouveau système n’a point empêché jusqu’à présent la rupture de l’équilibre du budget, le déficit, la nécessité de faire un emprunt en pleine paix. Nous le reconnaissons, le nouveau système en effet n’a pas empêché l’expédition du Mexique. Cela tient à plusieurs causes faciles à discerner. Pour que le régime du vote des crédits supplémentaires en temps opportun donne tous les résultats qu’on en doit espérer, il faut que ce régime exerce l’influence qui lui est propre et sur le gouvernement et sur le corps législatif ; il faut que le corps législatif s’habitue à comprendre la responsabilité et la puissance que lui assure dans les actes de la politique générale le vote opportun des crédits, et il faut que le gouvernement s’habitue, lui aussi, à compter avec le pouvoir qu’il a placé dans le corps législatif. Que la chambre des députés sente mieux aujourd’hui qu’il y a deux ans la force qu’elle doit au vote des crédits supplémentaires, personne ne pourrait le contester après ce qui vient de se passer. M. Berryer a blâmé le gouvernement de n’avoir pas prévu, dans le budget rectificatif de 1863, les excédans de dépenses auxquels les expéditions lointaines devaient donner lieu. Si en effet à cet égard le gouvernement a manqué de prévoyance au mois de mai de l’année dernière, sa faute, on en doit convenir, a été partagée par l’ancienne chambre. Le corps législatif eut dû alors, lui aussi, être vigilant, et exciter par ses estimations attentives et par ses pressantes interpellations la prévoyance du gouvernement. La même faute ne sera, point commise cette année, on peut en être certain. Si notre présence au Mexique se prolonge jusqu’à la fin de 1864, la dépense occasionnée par ce surcroît de durée de notre expédition ne peut être inférieure à 150 millions. Ni le gouvernement ni la chambre, nous l’espérons, n’oublieront dans le budget rectificatif de 1864 de consacrer un item important à cette prévision de dépense.

Le défaut de prévoyance qu’a éloquemment signalé M. Berryer se trahit aujourd’hui par des embarras financiers, lesquels, à leur tour, se présentent avec l’exigence impérieuse d’une sorte d’échéance commerciale, imposant la nécessité d’un emprunt ; mais, on a le droit de le dire, en de telles affaires, l’imprévoyance financière n’est point la véritable et première cause des embarras : l’imprévoyance financière n’est elle-même que la conséquence de l’imprévoyance politique. Nous disons ceci sans amertume, car les débuts de la chambre actuelle nous annoncent un contrôle plus vigilant et plus efficace que celui que le gouvernement avait rencontré jusqu’à présent dans le corps législatif, et l’on est volontiers indulgent pour les erreurs passées, lorsqu’on se croit garanti contre le retour de ces erreurs dans l’avenir. Qu’y a-t-il d’étonnant que l’on se soit trompé dans le calcul des dépenses de l’expédition du Mexique, lorsqu’on voit les erreurs commises dans les prévisions relatives à cette affaire par la diplomatie et l’administration de la guerre ? La faute générale dont les erreurs financières sont une conséquence partielle provient d’un certain optimisme et d’un laisser-aller auxquels les gouvernemens s’abandonnent trop facilement dans la conduite de leurs entreprises, lorsqu’ils ne sont pas rappelés constamment, par un contrôle efficace, à l’appréciation anxieuse de la portée de leurs actes. Quand on est le gouvernement de la France, quand on sent les ressources dont on dispose et la force qu’on a dans les mains, il est si naturel de croire aux succès qu’on a rêvés, de faire de la politique au petit bonheur ! Qu’on réfléchisse encore qu’un ministre des finances n’est doué d’une autorité suffisante pour s’opposer, au sein du cabinet, à des mesures dont les conséquences financières peuvent déranger ses budgets qu’à la condition d’être pour ainsi dire vis-à-vis de ses collègues le représentant du contrôle de la chambre. Dans l’intérieur d’un conseil des ministres et dans le secret de ses délibérations, un ministre des finances, à notre idée, ne peut être qu’un ministre d’opposition. Son rôle est une lutte perpétuelle contre ses collègues, qu’il doit s’efforcer sans cesse de contenir dans les limites des ressources ordinaires du pays et des dépenses prévues. Qu’on imagine le plus prodigue, le plus facile, le plus chimérique des ministres des finances, un Calonne même : soyez sûr qu’il sera obligé à un certain moment de résister aux exigences de ses collègues ; mais pour que dans cet antagonisme naturel du ministre du trésor contre les autres départemens ministériels une autorité suffisante et la victoire définitive appartiennent à celui qu’on appelait autrefois le contrôleur-général des finances, il faut qu’il ait derrière lui la surveillance attentive et sévère de la chambre représentative. C’est à cette condition, nous n’avons pas cessé de la répéter depuis le sénatus-consulte de 1861, que le nouveau système financier peut rendre d’utiles services ; il n’est que juste de reconnaître que ce système financier facilite l’accomplissement de cette condition, puisqu’il provoque la chambre à un contrôle plus sérieux et plus efficace, et enfin il est permis d’espérer que la chambre nouvelle, où l’opposition forme une fraction plus nombreuse, où elle compte des membres remarquables par leur perspicacité en matière de finances, où par son activité et son autorité elle communique à la majorité une émulation généreuse dont les effets se font déjà sentir, ne manquera pas à la mission que les intérêts du pays et nos institutions améliorées lui imposent.

La belle discussion des crédits supplémentaires a été un digne prélude de l’ouverture des débats de l’adresse. Là discussion de l’adresse de 1864 sera une page heureuse et mémorable de l’histoire de France : elle devra sa puissance et son éclat au merveilleux discours par lequel M. Thiers l’a inaugurée.

Le mouvement auquel aujourd’hui la France s’abandonne avec résolution et avec confiance la porte vers la liberté. Cette marche des choses et des idées est significative, et il est à désirer que tout le monde en comprenne à temps la portée. Nous n’aimons point les réminiscences qui ressemblent à des récriminations, et qui, au nom d’un passé heureusement évanoui, pourraient diviser dans le présent les hommes de bonne volonté ; mais, s’il est permis de juger les événemens contemporains avec l’impartialité et la sérénité de la philosophie de l’histoire, ces deux faits généraux paraîtront incontestables. La France en 1852, en réaction contre les alarmes que lui inspira le régime de la révolution de 1848 et dont elle imputa les perturbations aux excès d’une liberté mal réglée, fit de l’intérêt de l’ordre la première de ses préoccupations, et voulut en quelque sorte être protégée contre elle-même en donnant à l’ordre matériel les garanties les plus absolues. Cette étape où la passion exclusive de l’ordre matériel était son unique mobile, la France l’a aujourd’hui entièrement parcourue, et, revenant sur ses pas, elle veut unir à l’ordre ce qui en est la condition morale et permanente, la liberté. Cette réaction nouvelle, cette réaction généreuse, cette réaction libérale est commencée déjà depuis quelque temps, et rien désormais n’en pourra empêcher le succès final. Il y a peu d’années, quand nous commencions à faire retentir ici, dans l’appréciation de la politique courante, ces mots de liberté et de libéralisme, à quelles railleries sceptiques n’étions-nous pas exposés l par quels pronostics décourageans n’étaient pas accueillis ceux qui avaient la fermeté patiente de tenir haut le drapeau en marquant le pas ! Pour ceux qui ont été les premiers militans dans cette lutte, ce qui se passe aujourd’hui, n’est-ce pas déjà la victoire ? Les mots de liberté et de libéralisme nous sont pris par nos adversaires eux-mêmes, qui cherchent à s’en parer. Dans la jeunesse et dans la presse, tout ce qu’il y a de talent, de générosité d’esprit, d’élévation de caractère, est libéral. Dans les intérêts, dans les événemens, et c’est le propre des mouvemens destinés à triompher, tout vient en aide à la liberté. Ainsi que l’ordre il y a douze ans, la liberté se présente aux intérêts comme une garantie de sécurité. Les remèdes aux fautes commises sont demandés par les plus prudens à l’amélioration libérale des institutions. On devait s’attendre à un pareil retour : une nation vivante ne peut guère s’engourdir pendant plus d’une dizaine d’années dans une préoccupation politique exclusive. Lorsqu’au lendemain du 2 décembre la constitution actuelle fut promulguée, en conservant encore la forme républicaine, l’empereur, avec la sagacité politique qui le distingue, assigna aux pouvoirs du président de la république une durée de dix ans. Cette période décennale devait-elle, dans la pensée de l’auteur de la constitution, s’appliquer seulement à la durée du pouvoir présidentiel ? N’indiquait-elle pas aussi la date assignée à un système de gouvernement consacré à établir fortement les intérêts d’ordre et la date promise à un développement constitutionnel qui donnerait satisfaction aux intérêts de la liberté ? Il nous semble que notre hypothèse ne saurait être accusée de témérité, quand nous songeons que les importantes mesures qui ont augmenté les prérogatives de la chambre, et qui ont déterminé les récens progrès du régime représentatif parmi nous, ont marqué la fin de la période décennale, le décret du 24 novembre la devançant d’une année, le sénatus-consulte de 1861 coïncidant avec elle. On peut donc dire en toute justice, à l’avantage du mouvement libéral actuel, que l’empereur en avait en quelque sorte fixé lui-même la date originelle, et que, cette date arrivant, il n’a point hésité à lui donner l’impulsion.

L’empereur, en fait d’initiative libérale, a rempli une partie de sa tâche ; c’est maintenant au pays de remplir la sienne par la ferme expression de ses vœux. C’est ce que le pays a commencé à faire aux dernières élections et ce que font en ce moment à la chambre ses représentans libéraux. M. Thiers a eu surtout le bonheur d’entreprendre la revendication des libertés publiques dans une forme vraiment digne d’elles. Toutes les formules de l’admiration ont été épuisées à propos de ce magnifique discours. M. Thiers vient de rendre à la France l’orgueil de l’éloquence politique. Son discours est l’harmonie de la justice, du bon sens, du patriotisme et de l’intuition profonde de l’homme d’état, et sur cette large composition si merveilleusement fondue sourit cette grâce subtile qui dépasse même l’élégance française et atteint le charme de l’esprit athénien. M. Thiers a posé et analysé les cinq conditions pratiques de la liberté politique : la liberté individuelle, la liberté électorale, la liberté de la presse ou de l’opinion, la liberté de la représentation nationale, la liberté grâce à laquelle l’opinion du pays, constatée par la majorité des représentans, devient directrice des actes du gouvernement. Nous ne pouvons avoir la pensée de discuter après M. Thiers ces conditions de la liberté. Il nous suffira de dire que ce discours est un monument classique, destiné plus qu’aucune manifestation des grands initiateurs de la révolution française a fixer le sens et l’agencement pratique des principes de gouvernement que cette révolution a créés, et qu’il en faudra invoquer l’autorité toutes les fois qu’il s’agira en France de conformer nos institutions à la nature des choses.

Le ministre d’état, M. Rouher, a répondu à M. Thiers. Nous ne relèverons que deux points dans le discours de l’orateur du gouvernement : son opinion sur la liberté de la presse et les conseils de patience qu’il a donnés à l’opposition libérale. M. Rouher a fort maltraité la presse : il l’a accusée d’être un monopole et un moyen d’agression, de n’offrir aucune garantie de réciprocité et de responsabilité sérieuse. Cette appréciation un peu passionnée nous a surpris de la part de M. Rouher ; elle a été appliquée par leurs adversaires à toutes les libertés naturelles. On se souvient que M. Royer-Collard, avec son inflexible logique, réduisait cet ordre d’argumens à une incrimination contre Dieu lui-même, qui a créé l’homme libre et capable de faire le bien et le mal. Un esprit ouvert comme celui de M. Rouher aux choses pratiques devrait, ce nous semble, se placer à un point de vue différent. Les journaux, dans l’état actuel des peuples civilisés, sont-ils un fait artificiel et arbitraire, ou sont-ils un fait naturel ? Voilà la question. Personne ne s’avisera, dans l’état actuel de la civilisation, de considérer les journaux comme une excroissance artificielle qui ne répondrait point aux besoins de la civilisation elle-même et à la nature des choses. L’histoire des journaux, leurs lents progrès au début, leurs progrès plus rapides depuis un demi-siècle, prouvent qu’ils sont nés et se sont développés conformément à la nature des choses et, on pourrait dire, à la loi économique de l’offre et de la demande. Ils ont été, dans le monde moral, intellectuel, politique, un moyen de rapprochement entre les esprits analogue à ce qu’a été dans le monde matériel le développement des voies de communication et des moyens de transport. Il y aurait de l’enfantillage et de l’imprudence à méconnaître les faits naturels, à s’emporter contre eux et à les combattre ; le plus sage est de ne pas chercher à les fausser par des immixtions arbitraires, et de se résigner de bon cœur à vivre avec eux. La mauvaise humeur que les organes du gouvernement témoignent contre la liberté de la presse ne nous inspire pas des appréhensions désespérées. Nous prévoyons des cas où le gouvernement lui-même pourrait s’apercevoir que la liberté de la presse est nécessaire à son propre intérêt. On a beaucoup parlé à la chambre, depuis quelques jours, de la question de responsabilité ; oh a mis en balance le système de la responsabilité ministérielle et celui de la responsabilité du chef de l’état. Au fond, ce qu’on débat sous le nom de responsabilité, c’est l’indépendance et la prérogative du pouvoir. Or il est permis de concevoir un système d’institutions où le chef du pouvoir exécutif, conservant entière sa responsabilité et son indépendance vis-à-vis du pouvoir parlementaire, pourrait trouver un contre-poids sérieux contre celui-ci dans la force de l’opinion représentée par une presse libre. Un tel système existe précisément aux États-Unis. La force des choses a obligé quelquefois les pouvoirs absolus à faire appel à la liberté de la presse. C’est ainsi qu’on vit en France à la veille de 1789, sous l’administration du cardinal de Brienne, les écrivains politiques passer subitement du régime des lettres de cachet à une explosion de liberté favorisée par le ministre lui-même. Ni le raisonnement ni l’expérience ne nous donnent donc à penser que la liberté de la presse soit incompatible avec nos institutions actuelles. Nous nous garderons bien de prendre M. Rouher, qui a en mainte occasion fait preuve d’un intelligent libéralisme, pour un adversaire irréconciliable de cette liberté. Les hommes de gouvernement sont parfois obligés d’opposer une résistance temporaire aux vœux de réformes et de progrès ; la durée de cette résistance ne fait qu’éprouver la sincérité et la force de l’aspiration progressive. On a souvent vu, lorsque les mouvemens réformistes étaient arrivés à maturité, des hommes d’état abandonner une résistance désormais impossible, et devenir eux-mêmes les réalisateurs des réformes qu’ils avaient passagèrement combattues. C’est dans cette classe d’esprits perfectibles et doués du sens de l’opportunité que nous nous plaisons à ranger M. Rouher, même au moment où il lance l’anathème contre la liberté de la presse.

Nous avons écouté plus volontiers les conseils de patience donnés par M. Rouher à l’opposition. Nous sommes bien convaincus en effet que la patience et une modération virile doivent, dans les circonstances actuelles, être plus profitables à l’opposition que les temporisations et une résistance trop prolongée ne pourraient l’être au gouvernement. Cet avantage, que les politiques du XVIe siècle appelaient le bénéfice du temps, appartient aujourd’hui à, la cause libérale. Le temps est pour nous, soit qu’il nous aide à réunir et à fondre ensemble les divers élémens du parti libéral, soit qu’il porte au profit de la liberté les fautes que commettront ses adversaires et les difficultés qu’ils peuvent rencontrer devant eux. M. de Cavour, cet homme que M. Thiers a si justement appelé illustre, se consolait des obstacles qui arrêtaient l’Italie devant Rome et devant Venise en songeant que l’effort prolongé auquel l’Italie était ainsi condamnée aiderait à l’œuvre de l’unification, et mûrirait son pays pour l’unité. Les retards apportés à ce que l’on nomme chez nous le couronnement de l’édifice produisent un effet semblable sur le parti libéral français, et aident indirectement à la fusion des élémens dont ce parti se compose. Les diverses fractions de l’opinion libérale s’accoutument, dans cette attente laborieuse, à donner dans leurs aspirations le premier rang à la liberté ; elles s’appliquent à oublier ce qui les a autrefois divisées pour ne plus voir que ce qui aujourd’hui les unit. Dans cette action commune que la durée fortifie, d’anciens malentendus se dissipent, les questions personnelles s’effacent, les esprits se modèrent, une mutuelle estime s’établit. Quand nous voyons dans le pays et au sein de la chambre les résultats déjà obtenus et ce salutaire travail de l’union des partis qui s’accomplit pacifiquement et généreusement, quelle raison aurions-nous d’être impatiens ? Et ce n’est pas seulement dans l’intérieur du parti libéral proprement dit que nous constatons les heureux effets de cette renaissance politique, nous en discernons avec joie d’analogues dans les rangs de la majorité de la chambre. En arrivant plus forte dans le corps législatif, l’opposition libérale, cela est visible et tout le monde s’en doit réjouir, a du même coup élevé le niveau politique de l’assemblée tout entière. La majorité a été touchée d’émulation ; les voix éloquentes de M. Thiers, de M. Berryer, n’ont pas seulement communiqué une verve et une force nouvelles à MM. Jules Favre, Ollivier et Picard, elles semblent évoquer au sein de la majorité des mérites, des compétences, des talens qui savaient pas donné toute leur valeur ou qui s’ignoraient encore. Tout le monde a remarqué que la majorité ne veut pas cette année que les discussions dégénèrent en dialogues entre l’opposition et les commissaires du gouvernement, et tient à honneur de payer de sa personne. Les discours prononcés par MM. de Saint-Paul, Gouin, Latour-Dumoulin, Taillefer, Segris, Lafont de Saint-Mûr, n’ont pas seulement montré les aptitudes des orateurs ; ils ont fait connaître des sentimens ou des opinions qui, dans leur modération, ne sont pas aussi éloignés qu’on l’aurait pu croire des pensées dont le parti libéral est préoccupé. Le parti libéral applaudit sincèrement à ces manifestations spontanées des députés par lesquelles les hommes se révèlent, se classent, et, en acquérant une légitime importance personnelle, contribuent à augmenter l’influence et le crédit du corps auquel ils appartiennent. Une patience qui nous permet d’encourager de telles tendances et de recueillir de tels résultats ne saurait nous être pesante. Comment d’ailleurs l’opposition ne serait-elle point patiente, puisqu’elle est désintéressée, et qu’elle puise dans son désintéressement manifeste un de ses principaux titres à la confiance du pays ? Personne parmi elle n’aspire au pouvoir ; l’ancien prestige de l’ambition politique n’existe plus pour elle. Le nombre des gens qui veulent être ministres a bien diminué en France depuis quinze années. Soit que les positions ministérielles aient perdu de leur éclat par suite des étranges vicissitudes auxquelles nous avons assisté, soit que de nouvelles branches d’activité aient été ouvertes, par le développement industriel de notre époque, aux intelligences supérieures, soit pour d’autres raisons, les portefeuilles sont dépourvus de leurs anciens attraits. On aime mieux, en laissant à d’autres la besogne du pouvoir, servir le pays librement, avec indépendance, par la plume et par la parole ; on paraît de nos jours estimer plus l’influence exercée sur l’opinion que l’autorité hiérarchique qui s’exerce sur le détail des affaires et le personnel des employés. Peut-être est-on porté à aller trop loin dans cette tendance. Quoi qu’il en soit, le désintéressement de l’opposition est le gage de sa patience, et lorsqu’un homme tel que M. Berryer est venu rappeler avec une mâle simplicité que l’avenir n’était pas fait pour lui, et que le souci des destinées de notre patrie pouvait seul, dans la part qu’il prend aux affaires publiques, animer sa vieillesse glorieuse et aimée, la France n’a pas été seulement touchée, elle a été convaincue.

Le corps législatif, entrant dans le détail des articles de l’adresse, a rencontré d’abord les amendemens relatifs aux candidatures officielles qui ont fourni à M. Jules Favre l’occasion de prononcer un discours profond contre cette anomalie d’un suffrage universel que le pouvoir exécutif aurait la prétention de diriger en y employant toute la force des influences administratives ; mais cette discussion, au moment où nous écrivons, n’est point épuisée encore, et nous n’avons pas l’intention de devancer ici les divers épisodes de l’adresse. Il est une seule des questions que l’adresse doit soulever sur laquelle nous ne pensons pas pouvoir garder le silence : c’est la question polonaise. La phrase consacrée à la Pologne est malheureuse. Le rédacteur de l’adresse a été évidemment mal inspiré lorsqu’il a fait suivre un mot de sympathie accordé à la Pologne par une sorte de protestation en faveur du maintien des bonnes relations avec la Russie. Après ce qui s’est passé depuis un an, après la part active, pour ne pas dire l’initiative prise par le gouvernement dans la négociation relative à la Pologne, l’ordre dans lequel le projet d’adresse par le de la Pologne et de la Russie est évidemment un contre-sens. Il fallait que le souvenir reconnaissant accordé aux services diplomatiques que la Russie a pu nous rendre à une autre époque eût pour contre-poids et correctif final une réclamation en faveur des droits de la Pologne. On a été universellement choqué de voir dans le projet d’adresse nos sympathies pour la Pologne subordonnées au contraire à la conservation de l’alliance russe.

Cette forme de rédaction ne répond ni à la politique suivie depuis un an par le gouvernement, ni au discours de l’empereur ; il ne nous semble pas possible qu’elle ne soit pas modifiée. Quant à la question polonaise elle-même, elle a déjà donné lieu, entre des membres de l’opposition, à des escarmouches qui ne nous paraissent pas avoir eu de prétextes sérieux. Dans la forme où elle se présente aujourd’hui, la question polonaise ne devrait pas faire éclater de division dans les rangs de l’opposition. Il ne faut pas oublier que la direction et la responsabilité de la politique étrangère appartiennent au gouvernement et non à l’assemblée représentative. Cette distinction doit surtout être présente à l’esprit des députés quand il s’agit d’une question étrangère qui peut impliquer une question de guerre. Des députés ne peuvent pas vouloir et demander la guerre quand même ; c’est pourtant ce qu’ils feraient dans la circonstance présente, si, le gouvernement n’ayant pas la volonté et ne présentant pas la proposition de faire la guerre pour la Pologne, ils se déclaraient partisans d’une politique belliqueuse dont les moyens, la direction et la responsabilité échappent à leur compétence. Pour notre compte, nous croyons qu’une guerre entreprise pour porter secours à la Pologne et l’aider à repousser l’envahisseur étranger eût offert moins de difficultés que beaucoup de personnes ne l’imaginent ; nous croyons que la Pologne détruite par une coalition spoliatrice pourrait être rétablie par une coalition généreuse. La solution de cette question dépend donc d’une série de combinaisons diplomatiques, territoriales et militaires, qui sont exclusivement du ressort du gouvernement. La diplomatie du gouvernement dans les affaire de Pologne a-t-elle été assez active, assez décidée, assez habile ? Voilà la seule question qui se pose aujourd’hui devant le corps législatif, et cette question n’a rien qui puisse diviser l’opposition. Après l’examen de la politique du gouvernement à l’égard de la Pologne, il reste à l’opposition un devoir qui. ne peut la trouver qu’unanime, c’est le devoir d’affirmer le droit des Polonais en des termes non moins énergiques que ceux dont l’empereur s’est servi dans son discours. Les mobiles impressions que nous laissent les incidens de la politique étrangère sont en ce moment plutôt pacifiques. L’Autriche et la Prusse n’ont plus l’air de vouloir en venir à renier le traité de 1852 relatif à la succession danoise. Si les deux grandes puissances allemandes tiennent bon, il en pourra résulter des complications en Allemagne ; mais le péril d’une guerre européenne aura été encore une fois conjuré. Si, pour appuyer cette espérance, on pouvait donner au public l’assurance que le différend dano-allemand va être déféré à une médiation quelconque, ce serait une bonne nouvelle, et elle profiterait au succès de notre emprunt, dont l’émission par souscription publique est aujourd’hui annoncée dans le Moniteur. e. forcade.



ESSAIS ET NOTICES.

Le Capitaine Fracasse, par M. Théophile Gautier.


En 1840, Alfred de Musset, qui venait de recueillir ses plus admirables poèmes, mettait en guise d’épigraphe au début de son œuvre ce bref et sévère jugement :

Mes premiers vers sont d’un enfant,
Les seconds d’un adolescent,
Les derniers à peine d’un homme.

Parmi les écrivains célèbres de notre siècle, il en est certes plus d’un qui n’aurait garde de s’approprier une telle sentence. Et cependant combien trouverait-on de gens qui eussent le droit de repousser loin d’eux ce que le poète de la Coupe et les Lèvres, de Rolla et des Nuits disait de lui-même avec une exagération flagrante, mais avec la conscience nette et franche de ce qui lui manquait tout d’abord ? Quand on se mesure ainsi, on est ou on sera fort ; ce langage n’est pas d’un adolescent, encore moins d’un enfant : il est plus mâle que le dédain affecté d’un incurable orgueil et plus jeune que le perpétuel sourire de la vanité satisfaite. Il ne faut pas confondre la vigueur avec l’emphase ou la brutalité, ni l’abondance superflue des mots et l’intempérance des images avec la richesse du génie. Qu’importent l’éclat et la bigarrure du vêtement ? C’est l’homme qu’on cherche. Ce qui résiste, ce qui subsiste, c’est le caractère moral, c’est la flamme visible sous l’enveloppe matérielle et reproduite par le sentiment :

Tout ce que nous aimons nous est venu de là.

Malheureusement l’absence de ce feu intérieur qui échauffe une œuvre est le vice secret de plus d’un talent applaudi pour telles qualités charmantes ou éclatantes. La virilité du génie est dans l’âme et dans l’esprit même, elle en est comme la sève essentielle ; c’est de là qu’elle passe dans l’œuvre de l’artiste et dans le style de l’écrivain. Elle leur donne la trempe dont ils ont besoin pour ne pas s’émousser dans le combat que doit soutenir contre l’indifférence, la critique et le temps l’œuvre qui s’expose aux hasards de la publicité. De quoi se compose-t-elle donc ? La reconnaître et la signaler est chose plus facile que de l’analyser. Pourtant on peut dire qu’elle est faite du plus pur de notre énergie : volonté, sentiment, raison. Qu’elle émane plus spécialement d’une de ces trois sources, ou qu’elle leur emprunte une triple vertu, elle existe avant de paraître, et se distingue vite de cette agitation extérieure derrière laquelle on ne rencontre que le vide ou le chaos. Entre la raison et la volonté, le sentiment est le trait d’union magique, le trait de feu qui complète le génie. Les premiers d’entre nos écrivains modernes, malgré leurs défaillances (et n’est-ce pas le sort des plus beaux talens d’en avoir ?), sont justement ceux-là qui, par l’action naturelle d’un sentiment vrai, quel qu’il fût, ont remué les fibres les plus intimes du cœur humain, celles qui vibrent toujours. Et au contraire les partisans violens de l’image, de l’effet théâtral, du bruit, de l’oripeau qu’on appelle antithèse, du masque et des caractères physiques, ont perdu déjà une partie de leur prestige. Il n’est pas question ici d’entrer dans telle ou telle théorie : qu’on se trompe quant aux faits ou aux dogmes, tant religieux que sociaux, le principe du génie est dans l’émotion, et non dans la nature même, dans la tendance de cette émotion. Qu’on chante les doutes du présent et les tristesses de l’humanité souffrante, ou les éclats et les colères de la liberté, qu’on ait les soupirs éloquens de l’élégie, le souffle lyrique ou le cri indigné de la satire ; que dans le roman on réponde avec une âme ardente aux plaintes et aux désirs du siècle en travail, ou que l’on gouverne impérieusement la passion avec une sobre et forte élégance, pour l’enfermer dans un cadre précis en évitant de l’altérer ; que dans la critique celui-là revendique les droits de la pensée et de la vie réelle étouffés sous les draperies de quelques œuvres, ou que celui-ci ressuscite un homme et un âge par mille détails ingénieux, avec une curiosité incessante et passionnée : tout est bon qui porte la marque de ce que Voltaire nommait en pareil cas le démon ; tout est bon qui dénote le sens et l’amour de l’activité morale dans quelqu’une de ses manifestations puissantes.

Il est une autre classe d’écrivains dont le génie est demeuré imparfait et comme atténué par un mélange de fantaisie puérile, bien qu’ils eussent reçu en partage des qualités peu communes ; il serait aisé d’en dresser la liste. Enfin il est plus d’un talent pour qui l’heure de la maturité n’est jamais arrivée et qui s’est arrêté dans une espèce d’adolescence littéraire vouée au culte des bagatelles. Pour nous, il ne s’agit pas d’établir que ces puérilités choquent dans un écrivain en qui plusieurs voudraient voir une manière de chef d’école et de maître, comme l’auteur de Fortunio. La chose va de soi, et il est clair que ces grands mots sont ici hors de saison. Il est clair aussi que le soleil ne se lève pas de ce côté, et que l’avenir est ailleurs. Ce qu’il importe de montrer par un exemple frappant, c’est que les plus habiles artifices du style et tous les moyens d’un art superficiel ne sauraient suppléer au défaut de verdeur intellectuelle ; c’est que l’absence ou l’inertie de cet animus imperator dont par le Salluste débilite l’art et le style, en dépit de leur audace factice.

M. Théophile Gautier nous présente aujourd’hui le capitaine Fracasse, sorti d’un castel de Gascogne. Ce n’est pas la première fois que ce personnage fait son roman. Depuis le miles gloriosus de Plaute jusqu’au matamore des bouffonneries espagnoles, sous combien de masques ne s’est-il pas démené par le monde ! Le capitaine Fracasse, n’est-ce pas le symbole du bruit stérile, de la turbulence qui n’aboutit pas, de la vaillantise en propos qui ne supporte pas le choc de la bataille ? Le capitaine Fracasse, ne l’avons-nous pas vu s’agiter dans les Jeunes-France, dans Fortunio, dans Mademoiselle de Maupin, dans les Grotesques, ce livre de critique amusante ? Le voilà revenu dans un autre cadre, traînant derrière lui maints vestiges de ces fantaisies d’antan, avec des lambeaux du Roman comique. En termes ordinaires, M. Gautier publie un pastiche de Scarron sous les couleurs du romantisme, bien que, selon nous, le romantisme intervienne là hors de propos. Aux gens d’initiative qui, il y a une trentaine d’années, se frayaient bravement une route inconnue vers l’avenir, on pourrait appliquer ces vers où M. Gautier célèbre les vétérans de l’empire :


Ne nous moquons pas de ces hommes
Qu’en riant le gamin poursuit ;
Ils furent le jour dont nous sommes
Le soir et peut-être la nuit.


La lignée même d’Ossian, de Werther, de Manfred, si peu saine qu’elle fût, n’était pas indifférente ; c’était le malaise de la société qui la jetait dans l’élégie outrée, c’était une émotion, et si plus d’un cri fut alors jeté dans le vide, n’était-ce pas encore après tout l’écho des ébranlemens prodigieux de l’histoire contemporaine ? Quel rapport y a-t-il entre les aspirations d’une époque fiévreuse et la neutralité morale d’un écrivain fier de se réduire au cliquetis des mots ? Si M. Gautier, devenu le roi débonnaire d’une petite école, s’accommode des louanges de ces dangereux disciples, qu’il ne se réclame pas du romantisme. Il ne peut se couvrir de ce nom pour repousser la critique : le cœur du romantisme lui est demeuré fermé. Et comment y aurait-il pénétré ? Le goût du burlesque est, après l’amour de la couleur et de la forme, l’unique sentiment qui domine chez lui ; mais ce qui l’emporte, c’est l’effet plastique. Architecture, sculpture, peinture, gravure, tous les arts doivent se retrouver dans ses œuvres construites, fouillées, adornées pour le mieux. Jodelle, un des prédécesseurs de M. Gautier au XVIe siècle, avait dit :


Je dessine, je taille et charpente et maçonne,
Je brode, je pourtray, je coupe, je façonne,
Je ciselle, je grave, émaillant et dorant.


Jodelle est pour M. Gautier un meilleur conseiller que Lessing, qui, malgré le mot fameux ut pictura poesis, avait dans son Laocoon indiqué nettement, et avec une haute raison, les limites essentielles de la peinture et de la poésie, ou, en prenant la question dans le sens le plus large, les différences capitales qui s’opposeront toujours à la confusion de la littérature avec les arts plastiques. Eh ! que nous fait d’ailleurs la copie des choses, fût-elle exacte, si elle n’est point illuminée par la pensée de l’artiste, si aucune de ces choses n’éveille en lui une passion profonde, et si ce beau vers de Virgile :

Sunt lacrymoe rerum et mentem mortalia tangunt


semble rester pour lui lettre close ? Dans ce milieu artificiel, tout s’énerve : là s’évanouissent en fumée les qualités natives, là se perd l’originalité de l’écrivain.

Il est temps d’en finir avec tous ces petits paradoxes qui ne peuvent rien pour l’art, et que ne recommande plus auprès des gens naïfs l’attrait de la nouveauté. M. Gautier lui-même succombe sous le poids de ces lourdes étoffes et de ces antiques ferrailles remuées en vain par lui. Le château de la Misère, où il loge son héros dans le roman du Capitaine Fracasse, ce manoir croulant en ruine avec son jardin encombré de ronces et de plantes parasites, où tout est caduc et dégradé, où le marbre des statues s’écaille, n’est-il pas l’emblème de la littérature de M. Gautier, qui s’en va pièce à pièce, et qui n’est déjà plus qu’un débris voilé de végétations bizarres ? Quittons ces images… Que sert d’avoir étudié les ressources des vocabulaires spéciaux et recueilli maint archaïsme plus ou moins heureux, si l’on s’use dans ce labeur, si l’on ne trouvé pas sous sa plume cette expression vive, nette, primesautière, qui renouvelle la langue en ne la malmenant pas, et qui n’est qu’un tour individuel ajouté au fonds populaire, qu’un rafraîchissement de la vérité par le style et par une verve jeune et spontanée ? Dans ce livre, qui est comme le résumé de sa vie d’artiste et comme une protestation personnelle, M. Gautier manque de verve, d’entrain et de chaleur : son esprit ne jaillit pas de source, il coule goutte à goutte. En un mot, l’écrivain ne possède plus cette espèce de fougue juvénile qui palliait jadis chez lui l’indigence de la pensée. L’œuvre trahit partout l’effort de l’ouvrier.

Le château de la Misère, où nous introduit l’auteur, est une gentilhommière située en Gascogne, au milieu des landes. Le portrait du jeune baron de Sigognac, le maître du château, resté seul avec un vieux domestique, un chat et un chien, dans ce manoir fantastique, et revêtu des habits troués et trop larges de son père, ne manque pas d’un certain charme mélancolique. En voyant Pierre, l’unique serviteur et l’unique ami du baron, préparer le maigre repas de chaque jour dans cette maison silencieuse, on songe tout de suite au jeune laird de Ravenswood et au fidèle Caleb, peints d’une si touchante façon dans un des plus beaux romans de Walter Scott. L’impression reçue va s’effacer bien vite ; le goût de M. Gautier ne l’entraîne pas dans la voie ouverte aux Walter Scott ou aux Dickens. Une troupe de comédiens arrivant dans un chariot traîné par des bœufs comme aux temps antiques, et demandant l’hospitalité pour la nuit, arrache le baron de Sigognac aux tristes pensées nées de l’isolement et de l’indigence. Il aime tout de suite l’ingénue de la troupe, Isabelle, et, moitié dans l’espoir d’atteindre la fortune à Paris, moitié par l’attrait d’une passion naissante, il se décide à partir avec les comédiens. Ne pouvant user d’un autre équipage que le leur, il s’engage dans la troupe en qualité de poète chargé d’arranger les rôles. Nous voilà dès ce moment lancés, en compagnie de la bande comique, sur les grands chemins de l’ancienne France, et dans une série d’aventures picaresques ou chevalesques, suivant l’humeur du romancier. Il suffit de savoir, pour l’intelligence de la fable et du titre, que le tranche-montagne de la troupe, le pauvre Matamore, ayant péri dans une tempête de neige, Sigognac s’offre à le remplacer et se donne le nom de capitaine Fracasse, que sous ce nom de guerre il accomplit des prouesses merveilleuses, tant comme acteur que dans ses colères de gentilhomme et la rapière en main. Un puissant et superbe rival, le duc de Vallombreuse, traverse les amours du baron, déguisé en matamore de théâtre : coups de bâton, coups d’épée, traîtrises et violences, se succèdent comme par miracle. Un prince illustre et mystérieux, le père même de Vallombreuse, arrive au moment le plus terrible, comme le deus ex machina, et reconnaît la virginale Isabelle pour sa fille. Sigognac, après avoir été haï et persécuté par le duc, après avoir blessé grièvement ce ravisseur de femmes, qui est sur le point d’en venir aux dernières brutalités avec Isabelle, épouse la sœur de Vallombreuse, fille légitimée d’un prince du sang. Le duc, guéri et repentant, va le quérir dans sa gentilhommière de Gascogne : il devient en un tour de main capitaine de mousquetaires, gouverneur de province, et le capitaine Fracasse disparaît à jamais, tandis que le château de la Misère, devenu le château du Bonheur, se relève de ses ruines. Ce n’est pas tout : Sigognac, en enterrant au fond de son jardin le chat Béelzébuth, qui est l’Argus de ce bizarre Ulysse, trouve un trésor enfoui dans un coffre de fer oublié là de temps immémorial. O partisan endurci de l’excentricité, c’était bien la peine de nous convier au spectacle de tant de physionomies truculentes, pour finir comme dans un conte à l’usage des petits enfans !

Jamais l’écrivain n’avait aussi longtemps que dans le Capitaine Fracasse, et avec un tel parti pris, traité la littérature en très humble servante des arts plastiques. Le matérialisme littéraire de M. Gautier est bien connu, et il s’en ferait gloire plutôt qu’il ne s’en défendrait. « L’auteur, dit-il à propos de son roman, n’y exprime jamais sa pensée. C’est une œuvre purement pittoresque, objective… Les personnages s’y présentent, comme dans la nature, par leur forme extérieure, avec leur fond obligé de paysage ou d’architecture. Leurs gestes sont décrits, leurs costumes dessinés… » Voilà tout, ou presque tout. Et l’auteur en effet est si fort occupé à peindre que plus loin il parle de l’artifice de l’écrivain comme d’un pis aller dont l’infériorité le désole.

Cette manière plastique de M. Th. Gautier, deux critiques éminens, MM. Sainte-Beuve et Labitte, l’ont tour à tour caractérisée avec force et appréciée avec autorité dans la Revue[1]. L’un et l’autre avaient remarqué chez M. Gautier une veine de sentiment trop vite épuisée. « On a le talent, s’écriait M. Sainte-Beuve, l’exécution, une riche palette aux couleurs incomparables, un orchestre aux cent bouches sonores ; mais au lieu de soumettre tous ces moyens et, si j’ose le dire, tout ce merveilleux attirail à une pensée, à un sentiment sacré, harmonieux, et qui tienne l’archet d’or, on détrône l’esprit souverain, et c’est l’attirail qui mène. » Et il ajoutait, en parlant du style accommodé au procédé plastique : « Le style dans ce procédé constant, si par bonheur on n’y dérogeait quelquefois, n’aurait plus rien de la souplesse naturelle et du libre mouvement de la vie ; il ne serait plus qu’un vernis, qu’un émail, qu’une écaille universelle… Quand le cœur bat désormais, c’est grand hasard, à travers cette raideur brillante de l’enveloppe continue, qu’on le voie tout naturellement palpiter. » Si depuis lors, par un travail mystérieux dont le secret nous échappe, l’opinion de M. Sainte-Beuve a pu quelque peu se modifier, elle ne pouvait se retourner complètement ; aussi, dans ses critiques les plus récentes, les plus indulgentes, s’est-il senti obligé d’avouer que le romantisme de M. Gautier n’est pas exempt de fruits empoisonnés. Toutefois il s’est efforcé de prouver que l’air d’impassibilité de l’écrivain, le calme du dilettante pouvaient cacher des trésors de tendresse. Qu’ils existent chez l’homme, nous n’avons ni le droit ni le désir de le nier ; mais chez l’écrivain nous ne les avons pas encore découverts. M. Sainte-Beuve nous paraît aussi excéder la mesure de beaucoup lorsqu’il met avec insistance les poésies de M. Gautier en regard des poésies d’Alfred de Musset. Pour le Capitaine Fracasse, il le range malicieusement dans la littérature des grotesques, où il s’est, dit-il, incrusté. Voilà un mot qui rachète bien des complimens : on ne pouvait dire mieux ni pis.

Venu plus tard que M. Sainte-Beuve, M. Labitte, en signalant l’obstination de M, Gautier à suivre une voie mauvaise, s’exprimait ainsi : « Il deviendrait piquant que le romantisme à son tour eût ses perruques, pour parler avec l’historien des Grotesques. » Il reconnaissait en même temps avec raison chez M. Gautier un filon de Rabelais, qu’il louait comme « un don heureux et rare. » Aujourd’hui par malheur l’esprit succombe décidément sous la lettre, et le vocabulaire seul est debout. On pouvait encore en 1844 espérer que le talent de M. Gautier se retremperait aux sources vives d’où il semblait s’être éloigné par boutade, et non à tout jamais. Le doute n’est plus permis. Après vingt ans écoulés depuis cet appel suprême de la critique au sens intime de l’écrivain, la voilà de nouveau ramenée en face de M. Gautier, et la conclusion est la même quant au jugement avec les vœux et l’espérance en moins. On sait à présent que M. Gautier ne faisait point du paradoxe lorsqu’il écrivait Albertus, Fortunio et les Grotesques. M. Gautier s’est mépris, il s’est refusé une belle part dans la littérature contemporaine en abusant de sa plume au détriment de son esprit. Toute débauche littéraire, quelle qu’en soit la nature, est comme ce pays de Bohème dont quelqu’un a dit qu’on y peut bien passer, mais qu’il n’y faut pas demeurer. Autrement un jour la main fatiguée du convive, au milieu de quelque fête des fous, laisse tomber le verre plein d’une liqueur excitante, et la nappe du festin prend un aspect funèbre.

Le Capitaine Fracasse n’est rien moins qu’entraînant ; s’il nous intéresse au début, il nous lasse très vite par d’interminables détails et par l’abus du style pittoresque ou technique. Le lecteur en quête d’intérêt est rassasié d’images. Ce ne sont que détails d’architecture, de lambris et d’ornementation, corniches, balustres, lambrequins, rocailles, et quoi encore ? Apprenez qu’au château de Bruyères « il y avait la chambre jaune, la chambre rouge, la chambre verte, la chambre bleue, la chambre grise, la chambre tannée, la chambre de tapisserie, la chambre de cuir de Bohême, la chambre boisée, la chambre à fresques et telles autres appellations analogues qu’il vous plaira d’imaginer, car une énumération plus longue serait par trop fastidieuse et sentirait plutôt son tapissier que son écrivain. » Eh ! que fait donc M. Gautier lorsqu’il entasse détails sur détails, si ce n’est le mémoire d’un tapissier ? Pourquoi nous montrer de si près ces tentures « de cuir de Bohême gaufré de fleurs chimériques et de ramages extravagans découpant sur un fond de vernis d’or leurs corolles, rinceaux et feuilles enluminées de couleurs à reflets métalliques luisant comme du paillon ? » Pourquoi tant caresser du regard le dossier carré des chaises étoilées de clous d’or et frangées de crépines ? Pourquoi nous faire en quarante lignes le portrait d’une misérable rosse dont la sueur avait « agglutiné sous le ventre des flocons de poil, délavé les membres inférieurs et fait avec la crotte un affreux ciment ? »

Les châteaux ou la rase campagne, le taudis malpropre du spadassin Lampourde ou le cabaret du Radis couronné font miroiter aux yeux du lecteur leurs tableaux chargés de couleur, sans qu’il sache où se réfugier pour respirer à l’aise un instant. On ne saurait le nier, M. Gautier connaît les toilettes des élégans, des soubrettes et des grandes dames qui vivaient il y a plus de deux cents ans ; il est expert en fait de dentelles, de nœuds, de ferrets, de coiffures, etc. ; mais

Cette voix du cœur, qui seule au cœur arrive,


ne la lui demandez pas. Toujours et partout un luxe d’oripeaux et de broderies, un pêle-mêle de combats, d’escalades et d’aventures enchevêtrées qui écrase les lignes primitives de l’œuvre, si ces lignes ont jamais existé : nous en doutons. L’auteur du Capitaine Fracasse ne va-t-il pas au hasard, faisant la chasse aux descriptions comme un antiquaire fait la chasse aux vieilleries ? D’autres que lui, du reste, ont écrit des romans d’aventures et choisi capricieusement une époque reculée, pour y loger leur fantaisie. Quand M. Prosper Mérimée composait la Chronique de Charles IX, il recherchait aussi la réalité pittoresque des détails, et, comme le remarque justement Gustave Planche, « il ne faut pas chercher dans les aventures de Mergy le développement progressif d’une idée préconçue. Non, l’auteur marche à l’aventure comme son héros, il nous mène à l’hôtellerie, au milieu des retires et des bohémiens, à la cour, parmi les raffinés, dans l’oratoire amoureux d’une comtesse. Il conte pour conter… » Quelle différence pourtant ! « Chacun des chapitres de son livre est un chef-d’œuvre de simplicité. On n’y trouve jamais une description oiseuse ; il ne s’amuse pas à nous expliquer les meubles et les parures en style d’antiquaire. Ce qu’il lui faut, ce qu’il sait créer, ce qu’il nous montre, c’est un ensemble de figures vivantes, énergiques, qui se meuvent hardiment selon les lois de la vraisemblance et de la raison. » Tel n’est pas le roman de M. Gautier ; la réalité oiseuse, la vaine archéologie y débordent.

Pour suffire à toutes les nuances, à tous les détails qu’il veut rendre, sans oublier une rainure dans une solive ni un grain de poussière sur une table, M. Gautier emploie un style hérissé de mots saugrenus. Tantôt ce sont des toits d’ardoises « délicatement imbriqués et papelonnés ; » c’est le crépi d’un mur « tombé par écailles, comme les squammes d’une peau malade ; » c’est, dans une peinture, un ciel « passé de couleur et géographie d’îles inconnues par l’infiltration des eaux de la pluie. » Tantôt il s’agit d’un paysage « livide et ponctué de corbeaux ; » ces corbeaux, s’abattant sur une rosse crevée, commencent leur festin charogneux. Des maisons indigentes et sales sont comparées à des ventres ouverts laissant couler leurs entrailles. Le livre de M. Gautier est plein d’horrifiques descriptions, et à ce propos il y faut relever, entre autres excès de style archaïque, des emprunts trop nombreux au vocabulaire de Rabelais.

Mais n’est-ce pas un pastiche du style de l’époque ? Oui et non. M. Gautier s’est bien proposé de tenter ce pastiche, et il nous avertit que les personnages du roman parleront la langue de leur temps ; or ils vivent sous Louis XIII. On peut remarquer d’abord que ce langage outré, se répétant sans cesse tout le long du livre, finit par lasser l’esprit. De plus il arrive à M. Gautier de confondre les styles dans la bouche du même personnage et de mêler aux vieilles expressions des expressions toutes modernes. Il use lui-même tour à tour du style d’alors et du style d’aujourd’hui, comme il lui plaît et par brusques saccades. Ensuite, dès qu’il s’agit d’exactitude, que signifient ces bribes de Rabelais semées ça et là ? Aussi l’exactitude de l’écrivain est-elle parfois très contestable : il ne reproduit pas scrupuleusement une époque, une langue, une littérature ; il réunit dans une espèce de mosaïque littéraire, avec un zèle singulier, des fragmens disparates pris de côté et d’autre. Il ne se moque pas de l’objet de son pastiche, il s’y complaît. On n’est donc récompensé de la peine qu’on s’est donnée à cette lecture ni par l’homogénéité de la langue, ni par une idée satirique ; on est tout bonnement en présence d’une langue macaronée où l’auteur a introduit tous les mots baroques, toutes les façons de parler obsolètes (nous dirions surannées) qu’il avait recueillies et gardées par-devers lui. Il prodigue l’archaïsme désagréable ou inintelligible pour la plupart des lecteurs ; dans Rabelais, il ira chercher les grains de verre et se souciera peu des diamans qui brillent du feu de la pensée. Comme au temps où il défendait chez les Grotesques « la saillie hasardeuse, le mot forgé,… la métaphore hydropique, » le mauvais goût l’enchante « avec son clinquant qui peut, dit-il, être de l’or. » Veut-on une preuve à l’appui de cette assertion ? Qu’on se reporte à la seconde page du roman, on y lira une fidèle imitation des fameux vers de Théophile, dans Pyrame et Thisbé, si justement ridiculisés par Boileau :

Ah ! voici le poignard qui du sang de son maître
S’est souillé lâchement : il en rougit, le traître !

M. Gautier écrit ces lignes : « Les vantaux de la porte offraient encore, vers le haut, quelques restes de peintures sang de bœuf et semblaient rougir de leur état de délabrement. » M. Gautier tient décidément à passer pour un contemporain de Théophile. Quant à son amour exagéré du burlesque et du trivial, nous le renverrons à Scarron lui-même, qui estime à leur juste valeur, en maint endroit, ces débauches d’esprit et de style, ou comme il dit, ce fâcheux orage du burlesque. Et certes, si l’auteur de l’Enéide travestie et de tant d’œuvres grotesques avait péché contre le goût, l’auteur du Roman comique s’y connaissait et n’était pas dupe de lui-même.

Ce qu’enlèvent au sentiment et à la vérité de pareilles allures, on le comprend sans peine : si quelques pâles rayons éclairent par hasard l’œuvre artificielle de M. Gautier, ils ne s’y arrêtent pas. Les pages qui offrent çà et là un peu de poésie naturelle et d’émotion ne font que mieux ressortir l’aridité du reste. Le départ du jeune baron de Sigognac, ses adieux au manoir paternel et aux compagnons de sa vie, le brave Pierre et le chien blanc Miraut, et le chat noir Béelzébuth, et le vieux cheval Bayard, ont quelque chose d’attendrissant. L’endroit où le baron trouve tout à point dans le jardin dévasté « deux petites roses sauvages ouvrant à demi leurs pétales, » et les offre aux deux comédiennes qui l’éblouissent de leur jeunesse, est encore empreint d’une grâce délicate. Plus loin, quand Isabelle déclare au jeune baron qu’elle l’aime, dans le trouble où la jettent les périls qu’il vient de courir pour elle, la scène est aussi très jolie, bien que la jeune femme par le comme une héroïne de nos jours et ne garde pas le l’on de l’époque. La mort du pauvre Matamore nous toucherait, si l’auteur ne l’ensevelissait dans un effet de neige qui lui fait tort. Le roman se dérobe donc toujours sous une couche de peinture, ou tombe dans quelque inadvertance choquante.

En dehors du monde picaresque où l’auteur nous promène, que voyons-nous de cette société du XVIIe siècle, si complexe à l’origine ? Le marquis de Bruyères représente assez bien le type du gentilhomme de province, semi-citadin, semi-campagnard, et plus riche que raffiné ; sa femme est un échantillon de cette classe de nobles dames qui, du temps de La Bruyère encore, se donnaient aux acteurs ou aux baladins, lorsqu’ils avaient de la réputation et une belle prestance ; mais le duc de Vallombreuse prend des allures trop modernes et trop sataniques, il doit avoir lu Byron par avance et s’être inspiré de Lara et de Manfred pour apostropher ainsi Isabelle : « Vous ne savez donc pas, pauvre enfant, ce que c’est que Vallombreuse… Jamais désir inassouvi n’est resté dans son âme ; il marche à ce qu’il veut sans que rien le puisse fléchir ou détourner : larmes ni supplications, ni cris ni cadavres jetés en travers, ni ruines fumantes ; l’écroulement de l’univers ne l’étonnerait pas, et sur les débris du monde il accomplirait son caprice… » Ce n’est point assez du bretteur Jacques Lampourde et de quelques tireurs de laine ou originaux du Pont-Neuf croqués au passage pour figurer une si curieuse époque. Le brigand basque Agostin et la petite Chiquita, cette enfant sauvage et quasi folle, ne sont pas plus de ce temps-là que d’un autre. Chiquita parle une manière de jargon romantique, et semblerait plutôt échappée d’une ballade allemande que prise dans la réalité et nourrie de sang méridional. « L’odeur du vin et des viandes me répugne, dit-elle quelque part, habituée que je suis au parfum des bruyères et à la senteur résineuse des pins. » Après avoir promis à Isabelle de ne pas lui couper le cou et l’avoir plusieurs fois défendue contre ses ennemis, elle se donne à elle « pour esclave, pour chien, pour gnome ! Il y a bien d’autres contresens : entre autres, les délicatesses de Lampourde, qui devient l’admirateur et l’âme damnée de Fracasse, parce qu’il s’est battu en maître d’armes consommé, et qui rapporte avec force discours l’argent reçu pour le meurtre de ce héros invincible. L’excellent bandit cite, comme un raffiné de la cour, les vers de Malherbe ; il rappelle la Durandal de Roland, la Tisona du Cid, la Hauleclaire d’Amadis de Gaule, et parle de la déesse, de l’Iris, de la « non pareille beauté qui le retient captif dans ses lacs. » Les comédiens et les nobles personnages du roman n’ont pas un autre langage, sinon quand l’écrivain leur donne le ton moderne, et les initie aux tours poétiques de notre époque. Isabelle dit que les âmes sœurs finissent par se retrouver. Il n’est pas jusqu’à la soubrette de comédie, Zerbine, qui ne choque la vraisemblance en laissant échapper une phrase telle que celle-ci : « Sans ce rayon d’art qui me dore un peu, je ne serais qu’une drôlesse vulgaire comme tant d’autres. » Enfin l’auteur ne nous montre guère que le pavé de Paris : il n’entre ni dans l’intimité de la ville ni dans celle de la cour. On n’aperçoit la figure de Louis XIII que derrière la fenêtre d’un carrosse ; ce qui nous est offert, c’est presque uniquement l’envers du siècle, le monde du Roman comique. Eh bien ! pour ressusciter ce monde-là, si M. Gautier voulait s’y hasarder, un volume, et non des plus gros, suffisait amplement. Ce que le genre comportait, c’était, de peur d’ennui et de froideur, une œuvre de courte haleine, quelques teintes de pastiche posées d’une main légère : en cela aussi M. Gautier, selon nous, s’est mépris.

Avant Scarron, Quevedo, Cervantes, Mateo Aleman et l’auteur de Lazarille de Tormes, en Espagne, avaient créé la littérature picaresque et en avaient laissé des modèles achevés ; après lui s’épanouit dans Gil Blas la verve intarissable de Lesage. Quelle imagination et quelle ironie charmante dans tout cela ! Et, pour ne citer que deux des chefs-d’œuvre secondaires de Cervantes, comme le dessous de la société est peint avec une sobre vigueur dans la nouvelle intitulée Rinconete et Cortadillo et dans cet inimitable Dialogue des deux chiens Scipion et Bergança, qui suffirait seul à illustrer un autre homme que l’auteur de Don Quichotte ! Le Roman comique de Scarron, bien que d’un art et d’une importance moindres, brille, dans sa verve narquoise, par mille traits ingénieux qui s’éloignent du burlesque et atteignent à la gaîté satirique. Scarron avait un but en vue, lorsqu’il écrivait ce livre : tout bouffon qu’il fat, ou mieux parce que le bouffon en lui était principalement une forme de l’esprit caustique, il prisait peu les ouvrages sottement romanesques de son temps. Scarron, devançant Boileau, s’est moqué, par la parodie et par l’allusion, de ces héros de roman qui tenaient un langage si emphatique et si déplacé. Dans cette tâche louable et difficile plus qu’on ne saurait dire, il a mérité d’être comparé à Molière. Qui ne se rappelle la page où le pauvre poète Ragotin, « le plus grand petit fou qui ait couru les champs depuis Roland, » offre de lire aux comédiens une pièce de sa façon intitulée les Faits et Gestes de Charlemagne en vingt-quatre journées ? et cette autre page où l’auteur dit que le Cirrus de Mlle de Scudéry est certainement « le livre du monde le mieux meublé ? » Hélas ! M. Gautier, en se proposant de continuer Scarron, aura négligé de l’étudier : il s’est contenté de l’ombre du Roman comique. Mettre en pied avec une adresse peu ordinaire les bonshommes de Callot, peindre en un tableau plein de contrastes ces bohèmes du temps jadis, cette troupe de comédiens ambulans, depuis le tyran tragique et le tranche-montagne jusqu’au Léandre avec ses airs penchés, depuis la dame Léonarde qui joue les duègnes jusqu’à l’Isabelle chargée des rôles d’ingénue, c’est à merveille ; mais si tous et toutes se dessinent sur le fond du roman avec la pose, la désinvolture et le costume qui leur conviennent, l’invention est nulle. Le vrai genre picaresque est fertile en ressources prises dans le vif de la réalité ; le monde picaresque de M. Gautier est habillé avec un luxe d’images et d’épithètes qui étonne, mais l’auteur, au lieu de chercher dans la réalité une veine nouvelle d’observation bouffonne, se borne à reproduire les types du Roman comique. Les emprunts de M. Gautier à cette œuvre et à d’autres sources, pour l’affabulation ou pour quelques traits de son roman, se reconnaissent tout de suite. Ce couple aimable aux pudiques amours, l’Étoile et le Destin, est passé dans le roman de M. Gautier avec le même caractère de fidélité et de réserve et le même entourage : Mlle de l’Étoile est devenue l’Isabelle du Capitaine Fracasse. Le personnage du baron de Sigognac réunit celui du brave Destin et celui de Léandre, jeune homme de qualité qui, chez Scarron, se fait valet de comédie pour les beaux yeux d’une fille de théâtre. Le nom même du baron de Sigognac est tiré de l’histoire de la comédienne La Caverne. Pour le capitaine Fracasse, depuis longtemps ce masque de théâtre sollicitait l’humeur descriptive et le style téméraire de l’auteur des Grotesques ; c’est là qu’il faut se reporter, si l’on veut en ressaisir la primitive ébauche dans le portrait de ces fendeurs de naseaux qui ne parlaient que de renverser les escadrons au vent de leur tueuse. L’origine première du type est surtout dans la parodie et la caricature de cette vantardise qui était le défaut extrême du caractère espagnol, exploité par le théâtre au commencement du XVIIe siècle et poussé à outrance, comme on peut le voir jusque dans le Cid. La parodie vint de bonne heure. Une des farces les plus populaires de Tabarin était le capitaine Rodomont ; dans l’Illusion comique, de Pierre Corneille, figure un personnage du nom de Matamore ; une pièce de Scarron avait paru sous ce titre : Les Boutades du capitan Matamore, et M. Gautier la cite en passant dans les Grotesques. Il fallait bien puiser quelque part, dira-t-on. Eh ! pourquoi traduire sur la scène des types enterrés depuis deux siècles ? M. Gautier veut qu’on s’imagine feuilleter « des eaux-fortes de Callot ou des gravures d’Abraham Bosse historiées de légendes ; » mais Callot est Callot : nous savons qu’il fixa d’un trait incisif les modes, les misères, les mœurs, bref toute la tragi-comédie de son âge, et non d’un autre. Le Roman comique est dans les mains de tout le monde ; faut-il le refaire ? Respectons-le autant que les eaux-fortes du vieux maître : bien hardi qui tenterait de les retoucher ! Sommes-nous contemporains de Callot et de la société qu’il coudoya, de Louis XIII, des raffinés de la Place Royale, des précieux et des précieuses de l’hôtel de Rambouillet, de la troupe de l’hôtel de Bourgogne et des parades de Gaultier Garguille, ou sommes-nous contemporains de Charlet, de Gavarni et de la société crayonnée par eux avec tant d’humour ? Voilà nos Callot et nos Abraham Bosse pour les croquis de mœurs au XIXe siècle !… Ces grosses vérités ne réclament pas un plus long commentaire ; M. Gautier ne peut pas les ignorer : il s’en rit, et cette phrase des Grotesques serait encore de mise dans sa bouche : « Le ragoût de l’œuvre bizarre vient à propos raviver votre palais affadi par un régime littéraire trop sain et trop régulier ; les plus gens de goût ont besoin quelquefois, pour se remettre en appétit, du piment des concetti et des gongorismes. »

M. Gautier ne personnifie pas d’ailleurs la fantaisie dans son roman autant qu’il voudrait le faire croire. Si l’on se flatte de partir pour un voyage humoristique, on se trompe ; tout est calculé : l’auteur avait arrêté d’avance que ces granges, ces châteaux, ces tavernes, défileraient sous nos yeux. Aussi ne faudrait-il point le rapprocher étourdiment d’un Alfred de Musset et d’un Henri Heine, esprits d’une tout autre famille, ni même d’un Töpffer, et il ne pourrait nommer parmi ses parrains ni l’auteur du Voyage sentimental ni l’auteur du Voyage autour de ma chambre. Autre est le burlesque, autre la fantaisie. Le burlesque ne contient pas non plus le secret du rire comique ; c’est ce qu’on oublie trop aujourd’hui, et Alfred de Musset avait bien raison, lorsqu’il s’écriait :

Gaité, génie heureux, qui fus jadis le nôtre,
Rire dont on riait d’un bout du monde à l’autre,
Esprit de nos aïeux qui te réjouissais
Dans l’éternel bon sens, lequel est né français,
Fleurs de notre pays, qu’êtes-vous devenues ?


Ah ! c’est qu’il se souvenait alors de Voltaire, de La Fontaine, de Molière, de Régnier, de Rabelais et de nos vieux fabliaux, du sobre et franc langage qu’il aimait tant. Poète, il savait comme Gustave Planche, ce critique perspicace, loyal, et non pas cruel, quoi qu’on ait pu dire, quel abîme sépare l’école du bric-à-brac de la grande école des Cervantes et des Lesage.

Notre critique est-elle donc absolue ? En ce cas, elle aurait tort. Ce n’est pas nous qui refuserons à M. Gautier quelques-unes des plus rares qualités de l’écrivain. Si nous prisons peu en lui le romancier, et s’il nous est permis de contester son humour, nous apprécions le talent du poète et du narrateur de voyages. Poète, M. Gautier n’est point assurément de la grande lignée des poètes, sa poésie est matérielle par goût ; mais il est poète en somme, et c’est assez d’une lueur de sentiment, d’un jet de pensée brillant tout à coup derrière ce style à facettes, comme derrière un cristal (si l’on veut bien admettre ce langage figuré), pour gagner la sympathie du lecteur. Lorsqu’il applique aux descriptions de voyages sa prose pittoresque, M. Gautier est un excellent metteur en scène. Il a, pour embrasser jusque dans leurs détails les plus déliés, pour reproduire jusque dans leurs couleurs les plus vives les choses du monde extérieur, des ressources infinies. Son procédé, blâmable ailleurs, vient là naturellement. Mais, sans contester la valeur reconnue de M. Gautier comme écrivain, nous avons le droit de la mesurer. Surtout lorsqu’il s’agit d’un roman, c’est-à-dire d’une œuvre essentiellement humaine, nous devons défendre la part du sentiment et réduire à leurs justes proportions les accessoires dont l’auteur abuse en négligeant le cœur, la pensée, tout ce qui est pour nous la moelle et comme le principe vital de l’art. La force du talent peut s’attester chez un écrivain ou par l’affirmation plus hardie et le développement croissant d’un génie original, ou par le phénomène d’un renouvellement complet. M. Gautier ne s’est pas renouvelé ; il se continue donc, mais non pour se développer : il essaie de remplacer la force d’initiative par des retours laborieux vers ses débuts littéraires.

Il est une heure pour toute chose : après l’étiolement de notre littérature dans les limbes de l’école pseudo-classique, la couleur et le style pittoresque étaient des conquêtes utiles, indispensables. Ce que nous avions perdu, il importait de le reprendre en élargissant même le champ des explorations et le domaine de nos écrivains. Dès la fin du XVIIIe siècle, Jean-Jacques Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre dans la peinture du paysage, Buffon dans les descriptions de la science, avaient rendu l’expression et reproduit la beauté de la nature. Dans la première partie de ce siècle, on s’éprit subitement des créations peu ou mal connues du moyen âge et de la poésie du XVIe siècle. De là naquirent des œuvres de mérite dans la sphère de l’imagination, et des recherches qui ont abouti aux amples trésors de l’érudition actuelle ; mais le goût des menus détails, du petit côté des choses et des agrémens surannés, en se conservant seul, ne saurait plus rien apporter qu’un bagage d’objets et de mots hors d’usage. L’esprit moderne, à moins qu’il ne se livre aux informations de l’histoire, veut se nourrir de ce qui l’entoure et non de fruits desséchés : il ne s’agit point de rebrousser chemin jusqu’au XVIe siècle, vu en miniature dans le cénacle de Ronsard, et s’il est un siècle dont le nôtre doive exploiter la succession avec un zèle particulier, n’est-ce pas le XVIIIe siècle, envers qui nous risquons souvent d’être ingrats ? Prendre aux âges antérieurs de quoi fortifier la langue, c’est bien ; mais la pensée et les mœurs changent comme les lois, l’humanité ne revient pas en arrière, et ni les mots, ni les costumes, ni le langage du temps jadis ne peuvent servir au présent dans toute leur intégrité. Le sentiment ne varie pas de la sorte, et c’est lui qu’il faudrait ressaisir sous ses formes nouvelles, comme l’avaient saisi sous d’autres formes les maîtres des vieux âges. C’est là vraiment l’unique moyen efficace de relier le présent au passé dans les œuvres d’art ou dans les œuvres littéraires, en montrant ainsi que l’humanité est toujours la même au fond sous la diversité des aspects : la méconnaître dans le présent, qu’on le sache bien, c’est prouver qu’on l’avait mal comprise dans le passé.


FÉLIX FRANK.


V. DE MARS.

  1. Voyez la revue littéraire du 15 septembre 1838, par M. Sainte-Beuve, et l’article de M. Charles Labitte intitulé Du Grotesque en littérature, M. Th. Gautier, dans la Revue du 1er novembre 1844.