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Chronique de la quinzaine - 31 août 1838

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Chronique no 153
31 août 1838
CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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31 août 1838.


Les fêtes données à l’occasion de la naissance du comte de Paris sont terminées ; mais les mécontentemens que cet évènement a causés aux différens partis se font encore entendre. Le nom donné au nouvel héritier du trône, les paroles prononcées par le roi et le duc d’Orléans, tout, jusqu’au jour de la naissance du jeune prince, a servi de sujet et de texte aux déclamations et aux prophéties sinistres. Un journal légitimiste n’a-t-il pas fait remarquer que le comte de Paris est né le 24 août, jour anniversaire de la Saint-Barthélemy ? S’il en est ainsi, 1838 sera une réparation des malheurs de 1572, mais nous ne devons pas nous étonner que les écrivains légitimistes, qui approuvaient la Saint-Barthélemy en la nommant un acte de rigueur salutaire, ne sentent pas toute la portée d’un évènement qui assure à la France la perpétuation directe d’une dynastie fondée sur le principe de la liberté des cultes et de toutes les libertés politiques.

Des esprits inquiets, mais moins hostiles, ont cru devoir remarquer que tant de réjouissances à l’occasion de la venue d’un héritier du trône, sont superflues, attendu que la naissance d’héritiers directs et pleins d’avenir, n’a pas empêché, depuis trente ans, les dynasties de tomber. Il est vrai que l’ambition effrénée de Napoléon a privé son fils du trône de France, et que le manque de foi royale de Charles X a envoyé le duc de Bordeaux en exil. C’est un exemple qu’il est bon de mettre, en tous pays, sous les yeux des princes ; mais cet exemple est inutile en France, et surtout en pareille occasion. Est-ce au roi qu’on viendrait offrir un pareil exemple ; au roi, qui depuis huit ans a fait respecter, et souvent au péril de sa vie, par tous les partis qui les ont attaquées, les institutions jurées en 1830 ? Est-ce à ses fils, à son héritier ? Mais n’ont-ils pas secondé le roi dans toutes ces journées périlleuses où il fallait défendre la constitution, les armes à la main ? n’ont-ils pas rempli leurs devoirs de prince et de citoyen, comme le soldat le plus obscur et le fonctionnaire le plus exact ? Quel a été le premier acte du roi après la naissance de son petit-fils ? N’a-t-il pas écrit de sa main au corps municipal pour lui annoncer cet heureux événement, en le qualifiant de garantie nouvelle à la stabilité de nos institutions ? Le roi, qui nous a montré quelle éducation reçoivent ses enfans, avait bien le droit de parler ainsi d’avance de son petit-fils. Le trône ne manque pas aux princes qu’on élève de la sorte, car ils sont dignes de le remplir. Et peut-être n’eût-il pas manqué au duc de Bordeaux lui-même, si la France n’avait su qu’il n’y avait rien à attendre pour elle de l’élève de l’abbé Tharin.

Ce ne sont pas, en effet, les naissances royales qui ont manqué à la France depuis quinze années ; ce sont les éducations royales qui ont manqué aux princes que la providence avait accordés aux vœux du pays. Le roi de Rome eut le malheur de naître en un temps où le despotisme le plus pesant ne laissait parvenir que l’adulation au pied du trône. Les grands malheurs qui renversèrent si promptement cette haute fortune, furent l’effet même des fautes du fondateur de cette race, détruite dans son germe. Le duc de Bordeaux porte aussi le poids des fautes du chef de sa maison. Né dans un temps de liberté et de vérité, il eût peut-être profité de ces circonstances favorables ; mais, au lieu de l’élever au milieu de la France et de la lui faire connaître, on le renferma dans le sein d’un parti, on lui répéta que les siens n’avaient jamais cessé de régner, on lui dissimula jusqu’aux faits de cette longue et immense révolution dont la connaissance seule pouvait le rendre propre à la conduire. En présence du régime constitutionnel qu’on lui apprenait à détester, au milieu d’un peuple libre et fier de ses droits nouveaux, le jeune prince vécut comme s’il était dans l’émigration ; on l’entoura de ceux qui haïssaient le plus les institutions qu’il devait jurer de maintenir, et le premier acte politique dont l’étiquette de palais ne put lui dérober la connaissance, ce fut la violation d’une parole royale donnée solennellement trois fois à la face du pays. Les premiers coups de canon qu’il entendit, ce furent ceux que le roi son aïeul faisait tirer sur son peuple, et la première fois qu’on lui fit voir la France et ses populations, ce fut quand il les traversa pour se rendre en exil. Ces grands malheurs ont-ils au moins profité au dernier rejeton vivant des dynasties perdues ? Les organes éclairés de la vieille légitimité, qui savent à quelles conditions on régnera désormais en France, quelque nom qu’on porte, en doutent, ou plutôt en désespèrent. La Gazette de France ne déclarait-elle pas elle-même, il y a peu de jours, que le règne de Henri V était incompatible avec une constitution quelconque ? et la feuille que nous citons était bien informée. Voudra-t-on nier, en effet, que le petit-fils de Charles X dit hautement, en toute occasion, qu’il refuserait le trône de France si on le lui offrait avec une charte, et qu’il ajoute que la révolution de juillet lui semble l’évènement le plus heureux ; car autrement il eût reçu la couronne avec l’obligation d’être un roi constitutionnel, comme l’était son aïeul, qui n’a qu’un tort à ses yeux, celui d’avoir attendu quatre ans avant de signer les ordonnances ? Ces paroles sont authentiques, et mille témoins élèveraient la voix pour répondre à ceux qui les nieraient.

Qu’on s’étonne maintenant que le trône ait manqué aux héritiers ! Mais leurs pères et leurs cours ne l’ont-ils pas détruit eux-mêmes sous leurs pieds ? Nous ne sommes ni courtisans, ni prophètes. Nous ne saurions prédire si la vie du comte de Paris sera prospère et glorieuse ; si, dans l’Europe où tout vacille, les évènemens seront pour lui ; mais ce que nous savons bien, c’est que tout ce que la prudence et la sagesse humaines peuvent faire pour l’héritier d’un trône, son aïeul et son père le feront pour lui. Et pour accomplir ce dessein, ils n’auront pas besoin de chercher d’autres traditions que celles de leur famille, d’autres enseignemens que ceux qu’ils prendront en eux-mêmes. Le roi n’aura qu’à faire lire à son petit-fils l’histoire de son règne, pour lui apprendre ce que c’est qu’un roi constitutionnel. Le duc d’Orléans n’aura qu’à répéter au jeune prince les leçons qu’il a reçues dans nos colléges, qu’à lui communiquer l’expérience qu’il a puisée dans la simple fréquentation des hommes de tous les rangs, pour lui tracer les devoirs d’un héritier du trône, pour lui enseigner le métier de prince dans un pays libre. On voit que la Providence a déjà fait beaucoup pour le comte de Paris en le faisant naître où il est né. Ajoutons qu’elle l’a fait naître dans un temps où les passions violentes sont mal reçues, et dans un pays fatigué de commotions politiques, toutes choses qui ont manqué aux anciens héritiers du trône de France. Voilà bien des chances en faveur de celui-ci, et bien des raisons de ne pas s’inquiéter de son avenir.

Le don d’une épée, votée par le conseil municipal, au comte de Paris, a naturellement donné lieu à beaucoup de critiques. Pourquoi une épée à un enfant ? Pourquoi déclarer surtout, comme l’a fait le préfet de la Seine, que cette épée ne doit rappeler ni celle de Charlemagne ni celle de Napoléon, c’est-à-dire que ce doit être là une épée pacifique ? Le roi a répondu en disant que cette épée sera toujours prête à préserver notre honneur national de toute atteinte et notre territoire de toute invasion, que si elle sort du fourreau, ce sera pour hâter le terme des maux de la guerre, et pour faire jouir la France de la conquête de la paix. Les paroles dites devant un berceau, en présence d’un enfant qui ne les entend pas, ont souvent une grande influence dans l’avenir ; ce sont les premières paroles qu’on lui répète dès qu’il est en état de comprendre. Qui sait si les sages réflexions du fondateur de la dynastie, ne se présenteront pas à la pensée du comte de Paris dans des momens difficiles ? Le vœu d’une ville capitale, représentée par ses délégués, n’est pas non plus un fait indifférent, et c’est, en quelque sorte, flétrir les annales d’une nation, que jeter du ridicule sur de pareils actes.

Enfin, la harangue de M. l’archevêque de Paris au roi, à l’occasion du Te Deum d’actions de grâce, a fait naître d’autres rancunes et de nouvelles critiques. « La monarchie compose avec le clergé, s’est écriée l’opposition radicale. Le règne des jésuites ne tardera pas à revenir ; le fameux parti-prêtre va de nouveau dominer, et (qui sait ?) nous ramener aux ordonnances de juillet, sans doute. » Qu’est-il donc arrivé qui puisse motiver ces plaintes que nous voulons bien supposer sincères ? M. l’archevêque de Paris a ondoyé l’héritier du trône, et il devait le faire. De son côté, le roi s’est rendu avec sa famille à l’église cathédrale, pour remercier Dieu de la grace qu’il lui a faite. La France a-t-elle donc pris l’engagement d’être athée depuis la révolution de juillet ? Cet acte religieux révolte une certaine partie de l’opposition, qui ne voit aujourd’hui que théocratie et fanatisme. M. l’archevêque de Paris lui semble un cardinal de Retz, un turbulent qui se soumet en frémissant, et qui prend d’une main mille fois plus qu’il ne donne de l’autre. Quand donc laisserons-nous à chacun son caractère ? Un archevêque, un prélat, ne peut avoir les idées d’un écrivain politique, ou d’un député constitutionnel. Le prélat dit au roi qu’il a demandé à Dieu d’abréger les temps, et de hâter le moment où tous les Français seront réunis dans les liens d’une même foi, en un seul troupeau avec un seul pasteur. Mais tel a toujours été le vœu de l’église catholique, vœu que manifestent les missions lointaines, les prédications, les martyres qui l’ont honorée, et, il faut bien le dire, les persécutions qu’elle a soulevées et qui l’ont quelquefois flétrie. Veut-on que l’église catholique abdique son principe fondamental, qui est le prosélytisme, et qu’elle ne se permette pas même un vœu innocent pour la conversion de ceux qu’elle voudrait voir dans son sein ? L’article 5 de la Charte dit que chacun professe sa religion avec une égale liberté, et obtient, pour son culte, la même protection. Voudrait-on empêcher M. l’archevêque de Paris de professer sa religion avec la liberté que nous réclamons pour nous tous ? Imiterons-nous le fanatisme voltairien du Constitutionnel, qui s’écrie à cette occasion « Voyez comme le prélat donne un large champ à ses passions d’intolérance, lorsqu’il appelle de ses vœux le jour où tous les Français seront convertis à la foi catholique ! » C’est un prélat bien intolérant, en effet, que celui qui prie Dieu d’augmenter le nombre de ses fidèles. Les prêtres de toutes les religions font-ils autre chose ? Disons la vérité, et ne reculons pas lâchement devant ces aveugles élans du vieux libéralisme. M. l’archevêque de Paris a parlé en archevêque, et le roi comme un roi, d’abord en blâmant les désastres qui ont frappé l’archevêché, en 1831, puis en disant « qu’il louait Dieu de tous les bienfaits que la main céleste a répandus sur la France, sur sa famille et sur lui. » Le temps d’épreuves dont a parlé M. l’archevêque de Paris, est passé, nous l’espérons ; le clergé a subi les effets inévitables d’une réaction que quelques-uns de ses membres avaient provoquée, en se mêlant trop ardemment à la politique de la restauration et en l’entraînant dans des voies fâcheuses. Les paroles même du prélat prouvent que le gouvernement est loin de tout accorder au clergé, comme on l’en accuse ; mais tous les égards, dus à un corps respectable, lui sont accordés sans réserve. En restant dans les limites du sacerdoce, il s’assurera la plus utile et la plus belle influence, et il la devra uniquement aux vertus dont le clergé français a tant de fois donné l’exemple.

Quelques journaux français, de ceux qui ont le plus contribué à l’exaltation qui règne dans plusieurs cantons de la Suisse contre la France, annoncent le terme des difficultés nées entre le gouvernement français et la république helvétique. La déclaration du grand conseil de Thurgovie suffirait selon ces feuilles. Le grand conseil de Thurgovie a déclaré, en effet, que le vote de sa députation est maintenu dans tous ses points, et qu’en conséquence, Thurgovie repousse de la manière la plus formelle la demande faite par la France, de l’expulsion du prince Louis Bonaparte. En sa qualité d’état souverain, est-il ajouté dans cette déclaration, Thurgovie se propose de rechercher et de punir lui-même les intrigues politiques susceptibles de compromettre la tranquillité des autres états.

En lisant cette déclaration si explicite, on est d’abord amené à se demander quels sont les moyens légaux à l’aide desquels le canton démocratique de Thurgovie peut empêcher M. Louis Bonaparte de conspirer contre la tranquillité de la France. Puis on se demande encore comment il se fait que le grand conseil de Thurgovie ait passé sous silence le défaut d’adhésion de M. Louis Bonaparte à l’article 25 de la constitution thurgovienne, circonstance qui réduit la qualité de citoyen de Thurgovie à un titre honorifique. C’est ainsi que la commune de Schutz et celle d’Oberstrass voulaient accorder le titre de citoyen, sans droits civiques, à M. Louis Bonaparte. S’ensuivrait-il qu’il serait citoyen de Lucerne et de Zurich ? Nullement. La Suisse est maîtresse, il est vrai, de prendre M. Louis Bonaparte sous sa protection. Si la république helvétique croit avoir de grandes obligations à ce jeune homme ; si le titre de prince qu’il porte lui donne, près des démocrates suisses, un crédit assez grand pour faire repousser par tous les cantons et par le directoire fédéral, les justes demandes de la France, rien de mieux. Assurément, les négociations seraient terminées, et notre ambassadeur n’aurait plus qu’à demander ses passeports ; mais nous ne pouvons croire que les choses en soient arrivées à ce point.

D’abord, tous les journaux suisses sont loin de tenir le même langage. L’Allgemein déclare qu’il eût été dans les devoirs de bon voisinage d’engager M. Louis Bonaparte à s’éloigner du territoire de la confédération. Ce journal blâme les chefs radicaux qui ont, dit-il, en main les rênes de la confédération, d’avoir déclaré d’une manière si arrogante qu’ils ne consentiraient jamais à l’expulsion de M. Louis Bonaparte. L’Ami du Peuple, de Berne, dit que M. Louis Bonaparte ne considère son droit de citoyen suisse que comme un moyen de réaliser ses vues ambitieuses. La brochure Laity, dit l’Ami du Peuple, en est une preuve. Que de personnes n’a-t-il pas compromises par cet écrit ! — La feuille suisse n’est pas pour l’expulsion, mais elle est plus rigoureuse encore. Elle parle de citer M. Louis Bonaparte devant la diète, de lui faire l’injonction de rester tranquille, comme il convient à un citoyen suisse, et dans le cas où il agirait autrement, de l’envoyer réfléchir dans une chambre du château d’Arbourg. Le château d’Arbourg est une prison d’état. Une autre feuille compare M. Louis Bonaparte à la chauve-souris de La Fontaine, qui montre tour à tour ses pieds et ses ailes, et M. Louis Bonaparte lui-même justifie cette assertion par sa lettre au grand conseil de Thurgovie, où il ne parle de sa situation qu’en termes ambigus. Le droit de bourgeoisie de Thurgovie est le seul qu’il possède, dit-il ; mais il ne déclare pas hautement qu’il a renoncé à sa qualité de Français. Ce langage équivoque n’est pas à la hauteur de la situation que voudrait se faire M. Louis Bonaparte, et nous devons lui dire qu’il y a bien loin de sa lettre à celle que Louis XVIII écrivit de Varsovie à Napoléon. Il n’est pas si facile qu’on le pense de prendre le langage et l’attitude d’un prétendant.

Le directoire fédéral sera-t-il moins sage et moins modéré que les feuilles dont nous venons de citer quelques passages ? Les rodomontades des radicaux suisses, copiées de celles qu’on adressait à M. de Bombelles, ambassadeur d’Autriche, quand il somma les cantons d’expulser les réfugiés qui s’étaient assemblés au Steinhalzli, seront-elles soutenues par le gouvernement de la république helvétique ? Les membres du directoire voudront-ils sanctionner l’injure adressée à la France par un faubourg de Zurich et par un hameau de Lucerne, qui ont choisi cette circonstance pour décerner la bourgeoisie à M. Louis Bonaparte ? La France peut bien ne pas se baisser pour regarder ces pygmées qui l’outragent, mais nous prévenons le directoire helvétique qu’il n’en serait pas ainsi de sa décision.

La Suisse occupe une place importante en Europe, mais uniquement à cause de ses voisinages. Elle peut livrer le passage vers notre frontière de l’est et nous découvrir depuis Mulhausen jusqu’à Lyon. Elle peut jouer le même rôle vis-à-vis de la Lombardie. La Suisse est donc tout pour ses voisins ; ses procédés à leur égard ont une importance double de celle des autres états, et entre la meilleure harmonie et une hostilité ouverte, il n’y a pas de milieu pour la France dans ses rapports avec la Suisse. Un système mixte serait tout-à-fait d’une fausse politique. La France doit faire sentir constamment à la Suisse les effets de sa bienveillance ou ceux de sa force, se faire aimer ou se faire craindre ; sa sûreté le veut ainsi. Les capitulations que faisait autrefois la France avec les cantons étaient, selon nous, d’une excellente politique ; tous les moyens de conciliation et de bons rapports doivent être employés, à défaut de ces conventions amicales qui ne sauraient plus avoir lieu aujourd’hui. Nous devons croire que ces moyens ont été tentés, et qu’ils le sont encore ; s’ils ne réussissent pas, le devoir du gouvernement français est tout tracé. Genève est à deux pas du fort de l’Écluse ; et de Bâle à Constance, qui est à quelques milles de Frauenfeld, la capitale de Thurgovie, il n’y a qu’une promenade militaire de deux jours, qui ne s’écarte pas de la ligne frontière.

Le directoire fédéral s’abuserait étrangement s’il se figurait, comme le disent chaque jour les journaux de l’opposition, que la France verrait de mauvais œil un acte de vigueur commandé par le sentiment de sa dignité. Nous avons sous les yeux plusieurs lettres de nos départemens. Toutes s’accordent à demander que la France ne subisse pas un refus injurieux. On a parlé des dommages qu’éprouverait le commerce. Le chiffre d’exportation des marchandises suisses, en France, dépasse de 2 millions celui des marchandises importées en Suisse par la France. À Lyon, tous les intérêts gagneraient à un blocus de la Suisse qui ne pourrait plus faire concurrence pour les exportations d’Amérique. Les déclamations des journaux de l’opposition ne sont rien que des déclamations, et, en France, on sait bien à quoi s’en tenir sur leur valeur. Nous serions fâchés que la Suisse l’apprit à ses dépens.

Une affaire grave s’est élevée entre le conseil général de la Loire-Inférieure et le préfet de ce département. D’anciens dissentimens entre le conseil et le premier fonctionnaire paraissent avoir éclaté avec plus de force que jamais, et ont amené une lettre du conseil général au ministre de l’intérieur, par laquelle on offre l’alternative de la démission du conseil ou de la retraite du préfet. Cette lettre, consignée sur le registre des délibérations, ne parviendra à l’administration centrale qu’à la fin de la session des conseils-généraux ; elle est donc encore comme non avenue, et on ignore ce que décidera le ministère. On peut toutefois prévoir qu’il ne reconnaîtra pas au conseil général le droit d’obliger le gouvernement à changer un préfet. Déjà un journal de l’opposition, le Constitutionnel, blâme sans réserve la conduite du conseil général. Nous aurions peine à employer des termes aussi rigoureux que ceux du Constitutionnel, à l’égard d’une assemblée où l’on compte des hommes aussi graves que le sont M. Delahaye-Jousselin, M. Bignon, M. Cossin, députés, et MM. les présidens Levaillant et Guillet. Nous n’avons pas besoin, nous, de témoigner notre adhésion au gouvernement par ces excès de rigueur pour ses adversaires, et nous attendrons le cahier du conseil général de la Loire-Inférieure pour juger ses actes. Mais en principe, sa lettre, qui est une sorte d’ultimatum, nous semble excéder ses pouvoirs, et le ministère aura, en cette circonstance, à bien marquer les limites qui séparent un conseil général d’une chambre des députés. C’est à son retour de sa belle résidence de Lagrange, où il va se reposer des fatigues d’une session difficile, que M. de Montalivet s’occupera de cette affaire. M. le comte Molé prend l’interim du ministère de l’intérieur ; on peut être assuré qu’en ses mains les affaires ne péricliteront pas.

Puisque nous parlons du Constitutionnel, nous devons le féliciter de la nouvelle route qu’il prend aujourd’hui. Le Constitutionnel s’était montré très irrité de la publication de la statistique des journaux que nous avons faite. Il y voyait une immoralité, une violation des secrets de l’industrie, comme si un journal qui demande au pouvoir de la déférence au nom du grand nombre de ses abonnés, et à qui l’industrie s’adresse pour annoncer ses produits, en raison même de ce nombre de lecteurs, pouvait et devait être assimilé à un négoce occulte. Le Constitutionnel contestait encore l’exactitude de nos chiffres. S’ils sont inexacts à son égard, c’est sans doute parce qu’on a compté, au timbre et à la poste, comme abonnemens du Constitutionnel, les feuilles qu’il échange avec les journaux de province et celles qu’il adresse gratis, en France et à l’étranger, à ses correspondans. Il s’ensuit qu’on serait plus exact en diminuant de quelques centaines le chiffre des abonnés du Constitutionnel, que nous avons donné.

Mais, tout en contestant ce chiffre, le Constitutionnel a suivi nos conseils. Il a compris, comme nous le lui disions, que la perte de vingt mille abonnés qu’il a faite depuis 1830, époque où il comptait le nombre prodigieux de vingt-cinq mille abonnés, tient à quelque chose ; et pour commencer sa réforme, il a renoncé aux attaques acerbes dont le gouvernement et ce qu’il nomme le château, étaient l’objet dans ses articles. Après avoir accordé, il y a peu de temps, de justes éloges à M. Molé, le Constitutionnel a salué avec enthousiasme et sans rancune, la naissance du nouveau prince, en protestant de son dévouement pour la monarchie, et en parlant de la bonne étoile de notre dynastie. Qu’il y a loin de cette loyale manifestation aux chroniques que faisait, il y a deux mois, le Constitutionnel, sur « la ville et la cour ! » Nous l’en félicitons sans réserve, et nous ne doutons pas qu’il n’en recueille les fruits avant la publication de sa statistique d’abonnemens du prochain trimestre.

Un journal du soir, plus fidèle à ses principes qu’à ses intérêts, et qui diffère en cela du Constitutionnel, l’avait sommé de déclarer pour qui et contre qui il combattait ; à quoi le Constitutionnel, fidèle du moins à son système, avait répondu que, sans trop admettre le droit que s’arrogent certaines feuilles de lui faire subir un interrogatoire sur ses antipathies et ses sympathies, il allait cependant répondre. On voit que le Constitutionnel se croit en droit de cacher non-seulement le nombre de ses abonnés, mais encore ses opinions politiques, et qu’il s’imprimerait volontiers à huis clos, s’il osait. Toutefois, forcé dans son camp retranché, il déclare « que tous ses efforts tendront, comme par le passé, à préparer le renversement du ministère actuel dans son entier. »

À la bonne heure ! le ministère se contentera donc de se voir soutenu en détail, comme fait aujourd’hui le Constitutionnel, tantôt dans la personne de M. Molé, tantôt dans celle de M. de Montalivet, à propos du conseil général de la Loire-Inférieure. Nous regarderions déjà même comme un grand progrès du Constitutionnel la justice toute française qu’il rend au chef de notre gouvernement, et l’enthousiasme qu’il montre pour sa famille. À ce prix-là, le Constitutionnel évitera désormais les critiques que nous nous sommes permises, à notre grand regret, sur l’esprit injuste et passionné de sa rédaction. Et quant aux feuilles de l’opposition qui se postent derrière le Constitutionnel pour l’observer, à peu près comme ces régimens qu’on place derrière des auxiliaires incertains, elles auront beau faire bonne garde, nous leur prédisons que le Constitutionnel leur échappera. Ceci n’est pas une conjecture.

M. de Salvandy vient d’adresser, au roi, deux rapports qui feront époque dans l’histoire de l’instruction publique en France. Le ministre rappelle que l’ordonnance de 1816 supprima dix-sept facultés des lettres et trois facultés des sciences ; et que, sur sa proposition, la création de nouvelles facultés a été sanctionnée par les chambres. C’est pour régler et améliorer l’enseignement dans ces facultés, que M. de Salvandy a proposé au roi, qui l’a approuvé, de faire enseigner les langues vivantes dans les départemens.

Nous n’avons pas besoin de démontrer l’excellence de ces vues et de ces mesures ; elles parlent elles-mêmes assez haut, et témoignent, ainsi que le rapport de M. de Salvandy sur les études théologiques, combien il a embrassé avec promptitude et élévation, toutes les parties de l’utile administration qui lui est confiée.