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Cinq Prières pour le temps de la guerre/De la mère d’un soldat

La bibliothèque libre.
Librairie de l’Art catholique (p. 51-61).

PRIÈRE
À
L’USAGE
DE
LA MÈRE
D’
UN
SOLDAT


P atronne des mamans, vous savez que j’ai enveloppé, de tout mon être, mon fils avant qu’il naquît ; et j’ai dû souffrir cet arrachement de moi-même auquel Dieu a condamné toute mère, excepté vous dont le cœur fut réservé pour être chastement déchiré au pied de la croix.

Vous n’ignorez pas non plus que mon enfant demeure en moi, encore qu’il ait quitté depuis des années mon sein ; que nos vies sont mêlées comme lorsque je le portais, et que, si son cœur était percé d’une balle et laissait le sang fuir, je ressens que du même coup mon cœur se viderait aussi.

Et c’est pourquoi je place mon soldat sous votre protection, ô Douloureuse qui avez enduré à un haut degré le supplice infini de votre Fils en acceptant, pour vous, sur le Calvaire, non seulement les blessures faites par les clous, mais encore par les épines et la lance, après avoir éprouvé les angoisses et meurtrissures de l’agonie, et, auparavant, l’horrible et quotidienne prévision du sacrifice.

Ayez pitié de moi, ô vous qui n’avez pas eu pitié de vous-même, qui vous êtes soumise à l’immolation de ce petit Enfant qui reposait sur votre poitrine, dans la crèche, et avec lequel vous jouiez comme je faisais avec le mien.

Continuez-moi l’espérance que vous ne pouviez pas avoir d’être soustraite au deuil sanglant de votre Fils, et intercédez auprès de lui, que poursuivirent les exécuteurs d’Hérode à l’heure où le mien est menacé par les bourreaux de Guillaume.

Ramenez d’Egypte en Galilée, du désert calciné de la guerre dans notre village, celui à qui nous souhaitons une calme vie avec nous, cachée par l’obscur labeur, comme était celle de la sainte Famille à Nazareth.

Ayez pitié de moi, vous qui cherchiez en vain Jésus sur la route, mais qui l’avez retrouvé dans le Temple au milieu des docteurs. Demandez-lui que mon enfant ne compte point parmi ces disparus dont les ombres cruellement nous obsèdent ; ou que, si nous devons endurer cette épreuve, elle se termine vite et que je le rejoigne dans ce même Temple où votre Fils ne cesse plus de nous attendre.

Vous qui avez vu Celui qui est sorti de vos entrailles porter sa croix couvert du sable du torrent, consolez ma pensée qui va vers la tranchée boueuse ou mon petit que je vous recommande devient le disciple du Christ. Chargé de son fardeau, peut-être succombe-t-il ! Je me remémore le sens des paroles du divin Maître : Viendront sur toi des jours où tes ennemis t’environneront de tranchées ; ils t’enfermeront et te presseront de toutes parts… Ils te renverseront par terre… parce que tu n’as pas su connaître le temps où je t’ai visitée. Ainsi s’adressait-il à Jérusalem ingrate. Mais il est une France, ô Vierge ! qui connaît le temps où votre Fils la visite : c’est la France qui l’épouse en ce moment dans la Passion.

Nos enfants sont en croix comme le vôtre qui n’en voulut point descendre. Que s’il se peut que les mains de mon soldat soient épargnées, invoquez devant le Père qui est aux Cieux les mains de l’Enfant Jésus vous offrant des fleurs, se joignant sur votre col, ou caressant la barbe de l’humble Charpentier se reposant de sa besogne ; que s’il se peut que le cœur de mon chéri ne soit pas troué, invoquez devant le même Père éternel l’amour que vous éprouvâtes durant la fuite en Égypte lorsque, montée sur l’âne, vous sentiez le petit cœur du trésor vivant que vous teniez battre comme une aile d’oiseau sous vos doigts ; que s’il se peut que les pieds de mon garçon ne soient pas mutilés, invoquez encore devant le Père la démarche si gracieuse d’un tout petit Nazaréen dont les talons étaient au soleil comme des fruits roses.

Mais que si, ô Mère des douleurs, ma prière ne pouvait être exaucée dans le sens que mon âme vous la présente… alors, venez et aidez-moi. Aidez-moi parce que je ne pourrai jamais toute seule supporter un tel poids. Aidez-moi parce que vous avez été vous-même aidée. Vous irez chercher des hommes pieux comme Joseph d’Arimathie et Nicodème. Ils

descendront mon enfant de sa
croix. Et vous-même, avec
les saintes femmes, vous
le remettrez entre
mes bras.