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Civilisation des Indiens Chérokées

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ÉTATS-UNIS.




CIVILISATION


DES


INDIENS CHÉROKÉES.




Les Chérokées, nation indienne de l’Amérique du Nord, viennent de donner l’exemple, inoui dans les annales du monde, d’un peuple passant tout à coup, et comme par enchantement, de la barbarie à la civilisation. Le perfectionnement de la race aborigène a été l’objet constant de la sollicitude du gouvernement des États-Unis. Fidèle en tout au plan de Washington, il ne s’est jamais écarté, à l’égard des Indiens habitant dans ses limites, de la ligne de conduite libérale et toute paternelle que cet homme célèbre avait lui-même tracée. L’ombre de Washington a donc en quelque sorte présidé aux progrès que les Chérokées ont faits, depuis vingt-cinq ans, dans les arts de la vie civilisée.

« Mes bien-aimés Chérokées, leur disait-il en 1796, il s’est passé un grand nombre d’années depuis la première arrivée du peuple blanc en Amérique, et, dans ce long espace de temps, quelques hommes de bien se sont occupés des moyens d’améliorer la condition des indigènes ; mais jusqu’ici leurs tentatives ont été sans succès. Moi aussi, j’y ai beaucoup réfléchi, et mon désir le plus ardent a été que les Indiens jouissent, à l’égal des blancs leurs voisins, de la plénitude des bonnes choses qui rendent la vie aisée et heureuse. J’ai long-temps considéré ce qu’il fallait faire pour atteindre ce but, et je n’ai trouvé qu’un chemin pour y arriver.

» Mes bien-aimés Chérokées, vous devez commencer à vous apercevoir de la rareté du gibier, qui abondait autrefois dans vos bois, et quand vous revenez de la chasse sans avoir tué ni daim, ni aucune autre bête fauve, il vous faut nécessairement endurer la faim ; vous savez que si vos forêts ne vous fournissent plus de pelleteries, les trafiquans ne vous donneront ni poudre ni vêtemens, et qu’avec la houe, pour tout instrument aratoire, vous ne recueillerez jamais qu’une quantité de maïs insuffisante pour votre consommation. Il s’ensuit que vous vous exposez quelquefois à souffrir beaucoup de la faim et du froid, et vos souffrances s’accroîtront en proportion de la rareté du gibier. Vous me demanderez le moyen de remédier à cet état de choses ; le voici, écoutez-moi :

» Mes bien-aimés Chérokées, plusieurs d’entre vous ont tiré de grands bénéfices de l’éducation des bêtes à cornes et des porcs ; eh bien ! élevez-en tous, et jamais la viande ne vous manquera. Ajoutez-y des moutons ; vous aurez leur laine pour vous vêtir, et leur chair vous fournira une nourriture saine et abondante. Votre territoire est fertile, et d’une vaste étendue. Il vous serait facile d’y élever assez de bestiaux, non-seulement pour vos besoins, mais encore pour en vendre au peuple blanc. L’emploi de la charrue augmenterait prodigieusement votre récolte de maïs. Pourquoi ne cultiveriez-vous pas aussi le froment, qui fait le meilleur pain, et d’autres céréales non moins utiles ? Vous pourriez, plus tard, récolter du lin et du coton, que vous vendriez aux blancs, si vous n’aimiez pas mieux en faire confectionner des vêtemens pour votre usage, par vos femmes. Vos compagnes et vos filles apprendraient bientôt à filer et à tisser ; j’ai chargé M. Dinsmoor, mon bien-aimé agent auprès de votre nation, de se procurer à cet effet tous les objets nécessaires, et de payer une femme pour leur montrer à s’en servir. Il doit en même temps acheter des charrues et d’autres instrumens aratoires, à l’aide desquels vous pourrez mieux préparer la terre, et il fera venir un homme blanc pour vous en enseigner l’usage. Je lui ai aussi prescrit d’acheter des bêtes à cornes et des moutons, pour les distribuer aux plus industrieux d’entre vous, et à ceux qui témoigneraient le désir de se livrer à la culture du sol, et à l’éducation de ces animaux. Cet agent vous entretiendra souvent à ce sujet, et vous donnera tous les avis dont vous pourrez avoir besoin. Je vous invite à l’écouter, et à suivre ses conseils. Je l’ai appelé à résider parmi vous, parce que je le crois honnête homme, prêt à exécuter mes instructions, et qu’il vous veut du bien.

» Et moi aussi, mes bien-aimés Chérokées, je vais faire ce que je vous recommande. Encore quelques lunes, et je quitte la grande ville (Philadelphie) pour me retirer dans ma ferme. Là, je travaillerai à multiplier mes bêtes à cornes, mes moutons et mes autres animaux domestiques ; je cultiverai le maïs, le froment et d’autres grains ; j’emploierai mes femmes à filer et à tisser ; je ferai, en un mot, tout ce que je vous conseille de faire pour goûter l’aisance et le bonheur que donnent une nourriture abondante, des vêtemens chauds et commodes et les autres bonnes choses de cette vie.

» Les hommes sages des États-Unis, mes bien-aimés Chérokées, suivant la coutume des autres peuples, se réunissent une fois l’an pour régler les intérêts de la nation entière. J’ai pensé qu’une réunion de vos hommes sages, une ou deux fois par an, produirait aussi pour vous les plus heureux effets. Chaque ville pourrait députer un ou deux de ses habitans les plus recommandables, pour se concerter ensemble sur les affaires de votre nation, et lui prescrire ce qu’ils croiraient devoir être fait pour son avantage. L’agent des États-Unis conférerait avec eux, leur indiquerait les choses que le peuple blanc a trouvées bonnes, et que votre situation vous permettrait d’adopter. Il vous expliquerait les lois que le grand conseil des États-Unis a rendues pour le maintien de la paix, pour la protection de vos terres, pour la sûreté de vos personnes, pour votre initiation aux arts de la vie civilisée, et pour votre bien-être en général. »

Tel était le plan conçu par Washington pour civiliser les indigènes de l’Amérique ; et comme les Chérokées paraissaient montrer le plus de dispositions à s’instruire, ce fut sur eux qu’il recommanda d’en faire le premier essai. En conséquence, le gouvernement conclut un traité de paix et d’amitié avec eux, à Holston, en 1798, et s’engagea à leur fournir les moyens d’améliorer leur condition. Ces Indiens, de leur côté, promirent de renoncer à la vie sauvage, et de s’adonner à l’agriculture, aux arts mécaniques et au commerce. Par suite de l’acquisition faite par les États-Unis, en 1802, de la partie occidentale de la Georgie, où résidaient les Chérokées, ceux-ci se trouvèrent placés sous la juridiction immédiate du gouvernement général, qui ne recula devant aucun sacrifice pour activer leur civilisation. Des missionnaires Moraves, Baptistes et autres contribuèrent aussi puissamment à leur régénération. Gédéon Blackburn se distingua surtout par son zèle et son désintéressement. Cet homme vertueux, oubliant tout intérêt personnel, vendit son patrimoine, et en appliqua le produit à pourvoir aux besoins de ces indigènes. Ce fut lui qui fonda, en 1804, leur première école, où quatre à cinq cents jeunes Chérokées reçoivent aujourd’hui les premiers élémens de l’éducation, et ne montrent pas moins de capacité que les blancs. Dès l’année 1810, ils possédaient déjà 19,500 bêtes à cornes, 6,100 chevaux, 19,600 cochons, 1,037 moutons, 500 charrues, 30 chariots, 1,600 rouets à filer, 467 métiers de tisserand, 13 moulins à farine, 3 à scie, 3 à salpètre, un moulin à poudre, et 49 boutiques de joaillerie.

Les possessions des Chérokées s’étendaient autrefois dans le Tennessée, les deux Carolines, la Virginie, la Georgie, le Kentucky et l’Alabama, et y occupaient une superficie de 35 millions d’acres. Cédant aux importunités des blancs, ils leur ont abandonné, à différentes époques, depuis la révolution, près des trois quarts de leur patrimoine. Une partie de ces terres est extrêmement fertile, le pays est salubre et le climat délicieux. De tout ce vaste et riche territoire, arrosé par des rivières innombrables, dont les unes vont se perdre dans l’Atlantique, d’autres se rendent par un cours sinueux au Mississipi, et d’autres enfin versent leurs eaux directement dans le golfe du Mexique ; ces indiens n’ont conservé que 8 millions d’acres, dont le sol est d’une qualité fort inférieure à celui qu’ils ont vendu.

En 1817, il y eut une scission entre les Chérokées. Près de 6,000 d’entr’eux, préférant la vie sauvage qu’avaient menée leurs pères, allèrent s’établir sur les bords de l’Arkansas, où ils vivent de la chasse et de la pêche. Ceux qui restèrent sont aujourd’hui au nombre de 15,000, dont 220 blancs, qui tiennent à la nation par des alliances, et 1277 esclaves noirs. Cette population est disséminée sur un territoire de 14,000 milles carrés, qui comprend l’angle N. O. de la Georgie, le N. E. de l’état d’Alabama, et le S. E. de celui de Tennessée.

Ces anciens hôtes des forêts habitent actuellement des maisons commodes et bien bâties, groupées çà et là en une soixantaine de villages. Les campagnes, naguère incultes ou couvertes de bois épais, sont partagées en fermes de 30 à 40 acres, d’une culture aussi perfectionnée que celle des blancs, et abondamment pourvues de bestiaux de toute espèce. Les femmes, non moins industrieuses que leurs maris, s’acquittent des fonctions du ménage, filent, tissent, font du beurre et d’excellens fromages. Les hommes se livrent aux travaux des champs, aux arts industriels les plus utiles, fabriquent eux-mêmes leurs draps et leurs étoffes, et entretiennent un commerce assez considérable en bétail et en maïs, qu’ils échangent pour du café, du sucre et d’autres denrées. Leurs connaissances ont atteint le niveau de celles des blancs voisins. La plupart, grâce aux missionnaires, savent lire, écrire et compter ; des écoles sont établies dans chaque district, et le gouvernement a depuis peu affecté un territoire de 100,000 acres d’étendue à la dotation et à l’entretien d’un collége. Les Chérokées ont renoncé à la superstition pour embrasser le christianisme. Ils ont revu leurs anciennes lois, et en ont adopté de nouvelles en harmonie avec leurs mœurs actuelles. Ils possèdent aujourd’hui un code de législation écrite, et se sont donné une constitution. La nouvelle Echota, siége de leur gouvernement, renferme déjà une bibliothèque, un musée et une imprimerie, où un Indien nommé Boudinott dirige la publication d’un journal hebdomadaire, intitulé le Phénix Chérokée.

Ce journal a paru, pour la première fois, le 21 février 1828. Il est publié en anglais, avec une traduction chérokée imprimée en caractères de l’invention d’un Indien nommé Guess. L’idée d’écrire sa langue lui vint d’une manière fort singulière. Étant un jour à Sauta, il entendit plusieurs de ses compatriotes discourir sur la supériorité du talent des blancs. L’un d’eux remarqua, comme une des choses les plus extraordinaires, qu’ils couchaient un parler sur du papier, et que la personne à qui ils l’adressaient, quoique souvent fort éloignée, le comprenait parfaitement. Guess, après avoir écouté quelque temps la conversation, rompit enfin le silence : « Vous êtes tous des imbéciles, dit-il aux interlocuteurs ; rien au monde n’est plus facile ; j’en puis faire autant. » Il ramassa alors une pierre plate, griffonna dessus avec une épingle, et au bout de quelques minutes, il lut une phrase qu’il y avait tracée, en faisant un signe pour chaque mot. Les assistans partirent tous d’un éclat de rire, et la conversation en resta là. Guess néanmoins ne se tint point pour battu. Ne voyant pas pourquoi le chérokée ne s’écrirait pas aussi bien que l’anglais, il se fit fort d’en découvrir le secret. De retour dans son pays, il acheta du papier, des plumes, et se mit à l’ouvrage. Il figura d’abord chaque mot par un signe particulier, et suivit cette méthode l’espace d’une année entière. Toutefois, après en avoir tracé plusieurs milliers, il la jugea impraticable, sans cependant se laisser décourager. Il essaya ensuite plusieurs autres manières, sans obtenir plus de succès ; mais quand l’idée de décomposer les mots se présenta à son esprit, ce fut pour lui un trait de lumière. À peine eut-il fait cette tentative, qu’il vit, à sa grande joie, que les mêmes caractères pourraient servir à écrire des mots différens, et que leur nombre se trouverait ainsi considérablement restreint. Lorsqu’il eut exprimé, par des signes, toutes les syllabes qu’il put se rappeler, il fréquenta les assemblées de ses compatriotes, écoutant attentivement les discours des étrangers, et toutes les fois qu’il entendait prononcer un mot renfermant une syllabe qui lui avait échappé, il la retenait jusqu’à ce qu’il eût trouvé un signe. De cette manière, il parvint par degrés à connaître toutes les syllabes du chérokée, et compléta son système en moins d’un mois. Si les peuples civilisés adoptent si difficilement des innovations utiles, peut-on attendre plus de docilité de la part des sauvages ? Guess eut beaucoup de peine à décider ses compatriotes à apprendre son alphabet, et ce ne fut qu’après avoir entrepris dans cette intention un voyage au pays d’Arkansas, qu’il y réussit. Là, il l’enseigna à plusieurs individus, et l’un d’eux, ayant écrit une lettre à un Chérokée de Georgie, chargea Guess de la lui remettre à son retour. Cette lettre excita la plus vive curiosité. C’était un parler chérokée tracé sur du papier, et renfermé dans une lettre cachetée et venue des bords lointains de l’Arkansas. Guess en donna lecture à ses compatriotes étonnés, qui comprirent alors l’utilité de sa découverte, et voulurent la connaître. Ce désir gagna insensiblement toute la nation, et en peu de mois, les Chérokées, qui jusqu’alors avaient été un peuple non lettré, surent lire et écrire leur langue.

Cet alphabet se compose de quatre-vingt-cinq lettres, classées sans système ni méthode, dans l’ordre où elles se sont offertes à l’esprit de l’inventeur. Guess est un vrai Chérokée, et ne sait absolument que sa langue maternelle. Il a donc uniquement compté sur ses propres inspirations, et à part quelques lettres majuscules qu’il a empruntées à un abécédaire anglais, tout est de son invention. Chaque caractère, comme nous l’avons déjà remarqué, représente une syllabe, à l’exception d’un seul, qui a le son de l’s, et qui se combine de tant de manières différentes, qu’il tient lieu de dix-sept autres caractères. L’addition de ceux-ci rendrait l’alphabet entièrement syllabique, et porterait à cent deux le nombre de ses lettres. Aussi l’étude de cette langue est-elle extrêmement facile : un jeune Chérokée intelligent peut apprendre à la lire en un jour, et n’y en met jamais plus de deux ou trois.

Les trois premiers numéros du Phénix nous offrent la constitution que ces Indiens proclamèrent à la Nouvelle-Echota, le 26 juillet 1826. En voici les principales dispositions.

Le gouvernement se compose de trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire. La législature se divise en deux branches, savoir : un comité et un conseil indépendans l’un de l’autre, et qui, réunis, prennent le titre de conseil général de la nation chérokée. Le comité est formé de deux membres, et le conseil, de trois, envoyés par chacun des huit districts de la nation[1].

Le conseil général se réunit à la Nouvelle-Echota le second lundi d’octobre, et se renouvelle tous les deux ans. Pour y siéger, il faut être citoyen chérokée, libre et âgé de vingt-cinq ans. Aucun individu né de parens noirs ou de race africaine ne peut prétendre aux emplois, honneurs et dignités quelconques du gouvernement. Tout Chérokée libre, ayant dix-huit ans accomplis, a le droit de voter aux élections. Les membres du comité reçoivent deux dollars et demi par jour, et ceux du conseil deux, durant la session. Ils doivent prêter serment à la constitution, et jurer de défendre loyalement les intérêts de leur pays.

Le pouvoir exécutif est confié à un chef suprême nommé par le conseil général. Ses fonctions durent quatre ans. Il doit être citoyen libre, né dans le pays, et avoir vingt-cinq ans. Son adjoint, choisi de la même manière, doit réunir les mêmes conditions. Ces deux magistrats touchent un traitement, qui ne peut être ni augmenté ni diminué pendant la durée de leurs fonctions. Le chef suprême a le droit de convoquer extraordinairement le conseil général ; il veille à l’exécution des lois, visite les différens districts au moins une fois tous les deux ans, et nomme aux emplois devenus vacans dans l’intervalle des sessions. Toute loi votée dans les deux chambres lui est soumise. S’il l’approuve, il la signe ; dans le cas contraire, il la renvoie, avec ses objections, à la chambre qui l’a d’abord discutée, pour qu’elle procède à un nouvel examen. Si celle-ci l’adopte une seconde fois à la majorité des deux tiers, elle l’adresse à l’autre chambre, et si elle passe dans cette dernière à la même majorité, elle acquiert force de loi. Il en est de même toutes les fois que le chef suprême laisse écouler cinq jours (non compris le dimanche) sans ratifier un décret du conseil. Le conseil général nomme un comité de trois membres pour concourir à l’administration avec le chef suprême et l’adjoint. C’est aussi ce conseil qui choisit tous les deux ans, le trésorier de la nation, qui possède le droit d’accusation en matière politique, fait les traités, etc.

Le pouvoir judiciaire est exercé par une cour suprême et des tribunaux inférieurs, établis par le conseil général. La première se compose de trois juges, désignés par le conseil, et qui doivent avoir plus de trente ans, et moins de soixante-dix ; elle se réunit, une fois par an, au siége du gouvernement, le second lundi d’octobre.

Dans toutes poursuites judiciaires, l’accusé a le droit d’être entendu, de demander la nature et la cause de l’accusation, d’être confronté avec les témoins, d’en produire à décharge, etc. Nulle arrestation ni perquisition domiciliaire ne peut avoir lieu sans un mandat légal. Tout prisonnier, à moins qu’il ne soit prévenu de crime capital, et pour cela il faut que les présomptions soient bien accablantes, est élargi sous caution. Aucune loi ne peut avoir d’effet rétroactif.

Les ministres de l’Évangile, est-il dit dans la constitution, devant s’occuper uniquement du service de Dieu et du salut des ames, il est essentiel qu’ils ne soient point détournés de ces importantes fonctions : aussi, tant qu’un ministre de l’Évangile, un prédicateur public, à quelque culte qu’il appartienne, exercera son ministère religieux, il ne sera éligible ni à la charge de chef suprême, ni à celle de membre du conseil général. Tout individu niant l’existence de Dieu, et celle d’une vie future de peines et de récompenses, ne pourra remplir un emploi civil quelconque. La liberté d’adorer Dieu, chacun selon sa conscience, est reconnue, sans que toutefois on puisse invoquer cette liberté pour justifier des actes de licence ou des pratiques incompatibles avec l’ordre et la sûreté publique.

Nul ne peut être jugé deux fois pour le même crime ou délit ; toute aliénation de propriété, au profit du public, sans le consentement du possesseur, est illégale ; le jugement par jury est inviolable, etc.

Cette constitution, qui révèle dans ses auteurs des connaissances en politique d’un ordre fort élevé, excita un sentiment de surprise, mêlé d’envie, chez leurs voisins, qui la prononcèrent l’œuvre des missionnaires. M. Wilde, membre du congrès pour la Georgie, fit même une motion tendante à ce qu’il fût dressé une enquête pour découvrir jusqu’à quel point les blancs avaient assisté les Chérokées dans la rédaction de leur pacte fondamental. Le Phénix relève cette atteinte portée à la capacité de ses compatriotes. « Il est surprenant, dit-il, que toutes les fois que les Indiens ont cherché à imiter leurs frères blancs, et y ont réussi à un certain point, on crie à l’imposture, comme si Dieu ne les avait pas doués d’intelligence, aussi bien que les autres hommes.

» On a, de plus, par une insigne mauvaise foi, accusé les missionnaires du crime d’aider les Indiens, et de s’immiscer dans le gouvernement de leurs affaires domestiques. Comme ce sont presque les seuls blancs de la nation qui puissent leur être de quelque secours, c’est sans doute d’eux qu’a voulu parler M. Wilde. Qu’il se rassure : il n’a rien à craindre de cette classe de notre population, car les Chérokées sont bien décidés à ne point les laisser se mêler de leurs affaires, et nous pensons que les sociétés qui les emploient, et dont l’unique but est de nous instruire dans la religion, leur défendent de s’occuper en aucune manière de matières politiques. Nous affirmons que telle a toujours été la règle de conduite des missionnaires presbytériens, et rien ne nous fait croire que les autres s’en soient écartés. Ils méritent toute notre reconnaissance pour les bienfaits que nous en avons reçus, et nous prions ceux qui ne les connaissent pas, parce qu’ils demeurent loin de nous, de leur donner aussi leur amour, de cesser de qualifier de mercenaires des hommes pour lesquels ils ne sauraient avoir trop d’estime. Nous déclarons, une fois pour toutes, qu’aucun homme blanc n’a mis la main à notre constitution, ni à de nos actes publics. Les Chérokées en sont seuls responsables. Il nous répugne d’entendre sans cesse accuser des innocens à faux, et attribuer à des blancs les actions de nos compatriotes. »

Ces imputations, toutefois, ne trouvèrent guère d’organes que dans la Georgie, dont le gouvernement convoite depuis long-temps le riche territoire que ces Indiens occupent dans le nord-ouest de l’état. Le 24 avril 1802, il conclut, avec le gouvernement général, une convention, aux termes de laquelle celui-ci s’engageait à éteindre, à ses dépens, et aussitôt qu’il le pourrait, par des voies pacifiques, et à des conditions raisonnables, les titres des indigènes à toutes les terres dépendantes de la Georgie[2]. Sommés par elle, à plusieurs reprises, de remplir leurs engagemens, les États-Unis, se considérant également liés par le traité antérieur de 1798, signé avec ces Indiens, qui, de leur côté, l’avaient exécuté avec une religieuse exactitude, ne purent se résoudre à les contraindre par la force à satisfaire aux prétentions de la Georgie. Ils acquirent néanmoins en 1817 une portion assez considérable de leur territoire, et, en 1822, ils firent une nouvelle tentative ; mais, cette fois, les chefs s’étant réunis, résolurent de ne pas recevoir les commissaires nommés à cet effet. « Ayant, dirent-ils, tout au plus assez de terre pour nous et notre postérité, nous sommes décidés à garder ce que nous possédons. Nous serons toujours prêts à recevoir avec amitié et cordialité, à New-Town, pendant la session du conseil national, les commissaires des États-Unis, qui viendraient nous entretenir sur tout autre sujet, car notre désir est de conserver éternellement brillante la chaîne de paix et d’amitié qui attache le peuple chérokée au gouvernement de l’Union. Mais pour lui vendre nos terres, nous ne le pouvons pas ; nous avons embrassé la vie agricole, nous fesons des progrès dans la civilisation, nous sommes trop attachés à nos écoles, à nos instituteurs chrétiens, à nos fermes, aux rivières, aux montagnes de notre patrie, pour jamais nous en séparer. »

Les Georgiens poussèrent alors l’injustice jusqu’à contester aux indigènes, c’est-à-dire aux propriétaires naturels du sol, la faculté de conclure des traités, et déclarèrent à ce titre nulles et invalides toutes les conventions passées avec eux. Un Chérokée, nommé Socrates, réfute victorieusement cette absurde allégation. « S’il en était ainsi, dit-il, pourquoi n’a-t-on pas fait ressortir plus tôt cette incompétence en refusant de traiter avec eux ? Le temps le plus opportun, ce me semble, eût été quand ils vivaient encore dans l’état sauvage. Ce n’est pas après s’être laissé leurrer par le langage d’une amitié hypocrite, et par la promesse de les civiliser et de les instruire dans la religion, qu’ils pouvaient s’attendre à voir étouffer leurs droits et leur liberté dans la froide étreinte d’une puissance de fer. Consultez l’histoire des différens états de l’Union, et vous y verrez que le territoire en a été acquis sans violence, à moins que des actes d’agression de la part de possesseurs du sol n’en aient nécessité et légitimé en quelque sorte la conquête. Je parle ici de l’Amérique du Nord, car loin de moi la pensée d’assimiler à des êtres humains des tigres altérés de sang tels que Cortez et Pizarre.

» Quand l’olivier de paix fleurit aux portes de toutes les chaumières ; quand une ère nouvelle va commencer, et que le monde tente le sublime effort de tirer les nations de l’ignorance ou elles gémissent, pour faire briller à leurs yeux l’éclat du bonheur de celles qui jouissent des bienfaits de la religion et de la liberté, ne doit-on pas s’étonner d’entendre proclamer cette lâche doctrine, que la force est le droit, par un peuple, qu’on nous dit avoir un tel principe en horreur ? Est-il possible que des citoyens des États-Unis soient déchus de la haute vertu de leurs ancêtres au point de croire réellement, en 1828, que la force constitue le droit. J’ai appris qu’un homme qui a la réputation de parleur, et rien de plus, et qui représente dans le congrès un district voisin du nôtre, a conseillé de déporter les Indiens dans un prétendu paradis, situé vers le couchant, parce que, assure-t-il, ils se détruisent à force de boire du poison, et que c’est là le seul moyen d’empêcher leur anéantissement. Ce qui est sucre pour le palais des Indiens est fiel pour le sien ; et la raison en est que les Chérokées possèdent un riche et beau pays, et que lui viole le dixième commandement de Dieu. »

L’adoption d’une constitution par les Chérokées a fourni enfin à la Georgie un prétexte plausible pour s’emparer de leur pays. La législature, dans un manifeste adressé au gouvernement général, lui reproche de ne point tenir ses engagemens envers elle, et d’avoir pris des mesures pour la civilisation de ces indigènes, qui tendent à éterniser entre leurs mains la possession de leurs terres. Elle déclare en outre qu’elle est décidée à ne point tolérer un état indépendant de son autorité, dans les limites de son territoire, et que, si le gouvernement refuse de la satisfaire, elle se rendra elle-même justice. En conséquence, le président crut devoir protester, en mars 1828, qu’il ne reconnaissait en aucune manière le nouvel état chérokée ; et il intima l’ordre à l’agent de la nation de faire observer aux chefs qu’il ne considérait leur acte constitutif que comme un réglement intérieur, qui ne pouvait altérer en rien leurs relations avec le gouvernement général, lesquelles devaient rester sur le pied où elles étaient antérieurement à la promulgation de ladite constitution.

Depuis lors, le gouvernement a échoué dans plusieurs tentatives auprès de ce peuple pour en obtenir qu’il émigrât à l’ouest du Mississipi. Les sauvages, comme on sait, ont une espèce de culte pour le pays où reposent les cendres de leurs ancêtres, et il est à présumer que les Chérokées ne céderont qu’à la force. Le Phénix dénonce deux naturels de l’Arkansas, envoyés parmi eux pour les désunir ; mais il invite ses compatriotes à ne se porter contre eux à aucun acte de violence, parce qu’ils y sont sous la sauve-garde des États-Unis. Toutefois, voulant inspirer une terreur salutaire aux chefs qui seraient tentés de se laisser séduire, il leur rappelle quel fut le sort du chef creek Mackintosh. « Cet infortuné, dont la conduite avait toujours été des plus nobles, s’étant laissé corrompre par l’appât de l’or et par des promesses de protection, avait signé un traité ruineux pour son pays. Le lendemain, au point du jour, il est arraché au sommeil par les cris de ses compatriotes furieux, par les gémissemens que poussent sa femme et ses enfans en voyant sa maison environnée de flammes. Il prend son fusil, arrête les assaillans sur le seuil de la porte ; mais après une résistance héroïque, il tombe sous les coups de ses anciens amis, dont l’admiration s’était subitement changée en haine. On le traîne après sa mort dans la cour, et là, sous les yeux de ses enfans, on lui fracasse la tête à coups redoublés de carabine. Deux autres chefs subirent le même châtiment, pour avoir trempé dans la spoliation de leurs frères.

» Dans le catalogue noir des infâmes, dont l’avarice a causé l’opprobre, le traître Arnold et Judas Iscariote jouissent d’une horrible célébrité. Mais qu’il y ait un Chérokée assez perdu d’honneur, assez criminel, pour accepter la richesse au même prix, c’est ce dont je doute : non, il n’en existe point. »

Cependant la Georgie a résolu de contraindre les Chérokées à reconnaître son autorité, ou à quitter son territoire, et elle leur a donné jusqu’au mois de juin 1830, pour choisir l’une de ces deux alternatives. Ces Indiens se sont en conséquence adressés au gouvernement général (février 1829) ; mais ils ont beau cette fois objecter que « n’ayant eu aucune part à l’établissement du gouvernement de l’Union, ils ne sont point passibles de ses lois, qu’ils n’ont jamais été dépendans d’aucun état, et que la résolution prise par la Georgie est une usurpation de pouvoir qui n’est justifiée ni par le droit commun, ni par les lois de la nature ; » on leur répond (avril) que « la constitution qu’ils ont jugé convenable d’adopter, sans le consentement et contre la volonté de la Georgie, a forcé celle-ci à sortir de son caractère habituel de modération, et qu’en vertu de son autorité, comme état souverain et indépendant, elle a le droit d’étendre ses actes législatifs au pays des Chérokées compris dans ses limites ; que depuis 1783, chaque état de la fédération a exercé ce privilége, sans que le gouvernement général pût s’y opposer ; que dans le cas où les Chérokées obligeraient, par leur obstination, l’état de Georgie à tirer le glaive pour revendiquer ses droits, le président ne pourrait leur prêter son appui, et qu’en conséquence ce qu’ils ont de mieux à faire, c’est, ou de se soumettre aux lois de cette république, ou de se retirer à l’ouest du Mississipi ; que là, n’étant plus en contact avec la population blanche, ils posséderont, au sein de la paix et de l’abondance, un pays qui sera leur propriété aussi long-temps que l’herbe croîtra dans la prairie, et que l’eau coulera dans les rivières. »

« Ainsi, remarque le Phénix, il est décidé qu’après avoir passé par des épreuves et des difficultés sans nombre, les Indiens sont condamnés à ne jamais trouver un lieu de repos, à ne jamais posséder un pouce de terre, que leurs frères blancs consentent à leur laisser. Quels progrès veut-on qu’ils fassent dans l’éducation, dans la religion, l’agriculture et les arts de la vie civilisée, quand une législature qui se dit chrétienne et éclairée, et dont les séances commencent par une invocation à l’Éternel, apprête des baïonnettes pour les dépouiller ? Est-il dans l’ordre des choses que les Chérokées construisent des maisons commodes, et défrichent leurs terres, dans la conviction où ils sont qu’un jour elles deviendront le partage d’envahisseurs étrangers ? Comment peuvent-ils se donner de bonnes lois, quand on s’efforce d’entraver les premiers et faibles pas qu’ils ont faits dans la carrière de la réforme ? »

La déportation de tous les Indiens de l’Union au-delà du Mississipi paraît définitivement résolue. Se soumettront-ils paisiblement à cette cruelle mesure ? La chose est peu probable. Déjà même les Creeks de l’Alabama ont tenu plusieurs conseils secrets, dans lesquels ils ont pris la résolution de défendre leurs pénates jusqu’à la dernière extrémité. Ainsi, on peut s’attendre à voir se renouveler les horreurs dont les paisibles habitans des frontières furent les victimes en 1813, lorsque les Anglais mirent les armes aux mains de ces sauvages. Une députation de leurs chefs s’est rendue auprès des Chérokées, des Choctaws et des Séminoles, pour leur proposer une alliance offensive et défensive. Les Chérokées avaient seuls répondu affirmativement à leur appel au mois d’août dernier, et Ross, leur président, venait d’adresser un parler à ses concitoyens, pour les exhorter à ne point abandonner leur pays. Le colonel Crowell, agent des États-Unis, auprès de ces indigènes, s’était retiré ; tous les blancs s’éloignaient de leurs frontières, et le gouvernement concentrait à Columbus toutes ses forces disponibles.

Le Phénix chérokée, auquel nous avons emprunté la plupart de ces détails, paraît sous les auspices du conseil général de la nation. Ce journal, étant spécialement consacré aux Indiens, doit nécessairement avoir la plus heureuse influence sur leur civilisation à venir. Les 27 premiers numéros que nous avons sous les yeux, nous ont semblé de nature à hâter ce résultat. Tous les articles qu’ils renferment tendent à montrer les avantages de la vie sociale sur la vie sauvage, et à inspirer aux indigènes l’horreur du vice et l’amour de la vertu. Puissent les mesures violentes que la Georgie vient de prendre à leur égard n’avoir pas les funestes effets qu’on doit en attendre, et ne point replonger dans la barbarie les premiers Américains qui aient fait un noble effort pour en sortir !


B…


  1. Ce sont Chickamauga, Chattooga, Coosawatée, Amohée, Hickory, Etowah, Taquoé, Aquohée.
  2. La Georgie réclame une étendue de 5 millions d’acres ; l’Alabama, un million ; le Tennessée et la Caroline du Nord le reste.