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Claude Paysan/009

La bibliothèque libre.
La Cie d’imprimerie et de gravures Bishop (p. 43-47).


IX


Tout souriait.

C’était en plein soleil, en pleine et luxuriante végétation. Le printemps avait tout réveillé à la vie, et, dans son petit champ, lui aussi joyeux de sourire à sa manière, Claude travaillait à ses semailles.

Marchant d’un pas lent et martelé, il jetait à pleines mains, dans un grand geste circulaire, l’avoine, le blé, toute l’ondée vivante de la semence dont il aspergeait le sol, certain que celui-ci la lui rendrait plus tard en la décuplant.

Il se sentait presqu’heureux lui-même, comme arraché maintenant au charme triste qui l’assombrissait toujours. Ses yeux ne se reposaient tout autour de lui que sur des choses vertes, couleur d’espérance.

Au loin, sur la pente d’un coteau voisin, il voyait Jacques qui hersait la terre ; il le distinguait bien. Aussi le regardait-il souvent pour juger s’il avançait vite dans sa besogne. S’il le voyait arrêté un instant, il en arrangeait tout de suite la raison dans sa tête : une pierre dans les dents de la herse… une motte de terre durcie, une boucle brisée au harnais…

Ensuite il regardait ailleurs, toujours distrait, faisant son grand geste de semeur dans la limpidité cristalline du ciel.

En même temps, il songeait : C’est vrai, mai ajouterait bientôt autre chose à l’embaumante verdure qui croissait de partout… La grande maison abandonnée des Tissot se rouvrirait ; comme les années passées, il en jaillirait par les fenêtres des accords tendres, des chuchotements de notes et de roulades, des chansons joyeuses qui viendraient égayer les alentours, glisser sur les flots du Richelieu… Il se proposait d’aller encore les entendre, en secret…

Il songeait toujours Claude, distraitement… puis ce serait aussi Fernande… oui, en lui-même il avait simplement prononcé : Fernande… C’était singulier, ça ne lui était pas venu à l’idée de dire : mademoiselle Fernande.

Il ne savait pas si, tête nue, cueillant des fleurs en route, elle reviendrait comme l’an dernier, les jours tièdes, visiter sa mère ou chercher le lait et la crème. Oh oui, elle viendrait bien… D’abord, cette pauvre vieille mère, si seule maintenant, serait si contente de la voir souvent…

Tout à coup, il s’arrêta, inquiet, sa main figée dans son geste de semeur ; … si elle n’allait point quitter la ville, Fernande, si elle allait rester là tout l’été… Ceci le rendit soucieux ; et il se représenta combien ce serait triste… pour sa mère…

Après un moment, sa main reprit de nouveau son mouvement régulièrement balancé.

… Depuis trois jours, il travaillait sans relâche, se levant avec l’aube pour ne se coucher que tard dans la nuit, et l’ensemencement de son lopin de terre était presque fini. En retour, il mangeait comme un loup, l’estomac en feu, aiguisé par la dépense de forces qu’il faisait. Le quatrième jour, vers trois heures, dans le même soleil éblouissant et les mêmes songes, il redescendit de son champ, intimement satisfait à cause de ses semailles maintenant achevées.

En entrant, le logis lui parut plus gai, sentant bon par un reste d’odeur de lavande qui flottait et parfumait l’air. Chez la vieille Julienne, toutes les rides de son visage semblaient se plisser dans une vague contention de bonheur intérieur.

Gardant ses rides souriantes, elle se plaça, la bonne mère, toute droite devant Claude, comme pour lui dire :

Devine…

Oh ! il avait tout de suite bien deviné… Ces beaux jours de mai, l’air heureux de sa mère, cette fenêtre ouverte, vite entrevue là-bas à la dérobée à travers les arbres, surtout ce parfum flottant de lavande qui continuait à embaumer… Mais il faisait mine de ne pas comprendre, prenait une expression faussement mystifiée…

Alors comme elle l’interrogeait toujours des yeux et que lui ne voulait rien répondre, elle lui raconta que les messieurs leurs voisins étaient arrivés de la ville et que mademoiselle Fernande, encore bonne et jolie, était entrée une seconde lui dire bonjour en passant.

Claude, jouant l’indifférence, fit ah !… presqu’un petit ah ! désappointé… Est-ce que cette nouvelle lui importait ?… Pourquoi donc tout ce mystère ? Il y avait tout ça dans sa figure.


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…Toujours faisant son grand geste de
semeur dans la limpidité cristalline du ciel.

La bonne vieille avait été douloureusement déçue par le ton froid et insouciant avec lequel son fils avait accueilli ce qu’elle avait tant hâte de lui dire. Elle, qui s’était fait une si grande joie, durant le jour, de lui annoncer l’arrivée de leurs voisins, voilà qu’elle se butait à un sentiment presque de dédain chez lui…

Alors, pour l’attendrir, elle lui expliquait combien ils étaient bons pour eux, les Tissot, la touchante condescendance qu’ils leur avaient montrée, l’automne dernier à l’occasion de la mort du vieux Claude, les largesses dont ils les comblaient… Elle les aimait bien, elle, et comme ça la chagrinait de voir qu’il restait insensible et dur en face de ces marques de généreuses sympathies.

Claude, tout en approuvant les réflexions de sa mère, continuait à faire montre d’indifférence et, avec un air ennuyé, il se dérobait bientôt aux paroles attendries au moyen desquelles elle voulait absolument le convaincre et le pénétrer.

… Cependant un peu plus tard, la pauvre vieille s’apercevait tout à coup que son fils avait oublié de soigner ses chevaux, que les poules picoraient dans ses sacs d’avoine éventrés dans la cour, qu’il allait et venait sans cesse dans la maison sans savoir ce qu’il cherchait bien… Brusquement elle le vit partir en courant, gambadant malgré lui, comme un fou.

Gardien aussi gambadait, jappait à sa suite, sautant après lui, pour lui mordiller les coudes, en bon chien… Oui, Claude courait, ne sentant plus la fatigue ; ça n’allait plus assez vite de marcher maintenant.