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Claude Paysan/019

La bibliothèque libre.
La Cie d’imprimerie et de gravures Bishop (p. 93-95).


XIX


Seul, dans la belle nuit qui brillait, Claude était retourné à pied après le bal. Il avait même paru fuir son ami Jacques, car il s’était hâtivement et comme en secret échappé de la maison du père Legaut.

Et après avoir tant ri, s’être si follement amusé, voilà qu’il s’en allait la tête baissée, le front soucieux, sans plus aucun agréable souvenir à l’esprit de sa joyeuse soirée.

En arrivant à son pauvre logis, il avait doucement fait glisser le loquet, poussé la porte, et il s’était coulé dans sa chambre par le petit escalier usé, avec mille précautions pour ne pas faire de bruit et ne point troubler le sommeil de sa vieille mère.

La lune, comme un ballon d’or dans le ciel, continuait d’éclairer. Plus basse à présent et comme suspendue au-dessus des arbres, elle renvoyait des rayons obliques qui s’enfonçaient en plein dans la chambre de Claude. Celle-ci en était toute illuminée ; avec des pénombres grises découpées dans les coins comme par des reflets de lampe.

Claude, qui s’était assis, immobile, regardait distraitement autour de lui toutes les pauvres petites choses, embellies et dorées par les effets de cette lumière pâle qui filtrait : un portrait de Jacques en chasseur, des vêtements de travail accrochés au mur. des vieux livres jaunis et sans couvertures sur une table, à côté d’un bouquet de fleurs fanées dans un pot.

En même temps son esprit flottait…

… Comme il s’en moque à présent de ses amoureuses du bal et comme ça ne le tente plus de rire…

Il vient de mettre fin à cette corvée, plus pénible et plus torturante que toute autre, de feindre la joie quand le cœur a plutôt envie de pleurer. Maintenant il jette le masque avec lequel il a tenté de mentir à Jacques, à Julie, à lui-même, à tout le monde du bal.

C’est la moquerie perfide qu’il avait entendue siffler à ses oreilles qui lui avait subitement donné la force de jouer ce rôle trompeur d’heureux. Tous ses rires avaient donc été faux, ses accents menteurs, sa gaieté feinte. À présent qu’il repasse dans sa tête les incidents de la soirée, qu’il peut se replonger dans ses rêves, laisser de nouveau flotter ses pensées, retourner à ses visions habituelles, il reconnaît que c’est maintenant qu’il est vraiment joyeux et content. Car ses angoisses sincères et vraies il les aime encore mieux que ses fausses joies de surface.

Et de pleurer en pensant à quelqu’une qu’il revoit en songe, ou de rire auprès de quelqu’autre de là-bas, du bal, c’est encore de pleurer que c’est meilleur.

… Oui, on avait prononcé derrière lui le nom de Fernande. Qu’est-ce qui avait bien pu faire soupçonner ainsi les secrètes pensées de son âme ?… Ces pensées, il ne les avaient trahies pourtant que devant de pauvres petites fleurs mortes…

Et malgré ses fatigues de la soirée, l’heure avancée de la nuit, il ne parvenait pas à s’arracher au monde de réflexions qui s’agitaient tumultueusement dans son cerveau et le tenaient en éveil.

… En bas, il y avait une vieille mère qui ne dormait pas non plus et qui cherchait à refaire à mesure dans son esprit les rêveries de son Claude. Elle ne bougeait point dans son lit pour mieux se représenter, aux craquements du plafond, chacun des mouvements que faisait son fils dans le silence de la nuit.

Elle l’entendait marcher, s’asseoir, puis tranquillement se lever de nouveau, pousser une chaise près du mur pour empiler machinalement ses habits dessus… Tout cela se faisait sans bruit, doucement, lentement, coupé de longs moments d’arrêt : doucement, pour ne point la réveiller sans doute, cette vieille mère ; lentement, parce qu’il ne pensait pas toujours bien à ce qu’il faisait, Claude, et qu’emporté par ses distractions profondes il restait à tout instant, le regard songeur, immobile, perdu très loin dans l’espace.

Si à la longue, elle ne s’était pas endormie la pauvre vieille, peut-être l’aurait-elle même entendu pleurer… mais elle s’était endormie.