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Claude Paysan/023

La bibliothèque libre.
La Cie d’imprimerie et de gravures Bishop (p. 110-114).


XXIII


On entendait les enfants d’école qui accueillaient de leurs cris joyeux et de leurs appels ironiques le vieux Pacôme. Habitué de village en village à des ovations pareilles, celui-ci avait déposé par terre sa poche de mendiant et riait gaiement, comme pour s’amuser aussi lui.

À chaque année, en juillet ou en août, d’après un itinéraire fixé d’avance qu’il suivait avec régularité, il passait en demandant l’aumône à travers les campagnes.

Tout le monde le connaissait et comme il connaissait tout le monde, son passage était presqu’un événement. Il faisait d’ailleurs ces tournées annuelles depuis si longtemps, qu’il s’était établi presqu’un lien entre lui et les différentes familles échelonnées sur son chemin et si les enfants l’acclamaient joyeusement, tous les gens lui faisaient aussi bon accueil et lui donnaient avec générosité.

Il était manchot — un accident de son temps de jeunesse — et c’est ce qui amusait les enfants, ce moignon de bras qui secouait toujours sa manche flottante et qui s’entortillait encore si adroitement autour de son bagage de mendiant pour mieux l’enlever.

Il était bien vieux maintenant, ce bon père Pacôme. Il les avait tous vus pousser, croître, se multiplier ensuite, les paysans des rives du Richelieu : et beaucoup de ceux qui se moquaient, lui faisaient autrefois des niques étant gamins, étaient maintenant des hommes sérieux, élevant d’autres petits gamins qui allaient à leur tour faire des niques au vieux Pacôme. Il était bien original aussi, le père Pacôme, et souvent, plus qu’on ne le soupçonnait, il était la cause inconsciente de mariages imprévus entre les jeunes gens.

En passant, après son boniment : « Me faire la charité, s’il vous plaît, pour l’amour de Dieu, » il se prenait à lutiner les jeunes filles, les jeunes garçons de la maison, jetait dans leur esprit des noms d’autres jeunes gens connus dans les campagnes voisines au cours de ses pérégrinations constantes.

Et ceci les faisait beaucoup rire, intrigués.

Alors ils l’interrogeaient, désirant savoir plus de détails, faisant mine de vouloir simplement s’amuser, mais le vieux Pacôme, qui les sentait mordre, continuait à les amorcer par des réponses fines qu’il inventait toujours propres à les troubler davantage.

Des fois… oh ! le vieux blagueur de Pacôme… il leur attribuait des projets insoupçonnés et inattendus, leur imputait des désirs ignorés d’amour, les faisait croire à des cœurs qui se consumaient ailleurs pour eux… oh ! le vieux blagueur…

Oui, ça les faisait beaucoup rire… et il riait bien, lui aussi, lorsqu’il les montrait d’un signe d’entente à leurs parents. Alors, en leur faisant un dernier petit clin d’œil ironique d’intelligence complice, il reprenait son sac et s’en allait…


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… En passant, après son boniment : « Me faire la charité, s’il-vous-plaît, » il se prenait à lutiner les jeunes filles, les jeunes garçons…

Il y avait même des jeunes mères qui souriaient aussi en se rappelant…

… Père Pâcôme !… père Pacôme !.. par ici… par ici… Les enfants cherchaient à l’attirer chez eux, certains d’un bon quart d’heure de gaieté à cause de son bras manchot et de leurs grandes sœurs que le vieux mendiant lutinerait sans doute.

Mais tout en souriant, il continuait toujours son chemin, frappant à chaque porte régulièrement.

Il était maintenant rendu chez la mère Julienne. Comme en manière de relai, pour se reposer un peu, il s’était assis sur le perron. Les pauvres comme les malheureux se sentent vite amis et ça datait de très loin, cette espèce de sympathique intimité entre les Drioux et lui.

Il s’était informé de chacun d’eux…

Comme Claude sortait :

— Tiens, ce grand garçon déjà… toujours brun, par exemple… Dire que ce n’est pas hier que j’ai vu ce monde-là tout enfant, courir après moi, me faire toutes sortes de gamineries. Et pas encore marié, Claude ?

— Me marier, moi ?…

— Mais oui… hein !… mère Drioux, c’est ça qui vous désennuierait, une bonne petite femme dans la maison ?… Et, soulevant déjà son sac pour repartir : Ça te prendra cependant, mon Claude, un bon jour…

— Moi, jamais, père Pacôme.

— Je viens d’en voir une, pourtant, là, chez vos voisins, que tu ne serais pas assez bête de refuser.

va… Comment s’appellent-ils donc, ces nouveaux voisins ?

— C’est la famille Tissot… de la ville… avait répliqué la vieille Julienne.

— Et, elle, la jeune demoiselle ? reprenait Pacôme. Comme personne ne répondait.

— Toujours que tu ne la refuserais pas, celle-là, mon Claude… seulement, elle n’est pas pour toi… mais ça te prendra bien tout de même, sois certain… un bon jour… pour quelqu’autre.

Et il repartit.

— Plus loin, on entendit : Père Pacôme !… père Pacôme !… par ici… C’était p’tit Louis qui l’appelait.