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Claude Paysan/039

La bibliothèque libre.
La Cie d’imprimerie et de gravures Bishop (p. 171-173).


XXXIX


Le lendemain, premier juin, Fernande avait écrit dans son ancien cahier de couvent :

« Encore un de mes bonheurs qui s’en va.

Ça me rappelait les plus heureux moments de ma vie de chanter, — dans notre humble et vieille église, comme autrefois dans ma petite chapelle de couvent — des naïfs cantiques en l’honneur de la Vierge Marie, mais hier soir, j’ai bien compris que ma pauvre poitrine fêlée ne le pourrait jamais plus, jamais plus.

Oui, ce bonheur aussi s’en va.

Je me sens mieux aujourd’hui, il est vrai ; mais réellement, hier, j’ai cru que j’allais mourir, C’était comme si l’on eut roulé une pesante meule sur ma poitrine. En dépit de mes efforts, je sentais ma voix s’éteindre insensiblement.

Un moment pourtant, j’ai espéré résister tant je luttais de toute la force de ma volonté, mais dans l’émotion de prononcer ces mots si vrais : « Hâte-toi, viens sauver mes jours, » ma voix s’est soudainement brisée. C’est alors que tout parut s’évanouir autour de moi au fond d’un vide morne où je me sentais crouler moi-même.

Et je suis tombée, écrasée, sans force, sans souffle. Dans un éclair, j’ai pu entrevoir tout le groupe indifférent des assistants qui me regardaient curieusement. Je suis au moins certaine de la pitié de l’un d’eux, Claude, le fils de la veuve Drioux, notre voisine, et ça m’a fait du bien au cœur de sentir son sympathique regard rivé sur moi.

Pauvre garçon, il paraissait me plaindre, lui qui souffre par ma faute, paraît-il, et qui est peut-être encore plus à plaindre que moi… J’ai surpris l’affreux secret qui torture sa vie et qui, depuis, me tourmente également…

… Ah ! oui, ce n’est pas triste comme l’on croit parfois de mourir ; je connais quelque chose de plus terrible, et si ce n’était pas pour sa mère, — on y pense toujours à sa mère — mon Dieu, on serait bien vite prêt, souvent… »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Continué le lendemain, sur la page suivante :

« Je fais mine de les croire, mes amis, le docteur, ma mère, quand, cherchant à me bercer d’espérances trompeuses, ils parlent d’avenir devant moi, avec des accents de conviction sincère pour mieux m’illusionner. Dans « un an, » dans « cinq ans, » me disent-ils, avec aplomb, à tout propos.

Ils font arriver sans raison ces mots dans leur conversation pour m’amener à croire en de longues années encore… Mais en moi-même, va, comme je ne me laisse pas aveugler. Je me le rappelle trop, d’ailleurs… il en a été ainsi pour ma grande sœur.

C’était alors à mon tour d’aider à la comédie que l’on jouait devant elle dans les premiers mois de sa maladie, et les mots que j’entends aujourd’hui, l’on m’avait recommandé d’en dire de semblables en sa présence… Oui, je comprends bien tout.

Et comme par une fatalité attachée à mes jours, moi, qui aurais tant désiré répandre la joie et le bonheur dans le cœur de ceux que j’aime, je n’ai servi au contraire qu’à leur faire répandre des larmes.

Jusqu’à la vieille Julienne et Claude, comme s’ils n’avaient pas été assez malheureux auparavant, pour qui je suis venue gâter, — sans qu’il y ait de ma faute, il est vrai, grand Dieu ! — les quelques rares moments de bonheur qui pouvaient traverser leur humble existence.

Pourquoi m’aime-t-il aussi ce Claude, moi qui ne peux aimer personne… Car c’est bien vrai ce que m’a révélé la mère Julienne… Le tendre regard de pitié, d’ailleurs, dont il m’a enveloppée, ce dernier soir du mois de Marie, me l’aurait sans doute dévoilé.

Je l’ai longuement regardé moi-même, car je voulais le remercier de sa sympathie et lui demander en même temps pardon de le faire ainsi souffrir…

… Durant l’hiver j’ai espéré qu’il m’oublierait ; c’était ce que je pouvais dans mon âme lui souhaiter de plus heureux, mais je devine bien que c’est tout le contraire qui est arrivé.

Et pour payer cette affection insensée dont il m’entoure, il me faut passer auprès de lui en affichant une figure faussement indifférente, sans un mot, sans un sourire, sans rien qui puisse seulement lui faire un peu de bien au cœur.