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Considérations sur … la Révolution Française/Sixième partie/III

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CHAPITRE III.

De la prospérité de l’Angleterre, et des causes qui l’ont
accrue jusqu’à présent
.

IL y avait, en 1813, vingt et un ans que les Anglois étoient en guerre avec la France, et pendant quelque temps le continent entier s’étoit armé contre eux. L’Amérique même, par des circonstances politiques étrangères aux intérêts de l’Europe, faisoit partie de cette coalition universelle. Depuis plusieurs années le respectable monarque de la Grande-Bretagne ne possédoit plus l’empire de ses facultés intellectuelles. Les grands hommes dans la carrière civile, Pitt et Fox, n’existoient plus, et personne encore n’avoit succédé à leur réputation : l’on ne pouvoit citer aucun nom historique à la tête des affaires, et le seul Wellington attiroit l’attention de l’Europe. Quelques ministres, plusieurs membres de l’opposition, des savans, des hommes de loi, des hommes de lettres, jouissoient d’une haute estime ; si d’un côté la France, à force de s’abaisser sous le joug d’un seul, avoit vu disparoître les réputations individuelles, de l’autre, il y avoit tant de talens, d’instruction et de mérite chez les Anglois, qu’il étoit devenu très-difficile de primer au milieu de cette foule illustre.

En arrivant en Angleterre, aucun homme en particulier ne s’offroit à ma pensée : je n’y connaissais presque personne, mais j’y venais avec confiance. J’étais persécutée par un ennemi de la liberté ; je me croyais donc sûre d’une honorable pitié, dans un pays dont toutes les institutions étoient en harmonie avec mes sentimens politiques. Je comptais beaucoup aussi sur le souvenir de mon père pour me protéger, et je ne me suis pas trompée. Les vagues de la mer du Nord, que je traversais en venant de Suède, m’inspiroient encore de l’effroi, lorsque j’aperçus de loin l’île verdoyante qui seule avoit résisté à l’asservissement de l’Europe. Il n’y avoit là cependant que douze millions d’hommes ; car les cinq ou six millions de plus qui composent la population de l’Irlande ont souvent été livrés, pendant le cours de la dernière guerre, à des divisions intestines. Ceux qui ne veulent pas reconnaître l’ascendant de la liberté dans la puissance de l’Angleterre, ne cessent de répéter que les Anglois auroient été vaincus par Bonaparte, comme toutes les nations continentales, s’ils n’avoient pas été protégés par la mer. Cette opinion ne peut être réfutée par l’expérience : mais, je n’en doute point, si par un coup du Léviathan, la Grande-Bretagne se fût trouvée réunie au continent européen, sans doute elle eût plus souffert, sans doute ses richesses seroient diminuées ; mais l’esprit public d’une nation libre est tel, que jamais elle n’eût subi le joug des étrangers.

Lorsque je débarquai en Angleterre, au mois de juin 1813, on venoit d’apprendre l’armistice conclu entre les puissances alliées et Napoléon. Il étoit à Dresde, et maître encore alors de se réduire au misérable sort d’empereur de la France jusqu’au Rhin, et de roi d’Italie. L’Angleterre probablement n’auroit point souscrit à ce traité, sa position étoit donc loin d’être favorable. Une longue guerre la menaçoit de nouveau ; ses finances paroissoient épuisées, à juger du moins de ses ressources d’après celles de tout autre pays de la terre. Un papier, tenant lieu de monnaie, étoit tombé d’un quart sur le continent ; et, si ce papier n’eût pas été soutenu par l’esprit patriotique de la nation, il eût entraîné le bouleversement des affaires publiques et particulières. Les journaux de France, en comparant l’état des finances des deux pays, représentoient toujours l’Angleterre comme abîmée de dettes, et la France comme maîtresse d’un trésor considérable. Le rapprochement étoit vrai, mais il falloit y ajouter que l’Angleterre disposoit par le crédit de moyens sans bornes, tandis que le gouvernement françois ne possédoit que l’or qu’il tenoit entre ses mains. La France pouvoit lever des milliards de contributions sur l’Europe opprimée, mais son souverain despotique n’auroit pu réussir dans un emprunt volontaire.

De Harwich à Londres on parcourt un grand chemin d’environ soixante-dix milles, qui est bordé presque sans intervalle par des maisons de campagne à droite et à gauche : c’est une suite d’habitations avec des jardins, interrompue par des villes. Presque tous les hommes sont bien vêtus, presque aucune cabane n’est en décadence ; les animaux eux-mêmes ont quelque chose de paisible et de prospère, comme s’il y avoit des droits aussi pour eux dans ce grand édifice de l’ordre social. Les prix de toutes choses sont nécessairement fort élevés, mais ces prix sont fixes pour la plupart : il y a tant d’aversion pour l’arbitraire dans ce pays, qu’en dehors de la loi même on place la règle et puis l’usage, pour s’assurer, autant qu’on le peut, dans les moindres détails, quelque chose de positif et de stable. C’étoit sans doute un grand inconvénient que la cherté des denrées produite par les impôts excessifs ; mais, si la guerre étoit indispensable, quelle autre que cette nation, c’est-à-dire, que cette constitution, pouvoit y suffire ? Montesquieu remarque, avec raison, que les pays libres payent beaucoup plus d’impôts que les pays gouvernés despotiquement : c’est qu’on ne sait pas encore, quoique l’exemple de l’Angleterre ait du l’apprendre, toutes les richesses d’un peuple qui consent à ce qu’il donne, et considère les affaires publiques comme les siennes. Aussi le peuple anglois, loin d’avoir perdu par vingt ans de guerre, avoit-il gagné sous tous les rapports, au milieu même du blocus continental. L’industrie, devenue plus active et plus ingénieuse, suppléoit d’une manière étonnante aux produits qu’on ne pouvoit plus tirer du continent. Les capitaux exclus du commerce avoient été employés aux défrichemens et aux améliorations de l’agriculture dans plusieurs provinces ; le nombre des maisons s’étoit augmenté partout, et l’accroissement de Londres depuis peu d’années est à peine croyable. Une branche de commerce tomboit-elle, une autre se relevoit aussitôt. Les propriétaires, devenus plus riches par la hausse des terres, consacroient une grande portion de leurs revenus à des établissemens de charité publique. Lorsque l’empereur Alexandre est arrivé en Angleterre, entouré par la multitude à laquelle il inspiroit un si juste empressement, il demandoit où étoit le peuple, parce qu’il ne voyoit autour de lui que des hommes vêtus comme la classe aisée l’est ailleurs. Tout ce qui se fait en Angleterre par des souscriptions particulières est énorme : des hôpitaux, des maisons d’éducation, des missions, des sociétés chrétiennes, ont été non-seulement soutenus, mais multipliés pendant la guerre ; et les étrangers qui en éprouvoient les désastres, les Suisses, les Allemands, les Hollandais, n’ont cessé de recevoir de l’Angleterre des secours particuliers, produit des dons volontaires. Lorsque la ville de Leyde fut presque à demi renversée par l’explosion d’un bateau chargé de poudre, on vit paraître, peu de temps après, le pavillon anglois sur la côte de Hollande ; et comme le blocus continental existoit alors dans toute sa rigueur, les habitans de la côte se crurent obligés de tirer sur ce vaisseau perfide : il arbora le signe de parlementaire, et fit savoir qu’il apportoit une somme d’argent considérable pour les citoyens de Leyde, ruinés par leur récent malheur.

Mais tous ces miracles de la prospérité généreuse, à quoi faut-il les attribuer ? À la liberté, c’est-à-dire, à la confiance de la nation dans un gouvernement qui fait de la publicité le premier principe des finances, dans un gouvernement éclairé par la discussion et par la liberté de la presse. La nation, qui ne peut être trompée sous un tel ordre de choses, sait l’usage des impôts qu’elle paye, et le crédit public soutient l’incroyable poids de la dette angloise. Si, sans s’écarter des proportions, on essayoit quelque chose de semblable dans les états non représentatifs du continent européen, on ne pourroit aller au second pas d’une telle entreprise. Cinq cent mille propriétaires de fonds publics sont une grande garantie du payement de la dette, dans un pays où l’opinion et l’intérêt de chaque homme ont de l’influence. La justice, qui est synonyme de l’habileté, en matière de crédit, est portée si loin en Angleterre, qu’on n’a pas confisqué les rentes des François, pendant qu’ils s’emparoient de tous les biens des Anglois en France. On n’a pas même fait supporter aux étrangers l’impôt sur le revenu de la dette, payé par les Anglois eux-mêmes. Cette bonne foi parfaite, le sublime du calcul, est la base des finances d’Angleterre, et la confiance dans la durée de cette bonne foi tient aux institutions politiques. Le changement des ministres, quels qu’ils soient, ne peut porter aucune atteinte au crédit, puisque la représentation nationale et la publicité rendent toute dissimulation impossible. Les capitalistes qui prêtent leur argent, sont des hommes du monde qu’il est le plus difficile de tromper.

Il existe encore de vieilles lois en Angleterre qui mettent quelques entraves aux diverses entreprises de l’industrie dans l’intérieur, mais on les abolit par degrés ; et d’autres sont tombées en désuétude. Aussi chacun se crée-t-il des ressources, et nul homme doué de quelque activité ne peut-il être en Angleterre, sans trouver le moyen de s’enrichir en contribuant au bien de l’état. Le gouvernement ne se mêle jamais de ce que les particuliers peuvent faire aussi bien que lui : le respect pour la liberté individuelle s’étend à l’exercice des facultés de chacun, et la nation est si jalouse de s’administrer elle-même, quand cela se peut, qu’à beaucoup d’égards on manque à Londres de la police nécessaire à l’agrément de la ville, parce que les ministres ne peuvent pas empiéter sur les autorités locales.

La sécurité politique, sans laquelle il ne peut y avoir ni crédit ni capitaux accumulés, ne suffit pas encore pour développer toutes les ressources d’une nation : il faut que l’émulation anime les hommes au travail, tandis que les lois leur en assurent le fruit. Il faut que le commerce et l’industrie soient honorés, non par des récompenses données à tel ou tel individu, ce qui suppose deux classes dans un pays, dont l’une se croit le droit de payer l’autre, mais par un ordre de choses qui permet à chaque homme de s’élever au plus haut rang s’il le mérite. Hume dit que le commerce a encore plus besoin de dignité que de liberté. En effet, l’absurde préjugé qui interdisoit aux nobles de France d’entrer dans le commerce, nuisoit plus que tous les autres abus de l’ancien régime au progrès des richesses françoises. Il y a des pairies en Angleterre accordées nouvellement à des négocians de première classe : une fois pairs, ils ne restent pas dans le commerce, parce qu’ils sont censés devoir servir autrement la patrie ; mais ce sont leurs fonctions de magistrats, et non des préjugés de caste, qui les éloignent de l’état de négociant, dans lequel les fils cadets des plus grands seigneurs entrent sans hésiter, quand les circonstances les y appellent. La même famille tient souvent à des pairs d’une part, et de l’autre aux plus simples marchands de telle ou telle ville de province. Cet ordre politique encourage toutes les facultés de chacun, parce qu’il n’y a point de bornes aux avantages que la richesse et le talent peuvent valoir, et qu’aucune exclusion n’interdit ni les alliances, ni les emplois, ni la société, ni les titres, au dernier, des citoyens anglois, s’il est digne d’être le premier.

Mais, dira-t-on, en France, même sous l’ancien régime, on a nommé des individus sans naissance aux plus grandes places. Oui, on s’est servi d’eux quelquefois, quand ils étoient utiles à l’état; mais dans aucun cas on ne pouvoit faire d’un bourgeois l’égal d’un gentilhomme. Comment donner des décorations de premier ordre à un homme de talent sans naissance, puisqu’il falloit des preuves généalogiques pour avoir le droit de les porter ? A-t-on vu faire un duc et pair de ce qu’on auroit appelé un parvenu ? et ce mot de parvenu à lui seul n’est-il pas une offense ? Les membres des parlemens françois eux-mêmes, nous l’avons déjà dit, n’ont jamais pu se faire considérer comme les égaux de la noblesse d’épée. En Angleterre, les rangs et l’égalité sont combinés de la manière la plus favorable à la prospérité de l’état, et le bonheur de la nation est le but de toutes les distinctions sociales. Là, comme ailleurs, les noms historiques inspirent le respect que l’imagination reconnoissante ne sauroit leur refuser : mais les titres restant les mêmes, tout en passant d’une famille à l’autre, il en résulte dans l’esprit du peuple une ignorance salutaire qui lui fait accorder les mêmes égards aux mêmes titres, quel que soit le nom patronymique auquel ils sont attachés. Le grand Marlborough s’appeloit Churchill, et n’étoit sûrement pas d’une aussi noble origine que l’antique maison de Spencer dont est le duc de Marlborough actuel ; mais, sans parler de la mémoire d’un grand homme, qui auroit suffi pour honorer ses descendans, les gens du monde savent seuls que le duc de Marlborough de nos jours est d’une beaucoup plus grande naissance que le fameux général, et sa considération dans la masse de la nation ne gagne ni ne perd rien à cela. Le duc de Northumberland, au contraire, ne descend que par les femmes du célèbre Percy Hotspur, et cependant tout le monde le considère comme le véritable héritier de cette maison. On se récrie sur la régularité du cérémonial en Angleterre : l’ancienneté d’un jour, en fait de nomination à la pairie, donne le pas sur un pair nommé quelques heures plus tard. La femme et la fille participent aux avantages de leur époux et de leur père ; mais c’est précisément cette régularité de rangs qui écarte les peines de la vanité ; car il se peut que le pair le plus moderne soit meilleur gentilhomme que celui qui le précède : il peut le croire du moins, et chacun se fait sa part d’amour-propre, sans que le bien public en souffre.

La noblesse de France, au contraire, ne pouvoit être classée que par le généalogiste de la cour. Ses décisions fondées sur des parchemins étoient sans appel ; et tandis que l’aristocratie angloise est l’espoir de tous, puisque tout le monde y peut parvenir, l’aristocratie françoise en étoit nécessairement le désespoir ; car on ne pouvoit se donner, par les efforts de toute sa vie, ce que le hasard ne vous avoit pas accordé. Ce n’est pas l’ordre inglorieux de la naissance, disoit un poète anglois à Guillaume III, qui vous a élevé au trône, mais le génie et la vertu.

En Angleterre on a fait servir le respect des ancêtres à former une classe qui donne le moyen de flatter les hommes de talent en les y associant. En effet, on ne sauroit trop le répéter, qu’y a-t-il de plus insensé que d’arranger l’association politique de manière qu’un homme célèbre ait à regretter de n’être pas son petit-fils ? car, une fois anobli, ses descendans, à la troisième génération, obtenoient par son mérite des priviléges qu’on ne pouvoit lui accorder à lui-même. Aussi s’empressoit-on en France de quitter le commerce et même le barreau, dès qu’on avoit assez d’argent pour se faire anoblir. De là venoit que toute autre carrière que celle des armes n’étoit jamais portée aussi loin qu’elle pouvoit l’être, et qu’on n’a pu savoir jusqu’où s’élèveroit la prospérité de la France, si elle jouissoit en paix des avantages d’une constitution libre.

Toutes les classes d’hommes bien élevés se réunissent souvent en Angleterre dans les comités divers où l’on s’occupe de telle ou telle entreprise, de tel ou tel acte de charité, soutenu volontairement par les souscriptions des particuliers. La publicité dans les affaires est un principe si généralement admis que, bien que les Anglois soient par nature les hommes les plus réservés, et ceux qui ont le plus de répugnance à parler en société, il y a presque toujours, dans les salles où les comités se rassemblent, des places pour les spectateurs, et une estrade d’où les orateurs s’adressent à l’assemblée.

J’assistois à l’une de ces discussions, dans laquelle on présentoit avec force les motifs faits pour exciter la générosité des auditeurs. Il s’agissoit d’envoyer des secours aux habitans de Leipsick, après la bataille donnée sous leurs murs. Le premier qui parla fut le duc d’York, le second fils du roi, la première personne du royaume après le prince régent, homme très-habile et très-estimé dans la direction de son ministère, mais qui n’a ni l’habitude, ni le goût de se faire entendre en public. Il triompha cependant de sa timidité naturelle, parce qu’il croyoit ainsi donner un encouragement utile. Les courtisans des monarchies absolues n’auroient pas manqué de dire à un fils de roi, d’abord, qu’il ne devoit rien faire qui lui coûtât de la peine ; et, secondement, qu’il auroit tort de se commettre en haranguant le public au milieu des marchands, ses collègues à la tribune. Cette pensée ne vint pas seulement au duc d’York, ni à aucun Anglois, de quelque opinion qu’il fut. Après le duc d’York, le duc de Sussex, le cinquième fils du roi, qui s’exprime avec beaucoup d’élégance et de facilité, parla aussi à son tour ; et l’homme le plus aimé et le plus considéré de toute l’Angleterre, M. Wilberforce, put à peine se faire entendre, tant les applaudissemens couvroient sa voix. Des hommes obscurs, et sans autre rang dans la société que leur fortune ou leur dévouement à l’humanité, succédèrent à ces noms illustres : chacun, suivant ses moyens, fit sentir l’honorable nécessité où se trouvoit l’Angleterre de secourir ceux de ses alliés qui avoient plus souffert qu’elle dans la lutte commune. Les auditeurs souscrivirent en sortant, et des sommes considérables furent le résultat de cette séance. C’est ainsi que se forment les liens qui fortifient l’unité de la nation, et c’est ainsi que l’ordre social se fonde sur la raison et l’humanité. Ces respectables assemblées n’ont pas uniquement pour but d’encourager les œuvres de bienfaisance ; il en est qui servent surtout à consolider l’union entre les grands seigneurs et les commerçans, entre la nation et le gouvernement ; et celles-là sont les plus solennelles.

La ville de Londres a eu de tout temps un lord maire, qui, pendant une année, préside le le conseil de la cité, et dont les pouvoirs administratifs sont très-étendus. On se garde bien en Angleterre de tout concentrer dans l’autorité ministérielle, et l’ont veut que, dans chaque province, dans chaque ville, les intérêts de localité soient remis entre les mains d’hommes choisis par le peuple pour les diriger. Le lord maire est ordinairement un négociant de la cité, et non pas un négociant en grand, mais souvent un simple marchand, dans lequel un très-grand nombre d’individus peuvent voir leur pareil. Lady Mayoress, c’est ainsi qu’on appelle la femme du maire, jouit pendant un an de tous les honneurs dus aux rangs les plus distingués de l’état. On honore l’élection du peuple et la puissance d’une grande ville dans l’homme qui la représente. Le lord maire donne deux dîners de représentation, où il invite des Anglois de toutes les classes et des étrangers. J’ai vu à sa table des fils du roi, plusieurs ministres, les ambassadeurs des puissances étrangères, le marquis de Landsdowne, le duc de Devonshire, ainsi que des citoyens très-recommandables par des raisons diverses : les uns, fils de pairs ; les autres, députés ; les autres, négocians, jurisconsultes, hommes de lettres, tous citoyens anglois, tous également attachés à leur noble patrie. Deux ministres du roi se levèrent de table pour parler en public ; et tandis que sur le continent un ministre se renferme, même au milieu d’une société de choix, dans les phrases les plus insignifiantes. les chefs du gouvernement en Angleterre se considèrent toujours comme représentans du peuple, et cherchent à captiver son suffrage, tout aussi soigneusement que les membres de l’opposition ; car la dignité de la nation angloise plane au-dessus de tous les emplois et de tous les titres. On porta, suivant la coutume, divers toasts, dont les intérêts politiques étoient l’objet : les souverains et les peuples, la gloire et l’indépendance furent célébrés ; et là, du moins, les Anglois se montrèrent amis de la liberté du monde. En effet, une nation libre peut être exclusive dans ses avantages de commerce ou de puissance ; mais elle devroit s’associer partout aux droits de l’espèce humaine.

Cette réunion avoit lieu dans un vieux bâtiment de la cité, dont les voûtes gothiques ont été les témoins des luttes les plus sanglantes : le calme n’a régné en Angleterre qu’avec la liberté. Les costumes de tous les membres du conseil de la cité sont les mêmes qu’il y a plusieurs siècles. On conserve aussi quelques usages de cette époque, et l’imagination en est émue ; mais c’est parce que les anciens souvenirs ne retracent point d’odieux préjugés. Ce que l’Angleterre a de gothique dans ses habitudes, et même dans quelques-unes de ses institutions, semble une cérémonie du culte du temps ; mais ni le progrès des lumières, ni le perfectionnement des lois, n’en souffrent en aucune manière.

Nous ne croyons pas que la Providence ait placé ce beau monument de l’ordre social si près de la France, seulement pour nous inspirer le regret de ne pouvoir jamais l’égaler ; et nous examinerons avec scrupule ce que nous voudrions imiter avec énergie.