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Considérations sur … la Révolution Française/Troisième partie/VII

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CHAPITRE VII.

Anniversaire du 14 juillet, célébré en 1792.

DES adresses de toutes les parties de la France, alors sincères, puisqu’il y avoit du danger à les signer, exprimoient le vœu de la grande majorité des citoyens en faveur du maintien de la constitution. Quelque imparfaite qu’elle fût, c’étoit une monarchie limitée ; et tel a toujours été le vœu des François : les factieux ou les soldats ont pu seuls empêcher qu’il ne prévalût. Si les Chefs du parti populaire avoient pu croire que la nation désirât véritablement la république, ils n’auroient pas eu besoin des moyens les plus injustes pour l’établir. On n’a point recours au despotisme, quand on a pour soi l’opinion ; et quel despotisme, juste ciel ! que celui qu’on voyoit sortir alors des classes de la société les plus grossières, comme les vapeurs s’élèvent des marais pestilentiels ! Marat, dont la postérité se souviendra peut-être, afin de rattacher à un homme les crimes d’une époque, Marat se servoit chaque jour de son journal, pour menacer des plus affreux supplices la famille royale et ses défenseurs. Jamais on n’avoit vu la parole humaine ainsi dénaturée ; les hurlemens des bêtes féroces pourroient être traduits dans ce langage.

Paris étoit divisé en quarante-huit sections, qui toutes envoyoient des députés à la barre de l’assemblée, pour dénoncer les moindres actes comme des forfaits. Quarante-quatre mille municipalités renfermoient chacune un club de jacobins qui relevoit de celui de Paris, soumis lui-même aux ordres des faubourgs. Jamais une ville de sept cent mille âmes ne fut ainsi transformée. L’on entendoit de toutes parts des injures dirigées contre le palais des rois ; rien ne le défendoit plus qu’une sorte de respect qui servoit encore de barrière autour de cette antique demeure ; mais à chaque instant, cette barrière pouvoit être franchie, et tout alors étoit perdu.

On écrivoit des départemens qu’on envoyoit les hommes les plus furieux à Paris, pour célébrer le 14 juillet, et qu’ils n’y venoient que pour massacrer le roi et la reine. Le maire de Paris, Péthion, un froid fanatique, poussant à l’extrême toutes les idées nouvelles, parce qu’il étoit plus capable de les exagérer que de les comprendre ; Péthion, avec une niaiserie extérieure qu’on prenoit pour de la bonne foi, favorisoit toutes les émeutes. Ainsi l’autorité même se mettoit du parti de l’insurrection. L’administration départementale, en vertu d’un article constitutionnel, suspendit Péthion de ses fonctions ; les ministres du roi confirmèrent cet arrêté, mais l’assemblée rétablit le maire dans sa place, et son ascendant s’accrut par sa disgrâce momentanée. Un chef populaire ne peut rien désirer de mieux qu’une persécution apparente, suivie d’un triomphe réel.

Les Marseillais envoyés au Champ de Mars pour célébrer le 14 juillet portoient écrit sur leurs chapeaux déguenillés : Péthion, ou la Mort ! Ils passoient devant l’espèce d’estrade sur laquelle étoit placée la famille royale, en criant : Vive Péthion ! misérable nom que le mal même qu’il a fait n’a pu sauver de l’obscurité ! À peine quelques faibles voix faisoient entendre : Vive le roi ! comme un dernier adieu, comme une dernière prière.

L’expression du visage de la reine ne s’effacera jamais de mon souvenir : ses yeux étoient abîmés de pleurs ; la splendeur de sa toilette, la dignité de son maintien, contrastoient avec le cortège dont elle étoit environnée. Quelques gardes nationaux la séparoient seuls de la populace ; les hommes armés, rassemblés dans le Champ de Mars, avoient plus l’air d’être réunis pour une émeute que pour une fête. Le roi se rendit à pied, du pavillon sous lequel il était, jusqu’à l’autel élevé à l’extrémité du Champ de Mars. C’est là qu’il devoit prêter serment pour la seconde fois à la constitution, dont les débris alloient écraser le trône. Quelques enfans suivoient le roi en l’applaudissant ; ces enfans ne savoient pas encore de quel forfait leurs pères étoient prêts à se souiller.

Il falloit le caractère de Louis XVI, ce caractère de martyr qu’il n’a jamais démenti, pour supporter ainsi une pareille situation. Sa manière de marcher, sa contenance, avoient quelque chose de particulier ; dans d’autres occasions, on auroit pu lui souhaiter plus de grandeur ; mais il suffisoit, dans ce moment, de rester en tout le même pour paroître sublime. Je suivis de loin sa tête poudrée au milieu de ces têtes à cheveux noirs ; son habit, encore brodé comme jadis, ressortoit à côté du costume des gens du peuple qui se pressoient autour de lui. Quand il monta les degrés de l’autel, on crut voir la victime sainte, s’offrant volontairement en sacrifice. Il redescendit ; et, traversant de nouveau les rangs en désordre, il revint s’asseoir auprès de la reine et de ses enfants. Depuis ce jour le peuple ne l’a plus revu que sur l’échafaud.