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Contes du soleil et de la pluie/106

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L’Avenir de la Race

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Il est vraiment réconfortant de suivre l’effort admirable par lequel notre pays s’acharne à reconquérir dans le monde la place que des malheurs inouïs et la défaveur du destin lui ont momentanément fait perdre, et il n’est point de meilleure réponse à ceux qui désespèrent que de leur montrer, jusque dans les plus petites choses, l’obstination et l’ingéniosité de cet effort. La France en décadence ! Mais une nation qui déchoit se plaît en sa torpeur, ne lutte plus, s’abandonne. Chez nous, au contraire, partout où le mal apparaît, se manifeste une tentative de résistance, plus ou moins vite transformée, d’abord en volonté de guérir, puis en guérison,

Chacun dans sa sphère agit, des groupements se forment, les bons esprits cherchent et trouvent les solutions, les journaux surtout, organes fidèles de l’opinion, sont attentifs, fureteurs, indiscrets, effrontés, débordants de vie et de passion, merveilleux d’émulation et de persévérance. Ils signalent, font du bruit, ils créent des courants, ils brisent les inerties, ils inventent des mots, ils lancent des idées, féminisme, éducation logique des enfants, alimentation plus rationnelle, colonisation, universités populaires, diffusion de la langue française. Que sais-je encore ! C’est une fermentation miraculeuse qui prouve l’extraordinaire vivacité de notre cher pays.

Mais peut-être n’y a-t-il rien de comparable au prodigieux mouvement qui s’est dessiné depuis plusieurs années en faveur des exercices du corps, et qui maintenant nous entraîne tous vers un idéal de régénération physique qui chaque jour se précise et devient plus conscient. Nous avons compris que le salut était là, dans une défense opiniâtre contre toutes les causes d’affaiblissement et de ruine qui se sont attaquées à nous, et que c’était, à proprement parler, une question de vie ou de mort.

L’Auto est au premier rang de ceux qui combattent le bon combat. Sa très intéressante enquête sur l’efficacité des sports au point de vue de la tuberculose et de l’alcoolisme le montre une fois de plus.

Sur cette efficacité, je crois que tout le monde est d’accord et qu’il est inutile d’en discuter. Mais quels sont les moyens de réalisation dont nous disposons ? C’est à ce propos que je voudrais présenter quelques observations.

Tout d’abord écartons la bicyclette, et en général toute espèce de sport dont l’utilité est par trop directe et palpable pour qu’il soit besoin d’en prôner les mérites. La bicyclette se suffit à elle-même. Ce qu’elle a d’immédiatement, je dirais presque de grossièrement utilitaire, comme moyen de transport, comme supplément aux facultés motrices vraiment incomplètes de l’homme, la destine à un avenir que le présent peut à peine faire prévoir.

Mais comment propager des sports qui n’ont pour les recommander que leur seul agrément ? Comment imposer à l’ouvrier, au paysan, au petit bourgeois, le goût du football, de la course à pied, ou des haltères ?

N’hésitons pas à le dire nettement : tout ce que l’on tentera auprès de nos générations actuelles d’hommes faits, d’adultes, est d’avance et irrémédiablement condamné à échouer. L’artisan de notre époque, l’homme du peuple, ne jouera ni au football ni à la paume. Il est trop tard, ses habitudes sont prises. Vous ne le détournerez pas du cabaret et des sports de cabaret, jeux de cartes, de dés ou de dominos, jeux de billard ou de bouchon, tous les jeux enfin qui ont pour corollaires et pour stimulant le petit verre ou la chopine. Abruti de travail, brisé par une dépense musculaire trop grande et par des efforts fastidieux, monotones et sans diversité, il ne désire que se reposer et boire. Hélas ! qui lui en voudrait ?

De ce côté donc rien à tenter. Mais tout est possible au contraire du côté des générations montantes. Ne l’oublions pas d’ailleurs, le bien social que l’on essaye de faire ne se réalise jamais que chez ceux qui viennent, et c’est à nos enfants, tout au plus à nos cadets, que profiteront nos vaillantes entreprises. Qu’importe ! la tâche en est-elle moins belle et moins séduisante ?

Ainsi l’éducation physique des enfants et des adolescents, voilà l’unique but.

Pour cela je vois deux auxiliaires précieux… ou plutôt je voyais, car Henri Desgrange avec son intelligence éminemment pratique et son sens très juste de ce qu’il y à d’immédiatement réalisable dans une idée, Henri Desgrange m’a « coupé l’herbe sous le pied » en préconisant dès l’abord la pratique des jeux sportifs chez le soldat. Je n’y insisterai donc pas, me réservant, si la question intéresse le public, de développer dans un autre article l’excellente idée de notre directeur, et d’étudier plus spécialement le rôle, tout indiqué en cette occasion, de l’officier, premier auxiliaire que je proposais.

Reste le second, qui est peut-être le plus important, l’instituteur.

Oui, c’est à l’instituteur que nous devons nous adresser, c’est par son intermédiaire que nous devons parler aux enfants et répandre parmi eux l’habitude des exercices athlétiques. Et comme sa parole sera vite comprise, et ses conseils rapidement exécutés ! L’enfant n’est-il pas, par excellence et tout naturellement, un être sportif, c’est-à-dire un être à forces croissantes et chez qui l’effervescence chaque jour plus grande de la vie provoque un débordement d’énergie utilisable ? Pensez que chaque jour l’enfant gagne en poids, en taille, en muscles. Quel motif d’ivresse physique ! Quel beau terrain de culture sportive !

Sans compter que l’enfant a le goût inné, l’intuition, la passion du sport, que tous ses amusements sont sportifs, qu’il court en jouant plus volontiers qu’il ne marche, et que l’exercice rationnel que nous lui demandons ne sera pas un devoir, mais une distraction, une récréation, une partie de plaisir.

Plaisir qui nécessite quelques dépenses, dira-t-on.

En effet, mais outre que ces frais peuvent être couverts par de très minimes cotisations, n’est-il pas facile de trouver, dans chaque quartier comme dans chaque village, quelque fervent de nos idées qui Sera trop heureux d’aider à leur application en fournissant un ballon de football ou des raquettes de tennis, ou bien en dotant de quelques pièces blanches telle course disputée le long des routes ou à travers champs ?

Que l’instituteur cherche et il trouvera. Qu’il agisse et il réussira. Qu’il prêche d’exemple, qu’il convainque ses collègues, qu’après avoir entraîné son école, il organise de village à village des luttes et des matches, qu’il exige de la commune l’attribution de terrains spéciaux, la place ne manque pas, qu’il frappe à toutes les portes, qu’il sollicite les souscriptions, qu’il forme des jurys, des comités de patronage, des réunions de compétences (pour avoir l’air de compétents, que de gens dénoueraient les cordons de leur bourse ! et n’est-ce pas l’essentiel ?)

S’il a besoin de conseils, qu’il nous les demande. L’U.S.F.S.A. a publié, si je ne me trompe, les règles des différents jeux athlétiques. En tout cas, l’Auto, j’en suis sûr, ne se lasserait pas d’en répéter l’explication, et même, au besoin, se chargerait d’éditer de petites brochures auxquelles souscriraient et que distribueraient tous ceux qui s’intéressent à la question.

Ah ! si chacun de nous, vieux et jeunes initiés, littérateurs avides d’échapper à la littérature, artistes épris de beauté et de force, hommes de cercle, habitués des hippodromes et des vélodromes, fervents de la pédale, du fleuret, de l’aviron, du fusil, du patin, ou même oisifs désireux de trouver un aliment à leurs loisirs, si chacun de nous voulait s’engager, au cours de sa villégiature estivale, à faire un peu de propagande, comme il lui serait aisé de sortir du château ou de la chambre d’auberge qu’il habite, pour aller voir ce qui se passe dans l’école voisine ! Comme il parviendrait sans peine à convaincre l’instituteur que parmi tous les devoirs qui lui sont dévolus (pour mille francs par an, hélas !) il n’en est pas de plus noble, de plus utile et de plus attrayant, que de travailler au perfectionnement physique de ses élèves et, par là, au relèvement de la race.

Ensemble ils feraient les premières démarches. Ensemble ils choisiraient le terrain, élaboreraient un programme simple et logique, en un mot mettraient la chose sur pied.

Et dans vingt ans nous aurions un pays régénéré, guéri de ses deux grandes tares : la tuberculose et l’alcoolisme.

Quelle serait ma fierté si cet article pouvait provoquer, parmi ceux qui le liront, au moins quelques tentatives isolées… ne fut-ce qu’une seule… ne fût-ce que la mienne !

Ces tentatives, l’Auto se ferait un plaisir d’en publier le compte rendu, d’en suivre le progrès, et surtout d’en constater la réussite.

Maurice LEBLANC.